François Bayrou : "Je suis pour un gouvernement hors extrêmes"
François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, était l'invité de Jeff Wittenberg dans Les 4 Vérités ce vendredi 5 juillet à 8h15 sur France 2.
Seul le prononcé fait foi.
Jeff Wittenberg : Bonjour François Bayrou.
François Bayrou : Bonjour.
Jeff Wittenberg : Merci d'être avec nous ce matin. La France, dans 2 jours, lorsque les électeurs auront rendu leur verdict, sera peut-être ingouvernable, faute de majorité claire à l'Assemblée nationale. Comment proposez-vous d'y remédier ?
François Bayrou : Alors, on est à l'heure de vérité et beaucoup d'électeurs qui sont aussi téléspectateurs savent désormais qu'ils vont devoir faire un choix. Il faut prendre les questions dans l'ordre. La première question, c'est, est-ce qu'on serait prêt à accepter que le Rassemblement national ait la majorité absolue à l'Assemblée nationale ?
Jeff Wittenberg : Ce n’est pas ce qu’annoncent les sondages aujourd’hui.
François Bayrou : Oui, mais ceci dépend du choix de chaque électeur. Et cette semaine, on a découvert un certain nombre de choses absolument révélatrices. Des candidats « fantaisistes » est un mot faible, sulfureux, inquiétants, désordonnés. Certains qui ont organisé des prises d'otages, d'autres de ces candidats-là qui n'ont même pas leur photo sur les affiches. Tout le monde voit bien que ce n'est pas une majorité pour la France.
Deuxièmement, on a découvert que la Russie était directement engagée avec une déclaration officielle du ministère des Affaires étrangères. Derrière…
Jeff Wittenberg : Il n'y a pas de candidat RN pour vous répondre, Monsieur Bayrou, si vous voulez bien…
François Bayrou : C'est un choix pour les citoyens qui nous écoutent…
Jeff Wittenberg : Mais dans la 2e hypothèse, le RN n'obtient pas de majorité absolue, que préconisez-vous ?
François Bayrou : Il faudra que les responsables se conduisent en responsable, se conduisent en adulte, c'est-à-dire que chacun voyant la situation de difficulté du pays, accepte de faire un pas vers l'autre et accepte qu’avec des opinions, à l'origine, différentes, on doive absolument faire face et répondre aux problèmes cruciaux qui se posent pour le pays.
Jeff Wittenberg : Donc une coalition, un gouvernement...?
François Bayrou : Alors je ne parle pas de coalition, parce que « coalition », c'est des négociations de parti et je ne suis pas sûr que ça soit le mot qui conviendrait.
Jeff Wittenberg : Alors quel mot pour qualifier ce gouvernement qui émanerait de ce Parlement ?
François Bayrou : Un gouvernement d'entente républicaine qui aura plusieurs buts. Le premier de ses buts, c'est la paix civile. On a besoin d'apaisement et beaucoup de Français le ressentent. On a besoin de volonté, d'équilibre et de modération dans les choix qu'on doit faire. Et on a besoin de courage partagé. On ne va pas laisser le pays ingouvernable ou ingouverné. On ne va pas rester comme tant d'autres pays pendant des semaines et des mois sans équipe gouvernementale. Donc, c'est la responsabilité de chacun de ceux issus des courants républicains du pays.
Jeff Wittenberg : C'est-à-dire ? Par exemple, ça peut aller du Parti communiste que vous rangez dans ce courant jusqu'à la droite républicaine entre guillemets ?
François Bayrou : Je suis pour un gouvernement hors extrême.
Jeff Wittenberg : C'est quoi les extrêmes ?
François Bayrou : Vous savez bien, c'est d'un côté le Rassemblement national, de l'autre LFI.
Jeff Wittenberg : Donc, tous les autres, vous les voyez dans un même gouvernement ? Ça ne s'est jamais vu sous la Ve République, Monsieur.
François Bayrou : Mais vous savez, la situation dans laquelle nous risquons d'être, ne s'est jamais vue. C'est du jamais vu que l'extrême droite ait la majorité absolue, que les grands courants démocratiques du pays soient obligés de s'entendre. Et c'est ce qui, pour moi, est important. On ne parle plus de préférence, on ne parle plus de nuances. On parle du devoir que chacun de ceux qui incarnent un courant du pays a, de se rapprocher, de s'entendre, de se respecter et de décider ensemble d'une ligne.
Jeff Wittenberg : Monsieur Bayrou, est ce que vous en avez parlé avec le président de la République ? On sait que vous êtes très proche de lui.
