François Bayrou : « La culture politique est une culture de guerre perpétuelle »
François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, était l'invité de "L'événement du dimanche" sur LCI à 12h00 le 1er septembre.
Seul le prononcé fait foi.
Marie Chantrait : Bienvenue dans « L'événement du dimanche », sur LCI. Ravie de vous retrouver pour cette nouvelle saison. Bonjour, David Doukhan.
David Doukhan : Bonjour Marie.
Marie Chantrait : Ravie de vous avoir à mes côtés pour toute cette année.
David Doukhan : Plaisir partagé, évidemment.
Marie Chantrait : Bonjour François Bayrou. Vous êtes notre premier invité de la saison : maire de Pau, Président du MoDem et très proche du chef de l'État, Emmanuel Macron.
David Doukhan : Bonjour et bienvenue à vous François Bayrou. Bienvenue à vous dans un moment inédit pour la France. Voilà 47 jours qu'un gouvernement démissionnaire gère les affaires courantes, c’est un record. Emmanuel Macron a dit « non » au Nouveau Front Populaire et à Lucie Castets. Mais pour quelle alternative ? Mystère. Une partie de la gauche crie au scandale et en appelle à la rue. Mais ce sont les consultations du président de la République qui piétinent depuis une dizaine de jours. Pas de solution évidente : incertitude politique totale, un budget à présenter d'ici la fin du mois, alors que l'Europe fustige la France pour déficit excessif. Voilà le tableau dans lequel nous vous recevons ce matin. Nous sommes très heureux de vous avoir parmi nous.
Marie Chantrait : On apprend ce matin que le chef de l'État doit rencontrer un fameux Bernard Cazeneuve demain matin à l'Élysée, annonciateur, on le verra peut-être ensemble, d'un dénouement. Vous avez bien sûr des informations, et nous de nombreuses questions à vous poser. Cette rencontre entre le président et Bernard Cazeneuve demain matin, est-ce que selon vous, c’est le réglage de dernière discussion ou finalement encore un dénouement très incertain ?
François Bayrou : Je n'ai pas d'informations, mais j'ai des analyses.
Marie Chantrait : On a le droit de ne pas vous croire, ou pas ?
François Bayrou : Si j’en avais, je vous le dirai. Je ne vous dirais pas ce que je sais. Mais je ne veux pas paraître comme initié alors que je suis comme vous. J'ai rencontré le président de la République la semaine dernière, enfin la semaine qui s’achève aujourd’hui. Mais je n'ai pas d'informations particulières, j’ai des analyses.
David Doukhan : Alors allons-y.
François Bayrou : Et c’est plus important les analyses que les informations. Tout le monde le voit bien, on est dans une situation, qui exige un dénouement assez rapide, en raison du calendrier que vous avez indiqué. Mais ce n'est pas facile, car la situation est totalement inédite, vous l’avez dit. On ne s'est jamais trouvé dans une situation dans laquelle une élection législative ne dégage ni de vainqueur, ni totalement de vaincu. Tout le monde est dans le même brouillard de ce point de vue-là.
Par le vote Rassemblement national, le premier tour a dit : « On n’est pas content de la situation ». Puis, entre les deux tours, il y a eu un renversement totalement inédit qui a dit : « On ne veut pas donner le pouvoir au Rassemblement national ». Et, le bulletin de vote qui signifiait « Nous ne voulons pas donner le pouvoir au Rassemblement national », c’était celui de l'Union républicaine, qui a été constituée de la gauche jusqu’à la droite républicaine.
David Doukhan : Cette analyse-là, François Bayrou, vous l'avez faite dès le 8 juillet. Nous sommes le 1er septembre. Je vous ramène au rendez-vous de demain.
François Bayrou : Vous n’avez pas besoin de me ramener.
David Doukhan : On s’interroge…
François Bayrou : Monsieur Doukhan, vous n’avez pas besoin de me ramener. Ce n’est pas la peine de m’interrompre pour des choses que je vais vous dire.
David Doukhan : On se demande si ça peut bien se passer, demain, entre les deux dans cette réunion, dans cette rencontre.
François Bayrou : Ce sont des hommes responsables et donc, entre hommes responsables, ça doit se passer bien. Je pense que ce rendez-vous est important. Je pense que Bernard Cazeneuve a le profil de ce qui est recherché aujourd'hui pour être nommé Premier ministre. Il remplit les deux conditions que moi - mais pas seulement moi - j’avais formulées comme essentielles : il est quelqu’un d’expérimenté et qui a un crédit dans l’opinion. Les Français savent que, dans les fonctions dans lesquelles il est passé, ministère de l'Intérieur, Premier ministre à la fin de François Hollande, il a été à la hauteur et honorable dans la situation. Naturellement, il a eu des polémiques, comme tout le monde.
Il y a une question qu’il faut traiter et que je me permets de souligner. Beaucoup disent qu'il faut un Premier ministre de cohabitation. Qu'est-ce que cela veut dire ? Ceux-là souhaitent un Premier ministre de confrontation avec le président de la République. Moi, je ne crois pas que, dans une situation aussi périlleuse pour le pays, la confrontation, l’affrontement entre un Premier ministre et un président de la République soit une bonne chose. Je suis pour la coresponsabilité, pas la cohabitation, la coresponsabilité. Chacun a sa place, parfaitement définie par notre Constitution. Le Premier ministre conduit la politique du gouvernement, le président de la République assure le fonctionnement régulier des institutions, en ayant un droit de veto sur un certain nombre de décisions qui ne lui paraîtraient pas essentielles.
