François Bayrou : « Je serai toujours de ceux qui pensent qu'on peut s'en sortir ! »
François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, était l'invité de Benjamin Duhamel ce 24 novembre à 18h dans l'émission « C’est pas tous les jours dimanche ».
Seul le prononcé fait foi.
Benjamin Duhamel : Bonsoir François Bayrou.
François Bayrou : Bonsoir.
Benjamin Duhamel : Merci d'être avec nous ce soir dans « C'est pas tous les jours dimanche ». Président du MoDem, maire de Pau, Haut-commissaire au Plan. Dans les moments politiques troubles, je le disais il y a un instant, et je crois que nous y sommes, il faut toujours tendre l'oreille et écouter attentivement vos analyses, vos coups de semence. C'est ce qu'on va essayer de faire ce soir. Alors que depuis que le Rassemblement National a haussé le ton et menace de censurer le gouvernement, ce gouvernement Barnier vit peut-être ses dernières semaines.
Question simple pour commencer, François Bayrou, est-ce que vous pensez que Michel Barnier sera encore Premier ministre en janvier ?
François Bayrou : Je l'espère. Je pense qu'il n'y a personne de responsable dans le pays qui puisse souhaiter que tombe, que chute un gouvernement qui a été nommé il y a deux mois ; mis à part les oppositions.
Alors peut-être que vous allez me trouver un peu idéaliste, mais je pense depuis longtemps que nous sommes co-responsables : tous les citoyens, les organisations politiques et syndicales et les partis politiques de majorité et d'opposition. Bien sûr, on peut avoir des désaccords, des désaccords forts, des confrontations. Mais en vérité, nous sommes co-responsables de ce que les Français voient et entendent. Et je suis persuadé que si on les consultait, au fond d'eux-mêmes, ils ne veulent pas la perpétuelle instabilité. On a déjà connu ça à d'autres époques. Donc je souhaite qu'on ait cet esprit, qu'on fasse face aux nécessités de l'heure et aux responsabilités que des politiques et des citoyens doivent exercer.
Benjamin Duhamel : Vous dites, François Bayrou, « au plus profond d'eux, les Français ne souhaitent pas l'instabilité ». Quand ils sont interrogés, en l'espèce dans la Tribune du dimanche, ils sont une majorité, courte certes, mais une majorité, à souhaiter que le gouvernement de Michel Barnier soit censuré. Il n'y a pas un élan populaire souhaitant que Michel Barnier reste Premier ministre ?
François Bayrou : Je n'ai jamais dit ça. Mais ce sondage dont vous parlez, c'est 50-50.
Benjamin Duhamel : 53.
François Bayrou : Oui, voilà, 50-50, et sans qu'on ait approfondi les conséquences de tout ça. Donc, à mes yeux, il n'est pas responsable, et je le dis à tous les parlementaires, quels que soient leurs bords, et même leurs sentiments. Quelquefois, ils sont agacés, ils ont le sentiment de ne pas être entendus, de ne pas pouvoir s'exprimer, de ne pas porter des idées nouvelles auxquelles ils sont attachés, ou des idées personnelles auxquelles ils sont attachés, mais sur le fond, c'est un risque qu'on ne doit pas prendre.
Benjamin Duhamel : On va bien sûr décliner les risques financiers, ce qui va se passer à l'Assemblée avec cette discussion budgétaire, mais vous dites, François Bayrou, « il y a assez peu d'étonnement, je ne souhaite pas que Michel Barnier soit renversé ». Mais vous avez suffisamment d'expérience dans la vie politique pour voir que la situation est critique. Marine Le Pen dit, et ses proches expliquent qu'ils sont sur le chemin de voter la censure. Si le nouveau Front populaire et le Rassemblement national votent de concert, le gouvernement tombera. La situation est critique. Je ne vous demandais pas tant votre souhait que votre pronostic, si j'ose dire.
François Bayrou : Mon pronostic, mon souhait, c'est la même chose, j'espère. Je voudrais partager avec ceux qui nous écoutent l'idée qu'un grand pays comme la France, dans le moment de crise que nous vivons, ne peut pas se permettre des chutes de gouvernement successives. On a connu ça, ça a amené les Français à changer d'institution, à changer de république.