François Bayrou : Je ne parle, je ne raconte jamais ce à propos de quoi j'échange avec le président de la République.
Jeff Wittenberg : Est-ce que c'est un scénario auquel lui, il adhère, d'un gouvernement…
François Bayrou : Ce n'est pas un scénario auquel il pourrait adhérer, c'est un scénario que les Français peuvent imposer par leur vote. Ils ont 2 choix : extrêmes ou obligations des autres de s'entendre.
Jeff Wittenberg : Qui pour diriger un tel gouvernement ?
François Bayrou : Monsieur, c'est le président de la République, ce sont les sensibilités politiques qui le verront.
Jeff Wittenberg : Est-ce que vous-même vous pourriez y participer ou diriger un tel gouvernement ?
François Bayrou : Monsieur, je suis là pour aider. Je ne suis pas là pour imposer ou pour avoir un intérêt personnel ou de carrière. Tout ceci n'est pas important pour moi.
Jeff Wittenberg : Vous l’excluez, de participer à un tel gouvernement ?
François Bayrou : Je n'exclus rien de ce qui peut aider. Je n'exclus rien de ce qui peut rapprocher. Et je n'exclus rien de ce qui peut faire partager une volonté pour le pays.
Jeff Wittenberg : Sur des sujets très concrets comme l'immigration, l'assurance-chômage, la réforme des retraites, les positions entre la droite et la gauche, que vous incluez dans cet arc républicain, que vous décrivez, elles sont diamétralement opposées ? Comment on va faire si le scénario se produit concrètement ? Gouverner, faire des choix, faire des réformes ?
François Bayrou : Elles sont diamétralement opposées dans le monde d'hier. Dans le monde qui, le 9 juin, a basculé....
Jeff Wittenberg : D'accord, mais par exemple sur l'immigration ? Parce que la gauche et la droite, ce n'est pas du tout la même doctrine.
François Bayrou : Mais parce que vous, vous raisonnez toujours en gauche et droite. Permettez-moi de vous rappeler que je suis un responsable politique du centre et que j'ai toujours pensé que l'affrontement systématique entre gauche et droite, et d'ailleurs l'affrontement systématique entre clans, n'est pas sain pour le pays….
Jeff Wittenberg : Donc on s'est toujours penché sur les sujets…
François Bayrou : …que des compromis existaient ou des approches différentes pouvaient être.
Jeff Wittenberg : Sur l'assurance chômage, c'est très concret. Il y a la gauche qui veut ne pas la modifier, et ce, jusqu'à cette suspension ; le centre, vous-même, Gabriel Attal, qui avez proposé une réforme. Comment on fait concrètement demain si un tel gouvernement se met en place ?
François Bayrou : La réforme sera indispensable et elle devrait être issue d'une manière nouvelle de voir les choses. Et les partenaires sociaux qui n'ont pas réussi à se mettre d'accord, eux aussi vont être placés devant leurs responsabilités. Parce que je suis persuadé que ce qui est en gestation, ce qui va naître à partir de cette période, c'est une manière différente, obligatoire de voir les choses autant pour la démocratie sociale que pour la démocratie…
Jeff Wittenberg : La gauche veut revenir sur la réforme des retraites. Il faudra qu'elle mange son chapeau là-dessus si elle veut participer à un gouvernement ?
François Bayrou : La réforme des retraites, elle n'est pas entre les mains des responsables politiques. La réforme des retraites, elle est entre les mains de ceux qui financent les retraites. Et comme vous savez, je suis souvent intervenu dans ce débat. Il y a des chiffres qui nous mettent devant nos responsabilités, que nous soyons de gauche, du centre ou de droite. Les chiffres n'ont pas de couleur politique et la responsabilité ne peut pas être éludée.
Jeff Wittenberg : En attendant cet éventuel gouvernement que vous appelez de vos vœux, le parti Renaissance, le parti Horizon et le MoDem que vous dirigez ont perdu beaucoup de députés dimanche. Est-ce que vous êtes favorable à la création d'un parti unique qui permettrait de faire un bloc plus important à l'Assemblée nationale ?
François Bayrou : Non. Je n'ai jamais pensé que faire un parti unique était la solution, je l'ai refusé en d'autres temps à d'autres responsables politiques majeurs. Mais je pense qu'il peut y avoir des manières nouvelles et plus rapprochées, plus rassembleuses de dessiner ensemble un destin du pays.
Jeff Wittenberg : Merci beaucoup François Bayrou, président du MoDem. Les prochains jours, nous verrons si vos scénarios se réalisent. Merci.