François Bayrou : "Je ne peux pas me résoudre à laisser le pays aux extrêmes"
Ce dimanche 16 juin, François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, sera l'invité de Marie Chantrait pour l'émission "L'événement du dimanche" sur LCI.
Seul le prononcé fait foi.
Marie Chantrait : Bienvenue dans l'événement du dimanche LCI, ravi de vous retrouver.
Bonjour François Bayrou, merci d'avoir accepté notre invitation, président du MoDem, maire de Pau, proche du chef de l'État, un entretien à mes côtés d'une heure. Pour m'accompagner, Arlette Chabot, bonjour à vous et François Lenglet. Une émission, je vous le rappelle, à suivre sur tous les réseaux sociaux TF1 info.
François Bayrou, avec vous, on a envie de prendre le temps d'analyser ce qui s'est passé durant toute cette semaine un peu folle pour la vie politique française.
Je le disais, vous êtes un proche d'Emmanuel Macron. Dimanche dernier, il vous a appelé pour vous faire part de sa décision. On croit comprendre que vous étiez favorable, mais pas forcément maintenant, dans ces circonstances, dans ce moment-là, faire le choix de dissoudre, dans ce climat, à 3 semaines des Jeux olympiques, était-ce une folie ?
François Bayrou : Je ne sais pas si le mot « folie » est adapté. J'essaie de trouver les bons mots. C'est un risque qui a été pris autour de l'idée de clarification.
Marie Chantrait : Mais vous y voyez clair ?
François Bayrou : J'essaie, aujourd'hui, d'imaginer ce qui a pu se passer dans la tête du président de la République qui s'est dit à juste titre, et je suis sûr que vous serez de cet avis, que si rien ne s'était passé, on aurait dit « le résultat de ces élections est catastrophique pour le pouvoir et comme toujours, ils n'entendent rien, ils n'écoutent pas, ils ne changent d'autres solutions, ils ne changent rien ». Il y avait sûrement d'autres solutions, mais d'autres solutions avec le refus de toutes les forces qui auraient pu participer à l'effort national et qui avait réitéré leur refus tout au long de de ces mois-là.
Bref, cette affaire est derrière nous, on en parlera après. On pourra après faire des commentaires. Aujourd'hui on est devant une question qui est une question d'abîmes.
Marie Chantrait : C'est ce que vous inspire aujourd’hui, cette semaine ?
François Bayrou : Les Français se trouvent en réalité devant 3 choix et 2 d'entre eux sont des choix que je trouve moi tellement dangereux pour le pays, parce que c'est la survie du pays et son équilibre et son avenir.
Marie Chantrait : On reviendra sur ces blocs, mais sur la décision, parce qu’il est très précieux de vous avoir. Vous êtes, en contact très permanent avec le chef de l'État. On le sait. Vous lui parlez très régulièrement. François ?
François Langlet : Au fond, on anticipe des échéances qui étaient possibles. Il y a une phrase de Bismarck qui est assez intéressante, qui dit « Faire une guerre préventive, c'est comme se suicider par peur de la mort. » Je précise la question, est ce que le fait d'anticiper les échéances dans le climat actuel, d'anticiper cette épreuve ne la rend pas beaucoup plus dure pour le camp des modérés duquel vous vous revendiquez ? Et en ce sens-là est ce qu’elle ne nous a pas justement précipité dans un abîme qui était évitable.
François Bayrou : Oui. Je pense que le président de la République a déjà eu cette question et il a déjà…
François Langlet : Absolument. Je n'ai pas compris sa réponse. « J’ai redonné la parole aux Français », ce n’est pas une réponse. C’est pratique.
François Bayrou : C'est tout à fait vrai. Vous connaissez mes positions qui ont été exprimées à des dizaines de reprises. J'étais pour le changement du mode de scrutin. Je pense que le scrutin majoritaire dans lequel nous vivons est un amplificateur des vagues, amplificateur des humeurs. Je crois avoir fait sous vos yeux, tout ce que je pouvais faire, pour défendre ce changement de mode de scrutin pour la proportionnelle.
Marie Chantrait : Donc vous n'avez pas été entendu et ça n'a pas été modifié.
François Bayrou : C'est exactement ça. Et ensuite, d’un autre côté, vous avez des questions de calendrier. J'avais défendu l'idée que, si dissolution il devait y avoir, parce qu'on voyait venir depuis longtemps les blocages complets à l'Assemblée nationale sur tous les textes, avec menace de motion de censure qui renverse le gouvernement. Et franchement, le renversement du gouvernement n'aurait pas été non plus une bonne entrée en matière.
François Langlet : C'était plus intéressant, vous me l'accorderez, c'était plus intelligible pour les citoyens. Et le président aurait dit, « Écoutez, on m'empêche de gouverner, donc je dissous ».
François Bayrou : Et donc mon analyse à moi, c'était que l'automne, avec le degré de préparation, d'explications nécessaires, aurait été une autre solution
Arlette Chabot : Plus raisonnable à votre avis ?
François Bayrou : Non, mais pas du tout.
Arlette Chabot : Mais François Bayrou..
François Bayrou : Je ne veux pas vous faire de citation succulente.
Arlette Chabot : C’est pas succulent du tout parce que tout le monde est très inquiet. Oui, quand les Français écoutent, il y a deux anciens présidents de la République qui sont opposés à cette dissolution, à ce moment en tout cas. Nicolas Sarkozy « La dissolution constitue un risque majeur pour le pays ». C'est ce que pense aussi François Hollande qui avait dit « C'est la plus mauvaise décision au pire moment ». On voit même Lionel Jospin qui sort de sa retraite aujourd'hui, qui dit la même chose que Nicolas Sarkozy. C'est un risque majeur. On sait que Gabriel Attal était contre. On pense qu'Édouard Philippe, évidemment, n'a pas sauté d'enthousiasme, est aussi opposé. Élisabeth borne a émis plus que des réserves. Vous êtes un sage. Les Français qui écoutent se disent « Mais à quoi il joue le président ? Il joue l'avenir du pays au poker ». « Il y a des risques considérables », dit Nicolas Sarkozy.