Benjamin Duhamel : Le risque, c'est ça ? C'est une crise de régime, si Michel Barnier est censuré ?
François Bayrou : C'est une crise en soi. Ce n'est pas une crise de régime, c'est une crise de la vie politique. Ça serait une crise de la vie politique française et il n'y a rien de plus souhaitable que de l'éviter.
Benjamin Duhamel : Sur Marine Le Pen, je le disais tout à l'heure, elle sera reçue demain matin à Matignon par Michel Barnier à 8h30 pour évoquer le budget. Est-ce qu'il faut faire des concessions à Marine Le Pen pour précisément éviter qu'elle décide de joindre ses voix à celles de la gauche et donc que le gouvernement de Michel Barnier tombe puisque la situation politique fait que c'est elle qui détient dans ses mains le sort du gouvernement de Michel Barnier ?
François Bayrou : Ce n'est pas une question d’enchère et de surenchère. C'est une seule question d'intérêt national. Et c'est pourquoi chacun peut exprimer ce qui le tracasse ou ce qui est important pour lui dans le budget. En sept ans on a réussi quelque chose de formidable. Malgré les crises incroyables et successives, on a réussi à redonner de la France l'image d'un pays favorable à l'entreprise. Et on a réussi à créer, combien ? 2 millions d'emplois ! En dépit des gilets jaunes, du Covid, de la guerre en Ukraine, de la crise énergétique et de l'inflation. On a réussi ça avec des pas en avant pour que dans le pays ça se passe mieux. Il ne faut pas qu'on accepte que tout ça soit remis en cause. Il ne faut pas qu'on accepte que simplement pour des raisons qui s'expliquent, de difficultés qu'on traverse, on remette ça en cause.
Benjamin Duhamel : Donc au fond, c'était le bien-fondant de François Bayrou, et on reviendra sur la question de Marine Le Pen, parce que vous n'avez pas tout à fait répondu à la question. Vous dites, « attention à ce budget qui risque de faire voler en éclats le bilan, notamment économique, du président de la République, c'est 7 dernières années ».
François Bayrou : Je ne parle pas du président de la République, je parle de la France. Et le président de la République, quand il en parle, il ne parle pas du président, il ne parle pas de lui-même, il parle du bilan de la nation. Le bilan de la nation, c'est ça. Il y a beaucoup de gens, c'est une tradition française depuis longtemps, qui considèrent qu'au fond, l'entreprise, c'est un contribuable comme les autres. Et pour moi, ça n'est pas un contribuable comme les autres. Pour moi, ce qui est le plus frappant, c'est que c'est là qu'on produit les richesses et qu’on perd des emplois.
Benjamin Duhamel : Donc vous dites, François Bayrou, comme Antoine Armand, le ministre de l'économie, « attention à l'impôt de trop dans ce budget » ?
François Bayrou : Ce n'est pas l'expression que j'emploie, mais je dis, le cœur du cœur de notre préoccupation, ça doit être notre économie et nos entreprises. On est dans un moment, vous voyez bien, à cause des débats multiples et variés, où il y a assez souvent un sentiment de découragement de la part, y compris des entrepreneurs. Vous voyez bien, la période est difficile en France, en Allemagne, en Europe, avec l'Ukraine, avec ce que Trump s'apprête à faire aux États-Unis, qui est une fermeture des États-Unis. La période est difficile. On a le devoir de porter non seulement de l'attention, mais un sentiment de vitalité.
Benjamin Duhamel : Sentiment de vitalité, est-ce que la copie actuelle qui est en débat au Sénat est satisfaisante eu égard à ces objectifs-là, à cet objectif que vous fixez ?
François Bayrou : Si vous connaissez la copie actuelle, vous avez beaucoup de chance.
Benjamin Duhamel : Vous ne la connaissez pas vous ?
Parce que la copie, comme vous savez, tout ça est reparti au Sénat à partir du texte initial qu'avait présenté le gouvernement qui avait été changé, amendé, renversé, tourneboulé. C'est reparti au Sénat, on va voir ce qui sort du Sénat. C'est là que la vraie discussion budgétaire aura lieu, et elle aura lieu au sein de ce qu'on appelle la commission mixte paritaire, c'est-à-dire petit groupe de sénateurs...
