François Bayrou : « J'ai toujours plaidé que la fonction nationale qu'on exerce ait une antenne sur place pour se faire engueuler quand il faut se faire engueuler »

François Bayrou, Premier ministre, maire de Pau et Président du Mouvement Démocrate, était l'invité de l'émission des Grandes Gueules de RMC et a ainsi pu répondre aux questions d'Alain Marschall et d'Olivier Truchot par téléphone.

Alain Marschall : Et nous sommes ici en direct de Pau mais en ligne avec l'hôtel de Matignon. Nous sommes avec monsieur le Premier ministre François Bayrou et maire de Pau. Bonjour monsieur le Premier ministre.

François Bayrou : Oui, ici c'est « maire de Pau ».

[Rires]

Alain Marschall : C'est le maire de Pau à Matignon.

François Bayrou : Le Premier ministre vous savez c'est fugace. Comme vous le savez on n'est pas assuré de la durée tandis que la mairie de Pau, c'est un enracinement profond et une histoire d'amour pour un public.

Olivier Truchot : Les Grandes Gueules sont ravies de découvrir aujourd'hui Pau, pour notre troisième étape du Tour de France des 20 ans des Grandes Gueules. Mais justement, c'est important pour vous de rester maire tout en étant Premier ministre ? On vous l'a reproché, mais pourquoi ? Parce qu'il faut cet enracinement ? Parce que maire de Pau, c'est ce qui reste ?

François Bayrou : Parce que je trouve que la France a beaucoup souffert de la rupture entre la base, la vie de ceux qui travaillent, de ceux qui cherchent de l'emploi, de ceux qui sont à la retraite, de ceux qui entreprennent, de ceux qui sont à la tête des associations. Ça c'est la base, ce sont des dizaines de millions de personnes, peut-être 67 millions de personnes. Et puis vous avez une rupture avec le sommet. Pardon de ce que je vais vous dire, le sommet auquel vous appartenez aussi, les médias, ceux qui sont sur les écrans de télévision. C'est un tout petit groupe et qui est absolument en rupture avec le reste des Français, qui ne s'y reconnaissent plus et qui ont le sentiment d'être loin. C'est exactement l'histoire des Gilets jaunes. On n'a pas assez réfléchi aux Gilets jaunes, je crois. Les Gilets jaunes, ce sont des Français qui avaient le sentiment d'être invisibles, ou qui avaient la certitude d'être invisibles. Et donc, mon idée depuis longtemps, c'est qu'on a tort d'organiser cette coupure. On a tort de dire que c'est deux mondes et que l'un n'est pas en communication avec l'autre. Vous savez la polémique que j'ai eue, parce qu'un soir, je suis rentré chez moi à Pau, parce que j'habite là-bas. Et donc ça a fait une polémique terrible, comme s'il y avait quelque chose d'anormal à être dans la vie normale enracinée.

Alain Marschall : C'est justement pour ça, M. le Premier ministre, M. le maire, vous voulez faire que les ministres ouvrent des permanences ? Vous souhaitez que les ministres aient des permanences à travers le pays, c'est ça ?

François Bayrou : Oui. Je veux que les ministres n'oublient pas leur vie d'avant d'être ministre et d'après quand ils ne le seront plus. Et c'est pourquoi j'ai toujours plaidé, j'ai toujours fait, quand j'en avais la possibilité, que la fonction nationale qu'on exerce, elle ait une antenne sur place pour se faire engueuler quand il faut se faire engueuler, pour avoir les problèmes des gens comme ils sont, comme ils se posent. Alors toute petite antenne, deux personnes, trois personnes, pas plus. Pas une administration. Mais vous voyez bien de quoi il s'agit. On vit en France, et c'est alors probablement un héritage de la monarchie : quand on était à la cour, alors on n'était plus sur la terre qu'on...

Olivier Truchot : Mais vous-même, vous vous faites engueuler parfois par les palois ?

François Bayrou : Les palois, ils m'engueulent moins que vous ne croyez. Les palois, ils savent que j'ai fait le choix de rester avec eux, de ne pas les abandonner, quelles que soient les responsabilités qui me sont confiées. D'abord, parce qu'ils savent que je vis là et c'est pour moi quelque chose que je n'abandonnerai pas.

