François Bayrou, invité du Grand Jury RTL ce dimanche à 12h
François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, était l'invité d’Anaïs Bouton (RTL), de Claire Conruyt (Le Figaro) et de Thomas Despré (RTL) dans Le Grand Jury RTL/Le Figaro/M6 ce dimanche.
Seul le prononcé fait foi.
Anaïs Bouton : Bienvenue dans ce Grand Jury en direct sur RTL et sur Paris Première. Bonjour François Bayrou.
François Bayrou : Bonjour.
Anaïs Bouton : Vous êtes le puissant patron du MoDem, puissant parce que vous êtes une des composantes indispensables de la majorité. Vous êtes maire de la belle ville de Pau, vous avez gagné d'ailleurs tous les matchs ce week-end, foot, basket, hand…
François Bayrou : Rugby ! Et je vous remercie de le rappeler, c'est de votre part une preuve de goût certain !
Anaïs Bouton : Et vous êtes Haut-commissaire au Plan. Alors, extrême droite, dette, salaire décent, Jean-Luc Mélenchon et la Palestine : nous évoquerons évidemment toute l'actualité. Mais d'abord, c'était il y a 20 ans, on se souvient de votre claque à un enfant. « Ne me fais pas les poches », lui aviez-vous dit. Un geste qui avait fait polémique. Mais c'était peut-être votre façon de dire au père de famille : « Laisse pas traîner ton fils ». 20 ans après, comment endiguer l'extrême violence qui semble désormais gangrener une partie de la jeunesse de France ? Bienvenue dans votre Grand Jury, François Bayrou. À mes côtés pour vous interroger, Claire Conruyt du Figaro et Thomas Despré du service politique de RTL. Première question sur cette violence dans la société qui est une préoccupation majeure des Français.
Thomas Despré : Bonjour François Bayrou. Shamseddine avait 15 ans, Zakaria avait 15 ans également, Samara, 14, Philippe, 22 ans. Des enfants, des ados tombés sous les coups d'une jeunesse qui semble devenir folle. Que se passe-t-il en France ces derniers jours ?
François Bayrou : Ce n’est pas très étonnant parce qu’on souligne ça depuis, j'allais dire, des années, des décennies peut-être. Une perte de repères généralisée, une perte de repères dans les familles, une perte des repères précisément très gravement ressentie par les adolescents. Et cette perte de repères, cette incapacité à exprimer par la parole, parce que tout y contribue, les écrans, l'école ou en tout cas les difficultés de l'école, tout contribue à si j'ose dire, à priver de parole ces enfants et ces adolescents, et ça débouche en violence. Et une violence qui devient je crois en raison des jeux vidéo et je crois en raison des écrans et je crois en raison de ce qu'on voit et découvre tous les jours de ces scènes horribles, filmées et répandues sur les réseaux sociaux. Et tout cela tourne dans une violence devant laquelle on est désarmé.
Thomas Despré : Emmanuel Macron avait parlé de « décivilisation ». Vous employez ce mot aussi ?
François Bayrou : Oui, Jean-Pierre Chevènement autrefois avait parlé de « sauvageons ». Tout ça, c'est la même idée.
Anaïs Bouton : Mais ça fait donc très longtemps que ça dure…
François Bayrou : Cela fait très longtemps que ça dure, très longtemps qu'on a du mal à le comprendre et très longtemps qu'on a du mal à apporter des remèdes. À Pau, cette semaine, un scooter volé fonce sur un policier le blessant, l'envoyant aux urgences, et ça aurait pu être dramatique. Et comme on réussit à identifier le conducteur, il a 13 ans, cagoulé, et évidemment on paraît être désarmé. Et moi je n'accepte pas l'idée qu'on le soit.
Claire Conruyt : François Bayrou, vendredi le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé des mesures autour de l'autorité. Mais quand on voit tous ces faits divers, les refus d’obtempérer qui font régulièrement la une des journaux, et pas plus tard que ce matin, une policière et un enfant étaient blessés dans ce cadre, est-ce que vous croyez franchement à un sursaut ? Est-ce que l'autorité ça ne se décrète pas ?
François Bayrou : Ce que vous voulez dire et que je partage, c'est que les mots ne suffisent pas. Les affirmations verbales ne suffisent pas. Mais il faut penser au contraire une stratégie qui soit capable de répondre à cette dégradation-là. Et cette stratégie pour moi, elle doit s'articuler sur au moins 2 principes, le premier principe : il faut une extrême rapidité entre la sanction et le fait constaté. Et aujourd'hui et partout, tout le monde voit et sent qu’on reste avec des mois d'attente et de latence pour qu'il y ait une décision et une sanction, et ça, ça ne peut pas aller. Et il faut donc que le Parlement, les juristes, essaient de réfléchir sur cela : plus la sanction est immédiate, plus elle a une possibilité ou plus elle offre une chance de toucher les adolescents en question, parce que c'est vrai pour les adultes, mais imaginez pour les adolescents… S'il faut un an, un an et demi entre le fait quand il a été constaté et la sanction comme elle est présentée, alors évidemment, ça n'a plus aucun sens en termes chronologiques et en termes psychologiques pour l'adolescent ou l'adolescente - c'est plus souvent des garçons que des filles en question. Ça, c'est la première chose.
Thomas Despré : Vous êtes donc favorable à l'atténuation de l'excuse de minorité qu'a mise sur la table le garde des Sceaux ?