Benjamin Duhamel : Vous avez raison sur le flou relatif concernant la copie gouvernementale. Prenons un exemple très précis. Il y a tout un débat aujourd'hui sur la question des exonérations de cotisations. Savoir si, au fond, il faut revenir sur 4 milliards d'euros d'allègements de charges. Pour les entreprises, les macronistes souhaitent qu'on laisse tous ces allégements. Michel Barnier, le gouvernement dit, « non, il faut faire des économies », a proposé une position médiane consistant à dire sur les quatre on n'en garde que deux. Est-ce que là, par rapport à ce que vous dites sur la nécessité de protéger les entreprises, vous dites « attention à tout ce qui aboutirait à une augmentation du coût du travail ? »
François Bayrou : Les exonérations de charges sont entièrement justifiées, entièrement à défendre, dès lors qu'il s'agit des plus bas salaires. Après, on peut regarder un réglage. Et je crois, j'imagine, je pense que c'est ce que le gouvernement a à l'esprit. Mais vous voyez bien, on est en train d'entrer dans les détails. Pour moi, ce que je souhaite, c'est une orientation générale d'un pays et d'un gouvernement qui, après bien des années d'errance, respecte et soutient les entreprises et les entrepreneurs.
Benjamin Duhamel : On va essayer de dire les choses clairement. Si vous dites ça, c'est que vous considérez aujourd'hui que le discours actuel ne l'est pas suffisamment.
François Bayrou : Si je dis ça, c'est parce qu'il y a énormément de débats dans tous les sens sur ce sujet. Et pour moi, vous savez, il y a une chose qu'on oublie trop souvent : quand on parle d'économie, le budget, ce n'est pas une question d'arithmétique. C'est d'abord une question de dynamique. Est-ce qu'on peut faire repartir l'activité ? Si l'activité repart, il y aura des rentrées fiscales, et il y aura de la création d'emplois.
Benjamin Duhamel : Donc le message, François Bayrou, sur le budget, c'est « attention à ne pas casser le moteur économique ». C'est ce que vous dites ce soir ?
François Bayrou : Je le dis autrement. Priorité à soutenir les entreprises et les entrepreneurs.
Benjamin Duhamel : On continue à décortiquer ces sujets, mais je reviens à ma question initiale sur le Rassemblement national. Vous dites, « on rentre dans les détails », peut-être que la question est trop pragmatique. Comment est-ce que vous pouvez convaincre Marine Le Pen de ne pas renverser le gouvernement ? Marine Le Pen qui dit « Michel Barnier ne m'a pas écouté, moi je suis opposée à toute augmentation d'une taxe sur l'électricité, si le pouvoir d'achat des Français est renié, je censurerai ». Concrètement, comment est-ce que le gouvernement, le Premier ministre, peuvent réussir à débloquer cette situation politique ? C'est l'objet de la rencontre de demain matin.
François Bayrou : Le président de la République(..), à juste titre parce que je n'ai jamais été favorable à l'exclusion d'un parti ou d'un autre de la discussion parlementaire, et même des responsabilités parlementaires au sein du Parlement chacun doit avoir sa place. Et le groupe de Mme Le Pen, c'est le premier groupe du Parlement aujourd'hui. Et donc il est légitime qu'ils la reçoivent, ils vont échanger leurs points de vue. Mais c'est vrai que pour moi, l'essentiel, c'est le moteur. Si la voiture perd son moteur, si elle perd sa dynamique, il y a de très grands risques.
Benjamin Duhamel : On a entendu François Bayrou, des responsables de la majorité du bloc central, dire « attention si le gouvernement est censuré ». Édouard Philippe dit « crise financière ». Maude Bregeon, la porte-parole du gouvernement dans les colonnes du Parisien ce matin, dit « scénario à la grecque ». Est-ce que c'est aussi ce que vous craignez, que la censure, l'éventuelle censure, aboutisse à une crise financière ?
François Bayrou : La censure présente un risque, mais je déteste la dramatisation excessive. C'est ce qui est fait. Ça présente un risque, parce qu'évidemment, la France est fragile, et tout le monde voit que la fragilité politique s'ajoute à la fragilité économique. Et donc, on a raison de montrer les risques et les conséquences des décisions éventuelles qui seraient prises. Mais je ne pense pas et n'imagine pas qu'on puisse évoquer un scénario à la grecque. La France et la Grèce, ça n'est pas la même chose.