François Bayrou : Pardonnez-moi de vous dire, si tous ces gens-là pensent qu'il y a des risques, quel est le risque ? Quand les uns et les autres disent « Il y a risque, quel est le risque » ?
Arlette Chabot : L'arrivée du Rassemblement national au pouvoir ?
François Bayrou : Entre autres. Il y a 2 risques. C'est le risque d'avoir l'extrême droite au pouvoir et le risque d'avoir au pouvoir, on en parlera tout à l'heure, un rassemblement que j'hésite à appeler « front populaire » parce que, franchement, c'est une référence historique que je trouve discutable. C'est ça le risque. Alors que chacun prenne ses responsabilités,
François Langlet : C'est-à-dire de voter pour un camp et qui dissout de façon impromptue…
François Bayrou : Les seuls qui ont la clé de cette défense contre les risques, c'est les Français et les responsables politiques Français. Je dis qu'il est irresponsable que des personnalités comme celle que vous évoquez, qui ont largement conduit à la situation d'opinion que nous connaissons, ces personnalités-là, si elles pensent qu'il y a un risque, alors il faut qu’elles se prononcent pour le seul camp, le seul bloc, le seul bulletin de vote « Ensemble pour la République », qui sera là pour s'opposer à ces 2 blocs-là.
François Langlet : Juste une réaction à cette réponse. Au fond, c'était exactement l'argument qu'a développé Emmanuel Macron en 2022 et en 2017. Si on lui donne les votes aujourd'hui, que va-t-il en faire ? Les rejeter au poker dans 3 mois, dans 6 mois ? Est-ce que ce raisonnement qui a été tenu, finalement, il bute sur la réalisation ?
François Bayrou : Est-ce que je peux vous répondre ? L'enjeu de la situation aujourd'hui, ce n'est pas le président de la République.
Arlette Chabot : C’est la France, attendez, pardon, c'est un risque énorme pour le pays.
François Bayrou : L'enjeu de la situation, ça n'est pas le jugement sur la majorité sortante, ça n'est pas le jugement sur l'action du président de la République. L'enjeu de la situation, c'est de savoir si la France s'abandonne à ces 2 risques et se retrouve en situation…On va en parler parce qu'il y a des conséquences directes à tout ça, des programmes qui annoncent des choses extrêmement précises.
Marie Chantrait : Et votre programme également. Celui de la majorité avancé hier soir.
François Bayrou : Et donc la question, c'est celle-là, il y a des moments dans la vie où les commentaires ne suffisent plus, y compris les commentaires avec acide. Y’a des moments dans la vie où ce qu'il faut, c'est franchir le pas, prendre ses responsabilités, dire où l'on en est. Et ce que je dis, moi, c'est qu’aujourd’hui, ce qui est en jeu, c'est l'avenir immédiat de la France et donc des Français. Immédiat parce que les perspectives des prises de pouvoir de 2 clans si menaçants, sont pour le pays, mortelles. Je suis absolument certain que vous qui connaissez très bien les milieux économiques et les réflexes du monde économique, l'inquiétude qui a été ce dernier jour manifestée s'amplifierait au-delà de toute mesure. Mais il n’y a pas que l'économie, bien sûr, on en parlera.
Marie Chantrait : On entend votre gravité, votre message passé. Malgré tout, il y a l'incarnation, celle du président de la République. Cette phrase démentie par la présidence, confirmée par nos confrères du monde, « Je prépare ça depuis des semaines » », dit Emmanuel Macron, et je suis ravi. Je leur ai balancé ma grenade dégoupillée dans les jambes, maintenant il va vous falloir voir comment ils s'en sortent ». Est-il encore une fois responsable, vous qui êtes aussi de demandeur à ce que le chef de l'État apparaisse le moins possible, l'artisan d'un terme, la démacronisation. Est-ce des propos aujourd'hui responsables au vu de la situation encore une fois que vous décrivez, d'un Rassemblement national aux portes du pouvoir ?
François Bayrou : J'ai lu cette phrase, je ne la partage pas et je ne crois pas, je n'imagine pas qu'elle soit vraie.
Marie Chantrait : Vous ne voulez pas l’imaginer, vous ne pouvez pas l’accepter cette phrase, que les choses soient claires ?
François Bayrou : Je ne partage pas cette phrase et tout le monde comprend que la situation ne se prête pas à des revendications de cet ordre et je ne crois pas que cette phrase soit vraie.
Marie Chantrait : Il faut que le Président intervienne le moins possible dans cette campagne. Gabriel Attal va la mener, malgré tout, même depuis l'étranger. Il prend la parole plusieurs fois par jour pour s'impliquer, faire des commentaires sur ce qu'il se passe à droite, à gauche.
François Bayrou : Quand la situation du pays est en jeu, il est normal que le président de la République, qui est en charge de son avenir, de son équilibre et de son image, c'est normal qu'il donne son sentiment.
Mais ça n'est pas une campagne sur la question du président de la République..
Marie Chantrait : Un peu quand même, non ? Un rejet total d’une majorité.. On viendra aux sondages après mais...
François Bayrou : Vous, vous dites " Un peu ", mais on peut s'arrêter une seconde ? Moi je dis non. Ce qui est en jeu aujourd'hui, vous voyez bien, il y a des personnalités très importantes qui s'expriment et qui ne sont pas spécialement des partisans du président de la République. Quand Manuel Valls s'exprime avec la force de son intervention.