François Bayrou : Ça n'a rien à voir. L'excuse de minorité pour l'expliquer en termes simples, c'est lorsque vous êtes très jeune, à partir de l'âge de 13 ans, la sanction que vous encourez représente la moitié de ce qu’une sanction normale prévue par le code représente pour des adultes ou des jeunes adultes. Donc ça n'a rien à voir. Je suis pour qu'il y ait une réponse qui soit extrêmement rapide et presque, si possible, immédiate lorsqu’un fait est constaté lorsqu’il y a un flagrant délit, et lorsque des jeunes sont en question. Et deuxièmement, quelle peut être cette réponse-là ? Je ne suis pas sûr que la prison sauf un très bref temps soit une réponse adéquate parce que la prison, c'est très souvent l'école des réseaux, l'école des deals…
Anaïs Bouton : Oui enfin quand vous avez tué quelqu'un à coups de pied comme Philippe…
François Bayrou : Non, non, excusez-moi, nous ne parlions pas là des crimes. Ce qui est un crime doit encourir une punition qui soit à la dimension de l'horreur et du drame causé. Je parlais de ces incivilités de tous les jours qu'on constate et contre lesquelles on est impuissant. Qu'est-ce qu'on fait ? On change l'élève de collège. Ce n’est pas à la hauteur. Ce que je pense nécessaire c'est d'inventer une pédagogie différente, plus éducative, voire rééducative. Et qui soit immédiatement imposée à l'adolescent et à sa famille.
Thomas Despré : Des internats par exemple.
François Bayrou : Alors les internats, c'est une partie de la réponse. Mais un internat, si vous n'avez pas derrière l'équipe d'éducateurs, la capacité à prendre en charge les stratégies qui sont des stratégies de reprise en main, si vous n'avez pas de possibilité autre que de l'envoyer en cours comme il était la veille, ça ne changera rien. Ce qui veut dire en effet : la mise au point de ce type de stratégie, qui, à mon sens, ne doit pas écarter la sévérité, ça n'est pas seulement une scolarisation dans un établissement différent. C'est une scolarisation différente dans des établissements qui ont les équipes capables de prendre en charge. Et donc l'internat, c'est probablement le moyen de cette scolarisation différente. J'avais appelé ça, en ayant fait la proposition quand j'étais ministre de l'éducation, j'avais appelé ça « le collège hors les murs ». Un autre type de prise en charge, un autre type de réponse pédagogique et disciplinaire, ce qui ne veut pas dire de la sauvagerie, ce qui veut dire de la reprise en main et combien d'adolescents ou de jeunes ont été sauvés à l'époque, par exemple par un engagement. Un engagement précoce au service militaire. Ils l’avaient choisi parce qu’ils n'avaient pas d'autre issue. Je pense que de ce point de vue-là, oui, il y a des réponses précises à inventer, qui demandent de la volonté et des moyens et qui demandent la capacité, par exemple, de changer un de ces jeunes adolescents de quartier
Thomas Despré : y compris contre la volonté des parents ?
François Bayrou : Je suis persuadé que les parents entendraient si on disait ça. Pour parler grossièrement, il y a 2 sortes de rapport aux parents. Il y a des parents qui s'en fichent et à ce moment-là des mesures incitatives et presque rudes, imposées sont acceptables ou imaginables.
Anaïs Bouton : Comme la suspension des allocations familiales par exemple ?
François Bayrou : Oui, à condition que ça ne soit pas une mesure générale. Parce qu'il y a une deuxième sorte de parents, c'est ceux qui n'ont plus la main sur leurs enfants, qui n'ont plus d'autorité sur leurs enfants. Vous êtes une maman seule qui a des adolescents. Vous savez, il n’y a pas que dans les familles de quartier, avec des difficultés sociales et culturelles que l'adolescence est un moment difficile. Tous ceux qui nous écoutent savent très bien qu'il y a des moments où on a du mal à garder le contact et à tenir l'autorité sur les adolescents. C'est même ça, l'adolescence. Le propre de l'adolescence, c'est cette extrême difficulté à accepter un cadre qui était jusqu'alors le cadre de votre enfance. Et quand vous êtes dans un quartier, quand vous êtes avec la présence au pied des immeubles de très mauvais exemples pour parler le plus légèrement possible avec des réseaux et avec du deal : qu'est-ce que vous voulez faire ?
Anaïs Bouton : Le Premier ministre Gabriel Attal a dit qu'il allait chercher les pères dans les 4 familles monoparentales, c'est-à-dire que finalement, mettre un enfant au monde, c'était une responsabilité et qu'il fallait redonner la responsabilité au père.
François Bayrou : La place du père, c'est très important, ce n’est pas moi qui vais dire le contraire, par vocation et par passion. Pour moi, je pense que l'équilibre de la famille, mais il y a beaucoup de cas où il n’y a pas de père. Et donc on peut chercher la responsabilité du père quand le père est là, mais chercher la responsabilité du père quand il n'y a pas de père quand le père a fui ou que simplement la vie a fait qu’il n'est pas là. C'est pourquoi je disais, il faut des actes au moins autant que des mots. Les mots c'est utile, mais les actes sont nécessaires et trouver des stratégies et des réponses qui puissent s'adapter à des situations qui sont toutes des situations critiques, ça mérite de penser différemment l'action publique qu’on ne l'a fait depuis des décennies.
Anaïs Bouton : C'est ça le problème. Oui, vous parlez de décennies. On a l'impression que le politique n’y arrive pas.
François Bayrou : Pas que le politique, vous aussi, les médias. Vous êtes à décrire des situations. Mais quel type de réponse avez-vous ?
Anaïs Bouton : On n'est pas élu pour trouver des réponses.