Benjamin Duhamel : Il y a quand même un paradoxe, François Bayrou, puisque je retiens ce que vous dites là. Vous dites que « le scénario à la grecque, c'est excessif », mais il y a cette dramatisation. Vous dites aussi, il y a quelques instants, qu'il y a un risque que le moteur, dites-vous, « ce qui est essentiel pour l'économie, soit grippé ». Qui est responsable de tout cela ? Ce ne sont pas les oppositions, c'est le président de la République et les conséquences de la dissolution. Est-ce qu'on ne passe pas un peu vite sur la responsabilité première du président de la République, qui dans le cas d'espèce a pris le risque que ce moteur-là soit grippé ?
François Bayrou : Je ne crois absolument pas à cette lecture.
Benjamin Duhamel : Ah bon ?
François Bayrou : Parce que quand le président de la République a pris cette décision, il avait à l'esprit que la dissolution et la censure devenaient inéluctables. Le moment, on peut en discuter, mais ça n'est pas le gouvernement qui l'a formé lui. C'est le gouvernement qui a été formé. Et Michel Barnier insiste beaucoup en toute indépendance et même avec une certaine distance à l'égard du président de la République.
Benjamin Duhamel : Trop grande la distance ?
François Bayrou : Non. Je vois bien que vous essayez de me pousser à des déclarations d'incendiaire. Je n'en ferai pas, je ne pense pas que ce soit le moment de faire ça. Et donc, je ne pense pas qu'il y ait de trop grandes distances, je pense qu'il est légitime dans un gouvernement, dans la période que nous traversons, qui est une période que je n'appelle pas de cohabitation, que j'appelle de coresponsabilité. Ce sont des responsables publics. Ils ne sont pas ennemis les uns avec les autres. Ils n'ont pas toujours été du même avis, mais ils ne sont pas ennemis. Vous voyez bien qu'il y a des correspondances et des proximités. Et je ne veux pas participer à une vie politique où on passe son temps à faire exploser les antagonismes.
Benjamin Duhamel : Ça, j'ai compris François Bayrou. Un mot quand même sur le fonctionnement du collectif gouvernemental. Quand un ministre de l'économie, dans le cas d'espèce, Antoine Armand, fait une grande interview dans les colonnes du Parisien en disant attention à l'impôt de trop où au fond, il met en garde contre le budget qu'il a lui-même à défendre comme ministre de l'économie. Pardon, mais là, je pense à ceux qui nous regardent et se disent la politique, c'est devenu n'importe quoi.
François Bayrou : En tout cas, c'est devenu, comment on va dire ça, prudemment. Il arrive qu'il y ait des moments d'une certaine confusion, parce que ce type d'échange... Le ministre de l'économie est jeune, très jeune et donc fougueux. Mais ce type d'échange doit avoir lieu à l'intérieur du gouvernement. On n'a pas à créer dans l'opinion le sentiment que les responsables publics seraient en désaccord. S'ils sont en désaccord, c'est la responsabilité du Premier ministre que de les mettre sur la même ligne.
Benjamin Duhamel : François Bayrou, si le gouvernement tombe - malgré tout, on est obligé de se projeter dans ce scénario - s'ouvre une grande période d'incertitude. Qu'est-ce qui peut se passer ? Le président de la République renommerait Michel Barnier, un gouvernement technique ? Certains évoquent même, j'écoutais ce matin Philippe Ballard, député du Rassemblement national, évoquer la possibilité d'une démission du président de la République.
François Bayrou : Il y a des tas de gens qui, depuis des années, rêvent de plaies et d'affrontements aussi dangereux que cela. Pourquoi il ne doit pas y avoir de démission jamais du président de la République ? Parce que s'il y avait démission d'un président de la République, son successeur, quel qu'il soit, serait immédiatement poussé dans les cordes pour l'amener à une démission aussi. Je me souviens très bien des impopularités successives. Je me souviens d'avoir vu ma circonscription et ma ville placardées d'affiches sur lesquelles était écrit « François Hollande n'est pas mon président » Il faut que le président soit le président du pays. Il est la clé de voûte. Il est fonctionnellement la fonction de président de la République, c'est ce qui assure la stabilité et, comme dit la Constitution, le fonctionnement régulier des institutions.