Marie Chantrait : Il n'est pas ces derniers temps un opposant au président de la République.
François Bayrou : Quand François Rebsamen s'exprime, quand j'ai entendu Guedj s'exprimer, vous avez des personnalités qui prennent leurs responsabilités et qui disent « Le camp d'où je viens est entré dans une phase qui est une phase à mes yeux dangereuse » et ils ont raison de le dire et on va peut-être en parler. Donc il est normal que le président de la République s'exprime, mais le président de la République ou le jugement sur le président de la République, ça n'est pas l'enjeu de cette élection.
Arlette Chabot : Il y a un 2nd tour d'une élection présidentielle, il y a des gens qui sont allés aider Emmanuel Macron face au Rassemblement national, tout le monde a en tête et on le répète régulièrement « Ce vote m'oblige », a dit Emmanuel Macron. Et aujourd'hui, il les repousse, il dit que ce camp qui l’a soutenu, l'a aidé à être réélu président de la République aujourd'hui est totalement rejeté ?
François Bayrou : Mais excusez-moi, vous dites la gauche ? Comme s'il y avait une gauche.
Arlette Chabot : Oui, toutes les gauches ont appelé à voter pour Emmanuel Macron
François Bayrou : Précisément la création de cette alliance à gauche avec LFI et dont Jean-Luc Mélenchon et ses amis ont la majorité des circonscriptions,
Marie Chantrait : 229 pour être précis.
François Bayrou : Oui, la majorité et les autres sont loin derrière avec des circonscriptions qu'ils discutent eux-mêmes comme étant plus ou moins favorables. Ça crée une situation qu'il convient d'examiner. Ce bloc-là, avec l'orientation qui est la sienne, qu'on a vu sur beaucoup de sujets, je vais en dire quelques-uns parce que c'est écrit maintenant dans le programme. Tout ce que je vais dire est vérifiable dans le programme. Alors ça n'est plus ceux qui ont appelé à voter. C'est quelque chose d'autre. C'est une orientation politique dont la France ne se relèverait pas, pas plus qu'elle ne se relèverait, et vous savez bien que je le pense depuis longtemps et que je n'ai pas l'intention de changer d'avis sur ce point, pas plus qu'elle ne se relèverait de l'extrême droite.
Marie Chantrait : « On vit dans un monde de fous » en parlant du programme et du Rassemblement national et du Front populaire, ce sont les mots du chef de l'État. Mais avant d'en venir à ces programmes, parce que on va revenir sur quelques propositions, il y a le programme de la majorité présidentielle dont le Premier ministre a dévoilé hier de premières mesures. François ?
François Langlet : Gagner plus et dépenser moins, c'est sa formule. Alors quand on fait l'inventaire, on se demande si la formule est bien justifiée : frais de notaire allégés, retour du bouclier tarifaire sur l'électricité, rénovation de 300 000 logements, prime sans charge sociale, indexation des retraites. Des dizaines de milliards d'euros chaque année. Est-ce que ça n'est pas encore complètement irresponsable alors que, et vous savez mieux que quiconque, vous avez été l'un des premiers à alerter sur la gravité de la dette alors qu'on vient d'être dégradé par une agence de notation significative ?
François Bayrou : Ma position à moi comme responsable politique, elle est simple. Moins on fait de promesses et mieux c’est. Les promesses qu'on fait ou les engagements qu'on prend doivent être tenables. Exemple, en raison des accords que vous savez, la baisse du prix de l'électricité de quelques 15% au début de l'année, c'est tenable.
François Langlet : Si les prix baissent, c'est tenable. Si les prix ne baissent pas ou qu'ils montent, c'est l'État qui paiera, c’est-à-dire…
François Bayrou : C'est tenable parce que nous produisons de l'électricité comme vous savez…
François Langlet : Et ce qu'on appelle le bouclier tarifaire. On l'a utilisé en période de crise, c'était fini. Le voilà qui réapparaît aux frais du contribuable.
François Bayrou : Je trouve que cette mesure-là est justifiée. Après les mesures d'augmentation, je pense qu'il faut expertiser leur faisabilité. Je ne pense pas que la majorité aurait à gagner à se lançant dans la course à l'échalote avec les 2 blocs de l'opposition.
François Langlet : Mais c'est fait.
François Bayrou : Non
François Langlet : Ça a commencé hier avec les déclarations de Gabriel Attal.
François Bayrou : Eh bien, je ne crois pas que ce soit le cas.
Marie Chantrait : Vous parlez de course à échalote dans les premières propositions…
François Bayrou : Vous voyez bien, vous prenez les propositions du Front national, vous prenez les propositions du Front de gauche. C’est une course à l’échalote. Et je ne souhaite pas qu'on s'inscrive dans cette course à l'échalote. Je sais qu’un très grand nombre de Français sont sceptiques sur des annonces qui pourraient être faites dans ce cadre. Je pense qu'il faut que nous incarnions, que la majorité incarne, je ne veux pas employer le mot de « sérieux », en tout cas de « l'équilibre ». Que la majorité incarne la défense du nouvel équilibre à trouver sur les finances publiques.
Mais vous prenez les 2 affirmations, les 2 camps d'extrême gauche et d'extrême droite défendent tous les 2 l'abrogation de la réforme des retraites. Juste je n'entrerai pas dans cette course-là.
François Langlet : Mais juste un instant, replaçons-nous il y a 3 ou 4 semaines. Le gouvernement, l'exécutif nous expliquait qu'il allait falloir 20 milliards d'économies pour arriver, je ne dis pas un déficit acceptable, il restera très important. On est, on en était à chercher des sources d'économie. 15 jours plus tard, on dépense des dizaines de milliards. Comment peut-on faire confiance à un exécutif qui change d'avis aussi brutalement sur des questions aussi importantes ?