François Bayrou : Non, vous n'êtes pas élus, mais vous avez une responsabilité. Nous avons tous comme citoyens, comme personne humaine, nous avons tous une responsabilité là-dessus. On vit un des temps de mutation absolument incroyable et ces temps de mutation sont des temps de désordre dans les esprits. Si on devait décrire ce qui s'est passé dans une société comme la nôtre depuis des décennies, on décrirait quoi ? On décrirait une dissolution. Les liens, les repères, tout ce qui a permis… Vous connaissez cette phrase que Hillary Clinton a reprise comme titre d'un de ses livres, il faut tout un village pour élever un enfant. Et c'est encore plus vrai aujourd'hui. Il faut tout un quartier, il faut toute une école. Il faut les familles qui sont le cadre de cette naissance et de cette évolution dans le monde.
Anaïs Bouton : Alors autre sujet, c'est celui de la laïcité à l'école. Au premier trimestre 2024, 1/3 des atteintes à la laïcité à l'école ont lieu dans l'école élémentaire, selon un bilan de l'éducation nationale. Au pays de Samuel Paty et de Dominique Bernard, 50% des enseignants reconnaissent s'être déjà autocensurés. Comment lutter contre ces attaques contre la laïcité, contre l'école de la République ?
François Bayrou : Vous vous souvenez peut-être que c'est moi qui ai interdit le voile à l'école en 1994, ce qui n’est pas tout à fait hier. J'étais intéressé parce que des sociologues ont décrit, et Éric Maurin, en particulier a décrit les conséquences directes qu'avait eues cette décision sur le voile à l'école, parce que c'était l'école, sur la scolarisation des jeunes filles, en disant que c'était cette décision-là qui avait déclenché l'amélioration de la scolarisation des jeunes filles. Est-ce qu’on est dans un moment particulièrement difficile, je crois que oui.
Claire Conruyt : Gabriel Attal a parlé d'un entrisme islamiste. Est-ce que vous reprendriez ces mots-là pour décrire la situation dont nous parlons ?
François Bayrou : Si je peux, je n'essaierai pas de focaliser sur l'Islam ce qui est en train de se passer. C'est essentiellement des jeunes musulmans ou des jeunes musulmanes qui vivent avec le sentiment qu'ils ou elles sont dans une société mais c'est vrai particulièrement pour les filles à cause du voile, nous avions une réunion à Pau avec quelques dizaines de jeunes sur les sujets de l'engagement et cette question est revenue extrêmement fort : « Pourquoi on ne nous autorise pas à faire du sport, nous les filles avec notre voile qui est pour nous - c'est leur mot – un signe d'identité ? ». Donc je pense que cette question doit être reprise avec plus de gravité qu'elle ne l'a été depuis des années.
Anaïs Bouton : Oui, mais c'est quand même en France que deux professeurs ont été décapités. Il y a bien un problème quand même avec l'islamisme, pas avec l'Islam.
François Bayrou : C'est tout à fait nécessaire de faire la différence et en même temps, je pense qu'il faut que l'école reprenne cette responsabilité. Je pense qu'on n'explique pas assez. On doit en faire un thème de transmission en disant que chez nous, ce n’est pas la religion qui fait la loi. Chez nous, pour vivre ensemble…
Claire Conruyt : La dernière fois qu'on a fait ça, il y a un professeur qui a été décapité.
François Bayrou : En aucune manière. Pardonnez-moi de vous dire, c'est un amalgame.
Claire Conruyt : C’est parce qu’il avait montré les caricatures…
François Bayrou : Voilà, ça n'est pas la même chose.
Claire Conruyt : Bah c'est toutes nos valeurs.
François Bayrou : Je pense que ce que nous appelons les cours d'éducation civique ou que on devrait porter comme programme d'éducation civique la laïcité expliquée dans sa raison profonde. Et qui n’est pas souvent bien expliquée, qui est que chez nous la loi protège la foi, protège la conviction religieuse, protège les convictions philosophiques, la foi, donc, et l'absence de foi, que nous avons choisi de construire une société où toutes les convictions auront leur place, auraient leur place et que pour que toutes les convictions aient leur place, il faut qu’aucune de ses convictions ne fasse la loi. Je trouve que ce principe-là, il mériterait d'être à l'école, repris, expliqué, en dehors des crises et des drames. On le fait généralement quand il y a des crises et des drames et on fait une communication sur ces sujets. Je pense qu'il faut en faire, si j'ose dire, le premier chapitre des cours d'éducation civique.
Thomas Despré : Quand on vous écoute, François Bayrou, on ne comprend pas pourquoi vous avez refusé d'être un nouveau ministre de l'Éducation nationale. Ça vous avait été proposé ?
François Bayrou : Non, non. Il faut que vous fassiez la revue des choses. Si on me l'avait proposé, je l'aurais accepté.
Thomas Despré : Il y a eu des discussions poussées avec Emmanuel Macron et Gabriel Attal, vous avez dit que vous ne rejoindrez pas le gouvernement sur un fond de désaccord politique. Est-ce que le problème ne méritait pas d'y aller quand même ?
François Bayrou : Si cela m'avait été proposé, j'aurais dit oui.
Anaïs Bouton : Ah ça ne vous a pas été proposé ? Pardon, on croyait.
Thomas Despré : C'est ce que nous avions tous compris.
François Bayrou : Oui mais peut-être parce que vous n’écoutez pas bien. Tout ceci est totalement anecdotique. Ma situation est claire, je suis là pour aider ceux qui ont la responsabilité, pour aider le président de la République et le gouvernement. Mais j'avais dit que j'étais disponible pour deux responsabilités parce qu'elles me paraissaient aujourd'hui, dans un état particulièrement critique. La première, c'était l'Éducation nationale et la deuxième, c'était…
Anaïs Bouton : L'aménagement du territoire.
François Bayrou : Pas seulement. La rupture qui existe en France entre la base de la société et ceux qui se présentent ou croient être le sommet. Vous,
Anaïs Bouton : vous n’avez pas envie de parler d'élite ?
