François Bayrou : « La responsabilité du centre est de rassembler »
François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, était ce dimanche 25 août, à 19h30, l'invité de Darius Rochebin sur LCI.
Seul le prononcé fait foi.
Darius Rochebin : La France à la recherche d'un Premier ministre et d'un gouvernement qui puisse survivre à une motion de censure. Vous êtes avec nous, François Bayrou. Merci beaucoup d'être notre invité de rentrée sur LCI. Bonsoir, merci.
François Bayrou : Bonsoir.
Darius Rochebin : Merci d'être là. Les images qui rappellent les consultations. Après la gauche, après les LR, après le camp présidentiel, ce sera le tour du Rassemblement national et de son allié, le mouvement d'Éric Ciotti. Vous êtes un personnage clé de la recomposition qui est en cours. On va parler du fond, des programmes possibles dans un instant, du gouvernement qui l'incarnerait. D'abord, l'évènement immédiat c'est cette manœuvre, ou cette offre de bonne foi, comme on voudra, hier sur TF1, Jean-Luc Mélenchon dit « s’il n’y a pas de ministre LFI, alors est-ce que vous renoncerez à censurer un gouvernement dirigé par Lucie Castets ?», que lui répondez-vous ?
François Bayrou : Jean-Luc Mélenchon connaît très bien la réponse. C'est une blague et il est parfaitement conscient du tour de passe-passe qu'il essaie de faire. L'opposition à la formation d'un gouvernement autour de LFI, ça n'est pas du tout pour des questions d'étiquette, ce n’est pas pour des questions de personnalité seulement, ni même de style. Encore que le style soit souvent agressif et offensant. Mais c'est principalement en raison du programme qui est annoncé et ce programme-là est un programme dangereux pour le pays et dangereux immédiatement. On n'a pas le temps de consulter, d'essayer de trouver des accords puisque le NFP dit « Notre programme, tout notre programme et rien que notre programme ». Et dans ce programme, il y a des choses extrêmement lourdes, extrêmement graves. Je vais essayer d'en indiquer quelques-unes. Le fait qu'on supprime toutes les mesures qui visent à réguler l'immigration et à empêcher l'immigration générale : non seulement ces mesures sont dangereuses, mais on y ajoute le fait qu’on rétablit le droit du sol « intégral », disent-ils. Droit du sol intégral, ça veut dire qu'un enfant, un bébé qui naît en France, est Français automatiquement. Et comme on ne peut pas expulser les parents d'un enfant français, ça veut dire que vous ouvrez absolument les barrières à l'immigration au lieu de réfléchir à la manière dont on peut réguler et faire en sorte que, pour ceux qui le doivent, du point de vue du droit ou pour ceux qui le méritent, on peut avoir une régularisation. Là, au contraire, vous ouvrez grand, absolument toutes les portes et toutes les vannes. Et ceci est un grave accident. Et c'est la même chose pour toutes les mesures d'augmentation de la dépense publique. On est déjà dans un pays qui a des problèmes de budget, très importants.
Darius Rochebin : François Bayrou, on va revenir, si vous le permettez, à ces détails de programme et ce qui est acceptable ou non et pour quelle coalition. Mais pour rester un instant encore sur l'hypothèse de Madame Castets, votre réponse aussi à ceux qui disent, on les entend parfois, en dehors de LFI, en dehors de la gauche disant « Il faudrait lever l'hypothèse ». Voilà il y a une candidature, enfin, ce n’est pas une candidature, on n'est pas candidat mais « un gouvernement Castets qui irait à la censure et au moins, ça clarifierait les choses. Ils survivent ou ils ne survivent pas ». Que dire à cela ?