Alain Marschall : Mais justement, puisqu'on parlait des connexions, monsieur le Premier ministre. L'histoire de la TVA pour les micro-entrepreneurs, au moment où il arrive ce dossier. Nous, dans les médias, on se dit : attention, bombe politique potentielle. Là, vous êtes obligés de désamorcer, de dire « on suspend ». Vous suspendez cette histoire de la TVA, parce que c'est la France qui travaille, c'est les micro-entrepreneurs. Vous la suspendez, la TVA ?

François Bayrou : Alors, vous vous souvenez de l'histoire, que je n'ai pas besoin de vous rappeler. J'ai été nommé à la fin du mois de décembre. Et il y avait un budget déjà examiné et déjà en grande partie voté. Et on a choisi de partir de ce budget-là parce qu'autrement il fallait attendre avril pour avoir un budget. Et ce n'était pas raisonnable pour un pays comme le nôtre. Donc on a pris ce budget-là. Et probablement l'analyse n'avait pas été suffisante et il y avait des mesures qu'on n'avait pas vues dans le budget que d'ailleurs, je vous le ferai remarquer, vous êtes des journalistes et certains parmi vos confrères spécialisés, personne n'avait vu. Et donc on a décidé tout de suite de suspendre l'application pour voir ce qu'il en était exactement, si c'était justifié ou pas. Et en effet, les artisans, pour beaucoup d'entre eux, se plaignaient avec virulence parce que leur concurrent auto-entrepreneur n'était pas soumis aux mêmes règles fiscales qu'eux. Et c'est probablement ce qui avait emporté la décision. Alors on a dit, on va suspendre pour regarder ensemble avec les intéressés. Et la méthode qui est la mienne, c'est au fond, chaque fois qu'on se trompe, il faut le dire. Et encore une fois, on n'était pas les responsables directs de cette mesure. On suspend, on regarde.

Olivier Truchot : C'est annulé ? Parce que suspendre, ce n'est pas annulé ?

François Bayrou : On va négocier, discuter avec les intéressés eux-mêmes pour voir de quoi il s'agit. Si vous avez, essayons d'être rationnels, et encore une fois, je ne suis pas un spécialiste du dossier, comme je vous l'ai dit, je l'ai découvert en même temps que vous, et que vos confrères spécialisés. Si vous faites un métier que font des artisans, et où ils sont obligés de facturer la TVA. Il y a une rupture d'égalité entre les métiers. Mais si vous faites, je ne sais pas, du soin à la personne, vous allez à domicile pour faire du soin à la personne, en auto-entrepreneur par exemple, coiffeur auto-entrepreneur, coiffeuse, vous allez coiffer des dames chez elles qui ne peuvent pas bouger. Là, vous n'avez pas de possibilité de récupérer la TVA. Donc, on va regarder, on va essayer d'être aussi équilibrés et justes que possible.

Olivier Truchot : Et en associant aussi les artisans, alors ?

François Bayrou : Oui, eux-mêmes vont être associés. Tout le monde va être associé.

Olivier Truchot : Alors, le budget est passé. Finalement, vous avez réussi là où Michel Barnier avait échoué. Mais il y a d'autres sujets qui arrivent, et on voit bien des sujets de polémique, notamment le droit du sol, puisque le ministre garde des Sceaux, Gérald Darmanin, se dit favorable à l'ouverture d'un grand débat public sur le droit du sol sur notre territoire. Est-ce que vous êtes favorable à ce débat public ?

François Bayrou : Moi je crois que ce débat public est trop étroit et qu'il faut un débat public approfondi et beaucoup plus large que ça. Vous voyez bien ce qui fermente depuis des années. Ce qui fermente c'est : qu'est-ce que c'est qu'être français ? Qu'est-ce que ça donne comme droit ? Qu'est-ce que ça impose comme devoir ? Qu'est-ce que ça procure comme avantage et en quoi ça vous engage à être membre d'une communauté nationale ? À quoi croit-on quand on est Français ? C'est un débat qui, depuis des décennies, depuis au moins 30 ans, est en fermentation dans la société française. J'ai proposé depuis déjà 12 ans ou 15 ans que quand il s'agit d'une situation comme Mayotte, ou peut-être à certains égards comme la Guyane, dans laquelle il y a des milliers et des milliers de personnes qui arrivent avec l'idée que s'ils mettent au monde des enfants là, ils seront français. Et tout ça, évidemment, ça mérite d'être reconsidéré. Ça l'a été par un texte qu'on a voté hier soir à l'Assemblée nationale, par exemple. Mais c'est toute la France qui se pose cette question. Qu'est-ce que c'est qu'être Français et comment accède-t-on à cette dignité de Français ?