François Bayrou : Non, je ne dis pas élite.
Anaïs Bouton : Pourquoi ?
François Bayrou : Parce que « élite », pour moi, ça a un sens moral, intellectuel, spirituel. « Élite », c'est être au-dessus. Et je ne crois pas que les pouvoirs soient des élites. Je le regrette. Je voudrais que les pouvoirs fussent élites, mais je constate qu'ils ne le sont pas toujours.
Anaïs Bouton : Donc alors comment vous dites entre la base et ceux qui gouvernent ?
François Bayrou : Je dis, voilà ceux qui gouvernent et le sommet, les pouvoirs ou les prétendus pouvoirs parce que je ne suis pas sûr que le pouvoir ait beaucoup de pouvoir. Et c'est un des problèmes aussi de la société dans laquelle nous vivons.
Anaïs Bouton : Est-ce que c'est ce qui explique la défiance des Français, la défiance inouïe des Français à l'égard du politique ?
François Bayrou : Alors on parlait tout à l'heure de dissolution. Il y a plusieurs dissolutions. La première des dissolutions, c'est celle que vous évoquez entre la base et les responsables de la société, et notamment politique et administrative. Ça, c'est un lien qui est hélas aujourd'hui extraordinairement fragilisé. Mais il y a aussi dissolution des liens entre les Français entre eux, à la base.
Anaïs Bouton : « L'archipélisation » de Jérôme Fourquet.
François Bayrou : Oui, c'est un joli mot. Et qui dit des choses tout à fait essentielles, mais ce qui était le patrimoine commun, c'était aussi un patrimoine culturel, un patrimoine de conviction religieuse ou philosophique. Et c'était aussi un patrimoine culturel, ce qu'on avait appris à l'école. J’ai raconté dans un livre, il y a très longtemps, que dans notre village, quand on jouait à la belote, on distribuait les cartes et puis le premier joueur disait : « Rodrigue, as-tu du cœur ? » en posant sa carte sur la table. C’était Le Cid ! Et on l’avait appris à l'école. Et ça n'était pas des gens qui étaient allés au lycée, ni au collège. C'était des gens qui avaient le certificat d'études. Et ce patrimoine culturel partagé, il s'est aujourd'hui dissous lui aussi. Alors ce n’est pas seulement en France, tous les pays je crois, sans exception, en tout cas occidentaux, sous l'irruption des messages audiovisuels qui sont infiniment plus puissants, des écrans qui sont infiniment plus puissants que les livres, tout ça s'est dissous et tout ceci est à reconstruire. Si nous ne comprenons pas qu’une des raisons, des vocations, des missions des responsables politiques, c'est de fournir à leurs concitoyens des raisons de vivre, pas seulement des diplômes ou des semi diplômes, ou des simili-diplômes quelquefois, mais de leur fournir des raisons de vivre et de vivre ensemble.
Anaïs Bouton : Mais ça fait tellement longtemps qu’on entend ça. Déjà Jacques Chirac avait diagnostiqué la fracture sociale. Qu'est-ce qu'on a fait depuis 30 ans pour la résoudre ?
François Bayrou : Pas assez pour. Mais pourquoi ? Parce que dans les grands temps de mutation, quand les grands principes politiques sont renversés, quand les grands principes culturels et sociaux sont renversés, dans ces temps de mutation, il faut chaque fois inventer une nouvelle démarche qui soit une démarche de responsabilité de pouvoir. Et je dis démocratique ! Parce que vous voyez bien ce qui est en train de se passer sur la planète. On va y revenir pour parler d'Europe et de politique étrangère. Mais il y a une chose qui est frappante. C'est qu'il y a 20 ans, on avait le sentiment que l'élan des démocraties était irrésistible : au moment de la chute du mur de Berlin, tout le monde a pensé que les démocraties allaient devenir le régime le plus commun sur la planète, qu'elles allaient remporter ce combat-là. Et puis aujourd'hui, on s'aperçoit que les démocraties sur la planète - écoutez bien - sont devenues minoritaires. Et que même à l'intérieur des pays qui se croient des démocraties ou qui prétendent l'être, la démocratie au sens qui me paraît vital, c'est à dire l'adhésion des citoyens, aux idéaux de la société et aux décisions qui sont prises, ou en tout cas, aux méthodes de décision qui sont prises. Et je me bats un peu seul, c'est vrai souvent, sur cette idée que les décisions ne doivent pas être prises dans un sommet isolé et solitaire, mais qu'il faut partager avec les citoyens les raisons de ces décisions, comme s'ils étaient codécideurs. J'ai pris un exemple qui a été pour moi un crève-cœur, c'est la réforme des retraites. Nous avions réussi à établir avec le Commissariat au plan que vous évoquiez, les vrais chiffres du financement des systèmes de retraite. Vous vous souvenez qu'il y avait un débat, le Conseil d'orientation des retraites disait que c’était équilibré « et même excédentaire ». C'était une fumisterie. Pourquoi ? Parce qu’il n'y avait d'équilibre comptable - c'est vrai qu'il y avait un équilibre comptable que parce que l'État apportait tous les ans entre 30 et 40 milliards d'argent public. Et c'est un argent public qu'on n’a pas, donc on doit emprunter tous les ans pour assurer l'équilibre du système de retraite. On avait établi ces chiffres-là. Et puis mon espoir c'était que dans les 3 ou 4 mois de réflexion, qu'on adresse à chaque famille française et traduite en terme de tous les jours ce que ça signifiait, c'est-à-dire que les pensions des retraités, elles étaient payées par les générations à venir. Est-ce qu'on peut imaginer plus immoral que ça ? Je croyais, j'étais persuadé qu'on pouvait faire ça. Et puis ça n’est pas la stratégie qui a été choisie. Et pour moi, c'est une occasion manquée extraordinaire parce que là nous avons vu ce que la démocratie aurait pu être. J'étais même partisan, un peu Don Quichotte, j'étais partisan de faire un référendum sur ce sujet.