François Bayrou : C'est pourquoi je redoute beaucoup les périodes électorales parce qu'elles entraînent à des engagements dont on découvre après que..
Marie Chantrait : À des promesses qui ne seront pas tenues.
François Bayrou : Je ne crois pas qu'il faille dépenser des dizaines de milliards de plus et je ne crois pas que ce soit envisageable, sauf à sortir du cadre de l'équilibre que nous avons réussi à créer grâce à l'euro. Alors on peut dire, « Tout ça, c'est fini ». C'est ce que disent en fait les 2 blocs d'extrêmes. Et donc je suis pour qu'on ait de l'équilibre dans nos affirmations. Je pense qu'on peut faire des choses dans l'amélioration des services publics parce que je pense qu’ils sont mal utilisés. Je pense qu'il y a des stratégies et des méthodes qu'on peut mettre en place pour l'école qu'on peut mettre en place pour la santé. Mais je ne crois pas que l'annonce de dépenses supplémentaires là, soit la réponse ou la bonne attitude à la question
François Langlet : C'est un désaccord.
François Bayrou : Non, parce que je pense que ce que le Premier ministre a dit, ça n'est pas les dizaines de milliards que vous indiquez.
François Langlet : Je ne l’ai pas inventé honnêtement, je l'ai écouté comme vous.
François Bayrou : Jamais le mot de dizaine de milliards. L'indexation des retraites, c'était uniquement pour lutter ou pour démentir le fait qu'on découplerait les recettes de l'inflation ? Je ne suis pas sûr que le mot soit complètement exact, mais c'est normal qu'un chef de gouvernement dise « Les retraités, ils ne doivent pas être dépouillés au fur et à mesure, comme l'artichaut est dépouillé de ses feuilles ».
François Langlet : Monsieur Bayrou, vous savez ça là aussi mieux que quiconque, vous avez été commissaire du Plan, vous avez fait des rapports sur la retraite. Le système de retraite se détériore en 2024 malgré la réforme, précisément parce qu'on a indexé les retraites sur l'inflation. Alors c'est un choix, je ne le conteste pas en lui-même. La vérité, c'est qu'il n'est pas financé. Une fois de plus, il n'est pas financé, une fois de plus, ça va être du déficit.
François Bayrou : François Lenglet, vous êtes journaliste économique depuis longtemps.
François Langlet : C'est vrai depuis un certain temps, depuis longtemps, depuis longtemps.
Marie Chantrait : Là-dessus, on ne peut pas nous contredire.
François Bayrou : Nous avons vécu, vous et moi les années et décennies dans lesquelles les pouvoirs publics se bouchaient les yeux sur le financement du système de retraite, on a vécu ça. Qui s'y est opposé, qui a dit « ces annonces sur l'équilibre financier du système de retraite sont fallacieuses » ? Qui ? C'est le commissariat au plan sous mon autorité. Personne d'autre n'avait jamais avancé les chiffres. Et je pense en effet que pour les finances publiques et pour les retraites, nous avons le devoir de mettre en place un plan à 10 ans qui dira clairement, explicitement comment on revient à l'équilibre ou comment, progressivement, on revient à l'équilibre. Parce que le système de retraite, non seulement, on n'a pas obtenu tout à fait les résultats, je ne suis pas éloigné de penser comme vous, et le système de retraite, il est déficitaire de 30 ou 40 milliards tous les ans d'argent public, payé non pas par le contribuable, ça serait tout à fait acceptable, mais payé par nos enfants à naître. Depuis 20 ans, depuis 25 ans, depuis 30 ans, et encore une fois, quand j'ai dénoncé ça, j'étais tout seul, nous sommes une génération moralement déficitaire. Nous acceptons que les retraites, mais c'est vrai aussi pour les dépenses de la sécu, soient payées non pas par les actifs, non pas par les épargnants, non pas par la génération actuelle, mais par les générations à venir qui auront donc à payer leur train de vie. Et ça va être de plus en plus difficile. Les retraites des pensionnés de leur époque, de leur moment et les retraites que nous dépensons aujourd'hui. Mais qui peut accepter ça ? Alors vous me dites donc toute course à des dépenses excessives. Je pense qu'il y a des dépenses utiles, je pense qu'on peut y réfléchir. Je pense qu'on peut améliorer beaucoup l'efficacité des choses. J'ai cité le domaine de l'école, le domaine de la santé. Je pense qu'on peut, mais il n'est pas vrai que la solution soit dans le déchaînement de la dépense publique, ni pour les uns, ni pour les autres.
Marie Chantrait : Vous paraissez donc quand même en relative opposition, même si vous le niez, avec le programme.
François Bayrou : Parce que je sais aujourd'hui, parce que je suis sûr que le Premier ministre n'a pas un schéma de dépenses comme ça, je pense que c'est quelqu'un qui fait attention à tout ça. Et je pense que les responsables de la majorité ne peuvent pas avaliser ça.
Marie Chantrait : Ce qui est acté juste, c'est que l'exécutif a confirmé cette semaine que le décret sur la réforme de l'assurance chômage serait pris début du mois de juillet.
Jordan Bardella, à l'instant, annonce que s'ils arrivaient au pouvoir, il supprimerait cette réforme de l'assurance-chômage. Un commentaire là-dessus ?