Benjamin Duhamel : S'il est la clé de voûte des institutions, je repose ma question, que se passe-t-il si Michel Barnier tombe ? Pas de dissolution possible avant juillet prochain. C'est quoi ? Là encore, je pense à ceux qui nous regardent et qui, sans doute, sont inquiets quant à la situation politique.
François Bayrou : Vous avez énoncé des options. On peut accorder du crédit ou pas de crédit à ces options. Le président a la faculté de renommer le même gouvernement ou le même Premier ministre. C'est peut-être une option...
Benjamin Duhamel : C'est une option... Raisonnable ?
François Bayrou : Institutionnelle.
Benjamin Duhamel : Raisonnable ?
François Bayrou : Je n'ai pas dit que c'était celle qui serait crédible, je ne le crois pas.
Benjamin Duhamel : Ah, et ce ne serait pas crédible de renommer Michel Barnier si Michel Barnier tombait ?
François Bayrou : C’est possible. Ça dépend de ce que le Premier ministre et le Président de la République... Mais ce n'est pas évidemment la réponse. Il y a une deuxième réponse : gouvernement technique, comme vous avez dit. Ça, je n'y crois pas beaucoup parce que je n'ai jamais vu un gouvernement technique. Un gouvernement, c'est par nature politique. Le gouvernement, il décide pour le pays et avec le pays. Et ou il nomme un nouveau gouvernement. Ça fait trois options.
Benjamin Duhamel : S'il nomme un nouveau gouvernement, François Bayrou, Emmanuel Macron a fait le choix de regarder vers la droite en nommant Michel Barnier. Si Michel Barnier échoue, Emmanuel Macron pourrait regarder... du côté, par exemple, du Bloc central. Je ne vais pas vous demander si vous souhaitez être Premier ministre, puisque sans doute vous ne me répondrez pas, mais est-ce qu'à minima vous êtes disponible si Michel Barnier tombe pour être Premier ministre et former un éventuel gouvernement ?
François Bayrou : Tout à l'heure, dans le couloir, vous m'avez dit je suis content de vous recevoir parce que chaque fois que vous venez chez moi, vous donnez un scoop.
Benjamin Duhamel : Un scoop ? Non, mais c'est vrai que vous avez l'habitude de ne pas faire de langue de bois, donc c'est un bon test.
François Bayrou : Si je disais que non, jamais je ne serais pas à la hauteur des responsabilités qui sont les miennes. Mais si vous traitez cette question en passant par les uns ou les autres, les personnalités des uns ou des autres, vous vous condamnez à la catastrophe. Écoutez-moi bien, on en crève des guerres d'égo.
Benjamin Duhamel : Très bien François Bayrou, mais je retiens quand même un, que vous ne dites pas je ne suis pas disponible ça veut donc dire que…
François Bayrou : Je suis un citoyen qui fait de la politique qui fait de la politique dans sa ville, dans sa région et dans son pays.
Benjamin Duhamel : Et donc, puisqu'on ne fait pas de guerre d'égo, on va aller sur le fond. La question qui se pose, François Bayrou, c'est est-ce que vous avez des idées quant à la possibilité, si vous étiez nommé, de faire en sorte de débloquer cette situation politique qui est totalement sclérose ? Et si vous vous retrouvez au mois de janvier à la place de Michel Barnier, est-ce que vous avez une idée de la façon de conduire les affaires du pays pour que ça marche mieux ?
François Bayrou : Je pense que la situation est débloquable. Je l'ai dit à Michel Barnier en son temps, je pense qu'elle ne peut être débloquée que par un gouvernement large dans son inspiration. Et je l'ai dit en son temps à Michel Barnier et au président de la République, mais c'est une manière, présenter les choses comme ça, c'est une manière de dire je ferai mieux. Et moi je ne dis pas ça.
Benjamin Duhamel : Vous feriez différemment ?
François Bayrou : Peut-être, mais aujourd'hui... Je dis la priorité des priorités, c'est qu'on ne plonge pas le pays dans le chaos, que le Premier ministre puisse s'appuyer sur les forces qui participent à son gouvernement. Je n'ai pas dit qu'il le soutienne, parce qu'il arrive parfois qu'il y ait des forces qui participent et ne soutiennent pas.