Marie Chantrait : Donc Bernard Cazeneuve ferait, pour vous, un bon Premier ministre ? Quand on vous écoute…
François Bayrou : Je l'ai dit plusieurs fois : oui. C'est quelqu'un que je connais et que j'estime.
David Doukhan : Coresponsabilité…Contrairement à ce que vous disiez tout à l'heure, malgré tout, votre camp a perdu les élections. Vous étiez majoritaires avant les législatives, vous n'êtes plus majoritaires après. C'est une défaite.
François Bayrou : Nous parlons de Bernard Cazeneuve, qui est rejeté par la majorité du Nouveau Front Populaire, n'est-ce pas, si j'ai bien suivi vos actualités ?
David Doukhan : Oui mais...
François Bayrou : Donc, il n'y a pas eu de vainqueur dans cette élection et espérons qu'il n'y aura pas de vaincu, parce que c'est le pays qui en souffrirait.
C’était la première chose que je voulais dire.
David Doukhan : Faut-il que le président se mette un peu en retrait ? Vous avez vu cette enquête Ipsos ? Une forte attente. Les gens disent « non, désolé, nous sommes allés voter en masse. Il ne peut plus rester comme ça au cœur du jeu, il faut qu’il prenne du recul ».
François Bayrou : Monsieur Doukhan, j'avais commencé à vous dire les deux sujets très importants pour moi. La cohabitation : je pense qu’il faut une coresponsabilité. Il ne faut pas un climat d'affrontement avec le président de la République. Chacun dans sa responsabilité, mais chacun soucieux de l'intérêt national.
Deuxièmement, il y a des gens qui disent, « Il faut que ce Premier ministre applique une politique de gauche. Il y en a d’autres qui disent « Il faut un Premier ministre de droite ». Vous avez entendu à plusieurs reprises…
Marie Chantrait : Nicolas Sarkozy.
David Doukhan : Nicolas Sarkozy, nous en parlerons.
François Bayrou : Je ne crois ni à l'une ni à l'autre des deux options.
David Doukhan : Depuis toujours.
François Bayrou : Je pense qu'il faut une politique d'urgence nationale. On est devant un problème majeur, là encore d'une gravité sans précédent à propos des finances publiques. On a eu des catastrophes qui se sont succédées ces dernières années : la COVID, la guerre, l'inflation. On est devant des soucis qui sont très importants du point de vue de l’économie…
Marie Chantrait : Ça on reviendra sur le budget, François Bayrou. On revient sur le profil…
François Bayrou : Laissez-moi dire ça et après je réponds.
Marie Chantrait : Mais parce que je pense que ça passionne nos téléspectateurs. Vous balayez, certains d’entre vous, l'incarnation, le casting…Un nom pour Matignon. Depuis 47 jours, on n’a toujours pas de réponse. Vous dites que Bernard Cazeneuve pourrait être un bon profil justement, mais il pose ses conditions également : il ne souhaite pas être un collaborateur. Est-ce que vous pensez Emmanuel Macron capable de se mettre en retrait ?
François Bayrou : Vous présentez les choses comme s’il devait y avoir un affrontement. Je n'ai jamais accepté l'idée que le Premier ministre soit un collaborateur. C’était, vous vous en souvenez, la formule de Nicolas Sarkozy à l’égard de François Fillon ? Je ne l'ai pas soutenu à cette époque, c’est le moins que l’on puisse dire. Je n’ai jamais accepté l’idée, que tous les présidents successifs de la Ve République ont eu, selon laquelle le Premier ministre est, au fond, leur exécutant. Je pense qu’il y a besoin des deux fonctions : le chef de l'État et le chef du gouvernement. Je pense que ces deux fonctions sont indispensables à l'équilibre de l'exécutif en France et aux relations avec l'opinion et le Parlement.
David Doukhan : Est-ce qu’il faudra donc que le président de la République laisse son Premier ministre ou sa Première ministre, une fois nommé, composer, plus librement qu’il n’en a eu l’habitude par le passé depuis 2017, son gouvernement ?
François Bayrou : Il suffit de lire la Constitution, elle est très simple.
David Doukhan : Oui, le Président nomme sur proposition.
François Bayrou : Je vais vous la rappeler. Le Président nomme le Premier ministre. C’est déjà un accord, puisqu'il n'est pas imposé par une majorité qui n'existe pas, ou plus. Deuxièmement, sur proposition du Premier ministre, il nomme les ministres du gouvernement. Il suffit de respecter ce mécanisme. Vous avez l'air sceptique.
David Doukhan : Oui, parce que nos concitoyens ont voté et c’est vrai que le résultat n'est pas d'une clarté absolue, on peut tous peut-être le regretter, mais ils ont voté massivement. Et s’il y a un enseignement que l'on peut retenir, c’est qu'ils ont quand même désavoué la politique que vous avez mené, vous, votre majorité, depuis 2017.
François Bayrou : Ils ont désavoué la politique que le Rassemblement national proposait. Oui ou non ?
David Doukhan : Ils ont fait barrage au Rassemblement national.
François Bayrou : Oui ou non ?
David Doukhan : Indéniablement.
François Bayrou : Très bien.
Marie Chantrait : Ils les ont mis largement en tête aux élections européennes aussi, ne l’oublions pas.
David Doukhan : Et le Rassemblement national est le premier parti à l'Assemblée.
François Bayrou : Vous pouvez dérouler ce type de constat, les chiffres sont clairs. L'Assemblée nationale est composée de trois tiers qui s’affirment qu’ils sont inconciliables entre eux. C’est exactement ce qu’a prévu la Ve République.