François Bayrou : Si ce décret n'avait pas été pris, les indemnités de chômage n'auraient pas pu être versées. Ça s'arrêtait, la date limite était le premier juillet et donc la responsabilité du gouvernement a été de dire « Je ne vais pas laisser les chômeurs sans indemnité et donc il faut prendre une décision ». Et cette décision-là, il n'est pas vrai qu'elle soit attentatoire ni aux libertés ni à la justice. Demander à quelqu'un que ses droits au chômage soient rechargés comme on dit, non pas au bout de 6 mois, mais au bout de 8 mois, franchement, est ce que c'est grave ? Je connais des dizaines d'entreprises qui n'arrivent pas à trouver les collaborateurs dont elles ont besoin, qui sont en complet échec et qui sont en train d'envisager de fermer ce qui va détruire de l'emploi simplement parce qu’ils ne trouvent pas les collaborateurs. Et Dieu sait, dans un pays où il y a tant de chômeurs et tant de chômeurs jeunes, vous ne trouvez pas que c'est un scandale ? Alors cette décision-là, elle était nécessaire pour continuer à payer les indemnités et je crois qu'elle n'est pas injuste, je pense qu'elle prend en compte la réalité.
Arlette chabot : Juste un mot quand même. François Bayrou, vous connaissez si bien la politique, qu'est-ce que vous allez proposer aux Français ? Vous ne voulez pas entrer dans une compétition un peu démagogique de surenchère avec les oppositions ? Vous allez dire quoi encore une fois, « C'est nous ou le chaos » ?
François Bayrou : Non. Nous sommes…
Arlette chabot : Attendez, non mais vous avez fait ça pendant toute la campagne européenne, ce n'est pas un reproche…Vous avez fait ça, « Attention danger, c’est le RN ».
François Bayrou : Ce n'est pas vrai. Je respecte beaucoup votre métier Arlette Chabot mais vous ne pouvez pas à la fois dire « Il y a des dangers extrêmes, comment avez-vous explosé le pays » et même temps « Vous ne pouvez pas ne pas proposer de les suivre dans des propositions ».
Arlette chabot : Je ne dis pas ça. Je dis juste quelques propositions que vous faites parce que si vous dites, « On n'est pas dans la surenchère démagogique avec des mesures qui vont coûter très cher ». Ça fait 7 ans, vous êtes au pouvoir, vous dites la priorité c'est l'éducation, la priorité c'est la santé, mais on va vous dire, et alors ?
François Bayrou : Alors vous avez dit quelque chose, pardonnez-moi de vous le dire, faux. Peut-être que ça n'a pas été expliqué. Oui, la situation dans laquelle nous sommes, elle a une conséquence évidente. C'est qu'il va y avoir forcément un changement de la manière de gouverner la France.
François Langlet : C'est à dire ?
François Bayrou : C'est à dire qu’il va falloir envisager, après un danger aussi important si on arrive à conjurer ce danger, de faire gouverner, de réunir dans un gouvernement des personnalités qui jusqu'à maintenant, comme vous le disiez, étaient éloignées les unes des autres.
Marie Chantrait : Encore faut-il qu'elles acceptent. Les perspectives à venir et la suite après ces élections législatives, que se passera-t’il le 8 juin et quelles perspectives pour la majorité que vous êtes et que vous représentez aujourd'hui ? C'est tout de suite, juste après la pause, à tout de suite, François Bayrou.
Marie Chantrait : Retour sur le plateau de l'événement du dimanche, toujours avec François Bayrou, le président du MoDem, allié d'Emmanuel Macron, le président de la République qui, à l'écouter, la dissolution était une forme de clarification. Ce qui est clair, c'est une dynamique réelle du Rassemblement national. Avant la pause, vous appeliez à gouverner autrement. Voyons ensemble en quoi cela pourrait consister. Mais d'abord, arrêtons-nous sur ces premiers sondages avec lesquels il faut prendre aussi un peu de prudence. Mais à cette question, si le premier tour des élections législatives avait lieu dimanche prochain ? Pour quel candidat suivant voteriez-vous dans votre circonscription ? Le Rassemblement national arrive à 33%, le Front populaire de gauche à 25%, Renaissance à 20. Autre sondage pour La tribune, quelle majorité souhaitez-vous ? 32% pour le Rassemblement national, 26% pour le front populaire, 17% pour Renaissance. François Bayrou, que vous inspirent ces chiffres ?
François Bayrou : Ce sont des chiffres qui disent la situation politique aujourd'hui avant prise de conscience, ou avec seulement un début de prise de conscience parce qu'on est passé de 14 à 20. Ça fait 6 points de plus et je crois que ça que cette prise de conscience peut changer les rapports de force. On a connu, en d'autres temps, il y a longtemps, des renversements, y compris entre les 2 tours lors des élections législatives.
Marie Chantrait : Mais pardonnez-moi, c'est un discours que vous avez tenu avant les élections européennes, en disant, « Il y aura un sursaut » jusqu'au bout, en répétant que la campagne n'avait encore jamais vraiment commencé. Les sondeurs ne se sont pas trompés. Je ne dis pas que les sondeurs ne se trompent pas pour ces législatives, il est encore tôt.
François Bayrou : Mais alors je comprends que vous soyez très jeune et c'est tout à fait heureux et tout à fait louable. Mais des sondeurs qui se sont trompés dans les élections, on en a vu beaucoup et donc lorsque vous n’avez pas de très bons sondages, c'est un espoir logique que de dire « Peut-être ne prennent-ils pas en compte ce que par ailleurs nous sentons ». Ceci est derrière nous, ces résultats. Les rapports de force aujourd'hui ne sont pas bons, mais ce que je sais, c'est que cela, ce qui pour vous apparaît inéluctable, vous dites c'est inéluctable ?
Marie Chantrait : Je ne dis pas ça, je dis à prendre, ces sondages, avec la plus grande des prudences.