Benjamin Duhamel : Mais donc vous n'excluez pas à François Bayrou une situation où, par la force des choses, vous vous retrouvez appelé à gouverner au Montpellier ?
François Bayrou : Si vous m'avez invité à cette émission intéressante pour me faire dire ce que vous avez envie que je dise. Vous allez vous tromper parce que ce n'est pas mon état d'esprit. Mon état d'esprit est, je ne sais pas si vous le ressentez, est de gravité devant les choses qui se passent, à mesurer des risques qui sont des risques considérables et à vouloir aider et pas remplacer.
Benjamin Duhamel : Mais je crois que la gravité de la situation fait aussi écho à la possibilité que des personnalités puissent se dire disponibles. Et vous faisiez référence à la discussion qu'on avait dans le couloir juste avant cette émission, c'est vrai que vous avez toujours répondu avec beaucoup de franchise sur vos ambitions, qu'elles soient pour Matignon ou pour les élections présidentielles à venir. Et donc, je constate que ce soir, vous ne dites pas la phrase telle qu'elle, mais qu'en tout cas, vous dites la situation est débloquable et les choses veulent dire ce qu'elles veulent dire.
François Bayrou : Alors, arrêtons-nous une seconde. Nous vivons dans un pays, à l'heure où nous sommes, dans les jours où nous sommes, qui est envahi de désespérance et de fatalisme. Et les gens baissent les bras. Et ils passent leur temps à se rencontrer quand ils se croisent et à dire ça va mal et on ne voit pas comment on peut en sortir. Je pense exactement le contraire. Je pense que le devoir d'un responsable public, c'est au contraire de porter une espérance pour ceux avec qui, pour ceux qu'il représente. C'est de porter une vitalité, de dire écoutez, arrêtez, la France a traversé des périodes plus sombres, plus dangereuse que celle-là, et on s'en est sorti. Et donc, je serai constamment du côté de ceux qui pensent que, oui, on va s'en sortir, que oui, le chemin existe, et que oui, les décisions peuvent être prises.
Benjamin Duhamel : À bon entendeur. Quelques questions d'actualité, François Bayrou. L'actualité parlementaire, c'est cette proposition de loi portée par la France Insoumise qui fait polémique, qui veut abroger le délit d'apologie du terrorisme et considère que la loi de 1881 suffit. Au motif que ce délit, disent-ils, empêcherait la liberté d'expression au nom de la lutte contre le terrorisme. Est-ce que ça vous choque, cette proposition de loi ?
François Bayrou : C'est un scandale et c'est un scandale insupportable. On vit dans un monde, on en voit tous les jours les événements, on vit dans un monde dans lequel cette violence, cette haine et ce terrorisme s'imposent chaque jour un peu plus. Et quel est le message derrière cette proposition-là ? Le message, c'est pas si mal que ça, et nous, on est de votre côté.
Benjamin Duhamel : C'est pas ce que disent les responsables de la France Insoumise. Ils disent, au fond, ce délit, il est utilisé pour criminaliser un certain nombre de prises de parole politiques.
François Bayrou : Vous connaissez, c'est très simple, c'est ce verbe chinois, ce qui dit quand le sage montre la lune, l'imbécile regarde le doigt. C'est un message évidemment destiné à entrer en résonance avec des gens qui sont extrémistes et qui ne renient pas la violence.
Benjamin Duhamel : Une autre question sur l'actualité parlementaire, ce qui va se passer jeudi à l'Assemblée nationale, la France Insoumise va utiliser ce qu'on appelle la niche parlementaire pour soumettre aux voix l'abrogation de la réforme des retraites. Et on lit ici ou là que le socle commun, vos députés par exemple, les députés du MoDem, participeraient collectivement à une volonté d'éviter qu'il y ait un vote.
François Bayrou : Ils ont raison.
Benjamin Duhamel : Ah, il ne faut pas qu'il y ait un vote, c'est-à-dire quitte à faire de l'obstruction…
François Bayrou : Franchement, l'obstruction parlementaire sur la réforme des retraites, combien on a eu de milliers d'amendements ?