Et c'est le piège dans lequel on est enfermés depuis, vous avez dit, 47 jours. Le piège qui est, que vous avez cultivé ardemment…
Marie Chantrait : Nous ne sommes pas les seuls responsables dans tout ça.
François Bayrou : Vous présentez une vision de la situation comme si c’était l’évidence. Mais ce n’est pas l’évidence.
Il se trouve, que choix qui a été fait par les Français, fait que le groupe du nouveau Front populaire divisé, dont on sait aujourd’hui à quel point les affrontements internes sont puissants…
Marie Chantrait : On va revenir sur ces appels.
François Bayrou : …et l'ancienne majorité, ont à peu près le même nombre de députés.
Marie Chantrait : 190.
François Bayrou : 190 pour l’un, et un peu moins pour l’autre. Quelques dizaines de moins pour l’autre. 160….
Cette configuration interdit l’espèce d'illusion dans laquelle on est enfermé depuis 47 jours, dans laquelle ce seraient les partis politiques qui seraient chargés de former le gouvernement.
David Doukhan : Donc soyons précis. C’est une question très précise pour nos concitoyens qui ont besoin de savoir qui va les gouverner, qui va gouverner le pays. Il y aura donc, François Bayrou, des ministres issus de ce bloc central, des ministres MoDem dans le futur gouvernement ?
François Bayrou : Ça dépend de qui est le Premier ministre.
Marie Chantrait : Vous le souhaitez, en tout cas ?
François Bayrou : Vous avez bien compris le raisonnement. Je ne crois pas aux accords des groupes politiques à l'Assemblée. La Ve République, nos institutions, n’y croient pas non plus. La Ve république elle dit : « on va séparer l’Assemblée du gouvernement », séparation des pouvoirs comme disait monsieur Montesquieu. D'un côté l'exécutif, de l'autre le législatif. On a pris l’habitude, depuis des décennies, de laisser croire que c'est le législatif qui fait l'exécutif. Si vous relisez ce que De Gaulle en a dit et qui est d’une clarté aveuglante, il n’y croyait pas non plus, et il a fait des institutions dans lesquelles ce n'est pas à l'Assemblée que ça se joue. La formation du gouvernement, c’est le président de la République qui doit choisir, c’est son devoir, en fonction des nuances et de la composition des assemblées.
Marie Chantrait : Au vu des rendez-vous que le président a eus ces derniers temps avec les groupes parlementaires, cela paraît très compliqué. Juste revenons sur cette information du service politique de TF1 – LCI de la matinée : Bernard Cazeneuve est reçu demain. On verra s'il est nommé à Matignon, si c’est l’issue de ce rendez-vous. Sacré chapeau quand même à avaler pour le président de la République, Bernard Cazeneuve, non ?
Bernard Cazeneuve, c'est l'ancien monde que le président en 2017 a tenté par tous les moyens de dynamiter. Premier ministre socialiste de François Hollande, on sait, et peut être que vous avez des informations sur leur relation, mais que l’on décrit régulièrement comme complexe. Ça pourrait bien se passer ?
François Bayrou : Mais Bernard Cazeneuve a été Premier ministre et ministre d'un gouvernement dont le ministre de l’Économie était… ?
Marie Chantrait : Emmanuel Macron.
David Doukhan : Emmanuel Macron.
François Bayrou : Voilà.
David Doukhan : D'ailleurs, en 2016 Bernard Cazeneuve, lui dit à la sortie d'un Conseil des ministres : « Ce n'est pas bien ce que tu fais. » Il parle de la trahison qui s’apprêtait à avoir lieu.
François Bayrou : Quant à leur relation, je n'ai aucun moyen d’avoir des informations.
Vous voyez bien, vous présentez régulièrement les choses comme s'il n'y avait, entre responsables politiques, que l’affrontement.
Marie Chantrait : Non mais se souvenir, se rappeler parfois de ce qu’il s’est passé.
François Bayrou : Aujourd'hui, le devoir du président de la République et du futur Premier ministre, c’est de ne pas avoir des réflexes d'irritation ou des réflexes claniques ou de « Je ne suis pas avec lui parce qu’il n’était pas avec moi ». Tout cela est derrière nous !
David Doukhan : Il faut être à la hauteur dans le moment ?
François Bayrou : C’est plus qu’à la hauteur. Nous sommes dans une situation qui exige de tous les responsables, qu'ils soient de la majorité ou de l'opposition, qu’ils appartiennent au monde politique, syndical ou associatif, qui exige de tout le monde, qu’on prenne sa part de la responsabilité. C’est pourquoi je plaide pour la coresponsabilité.
Marie Chantrait : Et qui exigera aussi une explication du Chef de l’État ? Vous la souhaitez également via une prise de parole ?
François Bayrou : Je pense qu'il parlera, naturellement.
David Doukhan : Ouvrons ou laissons entrouverte une porte si vous le voulez bien, François Bayrou. Vous avez vu que Daniel Cohn-Bendit a plaidé, apparemment, il a écrit une note à Emmanuel Macron. On lit dans la presse que le Président vous l'aurait même montrée.
François Bayrou : Non.
David Doukhan : C'est faux ?
François Bayrou : Faux. Celui qui me l’a montrée, c’est Cohn-Bendit.
Marie Chantrait : En tout cas, vous l’avez vue.
David Doukhan : Il a effectivement écrit une note qui consiste à dire « la bonne personne pour Matignon, ce n’est pas compliqué, c’est François Bayrou. » On ferme la porte, on la laisse entrouverte ? Qu’est-ce qu’on fait ?