Suite du Grand Jury présenté par Anaïs Bouton
Anaïs Bouton : Vous aviez une question sur les 100 jours Claire. Alors on ne parle pas de Napoléon.
Claire Conruyt : Non, on parle de Gabriel Attal qui fait face, donc on le disait, à une crise de l'autorité qui a fait face à une crise agricole, à une dégradation brutale des comptes publics. François Bayrou, au bout de ses 100 jours à Matignon. Quelle note vous lui mettez à Gabriel Attal vous qui avez été professeur ?
François Bayrou : Je ne note pas, je soutiens.
Claire Conruyt : Et en chiffres, c’est la moyenne ?
François Bayrou : Ce n’est absolument pas la même démarche, vous voyez, c'est une démarche : l'idée qu’on serait des observateurs qui noterions, donnerions des signes plus et des signes moins, c'est absolument pas la mienne. Le Premier ministre, le gouvernement et encore davantage, le président de la République sont en fonction. Ils y sont parce que les Français ont choisi une démarche et notre travail, responsabilité, quand vous êtes à la tête d'une formation politique, c'est d'apporter du soutien. Après, si vous avez des remarques à faire, vous les faites en privé. Et c’est là me semble-t-il l'équilibre nécessaire. La tâche des gouvernants n'est pas facile. Vous avez décrit ou vous décrivez à l'envi ce que ce que représente la difficulté des temps. Aidons-les plutôt que de les critiquer.
Thomas Despré : Parmi les difficultés, il y a la dette, 154 milliards d'euros de dette, 5,5 % du PIB. Comment se fait-il qu'il y ait eu un tel dérapage ?
François Bayrou : 154 milliards cette année. Qui s'ajoutent, qui atteignent les 3 000 milliards de dette. Alors si j'ose dire, vous vous adressez à un expert parce que j'ai choisi il y a des années de mettre la question de la dette au centre de la réflexion et même d'une campagne électorale présidentielle en 2007. Pourquoi ? Parce que je vais essayer de préciser une idée stratégique. En fait, il y a 2 sortes de dettes. Il y a une dette qui est une dette absolument normale et morale, c'est la dette qu'on contracte pour faire des investissements. Quand vous construisez un hôpital, vous construisez un hôpital pour 50 ans, quand vous construisez une université, c'est à peu près la même durée. Il est donc normal de partager la charge de ces investissements avec les générations qui viennent. Mais ce n'est pas ce qu'on a fait en France et ce qu'on a fait depuis des décennies. Ce qu'on a fait depuis les années 75. Ce qu'on a fait, c'est qu'on s'est servi de la dette, qu'on a emprunté, pour les dépenses de fonctionnement, les dépenses de tous les jours. Et je donnais comme illustration il y a une minute avec vous, le fait qu’on emprunte pour payer les pensions de retraite, ce qui est dingue. Et la même chose pour la Sécu, dans une moindre mesure, mais les dépenses de santé, les feuilles de santé sont en partie payées, non pas par la génération actuelle comme ça devrait être normal, mais par les générations qui viennent. On met ça sur leur compte.
Anaïs Bouton : Mais alors qu'est-ce qu'on va faire ?
François Bayrou : Les enfants que vous que nous mettons au monde, pas assez nombreux…
Anaïs Bouton : En plus !
François Bayrou : L'un explique l'autre. Ces enfants-là, on leur laisse une charge de dette qu'ils devront, d'une manière ou d'une autre, assumer. Ceci n’est pas normal.
Anaïs Bouton : Mais qu’est -ce qu'il faut faire ? Augmenter les impôts ?
François Bayrou : Non, j'essaie de ne pas m'exprimer de manière simpliste. Nous avons, et le président de la République a raison de le dire et il est un des seuls à le dire, la première démarche, c'est d'augmenter le nombre de gens au travail et le nombre d'entreprises qui produisent. Parce que si nous avions, comme tout le monde le dit, le même taux d'emploi que l'Allemagne par exemple, on n’aurait pas ce genre de difficultés. Donc, tourner la société vers la création, la créativité, la recherche, l'invention, l'édification de nouvelles entreprises... Ça, c'est la première des choses à faire. La 2e des choses à faire, à mon sens, c'est un plan de retour à l'équilibre des finances publiques sur, mettons 10 ans. Parce que on ne peut pas passer sa vie à faire des allers et retours.
Anaïs Bouton : Mais ça, c'est comme sur la violence, ça fait 25, 30 ans qu'on entend ce discours, François Bayrou.
François Bayrou : Non, ce discours n'a jamais été entendu parce qu'autrement on l'aurait fait. Vous vous souviendrez peut-être que j'avais proposé dans cette élection présidentielle que nous évoquons qu'on fasse un plan de retour à l'équilibre comme ça. J'avais même dit qu'on pouvait le soumettre au référendum pour que ce soit un engagement de la nation profond, sérieux, grave et pas des basculements. Alors nous venons de vivre 2 épisodes, qui sont, parce que le début du quinquennat d'Emmanuel Macron avait été dans la ligne d'un plan de retour à l'équilibre. Et puis on a eu le COVID. Et on ne pouvait pas faire autrement que ce qui a été fait, c’est-à-dire soutenir de toutes les manières les entreprises et les emplois pour que la société ne s'effondre pas. Et puis on a eu la guerre en Ukraine avec ses conséquences dont nous allons dire un mot...