François Bayrou : Et bien moi je ne crois pas que ce soit inéluctable. La vie m'a habitué à être minoritaire assez souvent et cependant à avoir raison. Ce qui nous menace, ce n’est pas un nouveau contexte politique dans lequel vous perdrez des plumes parce que ça, c'est tout à fait secondaire, ce qui nous menace en tant que pays, ce qui nous menace en tant que famille. C'est si grave que je crois l'inquiétude que vous signalez. C'est une inquiétude réelle. Je vais prendre des exemples dans le programme du Front de gauche, on disait qu'il y avait qu'il y avait une une émotion autour de tout ça. Qu'est-ce que dit le front de gauche ? Il dit abolition des lois asile immigration, suppression de la réforme des retraites et application intégrale, je vous invite à le lire, suppression intégrale, du droit du sol. Vous savez ce que c'est ? Application intégrale du droit du sol ? Aujourd'hui, un enfant qui naît en France de parents étrangers, il peut devenir français à 3 conditions : qu'il ait vécu un certain temps sur le territoire national, 5 ans au moins, qu'il n'ait pas fait de bêtises et qu'il le demande. Considérer que la naissance sur le sol français crée automatiquement le droit à la nationalité française, est ce qu'on mesure ce que ça signifie comme déséquilibre qui va être créé et dans la population française ? Comment peut-on écrire des choses comme ça ?
Marie Chantrait : Mais vous mettez un signe égal aujourd'hui entre le Rassemblement national de Marine Le Pen et le Front populaire ?
François Bayrou : J'essaie de trouver les bons mots. Pour moi, je ne peux pas classer un risque comme plus dangereux que l'autre.
François Langlet : Mais vous serez obligé de choisir au 2e tour ?
François Bayrou : D'abord, ça vous le verrez parce que je suis, nous sommes libres de notre parole et je ne crois pas que le 2e tour soit la situation que vous indiquez, c'est-à-dire Front national contre Front de gauche.
François Langlet : Ça arrivera sans doute.
François Bayrou : En tout cas, je refuse de me laisser enfermer dans cette hypothèse-là. Nous verrons la situation que les Français auront créée et chacun prendra ses responsabilités. Et ma responsabilité, je n'ai aucune intention qu'elle soit de favoriser ce risque, qu'il soit d'un côté ou de l'autre. Ce qu'ils écrivent, très symptomatique sur la situation de Mayotte, ils disent qu'il faut favoriser l'immigration. C'est un de leurs paragraphes et qu’il faut s'opposer à toute mesure qui rend difficile l'accès et la sortie de Mayotte. Qu'est-ce que ça veut dire réellement ? Ça veut dire qu'on considère que la France est un pays qui doit désormais se bâtir sur l'immigration. Je ne suis pas d'accord avec cela. Non, je pense que la situation de l'immigration en France est mal gérée. Je pense qu'il y a des gens à qui on interdit de travailler, à qui on devrait au contraire.
Marie Chantrait : Mais encore une fois, vous êtes aux responsabilités depuis 7 ans et on a l'impression…
François Bayrou : Soyez assez gentils de considérer que je ne suis pas au gouvernement, je l'ai été un mois.
Arlette Chabot : Ça aurait été différent si vous aviez été au gouvernement ?
François Bayrou : Oui. Si j'avais été en situation de responsabilité au gouvernement, je crois que des choses auraient été différentes, plus d'institutions.
Arlette Chabot : Vous auriez plus d’influence que le président de la République, Premier ministre ou ministre influent du gouvernement ? Vous auriez pu faire bouger les choix du président de la République et…?
François Bayrou : Je crois, en tout cas, que j'aurais exprimé des choses. Vous savez que j'ai eu, au début de l'année, des débats et un refus dans le gouvernement sur tous ces sujets.
Arlette Chabot : Donc il y a des désaccords ?
François Bayrou : Ce ne sont pas des désaccords, il y a des idées différentes et c'est normal dans un ensemble large. Mais les dangers que j'exprime, là, j'en dis un autre, un danger, en tout cas, quelque chose qui ne me paraît pas en phase avec ce que nos concitoyens ou les familles attendent. Changement d'identité, de sexe, de genre à la mairie sur simple déclaration. Je trouve que c'est entrer dans un autre monde. À l'heure actuelle, on peut changer, mais c'est sous le contrôle d'un juge. C'est à dire que le juge regarde si les conditions, notamment de dépendance psychologique, d'influence, si c'est en pleine conscience et après avoir fait le grand travail sur soi et sur les siens, que cette transition…
Marie Chantrait : Pardonnez-moi, François Bayrou juste aux Français, aux téléspectateurs qui nous écoutent depuis 5 Min vous assénez beaucoup sur la gauche et ce front populaire, c'est votre adversaire principal. Mais vous avez l'air d'oublier le Rassemblement national alors expliquons les choses.
François Bayrou : Dans la suspension de séance, vous avez tous évoqué ce qu'était le Front de gauche et le caractère qui paraissait irréversible de leur….Donc je réponds sur ce point. Vous voulez que je réponde sur le Front national ?
Marie Chantrait : Sur le Rassemblement national et sa montée
Arlette Chabot : Franchement il y a une colère. Vous avez dit tout à l'heure « Il faut gouverner autrement ». C'est ça le projet de la majorité, c'est « on va gouverner autrement » ? Pardon François Bayrou, je le dis vraiment tranquillement, je n'ai pas exprimé non, mais gouverner autrement, différemment, mais c'est ce qui a été promis à plusieurs reprises par le président de la République.
À l'automne dernier, par exemple, les fameuses rencontres de Saint-Denis. L'initiative politique, c'était la promesse. Vous avez même participé effectivement à ce Conseil national de la refondation. Et rien au bout du compte donc. Et ça n'a pas été fait.
François Bayrou : Pourquoi ?