François Bayrou : Cette affirmation ne m'effraie pas, mais elle n’est pas possible, puisque le président de la République a dit, ou fait dire, ou que ses porte-paroles ont dit, qu’il souhaitait quelqu'un qui vienne plutôt de l'opposition. Et je ne viens pas « plutôt de l'opposition ». Je viens de l'indépendance mais je ne viens pas de l’opposition.
Marie Chantrait : C’est d’ailleurs ce qu’a plaidé le Premier ministre démissionnaire : Gabriel Attal. On avance et vous parliez de cette Assemblée, de ces trois blocs. Marine Le Pen, ainsi que certains communistes, ont demandé que les députés soient réunis en session extraordinaire sans attendre la session ordinaire prévue le 1er octobre. Est-ce qu’ils ont raison ? Est-ce que vous plaidez dans le même sens ? Est-que l’Assemblée devrait se réunir avant ?
François Bayrou : Moi, je pense qu’il serait logique d’avoir une réunion de l'Assemblée nationale pour un discours de politique générale du nouveau Premier ministre. Cela me paraît être la logique des choses. Il n'est pas obligé de demander le vote de confiance, et je crois d'ailleurs qu'il ne le demandera pas, car on est devant des impasses.
Marie Chantrait : Il pourrait échouer ?
François Bayrou : Mais qu'il vienne dire à la représentation nationale : « Voilà ma vision de l'avenir, voilà où je crois que nous devons aller, et voilà l'équipe dont je veux m'entourer pour que cette vision de l’avenir rentre dans la réalité. », cela, ça me paraîtrait non seulement normal, légitime, mais souhaitable.
David Doukhan : Un mot peut-être brièvement, avant que nous passions à d'autres sujets de fond. Sur l'action des Insoumis, il y a un appel à manifester dans la rue prévue contre le président de la République le 7 septembre prochain. J'ai vu qu'ils avaient aussi enclenché une volonté de procédure de destitution hier, franchissant ainsi une nouvelle étape. Quel commentaire cela vous inspire-t-il, François Bayrou ?
François Bayrou : Ce mouvement politique cherche à accentuer le bazar dans la société politique française.
Jean-Luc Mélenchon a théorisé cela, il a dit : « Tout conflictualiser », faire de tout un sujet de guerre, un sujet d’affrontement, un sujet de haine et de mobilisation agressive. Est-ce bon pour la France ? Non. Pour moi, c'est exactement le contraire de ce que nous devons rechercher aujourd'hui. L'idée derrière tout ça, c'est qu'il faudrait une révolution, avec le côté évidemment violent d’une révolution et avec les dégâts que ça provoque, avec des principes de gouvernement qu’on voit en Amérique du Sud et dont nos lointains voisins payent malheureusement tous les jours les pots cassés. Est-ce bon ? Non. Est-ce acceptable ? C'est inacceptable.
David Doukhan : La marche du 7 septembre, pour vous, est inacceptable ?
François Bayrou : Mais la marche du 7 octobre sera, je crois, par la volonté des Français, un échec.
David Doukhan : Oui, vous anticipez peu de monde ce jour-là dans la rue.
François Bayrou : Vous voyez bien que, y compris les responsables de cette alliance du Nouveau Front Populaire, tous disent non.
David Doukhan : Les non-Insoumis ?
François Bayrou : Oui.
Marie Chantrait : Et les syndicats ne suivent pas non plus, la CGT notamment.
Venons-en maintenant, François Bayrou, à l'opération que nous pouvons appeler anti-Bernard Cazeneuve. Vous parliez de Nicolas Sarkozy, l'ancien président. Il s'est exprimé chez nos confrères du Figaro hier. Il essaye une énième fois de convaincre Laurent Wauquiez d'accepter de gouverner avec vous, le bloc central, ce qui, à notre connaissance, ne fera pas bouger d’un iota le groupe de la droite républicaine. Vous partagez aussi cette analyse ? Ou vous pensez que, dans les prochaines heures, les choses pourraient changer et que cette interview puisse avoir un quelconque effet ?
François Bayrou : Non, je ne crois pas. Mais il y a des choses très justes dans cette interview. Et c'est moi qui le dis.
Marie Chantrait : On sait que vos relations n'ont pas toujours été au beau fixe.
François Bayrou : Nous avons eu des affrontements assez durs.
David Doukhan : Espérons que l'ancien président nous regarde, et si c’est le cas, il est surpris en ce moment.
François Bayrou : Vous n'en savez rien, parce que lui aussi a un sentiment de responsabilité, j'imagine. En tout cas, cette interview sur bien des points, me paraît aller dans le bon sens. J'ai trouvé qu'il y avait des choses très justes.
Marie Chantrait : Mais il n'est pas d'accord sur l'analyse de Bernard Cazeneuve. Pour lui, ce n’est pas une option.
François Bayrou : Oui, comme ce n'est pas sa responsabilité.
Je me souviens de nominations de gouvernements par Nicolas Sarkozy lui-même, sur lesquelles les désaccords étaient très nombreux, y compris dans son camp.
Vous vous souvenez de tout ça ?
David Doukhan : L'ouverture ?
François Bayrou : Et même de Premier ministre, cela n'avait pas été simple ; cela avait pris beaucoup de jours à cette époque-là aussi. Donc, est-ce que ça va faire changer d'avis ses amis ? Je ne le crois pas, parce qu’il y a une situation tout à fait particulière qui est la préparation de la future et lointaine – s’ils savaient à quel point c’est loin, ceux qui participent à ces bagarres - élection présidentielle de 2027, mais beaucoup d’entre eux veulent y participer en tant qu'opposants.