Benjamin Duhamel : Et vous ne cessiez de dénoncer sur tous les plateaux que c'était un comportement pas acceptable. Et donc là, vous vous apprêtez à faire la même chose.
François Bayrou : Ce n'est pas vrai. On ne peut pas accepter qu'une question aussi grave que celle de la réforme des retraites, qui est en liaison avec les finances publiques, on ne peut pas accepter qu'une question comme celle-là soit traitée par surprise à l'improviste.
Benjamin Duhamel : Par surprise… la niche parlementaire insoumise est prévue depuis plusieurs semaines. Donc ça veut dire que vous nous dites qu'il faut faire de l'obstruction pour éviter qu'il y ait un vote et que la réforme soit abrogée.
François Bayrou : Non, je pense que ce que les parlementaires vont faire en empêchant un vote par surprise est absolument fondé. On ne peut pas résoudre une question comme ça. C'est une question...
Benjamin Duhamel : Il y a une majorité à l'Assemblée nationale qui est opposée à cette réponse d'après François Bayrou.
François Bayrou : C'est une question qui se posera. Je suis absolument persuadé que la question des retraites est une question clé. Est une question clé, y compris pour résoudre plus largement la question des finances publiques.
Benjamin Duhamel : Attendez, je m'arrête là-dessus. Vous dites qu'il est fondé d'empêcher qu'il y ait un vote, dites-vous par surprise, mais il y a une majorité à l'Assemblée nationale qui est opposée à cette réforme ?
François Bayrou : Il y a peut-être une majorité, mais la question est que les mécanismes parlementaires font qu'on ne peut pas résoudre une question comme celle-là en 12 heures de temps. Ça, ça serait de nature à provoquer des crises. C'est une grande question
qu'on ne peut trancher qu'avec les citoyens.
Benjamin Duhamel : Deux questions encore rapidement, François Bayrou. La première sur le Rassemblement national, suspendu à une décision de justice, qui pourrait empêcher Marine Le Pen, en cas de condamnation à une peine d'illégibilité, de concourir à l'élection présidentielle.
François Bayrou : En cas de condamnation avec exécution provisoire.
Benjamin Duhamel : Absolument. Est-ce que ce serait un problème démocratique si elle ne pouvait pas concourir en 2027 ?
François Bayrou : C'est un sujet sur lequel, vous le comprendrez, je m'exprime avec réserve et en pesant ce que je dis. Pourquoi ? Parce que nous avons été, nous-mêmes, j'ai été, moi-même, sept ans d'enquête et d'instruction et un procès qui a duré le même temps que celui du Rassemblement national pour finir par obtenir une relaxe. C'est pas évident d'obtenir une relaxe quand on est chef de parti et qu'on est ciblé par des accusations comme celles-là. Donc je m'exprime avec prudence. Je pense que tout le monde dans cette affaire est prisonnier des mots. On s'est laissé entraîner à mettre sous les mêmes termes des réalités complètement différentes. Et on n'a pas su le dire. Alors, parce que je suis passé et que j'ai obtenu une relaxe, je peux le dire. On dit « détournement de fonds publics ». Et quand on dit détournement de fonds publics, tout le monde pense à l'action publique : l'école, construire des écoles, des universités, payer des... C'est pas vrai. Les fonds dont il s'agit ne sont pas des fonds d'action publique. Ce sont des fonds dont le but est exclusivement le soutien aux parlementaires, le soutien à l'action des parlementaires. Et qu'est-ce qui soutient les parlementaires ? Quelle est l'organisation qui soutient les parlementaires ? C'est les partis politiques auxquels ils appartiennent.
Benjamin Duhamel : C'est important, François Bayrou, parce que là encore, pour ceux qui nous regardent, donc au fond, vous souscrivez à la défense qui a été celle du Rassemblement national et de Marine Le Pen pendant le procès, qui est de dire qu'il n'y a pas de détournement de fonds publics, il y a simplement, au fond, une différence de vision administrative dans la façon dont les fonds... alloués aux assistants parlementaires sont utilisées ?
François Bayrou : Je ne souscris pas, je n'aime pas l'injustice, même quand elle est faite à mes adversaires.
Benjamin Duhamel : Et donc Marine Le Pen subit une injustice ?