Alain Marschall : Il y aura un débat national ?

Olivier Truchot : Il faut attendre la présidentielle ?

François Bayrou : Non, non, non.

Alain Marschall : Il faut ce débat ?

François Bayrou : On peut entrer dans un débat, il faut réfléchir à la manière dont ce débat se développe, est organisé. Et il faut le faire. Enfin, on ne va pas tout repousser. On disait autrefois, vous savez, « repousser aux calendes grecques », parce que les grecs n'avaient pas de « calende » qui était une fête du calendrier. D'ailleurs c'est le même mot, calende et calendrier. Alors repousser aux calendes grecques, ça veut dire que repousser...

Olivier Truchot : Même les débats qui peuvent froisser, polémiquer, il faut les aborder tout de suite ?

François Bayrou : Je vais vous dire. Il faut deux choses. Il ne faut rien repousser, en tout cas la philosophie qui est la mienne, c'est : tous les problèmes qu'on identifie, on va les traiter. On va en tout cas les débattre. On va les approfondir. Et il n'y a pas de raison de repousser éternellement. Et deuxièmement, c'est aussi important, et au moins, il faut apprendre à débattre, à échanger des convictions ou des arguments, sans s'insulter, sans se condamner à la vindicte publique, sans être cloué au pilori, sans être considéré comme des ennemis de la nation. Mais du débat, il faut, il est nécessaire, et il faut le conduire, si j'osais, je dirais, comme des gens civilisés. Alors on n'est plus tout à fait des gens civilisés, mais s'il y a au moins quelques défenseurs des méthodes civilisées, ça serait pas mal. D'ailleurs Pau c’est une ville dans laquelle on a ce genre de courtoisie !

Alain Marschall : M. le Premier ministre, il nous reste deux minutes, et je vous remercie d'avoir pris cet instant, cette parenthèse pour les Grandes Gueules dans votre agenda, mais on va avoir une discussion avec les Palois justement ici sur le service public. 6 Français sur 10 aujourd'hui ne sont pas satisfaits des services publics. Comment est-ce qu'on rend les services publics efficaces, efficients, alors qu'en même temps on doit faire des économies ?

François Bayrou : Eh bien c'est exactement le travail dans lequel je me lance. Dès l'instant, ça sera mercredi, que tous les budgets de la nation seront adoptés. On a fait adopter le budget de l'État, maintenant il faut faire adopter le budget de la Sécurité sociale. C'est au moins aussi important que le budget de l'État en montant, et en importance pour la vie des Français. Donc dès cet instant-là, dès le lendemain, dès la semaine suivante, je vais donner la mission à tous les ministres, et toutes leurs administrations, de partir de la question : quelles sont les missions de l'État et de la puissance publique ? Quelles sont ces missions ? Quelle est leur légitimité ? Qui est-ce qui a décidé que c'était l'État ? Quels sont leurs objectifs ? Et est-ce que ces objectifs sont remplis ? Et est-ce que les moyens qu'on leur donne sont bien placés ? Pas seulement sont suffisants, mais sont bien placés. Cette refondation en profondeur de l'action de l'État, j'y réfléchis pour ma part depuis longtemps, j'ai cassé les oreilles à beaucoup de ministres ou de premiers ministres sur ce sujet, et on va l'appliquer. On va s'y mettre tout de suite, pas en attendant le budget de l'année prochaine, dans laquelle il n'y a qu'une question, c'est : comment on fait des économies ou comment on augmente le budget ? La manière dont ils sont conçus ne me va pas.

Alain Marschall : Merci, monsieur le maire de Pau, Premier ministre en direct de Matignon. Merci d'avoir été avec nous.

[Applaudissements]

Alain Marschall : Et merci aussi pour l'accueil de la ville, qui nous a aidé à installer ce chapiteau au plein cœur de votre ville. Et on a le brouillard qui se lève et on aperçoit les Pyrénées juste derrière. Merci, monsieur François Bayrou. Merci d'avoir été avec nous.

François Bayrou : Je vous remercie. C’est la plus belle vie du monde !

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