David Doukhan : Brièvement, juste avant que nous ne fassions une petite pause, il y a aussi d'autres candidats qui se sont déclarés récemment, Ségolène Royal. Qu'avez-vous pensé de sa démarche ? En quelques mots ?
Marie Chantrait : Elle vous laisse sans voix ?
François Bayrou : Je vais vous dire, c’est tellement facile d'être ironique ou de critiquer.
David Doukhan : Je n'ai aucune ironie pour ma part, et je voudrais savoir ce que vous en pensez.
François Bayrou : Moi en tout cas, je pense que le moment n'est pas à critiquer les personnes.
David Doukhan : Qui s’engagent.
François Bayrou : Chacun s'imagine pouvoir apporter quelque chose au débat…
David Doukhan : David Lisnard ?
François Bayrou : Je ne participe pas à ce jeu de quilles. N’attendez pas que je vienne démolir les uns après les autres ceux qui font acte de candidature…
David Doukhan : Ça peut être intéressant, un maire, même de droite…
François Bayrou : … Même si je crois que certains parmi ceux qui s'expriment n'ont pas beaucoup de chances d'arriver à leurs fins.
Marie Chantrait : Nicolas Sarkozy, qui dans cette interview au Figaro, met aussi en garde contre une crise financière majeure. On en parle ensemble justement, le vote de ce budget pour l'année 2025, avec vous, François Bayrou, juste après la pause. À tout de suite.
Marie Chantrait : Retour sur le plateau de l’événement du dimanche LCI, toujours avec notre invité François Bayrou, maire de Pau et président du MoDem.
David Doukhan : Dans quelques instants, nous parlerons du mur du budget, du risque de la dette aussi pour notre pays. Mais d'abord, un dernier point sur cette situation politique inédite, parce que tout à l'heure, vous disiez : non, ce ne sera pas une cohabitation.
François Bayrou : Cela ne doit pas être une cohabitation.
David Doukhan : Cela ne doit pas être une cohabitation tout à fait. C’est vrai que ça interroge. Pourquoi ? Pouvez-vous expliquer, développer votre vision ?
François Bayrou : C’est très simple. Une cohabitation, c'est une situation de confrontation, de tensions entre un président de la République d'un bord et un Premier ministre soutenu par une majorité absolue contraire. On a connu ça avec Mitterrand, Chirac, Balladur... Et puis la situation dans laquelle on est aujourd’hui, ce n’est pas du tout ça.
Quelle sera la majorité du nouveau gouvernement si les profils évoqués sont nommés ? Très simple : cette majorité sera composée d'une petite part de députés qui auront pris leur indépendance à l’égard du NFP…
David Doukhan : C’est quoi ? Une trentaine de socialistes ?
François Bayrou : Oui, quelque chose comme ça, disent les observateurs. Une petite part de députés venus de la droite.
David Doukhan : Une quarantaine.
François Bayrou : Et puis l'immense majorité de la majorité, ce sera les groupes du centre….
Marie Chantrait : MoDem, Horizon et Ensemble pour la République.
François Bayrou : …Qui viennent de la majorité précédente.
Cette majorité-là, son poids spécifique, son barycentre, comme on dit en termes de physique, c'est-à-dire l'endroit où se situe l'équilibre des forces, sera évidemment central. Donc, ça ne sera pas une cohabitation d'affrontements. Ça ne peut et ne doit pas être une cohabitation de confrontation. On n'est pas là pour se faire la guerre, mais pour proposer des réponses urgentes et concrètes à une situation si grave que nous n'avons pas connue depuis très longtemps, pour des raisons à la fois extérieures et intérieures, et dont nous avons le devoir de sortir.
Marie Chantrait : Et vous qui connaissez un petit peu Bernard Cazeneuve, est-il en capacité de toper pour cela, d’entendre cela ?
François Bayrou : C'est lui qui va le dire, j'imagine demain matin. Je l’ai déjà dit avant cet événement, c'est quelqu'un pour qui j'ai une grande estime, quelqu'un qui, je pense, peut être tout à fait utile et pertinent dans le moment où nous sommes. Il faut simplement que les visions s'harmonisent, parce que la situation, y compris sur la situation chiffrée, impose la lecture que je plaide devant vous. Ce n'est pas une cohabitation, ni une soumission, en aucune manière. C'est une coresponsabilité.
Marie Chantrait : « Vision chiffrée ». Parlons de chiffres justement et de budget. Nicolas Sarkozy, avant la pause, mettait en garde contre le risque d'une crise financière majeure en France si nous ne reprenons pas le contrôle de notre dépense publique. Sur cette mise en garde, partagez-vous son inquiétude ? François Bayrou, la France peut-elle, à terme, connaître ce qu'a vécu la Grèce à une certaine époque, ou joue-t-on à se faire peur ?
François Bayrou : Je ne crois pas que la situation soit la même que celle de la Grèce. D'abord, parce que le poids de la France à l’intérieur de l'Union européenne ne peut pas faire vaciller notre pays aussi facilement qu’a vacillé la Grèce, qui s'en est sortie entre parenthèses. Cependant, je pense que la situation est, en effet, très inquiétante, que cela dure depuis des années. Nous n'avons pas été aidés parce que les crises se sont succédé gravissimement : le COVID c’était gravissime, la guerre en Ukraine c’était gravissime, les Gilets jaunes auparavant, c’était gravissime. On est allé de crise en crise.
Et j'observe que jamais personne n'a jamais dit qu'il fallait faire des économies. Pour moi, qui m'intéresse à ces questions de déficit et de dettes au point d'en avoir fait un sujet d'élection présidentielle en 2007 et 2012, je n'ai jamais entendu aucun responsable politique monter à la tribune pour dire : « Je vous demande de faire des économies ». Au contraire…
David Doukhan : Édouard Philippe est sur cette ligne.