François Bayrou : Je pense qu'on s'est tous laissés emprisonnés dans une utilisation qui est fallacieuse ou fausse, ou déplacée ou biaisée des mots détournements de fonds publics. Les fonds dont il s'agit... ne peuvent être utilisés qu'au soutien de l'action des parlementaires. Et les parlementaires. Et un parlementaire, il est élu par son parti politique, il est élu parce qu'il porte l'étiquette de son parti politique, et il ne peut être réélu que parce que son parti politique le soutiendra. Et précisément, et en plus, quand vous êtes un parlementaire minoritaire, vous n'avez qu'un seul soutien. C'est le parti politique auquel vous appartenez. Et donc, je pense qu'on s'est laissé aller à désigner par des mots infamants une réalité sur laquelle on peut avoir des divergences administratives ou politiques, mais qui ne relèvent pas de cette qualification infamante. Et d'ailleurs, j'ai une preuve, c'est qu'il n'y a aucun autre pays de l'union dans laquelle il y a eu des procès comme ça.
Benjamin Duhamel : François Bayrou, c'est intéressant ce que vous dites, parce que là, pour le coup, c'est une voix quelque peu dissonante par rapport à ce qu'on peut entendre dans votre socle commun bloc central. Compte tenu de ce que vous venez de nous dire, je repose la question. Est-ce que ce serait un problème, compte tenu encore une fois de cette injustice, ouvrez les guillemets, que vous semblez dénoncer, que Marine Le Pen soit frappée d'une peine avec exécution provisoire et donc soit empêchée de concourir à l'élection présidentielle ?
François Bayrou : Ce qui serait un problème, c'est l'exécution provisoire. Il y a eu plusieurs élus, il y en a eu dans mon équipe, qui ont été condamnés avec exécution provisoire, c'est-à-dire sans pouvoir faire appel de la décision. Or, dans une démocratie, on doit pouvoir faire appel de toutes les décisions. Et comme vous savez, j'ai combattu le Front National sans aucune interruption, à toutes les élections et dans tous les débats. Parce que je ne partage pas ses idées et je partage encore moins ses arrière-pensées. Mais je pense que la situation qui serait ainsi faite est une situation dans laquelle un certain nombre de citoyens, pas tous, parce qu'il n'y a pas eu le mouvement d'indignation que beaucoup attendaient, mais un certain nombre de citoyens considèreraient qu'il y a quelque chose qui biaise la vie démocratique.
Benjamin Duhamel : Cela biaiserait la vie démocratique et l'élection présidentielle de 2027 si Marine Le Pen ne pouvait pas y concourir.
François Bayrou : Non mais l'élection présidentielle de 2027 c'est un autre temps que le temps judiciaire immédiat.
Benjamin Duhamel : Un tout dernier mot, François Bayrou, puisque j'ai coutume de vous poser cette question quasiment à chaque fois que vous venez, mais la suite dans les idées. Ce week-end, il y a le congrès de Renaissance, Gabriel Attal va être élu, il est seul candidat, ça aide. Se posent des questions sur éventuellement les modes de désignation d'un candidat en 2027, on parle aussi de l'ambition éventuelle du ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, est-ce que vous êtes toujours au clair sur votre volonté de porter les idées du MoDem du centre à l'électeur présidentiel ?
François Bayrou : Vous avez dit tout à l'heure que chaque fois que vous venez, je vous pose la même question et au fond, vous avez la même réponse, c'est que vous ne renoncez à rien. Donc vous avez fait la question et la réponse, et ça suffit pour que vos téléspectateurs, pour que ceux qui vous écoutent comprennent ce que j'ai à l'esprit. C'est simple, je suis engagé pour l'avenir de mon pays depuis des années et jusqu'au bout de mes engagements, de mes mandats. Et ce n'est pas parce que je suis un élu, ce n'est pas parce que je suis président, c'est parce que je suis un citoyen. Un citoyen, c'est quelqu'un qui ne dépose jamais les armes, qui ne laisse pas tomber ses espoirs, ses idéaux et ses indignations.
Benjamin Duhamel : Peut-être donc en janvier à Matignon ou plus tard dans une éventuelle candidature à l'élection présidentielle. Merci François Bayrou d'avoir été l'invité de « C'est pas tous les jours dimanche ».