Arlette Chabot : Attendez, oui, ça n'a pas été fait. Pourquoi ? C’est la faute des autres encore ?
François Bayrou : Parce que non, pardon, c'est bien qu'on se respecte. Ça n'a pas été fait. Pourquoi ça n'a pas été fait ? Parce que ceux à qui la proposition était faite de participer à la prise de responsabilité ne l'ont pas voulu. Ils ont voulu censurer le gouvernement, chasser le gouvernement.
Marie Chantrait : Vous parlez des républicains, des socialistes…
François Bayrou : Je pense qu'il y a en France un très grand courant de gens raisonnables et généreux qui veulent faire vivre cet équilibre. Cet équilibre, qui est l'équilibre même de la France, raisonnable et généreux. En tout cas, je m'inscris dans ce courant-là, à la fois parce qu'on ne peut pas faire n'importe quoi, et notamment, on ne peut pas gaspiller l'argent qui est l'argent des Français. Quelqu’un que j'aime beaucoup, c'est une de mes filles, qui m'a envoyé une citation d'un ministre marxiste d'avant la guerre, qui disait « Gaspiller l'argent public, c'est mépriser le travail qu'il a produit ». Ce n'est pas la citation exacte. C'est mépriser les forces de travail qui l'ont produit, c'est mépriser les familles qui sont mises à contribution. Et c'est vrai que, quand on voit la création d'impôts tous azimuts, on voit bien que c'est mépriser le travail qui le produit. Donc cette réalité, cette ambition-là et cet idéal, je revendique, nous revendiquons pour une très grande partie des Français qui ont des traditions politiques différentes, mais qui aujourd'hui sont affolés, nous revendiquons de faire vivre ensemble et Ensemble pour la République, de faire vivre ensemble la rigueur et la générosité.
François Langlet : Qu'est-ce qui doit changer dans la méthode de gouvernement ? Vous l'évoquiez à demi-mot juste avant la pause, les points concrets qui vous semblent vraisemblables là, à échéance de quelques semaines ou quelques mois ?
François Bayrou : Mais le changement est arrivé. Il est là. On ne le voit pas encore, mais vous voyez bien qu'après cette élection, il est inimaginable de reprendre le périmètre de la majorité antérieure, parce que…
François Langlet : On pouvait penser ça après les législatives de 2022. Il n'en a rien été.
François Bayrou : Il n’en a rien été. Parce que nous avons un système démocratique qui privilégie les affrontements au lieu de souhaiter des rassemblements.
François Langlet : Et parce que le président ne voulait pas céder de son pouvoir fraîchement acquis.
François Bayrou : Il se trouve que je suis absolument certain qu’il était favorable à ce principe. Il n'a pas trouvé de partenaire.
Marie Chantrait : Mais demain, il en trouvera ?
François Bayrou : Oui, parce que la situation créée aujourd'hui est une situation d'alarme pour tous les républicains. Pour tous ceux qui croient qu'il n'y a pas de politique conduite si l'on oublie les principes qui nous font vivre ensemble ?
Marie Chantrait : alors parlons des mains tendues et de ce qui se passe, notamment du côté d'Édouard Philippe. À quel jeu joue-t-il avec vous ?
Arlette Chabot : On voit bien qu'il y a, je pense que vous êtes favorable à ces accords dans des départements, on le voit, c'est vrai dans les Hauts de Seine, mais on le voit aussi ailleurs, il y a une entente entre les LR notamment et les Renaissances pour ne présenter qu'un candidat face au Rassemblement national ou représentants du Front populaire, vous êtes favorable à ces accords ? Et ensuite, selon vous, ils permettront effectivement de réaliser cette grande nouvelle alliance que vous imaginez dont vous rêvez ?
François Bayrou : Ce qui permettra de la réaliser, c'est la prise de conscience.
Arlette Chabot : C'est à dire, « Vous avez eu peur et maintenant, ils ont, ils auront eu peur ».
François Bayrou : Je ne connais pas un citoyen aujourd'hui qui n'ait pas peur. Je ne connais pas un Français, pas une famille française qui, quand elle se retrouve pour un événement familial autour de la table, ne dise pas « Mais, il y a un trop grand risque maintenant. Maintenant, c'est trop grave ». Et c'est cette prise de conscience-là, qui moi me frappait et que j'attends.
Marie Chantrait : Mais vous entendez aussi ces Français qui disent, « Tentons aussi, on n'a jamais essayé, pourquoi pas » ? Vous avez entendu sur notre antenne, le cas de monsieur Serge Klarsfeld qui votera pour le Rassemblement national. Il a, toute sa vie, lutté contre le RN, contre le Front national de Jean-Marie Le Pen.
François Bayrou : J'entends, il y a des gens qui peuvent renier leurs engagements. Ça arrive tout le temps. C'est arrivé dans des années plus noires. Comme Monsieur Klarsfeld que je connais bien. Il y a des gens qui abandonnent, qui se laissent aller au fil de l'eau. Moi, ce que j'admire et ce que j'aime, c'est ceux qui résistent au fil de l'eau, qui voient monter la vague des popularités, mais qui disent « Bien, écoutez, même si nous ne sommes pas aujourd'hui dans la faveur des sondages, nous, nous tenons bon parce que c'est l'essentiel qui est en jeu et je ne laisse abandonner rien de cela ». Après, il y a des querelles, il y a des rivalités. C'est sur ça que vous vouliez m’interroger.
Arlette Chabot : Le président de la République devra nommer un Premier ministre capable de rassembler très largement, d'être sage et de laisser gouverner cette fois. Il aura une autonomie.
François Bayrou : C’est pour ça que la 5ème République est bien. Les institutions permettent à coup sûr d'assurer ce type de situation. Nous en avons connu par le passé et François Mitterrand savait ça et Jacques Chirac savait ça.