François Bayrou : J'ai entendu tous les responsables politiques successifs, pas seulement du gouvernement, mais aussi de l'opposition, demander plus de dépenses. Et on continue dans ce sens.
David Doukhan : Le problème, ce n’est pas de le dire, c’est de le faire.
François Bayrou : Je vais vous dire ce que je crois. La situation est insoluble si l'on ne met pas au point un plan par exemple sur 10 ans, pour revenir à l'équilibre des finances publiques. Parce que si on se retrouve, dans un moment où, soudainement, il faut réduire à grands coups de hache dans la totalité des crédits, vous allez avoir un si grand malaise dans l'opinion publique, dans les corps intermédiaires, les syndicats, et les entreprises.
Je prends un exemple simple : si on supprimait le crédit d’impôt recherche, vous croyez que les entreprises laisseraient faire sans rien dire ? Il y a un plan à construire pour retrouver l’équilibre.
Marie Chantrait : C'est aussi le Haut-commissaire au Plan qui parle ici ?
François Bayrou : Oui et je plaide ça depuis longtemps pour retrouver l'équilibre et pour qu’on réfléchisse mieux à la manière dont nous conduisons les choses. Par exemple, on emprunte par centaines de milliards tous les ans. Ces emprunts pourraient être utiles si on les consacrait à l'investissement, pour bâtir la France de demain, à faire que dans des secteurs cruciaux comme les microprocesseurs, le numérique, les data, on ait une politique de présence nationale au moins plutôt que d'abandon. Ça, ce sont des emprunts qui pourraient être utiles. Mais les emprunts consacrés uniquement aux dépenses courantes, que l'on reporte sur les générations suivantes, c’est honteux.
J'ai souvent dit que la réforme des retraites aurait dû être conduite comme ça, sur ce sujet. En mettant en évidence le caractère inacceptable et immoral de la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui.
David Doukhan : La situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui est d'autant plus confuse en raison du brouillard politique. Ce matin, dans Le Parisien, on a un ministre démissionnaire du budget qui a déclaré que la future équipe n'aura pas le choix, qu’il faudra réduire les déficits. Convenez que ça participe de cette ambiance…On découvre de nouvelles choses.
François Bayrou : Souhaitons que cette situation ne dure pas.
David Doukhan : Absolument. Mais le mur du budget, il est devant nous. Bruno Le Maire disait : « il faudra faire 25 milliards d'économies ». Mais quelle garantie peut-on avoir ? On ne sait même pas qui sera le Premier ministre ni comment l'Assemblée nationale réagira. Faites-vous confiance, François Bayrou, à l'Assemblée nationale issue des urnes le 8 juillet dernier pour être responsable et trouver des économies ?
François Bayrou : Je vais vous dire quelque chose : je fais confiance à notre pays. Le jeu banal est que tout le monde réclame des dépenses. Le jeu perpétuel, lassant, c’est que personne ne fait attention aux équilibres. Mais placés devant la gravité de la situation, si nous avons des gouvernants responsables et à la hauteur, s’ils arrivent à créer un lien de confiance avec l'opinion publique, qu’ils se disent « allez, ceux-là, après tout on peut essayer avec eux » alors l’opinion est capable de responsabilité.
David Doukhan : Ça fait beaucoup de « si » avec 190 NFP. 140 RN et alliés. Est-ce que c’est une Assemblée de sérieux budgétaire ?
François Bayrou : Je pense que certains groupes politiques sont, presque par nature, irresponsables. C'est comme ça les partis politique et, c'est pourquoi j'ai défendu devant vous l'idée que ce n'est pas là que l'on trouverait la source du gouvernement. Mais, il y a des députés, des femmes et des hommes qui, individuellement, avec leur propre histoire et leur propre famille, ne sont pas obligés de choisir des attitudes suicidaires pour notre pays.
David Doukhan : Mais sur les impôts, François Bayrou, est-ce que nos concitoyens, aujourd'hui, dimanche 1er septembre, peuvent avoir la garantie qu'ils n'augmenteront pas ?
François Bayrou : Je pense qu'il y aura une discussion fiscale.
Marie Chantrait : Il faudra d'ailleurs qu'elle ait lieu.
François Bayrou : D’ailleurs, c'est très rigolo : tout le monde demande des impôts supplémentaires.
David Doukhan : Dans la classe politique, voulez-vous dire ?
François Bayrou : Oui. Que je sache, nous sommes le pays le plus chargé d'impôts de tout le monde développé. Cependant, les seules idées qu’on a pour rétablir les choses sont des impôts supplémentaires. J'ai souvent avec mes amis des discussions souriantes et amusées sur ce sujet-là ; l'inventivité fiscale est sans limite, mais je pense qu'il y a des limites. La limite, c'est que l'activité, la création d'entreprise, la création d’activité ne doivent pas être découragées par une fiscalité excessive. Qu’il y ait des aménagements possibles ? Je crois que oui. On peut trouver des solutions par souci de justice, pour que l'opinion publique perçoive de la justice dans les décisions.
David Doukhan : Les superprofits…
François Bayrou : On peut trouver. Mais ce n'est pas du côté des impôts que se trouvera la solution.
Songez que le programme du NFP crée 14 tranches d'impôt sur le revenu, alors que nous en avons trois fois moins, dont la tranche supérieure est à 90 %. Si vous êtes le pays qui prélève 80 % de revenus….
Marie Chantrait : C'est le confiscatoire.