Claire Conruyt : On est dans les derniers en Europe, tous les autres pays de l'Union européenne ont fait face aux même épreuves…
François Bayrou : Nous avons pris l'habitude d'être addict…
Claire Conruyt : Mais qu'est ce qui s'est passé, là, dans les dérapages des comptes publics ? Il y a eu un déni de réalité ?
François Bayrou : Oui, il y a eu l'idée que c'était plus facile d'emprunter que de construire un équilibre, que c'était plus populaire. Vous savez, il y a des formations politiques qui s'expriment avec beaucoup de sévérité contre le gouvernement, sur ces affaires de finances publiques, plutôt à droite. Beaucoup de sévérité. Mais j'ai eu la curiosité de regarder les propositions que dans le débat budgétaire, ces formations politiques avaient faites. Et qu'est-ce que c’étaient les propositions ? C'était 120 milliards de dépenses de plus. 120 milliards de dépenses de plus. Parce que, évidemment, c’est une attitude plus facile à assumer que d'exiger des dépenses supplémentaires. Dans ce plan de retour à l'équilibre, je demande une chose, mais je ne suis pas sûr que ça soit entendu de tout le monde.
Anaïs Bouton : Alors ça sert à quoi le Haut-commissariat au Plan ?
François Bayrou : Non, le Haut-commissariat au Plan ne décide pas.
Anaïs Bouton : Non, il propose.
François Bayrou : Il propose. Et donc par exemple, je suis très content des décisions européennes qui ont été prises sur un sur un plan de relance et de soutien de 700 milliards. Parce que ça, c'est exactement le type de démarche ou de stratégie que je crois juste. Mais je demande qu'on fasse attention à une chose : les collectivités locales sont en France, l'institution, l'entité, qui investit. L'investissement…
Thomas Despré : Vous dites qu’il y a une tentative de la part de l’exécutif de vouloir aller prendre dans les collectivités locales ?
François Bayrou : J'entends ici ou là. Or il y a une chose…
Claire Cornuyt : Du côté de Bercy ?
François Bayrou : Il y a une chose que l'on n'a pas en tête, que seuls les pauvres maires qui tous les jours s'affrontent à ces difficultés, ont en tête ; c'est que l'investissement est directement dépendant des excédents que vous pouvez trouver dans le fonctionnement.
Thomas Despré : Donc vous dites à Bruno Le Maire « pas touche aux collectivités » ?
François Bayrou : Je dis à Bruno Le Maire, si nous voulons sauvegarder l'investissement, faites attention au fonctionnement des collectivités locales parce que ce sont les économies que vous faites sur le fonctionnement qui vous permettent d'emprunter pour investir.
Anaïs Bouton : Mais alors là, on ne comprend pas. Parce que s’il ne faut pas toucher aux collectivités locales et si la question de l'augmentation des impôts est simpliste, on ne sait pas où vous allez trouver le de quoi rembourser la dette.
François Bayrou : Et bien peut-être, vous n’avez pas écouté jusqu'au bout, je pense qu'il est nécessaire de programmer dans le temps un retour à l'équilibre fondé en particulier, comme le président de la République le dit, sur l'augmentation de l'activité et la multiplication des emplois.
Anaïs Bouton : Thomas, une question sur l'Europe vous brûle les lèvres.
Thomas Despré : Une question sur les élections européennes. Valérie Hayer, la candidate de la majorité présidentielle que vous soutenez aujourd'hui, ne cesse de baisser dans les sondages. Elle est maintenant talonnée par Raphaël Glucksmann, loin, loin derrière Jordan Bardella. Qu'est-ce qu'il arrive à votre candidate ? Qu'est-ce qu'il arrive au camp présidentiel dans cette campagne ?
François Bayrou : Oui, alors d'abord la présentation que vous venez de faire est une présentation pour le moins simpliste. Parce que ce n’est pas vrai ce que vous dites sur les courbes.
Thomas Despré : Sur la courbe, elle descend…
François Bayrou : Si vous prolongez les courbes jusque dans 100 ans, oui. Mais ce n’est pas seulement la question. Il me semble que, cette élection-là, dont tout le monde dit l'importance, l'importance historique et l'importance séculaire, cette élection-là, on n'a pas encore pris la mesure de ce que l'Union européenne était en danger. L'Union européenne, parce que Poutine a déclenché un mouvement qui s'étend sur toute la planète, qui est un mouvement qu'il faut nommer par son nom, c’est-à-dire le retour au temps où c'est la violence qui fait la loi, le retour au temps où c'est l'assaut, les canons, les obus, les bombes, les drones, qui tout d'un coup changent l'ordre du monde. On est sorti du temps dans lequel il y avait une loi internationale. Par exemple, on ne touche pas aux frontières. C'était une loi qui a duré jusqu'en 2022. On ne touchait pas aux frontières et notamment les grands pays ne touchaient pas aux frontières. Et puis là, tout d'un coup, on est entré dans un temps qui a basculé du côté de la violence. Et vous ne vous trompez pas, c'est le même mouvement. Ce qui s'est passé en Ukraine, ce que la Chine fait entendre comme menace à l'égard de Taïwan, ce qui s'est passé le 7 octobre lançant ce drame épouvantable entre Israël, Gaza, la Palestine, c'est le même mouvement.
Thomas Despré : Vous dites : nous n'avons pas pris conscience. Votre camp non plus n'a pas pris conscience ?
François Bayrou : Si, je pense que précisément le président de la République a pris conscience. Et c'est ce qu'il dit et répète. Mais il me semble que l'opinion publique française, peut-être même européenne, n'a pas pris conscience de cela. Mais on croit qu'il n'y a que les menaces militaires, ce n’est pas vrai. Les menaces, ou en tout cas les menaces ou les pressions commerciales de la Chine, les menaces d'intégrisme religieux.