Arlette Chabot : Vous parlez de la cohabitation ?
François Bayrou : Oui, avec des gouvernements différents.
Arlette Chabot : Souples, mais pas conflictuels.
François Bayrou : Souples, mais pas conflictuels. Dire qu'entre Mitterrand et Balladur, au début, c'était souple, c'est gentil. Chirac et Jospin, c'est pareil. Donc il y a dans nos institutions la clé de tout cela. Mais la vraie clé de tout cela, c'est que le plus grand nombre possible de responsables voyant, le risque et la gravité de la situation se disent…
Vous savez, il y a un très beau poème d'Aragon qui dit, c'est dans La rose et le réséda, « Quand les blés sont sous la grêle, fou qui fait le délicat, fou qui songe à ces querelles au cœur du commun combat », c'est là qu'on en est. Donc moi je ne suis en querelle avec personne, je ne suis pas dans les rivalités partisanes. Ce qui se passe est tellement…
Marie Chantrait : Pardonnez-moi, pour ceux qui connaissent bien la vie politique, vous êtes un peu dans les rivalités. Vous défendez votre parti, vous défendez des candidatures. Vous dites qu'on défendait des investitures, ce qui est normal.
François Bayrou : C'est normal. Mais je ne suis pas dans les rivalités. C'est comme ça. Vous pouvez venir voir, je vous invite. Je ne suis pas dans les rivalités. Je suis à la tête d'un d'une équipe municipale qui réunit des sensibilités très différentes.
Arlette Chabot : Donc vous pouvez être le Premier ministre sage, qui saura faire réunion. Non mais c'est le profil comme ça.
François Bayrou : Pardon. Je pense qu'il faut un profil qui sente l'histoire, qui mesure où on en est et où on pourrait aller. Mais ça n'est pas une question pour moi. Je refuse de répondre à des questions aussi graves à la première personne.
François Langlet : Alors c'est évidemment l'un des scénarios. C'est-à-dire que, au fond, il n’y ait pas de déroute électorale pour le camp présidentiel et qu’on arrive à sauver les meubles, reconstruire une coalition, si on vous suit bien. Il y a d'autres scénarios qui sont aujourd'hui tout aussi possibles, pour ne pas dire plus probables au soir du 7 juillet, c'est-à-dire une cohabitation soit avec la coalition de gauche, soit autour de RN. Dans ce cas-là, le président peut-il se maintenir ? Quelle serait l'issue de ce quinquennat ?
François Bayrou : Mais la question n'est pas de ce qu'il peut. La question est de savoir quel est son devoir. Les grandes figures que j'évoquais, François Mitterrand a dit ça 100 fois, c'est le devoir du président de la République. Ça n'est pas parce qu'une élection intermédiaire a été perdue ou pas gagnée que le mandat du président de la République s'interrompt. Non, parce que sans ça, vous n'avez plus…
François Langlet : Nicolas Sarkozy, ce matin dans Le Figaro, pardon dans le JDD, il nous dit, « On part pour le chaos et on entre dans un scénario complètement inédit ».
François Bayrou : Eh bien, il appartient à Nicolas Sarkozy, s'il pense à conjurer le chaos…
Marie Chantrait : La question est posée à Marine Le Pen dans Le Figaro. Elle ne rappellera pas à la démission du chef de l'État.
François Bayrou : Si vous entrez dans ce type de dérive, il y a plus d'institutions.
Marie Chantrait : Dans ce type de dérive anticipée…
Mais s’il se trouve qu'il est dans l'incapacité de gouverner avec une majorité très relative ou alors une majorité absolue pour le Rassemblement national toutes les cartes sont rebattues ?
François Bayrou : Vous vous trompez. Les institutions permettent de répondre à ces questions. Ou bien vous avez une majorité, ou bien vous constituez une majorité. Le président de la République favorise la naissance d'une majorité et une majorité en conformité avec les valeurs de la République. C'est pourquoi je dis que d'ores et déjà, dans la situation dans laquelle nous sommes, il y a la conséquence d'un changement de la manière dont nous pratiquerons nos institutions. Je ne veux pas dire gouverner autrement parce que c'est…
Arlette Chabot : C'est la tarte à la crème…
François Bayrou : Tous ceux qui interviennent dans le débat public en disant, « C'est affreux, oui, il y a quelque chose de grave qui se présente », au lieu de s'interroger sur le passé, les causes, qu'ils apportent leur pierre au combat qu'on doit conduire pour rééquilibrer notre vie politique nationale.
Arlette Chabot : C’est ce que fait François Hollande qui s'engage.
François Bayrou : Oui, il s'engage. Alors c'est rigolo. On se trouve dans une situation… Il y a des trucs dingues. En effet, comme vous disiez ou comme disait le président, il y a des trucs dingues. Vous avez une personnalité qui s'est portée candidate…
Marie Chantrait : Dans sa circonscription de Corrèze.
François Bayrou : Pour le Front de gauche avec pour engagement premier de supprimer la réforme des retraites qu'il a lui-même écrite.
Marie Chantrait : Aurélien Rousseau, le ministre de la Santé.
François Bayrou : Il a été ministre de la santé, il était directeur de cabinet de la Première ministre et il s'engage dans un parti, dans une alliance dont le premier engagement est de supprimer la réforme des retraites qu'il a lui-même écrite… Vous ne trouvez pas que ça mérite, je ne sais pas, une petite statue dans la collection des dingueries qu'on est en train de vivre
Marie Chantrait : Un peu à l'image de ce que l'on vit depuis dimanche soir 21 h.
François Bayrou, merci beaucoup d'avoir été notre invité ce dimanche.