François Bayrou : Oui, c’est anticonstitutionnel. Quand François Hollande a proposé 75 %, le Conseil constitutionnel a dit « quand même ! ». Mais 90 %. Et tout le monde fait semblant. Cette espèce, je ne sais pas si c’est un aveuglement, mais au moins une perpétuelle escroquerie intellectuelle qui consiste à penser que les créateurs d'entreprise, de richesse et d'emploi, seraient mieux attirés en France si on avait, comme cela, des démarches de confiscation pures et simples.
Marie Chantrait : Parce qu’il faut avancer, François Bayrou, vous évoquiez tout à l'heure la réforme des retraites et la méthode qui, selon vous, même si vous mettez des guillemets, n’a pas été la bonne. Faudra-t-il accepter de revenir d’une manière ou d’une autre, sur cette réforme votée l'année dernière ? Bernard Cazeneuve a d'ailleurs prévenu qu'il mettrait la réforme en pause. Est-ce que vous dites « Oui, discutons-en », « Oui il faut peut-être le faire ».
François Bayrou : Je n’aime pas me désavouer au travers du temps. J’ai exprimé très tôt mon insatisfaction sur la manière dont on a conduit la réforme des retraites. Vous vous en souvenez, j’avais très tôt, dès le mois de décembre précédent la réforme qui est arrivée 4 mois après, j'avais mis sur la table les vrais chiffres qui n’avaient jamais été établis du financement des retraites. Ces vrais chiffres, si nous étions des gens responsables, des pères et mères de familles sérieux, si nous avions le souci de nos enfants, nous ne pourrions pas l’accepter parce que la réforme des retraites est payée par les générations qui viendront. Ceci n’est pas acceptable. Est-ce qu'on peut trouver mieux comme équilibre ? Est-ce qu’on peut rechercher de meilleurs réglages ? Je suis persuadé que oui.
Marie Chantrait : Sur les carrières longues, par exemple ?
François Bayrou : Sur plusieurs sujets.
David Doukhan : Non mais sur l’âge légal…
François Bayrou : Par exemple, j’étais tout à fait défenseur de la réforme qui a été écartée, la réforme de la retraite par points. Je vous rappelle que certaines organisations syndicales étaient pour la réforme de la retraite par points.
David Doukhan : Avec une Assemblée comme ça, vous allez vous retrouver dans un tel chantier…
François Bayrou : Monsieur, vous passez votre temps à oublier les principes qu’on a établis ensemble.
David Doukhan : Oui mais bon…
François Bayrou : Ce n’est pas à l'Assemblée nationale de diriger le gouvernement.
David Doukhan : Mais quand l'Assemblée n'est pas en accord avec le gouvernement, il reste l'arme du 49-3, et quand on l’utilise ça mène à des motions de censure.
François Bayrou : On verra. Si une réforme était justement pensée, améliorée, et présentée aux Français avec suffisamment d’esprit de conviction et de justice, alors je suis persuadé que l'opinion publique bougerait. Et si l’opinion bouge alors les parlementaires suivront.
Marie Chantrait : Esprit de conviction et de justice, ce qui veut dire ? Je vous écoute, je vous lis entre les lignes. Vous semblez suggérer que cette réforme est une forme d'injustice ?
François Bayrou : Non, je ne dis pas cela du tout. Je pense qu'une partie de l'opinion a trouvé que c’était un passage en force.
Marie Chantrait : Et n'a pas compris.
François Bayrou : Et je pensais moi, qu'on pouvait éviter le passage en force partageant avec les Français les raisons de la réforme.
Marie Chantrait : Le président est prêt à cette pause ?
François Bayrou : Je parle vraiment en mon nom personnel, en sachant que sur ce sujet, je n'ai pas été suivi par grand monde au travers du temps.
David Doukhan : Mais, en votre nom justement, la réforme a consisté à faire passer l’âge légal à 64 ans, faut-il revenir dessus ? Là-dessus, faut-il bouger ou mettre en pause ?
François Bayrou : Je ne crois pas à la pause. Je pense que nous ne pouvons pas ne pas avoir une stratégie de rééquilibrage des retraites, comme nous ne pourrons pas ne pas avoir une stratégie de rééquilibrage de la sécurité sociale, comme nous ne pourrons pas ne pas avoir une stratégie de rééquilibrage de la dépense publique. Nous mettons beaucoup d'argent dans les dépenses publiques, mais est-ce que les services publics sont à la hauteur ? Est-ce que les Français ont le sentiment d’avoir des services publics tellement plus efficaces et attentifs que les autres pays ? Non, et tout ça, c’est une œuvre de reconstruction. Et cette œuvre de reconstruction est d’urgence nationale.
David Doukhan : Vous ne répondez pas sur l'âge légal, est-ce que ça peut bouger ou pas ?
François Bayrou : Je pense qu'il y a d'autres méthodes que l'âge légal, puisque la retraite par points, c’était une autre méthode.
Marie Chantrait : François Bayrou, on peut vous reconnaître une forme de cohérence. Vous plaidez une nouvelle fois pour la proportionnelle, mais n'est-ce pas un peu facile de le faire aujourd'hui, dans cette situation politique inédite ? Pourquoi ne pas l'avoir fait depuis toutes ces années ? Est-ce que le président est pour ? Vous qui le connaissez bien et qui discutez avec lui.
François Bayrou : Peut-être il n'y a pas été favorable très tôt, sinon il l'aurait déjà fait.
Marie Chantrait : Il s'est converti à cette idée avec le temps.