Anaïs Bouton : Oui d'accord, mais alors comment vous expliquez qu'à 49 jours du scrutin, il n’y ait ni liste ni programme ?
François Bayrou : Mais il n’y en a aucun, aucun des camps n'a présenté ses listes, aucun.
Thomas Despré : La France insoumise a présenté sa liste, Jordan Bardella…
François Bayrou : Mais pas du tout, Bardella… Enfin bref, on ne va pas commenter les uns et les autres, mais je vous encourage à vérifier, ce n’est pas vrai. Je viens de lire ce matin dans le journal que les 3 ou 4 grandes formations politiques annonçaient les réunions qui vont présenter leur liste.
Thomas Despré : Ça arrive ?
François Bayrou : Forcément.
Anaïs Bouton : Et vous allez être un soutien de la liste, comme le demande le Président ? Vous, Édouard Philippe… en position non éligible.
François Bayrou : J'ai dit une chose très simple, si on a besoin de moi, je serai là.
Anaïs Bouton : Ils ont besoin de vous ?
Thomas Despré : En étant candidat ?
François Bayrou : Je vous l'ai dit, en étant candidat à la fin de la liste.
Anaïs Bouton : Donc vous y serez, c'est sûr ?
François Bayrou : Si on me le demande, mais peut-être que ça ne sera pas le cas. Mais je ne mesure pas mon soutien, je ne fais pas semblant, je pense que ce qui se joue est essentiel. Mais je vais encore plus loin dans la description de ces menaces-là. Il y a d'autres menaces, et Dieu sait que je suis reconnaissant aux États-Unis de ce qu'ils ont fait dans l'histoire pour nous. Mais aujourd'hui, la puissance américaine déployée à partir de déficits budgétaires qui sont encore beaucoup plus importants que les nôtres, nous, on avait dit, on est à 5, actuellement aux États-Unis, c'est 6. Et l'Institut économique qui dépend du Congrès, le Bureau d'études qui dépend du Congrès américain, prévoit 8% sur 10 ans. Pourquoi ? Parce que les États-Unis se sont lancés dans une stratégie qui est extrêmement puissante. L'État américain qui soutient la consommation américaine, la réindustrialisation américaine et les très grandes entreprises qui sont liées aux États-Unis, les GAFAM qui appartiennent aux mêmes sociétés culturelles, au même ensemble culturel, font tout pour mettre la main sur toutes les technologies, toute la recherche, tous les réseaux, je pense au cloud par exemple.
Anaïs Bouton : Et l'Europe est très molle ?
François Bayrou : Et l'Europe est insuffisante, j'allais dire un mot plus méchant, mais…
Anaïs Bouton : Allez-y !
François Bayrou : Non je ne veux pas l'employer. L’Europe n'a pas pris conscience de ça, ou en tout cas fait comme si elle ne prenait pas conscience de ça. Mario Draghi a fait un discours cette semaine qui va tout à fait dans le sens de ce que je dis là. Je dis, il y a des moments où il faut regarder le monde, on ne peut pas couper l'investissement. Il faut le soutenir. On ne peut pas couper dans ce qui fait la vitalité de nos sociétés, de nos entreprises. Il faut les soutenir. Il faut réhabiliter cet effort qui est de reprendre le contrôle des technologies qui pour l'instant, peu à peu, nous sont enlevées. Par exemple, la Chine fait un dumping incroyable sur les moteurs électriques. Et tous ceux qui sont dans ces industries-là savent qu’on vend des moteurs beaucoup moins chers que probablement ils ne coûtent à fabriquer. Si on ne se rend pas compte de ça, si on ne mesure pas… et moi je demande aux députés européens qui seront élus, il y en a quelques-uns dans cette salle, je leur demande de faire attention à cet engagement-là.
Thomas Despré : Mais dans ce cas-là…
François Bayrou : Il faut qu’ils soient élus en prenant l'engagement de soutenir l'activité du pays, parce qu’on va perdre la guerre.
Thomas Despré : Mais si l'enjeu est si important, comment se fait-il que votre candidate soit à ce point-là dans les choux ?
François Bayrou : Non d'abord elle n’est pas dans les choux.
Thomas Despré : Elle va se faire dépasser par Raphaël Glucksmann, potentiellement…
François Bayrou : Non, mais attendez. Que vous teniez à accréditer cette idée, c'est possible.
Anaïs Bouton : Bah, c’est-à-dire que Jordan Bardella est à 30-32% dans les sondages.
François Bayrou : Oui mais ça n'est pas la même chose.
Anaïs Bouton : Je na parle pas de Glucksmann, je parle de Bardella, moi.
François Bayrou : Et moi je ne crois pas ça. Je crois, et je croirai jusqu'à la dernière seconde, qu'on peut faire entendre raison, entendre le tocsin, entendre l'alarme, entendre l'urgence d'un ensemble européen qui est en train d'être menacé dans son indépendance et dans son existence même. Et si vous ne vous rendez pas compte que la France, puisque ce sont des électeurs français qui vont voter, mais la France, elle, est absolument dépendante. Toute seule, elle ne peut pas. Et tous ceux, alors vous avez cité des noms, qui prétendent qu'on peut faire tout seul et qu'au fond on n'a pas besoin de l'Europe, sont des menteurs.
Anaïs Bouton : Là, vous parlez de Jordan Bardella.
François Bayrou : Oui, entre autres…
Anaïs Bouton : Jordan Bardella est un menteur ?