François Bayrou : Peut-être François Hollande a-t-il été, lui aussi, après avoir fait de grandes déclarations, moins favorable que les déclarations ne le laissaient penser. Vous vous souvenez, François Hollande, dans son énumération, son anaphore "Moi président, je mettrai en place la proportionnelle pour les élections législatives ». Il ne l'a pas fait.
Vous comprenez, en dehors des gens si souvent minoritaires, j’accepte d’en être, qui ont des idées sur la situation mais qui essaient de manière cohérente, vous avez eu la gentillesse de le dire, au travers du temps de reposer les problèmes parce qu’ils sont vitaux pour le pays. À temps et à contretemps. En-dehors de ceux-là, l’ensemble du monde politique est plutôt du côté du conservatisme.
Marie Chantrait : Ne rien bouger.
François Bayrou : Mettez-vous à leur place, ils ont été élus au scrutin majoritaire. C’est vachement confortable le scrutin majoritaire. Vous êtes dans une vague, vous êtes sûr d'être élu, quel que soit le candidat que vous présentez dans les trois-quarts des circonscriptions. Il suffit d’être copain avec l’appareil du parti et fatalement, vous êtes élu. Ils n'ont pas envie de changer. J'ai essayé de faire passer l'idée de ce changement de mode de scrutin récemment, et on m'a dit : « Mais tu sais, même les groupes qui sont pour, en réalité, les députés ne veulent pas ». On a vu le résultat maintenant : avec le scrutin majoritaire, dont ses défenseurs disent « il est le seul capable de trouver des majorités » et on a l'Assemblée la plus explosée en mille morceaux qu’on ait connue depuis le début des temps. Tout cela, c'est évidemment de la blague.
David Doukhan : La proportionnelle pourrait, en plus, permettre peut-être de sortir le Parti socialiste du carcan dans lequel il est avec le NFP.
François Bayrou : Pas seulement. La proportionnelle ça crée dans l’esprit des citoyens et des responsables politiques un paysage politique différent. Parce que c’est une situation dans laquelle on est obligé de travailler les uns avec les autres et pas contraints d’être irréductiblement opposés et agressif, de mettre en accusation et de considérer que l’autre n’aura jamais rien à faire avec lui.
David Doukhan : Les postures…
François Bayrou : On en a crevé. La situation que vous décrivez, à juste titre de la situation du pays, provient en partie de ce que la culture est une culture de guerre perpétuelle.
Marie Chantrait : Une réforme d'ici 2027 ?
François Bayrou : « Je suis dans l’opposition, quoi que tu me proposes, je serai contre », « Je suis dans la majorité donc je voterai pour, même si je suis contre » : cette stupidité-là, elle correspond plus à la société comme elle est. Vous vous souvenez qu'un jour, lors de la grande manifestation, de la création de l'UMP par Jacques Chirac, j'avais dit : « Vous voulez un parti unique parce que vous dites qu’on pense tous la même chose. Si on pense la même chose, c’est qu’on ne pense plus rien ».
La société française, comme toutes les sociétés du monde, ne s'accommode plus du simplisme et de l'esprit partisan, clanique. Les gens, dans leur propre famille, savent qu'il y a des approches différentes. Parmi leurs enfants, il y a des approches différentes. Il faut retrouver le moyen que le pluralisme retrouve droit de cité.
David Doukhan : François Bayrou, je passe à un autre sujet, ça n’a vraiment rien à voir et marquons un temps de transition. J'aimerais vous entendre là-dessus. Vous avez été sans doute comme nous, saisi d'effroi une fois de plus, par ce drame : une petite fille de 7 ans a été percutée par un motard en motocross, on parle d'un rodéo urbain. Percutée, elle est dans un coma profond. Le papa a écrit que sa petite fille ne reviendrait pas. Et le suspect, pas de détention provisoire. Au terme de la garde à vue, il est libéré, sous contrôle judiciaire. Comment réagissez-vous à cette décision-là ?
François Bayrou : J'ai eu des petites filles de 7 ans. J’ai des petites filles de 7 ans. Et les mots de ce papa, je les ai trouvés déchirants. Déchirants, pas au titre de responsable politique, mais à titre de père de famille. S’imaginer qu’un pauvre mec qui fait du rodéo urbain pour rouler des mécaniques, il n’a quasiment pas ou il n’aura quasiment pas de sanction, c’est inacceptable. Il y a plusieurs problèmes : le problème d'administration de la justice, c’est une question.
Marie Chantrait : Le parquet a fait appel de cette décision.
François Bayrou : Ils ont eu raison. Et puis il y a une question pour les maires, parce que ce sont les maires qui sont confrontés tous les jours à ça. Et, excusez-moi de le dire, je n'arrive pas à croire que ce soit la première fois que ce « pauvre type » faisait ça. Ce n’est pas son premier rodéo. Ce qui compte, c’est la prévention, mais pas prévention verbale : la prévention sévère et ferme. L’arme contre ça, c’est la vidéo-surveillance. Dans notre ville, chez nous, on a mis en place un réseau serré de vidéosurveillance et on réussit à repérer des comportements de cet ordre, à saisir les motos. Je pense qu’il faut être ferme dès la première manifestation de ce genre de choses inacceptables. Faire du rodéo sur un circuit je m’en fous. Ils risquent leur intégrité physique mais pas grand-chose de plus. Mais faire du rodéo en ville, sur un passage piéton où il y a des petites filles... Nous ne pouvons pas être indifférents face à cela. Il faut intervenir en prévention sévère et dure dès la première manifestation de ce genre, de la part d’irresponsables criminels.
Marie Chantrait : Élu local et maire de Pau, il sait de quoi il parle. Merci beaucoup François Bayrou.