François Bayrou : …c'est vrai aussi pour LFI. Tous ceux dont la thèse est « séparons-nous de cette Europe et allons faire, nous, ce que ce qui nous paraît bon et on se tirera tout seul des pièges qui nous sont tendus » sont des menteurs, pour ne pas dire des escrocs. Ils présentent à l'opinion publique une vision de l'avenir qui est purement et simplement insoutenable. Vous croyez que…
Claire Conruyt : Est-ce que votre camp, le camp présidentiel auquel vous appartenez, ne tient pas une responsabilité dans la montée de ces partis-là, vous qui entretenez, Emmanuel Macron qui entretient, constamment le duel entre Renaissance et le RN. Est-ce que vous n'êtes pas en quelque sorte responsable du renforcement du parti de Marine Le Pen et du score de Jordan Bardella ?
François Bayrou : Comme vous savez, il m'arrive d'avoir des différences non pas avec le président de la République, mais avec tel ou tel de de ses soutiens. Je n’ai jamais été partisan de braquer les projecteurs sur le Front national ou sur le Rassemblement national. Jamais.
Claire Conruyt : Précisément pour cette raison ?
François Bayrou : Pourquoi ? Parce que vous lui rendez un service formidable chaque fois. Si chaque fois que vous faites un discours, vous prenez la parole pour dire : attention le Front national, l'extrême droite, ils ne se sont pas comportés au Parlement européen…
Thomas Despré : C'est ce qui s'est passé au meeting de Lille, le premier Meeting de Valérie Hayer !
François Bayrou : Je l'avais oublié. Vous voyez…
Thomas Despré : Vous y étiez.
François Bayrou : Si vous faites d’eux le sujet unique de la campagne électorale, vous leur rendez un service extraordinaire. Moi, j'adorerais que tous les matins, tous les partis politiques disent François Bayrou quand même c'est un risque… Si on ne parlait que de nous. Chaque fois que vous parlez de quelqu'un, vous en faites une vedette. Et il devient donc l'opposant universel. Et moi je plaide pour l'autre approche. Alors les deux peuvent aller ensemble. Il faut aussi que dans la campagne, il y ait un peu de muscles et de critiques. Mais je plaide pour l'autre approche. Ce que nous sommes sur le point de vivre est un risque comme nous n'en n'avons pas vécu depuis 3 quarts de siècle. Ce qui nous menace, nous ne pouvons le conjurer qu'ensemble. Et encore !
Anaïs Bouton : Ça, ce sont des mots. Les populistes, ils sont en tête dans des sondages, dans presque 10 pays d'Europe, François Bayrou.
François Bayrou : Excusez-moi, ce n’est pas parce que les peuples se trompent que vous êtes obligé d'aller dans leur sens. Nous avons vécu, tous ceux qui aiment l'histoire, n'ont qu’à relire les livres d'histoire sur les années qui, en Grande-Bretagne, ont précédé la guerre. Il y avait un type tout seul que personne ne voulait suivre, qui s'appelait Winston Churchill qui disait, mais : regardez, Hitler arrive, s'il vous plaît, il faut que nous ayons des politiques de réarmement. Et tout le monde lui riait au nez et il a perdu les élections. Et le Premier ministre qui les a gagnées sur une politique pacifiste, a un jour eu avec Churchill, devant la Chambre des communes, une confrontation dramatique. Et on lui a dit : mais pourquoi vous avez choisi de désarmer la Grande-Bretagne ? Il a dit, écoutez bien : j'étais le chef d'un grand parti, les élections arrivaient, l'opinion publique était presque unanimement pacifiste et je ne vois pas quelle politique aurait pris une attitude différente de la mienne. Et bien c'est la grande différence entre les politiques et les hommes d'État. Les hommes d'État, quand vous leur opposez des arguments comme ça et que vous leur dites « mais l'opinion publique partout est en train de tourner dans un autre sens, pourquoi est-ce que vous vous obstinez à avoir une approche différente ? » Les hommes d'État vous disent : parce que c'est la vérité que je défends. Et je ne laisserai pas une seconde prospérer l'idée qu'on pourrait trouver des accommodements avec la vérité. Les menaces qui sont devant nous, elles n'ont jamais été telles depuis 3/4 de siècle.
Anaïs Bouton : Chamberlain, Daladier, 38, Munich, ça, c'est une petite musique qu'on entend souvent ?
François Bayrou : Ce n’est pas une musique, ce n’est pas une musique, c'est la vérité. Et celui qui était le porte-parole du courant politique qui est le mien, dont je suis le responsable aujourd'hui, il a été le seul à s'opposer aux accords de Munich. Et en s'opposant aux accords de Munich, il avait dans l'éditorial, le jour des accords de Munich, qui finissait par cette phrase, écoutez bien, parce qu'elle peut être utile…
Anaïs Bouton : Et elle va clore l'émission.
François Bayrou : Il disait : quand il s'agit de dire non, le meilleur moment, c'est le premier. Et bien, cette phrase-là, elle devrait être dans l'esprit de tous les responsables politiques. Ou bien ils pensent qu'il n'y a pas de menace. Alors on peut jouer. Alors on peut faire semblant, on peut raconter, on peut refuser par exemple de voter le texte européen sur l'immigration, pour la régulation de l'immigration. Monsieur Glucksmann que vous citiez, il a refusé de voter ce texte. Vous croyez qu’il n’y a pas un problème grave ? Ma conviction profonde c'est que la dimension des enjeux est telle qu'il n'y a qu'une attitude possible : faire front, avancer, convaincre. C'est ainsi que nous serons à la dimension ou à la hauteur de la responsabilité que nous prétendons exercer. Et aussi, parce que ça compte beaucoup, de l'histoire.
Anaïs Bouton : Merci beaucoup François Bayrou d'être venu dans le studio du Grand Jury RTL, M6, Paris Première. Merci à tous les deux et bon dimanche sur RTL.