François Bayrou : Mais, ce raisonnement est basé sur des prémices inacceptables. L'affirmation de base, c'est que le NFP aurait gagné cette élection, aurait la majorité. Il se trouve que le NFP a 1/3 des sièges, les 2/3 des sièges sont contre lui. Et donc l'idée qu'il aurait gagné est une idée absurde et de surcroît, comme vous le savez, puisque la question du second tour était de refuser que l'extrême droite ait la majorité absolue à elle toute seule, le NFP n'a pas été élu que par des voix qui étaient pour son programme et ses candidats, même si on ne connaissait pas Madame Castets. Le NFP a été élu par les voix de tous ceux de bonne foi, les citoyens français qui voulaient empêcher que l'extrême droite ait la majorité absolue. Donc il y a un abus de confiance, une tentative de changer le sens de cette élection et il n'est absolument pas vrai que le NFP ait gagné cette élection. Au demeurant, ils le savent très bien. Mais alors évidemment, c'est la tactique du moment d'essayer de tendre un piège.
Darius Rochebin : Alors François Bayrou, est-ce qu'il est temps d'aller plus vite, c'est-à-dire de nommer un Premier ministre, comme ça se fait, en fait, dans beaucoup de démocratie aux chefs d'État : ils nomment un Premier ministre qui essaye de former un gouvernement et les choses se clarifient plus vite. Les gens disent « oui, je suis d'accord, je ne suis pas d'accord d'être ministre » plutôt que d'avoir cette longue attente à laquelle on assiste ?
François Bayrou : Comme vous le savez, je suis favorable à ce qu'on change la démarche dans laquelle on est maintenant et dans laquelle on s'est enfermé. Cette démarche, c'est de croire, de laisser penser, qu’il fallait l'accord des partis politiques et des groupes à l'Assemblée nationale pour former un gouvernement. Or, notre Ve République, ce n'est pas ça. C'est l'idée que les groupes politiques et les partis politiques ne s'entendent presque jamais, ou pour ainsi dire jamais et, qu’il faut que ce soit le président de la République, élu par tous les Français, qui assume ce devoir de choisir une personnalité qui puisse rassembler le plus possible les courants, les idées, les sensibilités. Ça ne passe pas par les accords politiques, ça passe par une décision de rassemblement. Et j'espère, je crois, que cette idée, dont j'avoue qu'elle est assez minoritaire depuis quelque temps dans la vie politique française, s'imposera nécessairement.
Darius Rochebin : Pardon, François Bayrou, expliquez-nous bien, ça veut dire que demain soir, par exemple, on dit que le président de la République pourrait s'exprimer. Est-ce que c'est le cas ? Est-ce que c'est souhaitable ? Est-ce que c'est prévisible ?
François Bayrou : C'est nécessaire. Le président de la République a dit aux Français, « Je vais consulter toutes les forces politiques représentées au Parlement issues de cette élection ». Il l'a fait, j'imagine, et je trouve normal qu'il vienne devant les Français leur dire « Voilà le constat, voilà le résultat de ces consultations ». Est-ce que ça mettra fin à ce processus ? Je ne le crois pas. Je pense qu’il va aussi consulter un peu plus largement, je ne sais pas, des personnalités, des corps du pays, des sensibilités particulières du pays ou des personnalités qui ont un parcours particulier. Il va essayer de dégager une solution crédible.
Darius Rochebin : Est-ce que ça veut dire que vous voyez déjà, LA ou LES personnes qui pourraient rassembler, puisqu’on comprend bien que c'est votre idée, depuis le parti socialiste, jusqu'aux LR ou une partie des LR ?
François Bayrou : Oui, et puis des sensibilités non étiquetées. Ce que je crois, c'est que pour faire une espèce de définition de ce gouvernement, il faut qu'il soit formé de personnalités expérimentées, parce que la situation dans laquelle nous sommes ne permet pas des improvisations et des découvertes de fonctions absolument essentielles. Vous ne confieriez pas, on ne confierait pas les dents de sagesse de notre fils ou de notre fille à un chirurgien qui n'aurait jamais opéré. Or, ça, ce que nous avons à vivre comme pays, c'est beaucoup plus important qu'une opération des dents de sagesse. C’est beaucoup plus difficile. Ça demande de l’expérience.
Darius Rochebin : Est-ce que ça veut dire François Bayrou, soyons précis, s'il vous plaît, des personnalités, des poids lourds politiques ou ça peut être des techniciens ? Parce que vous dites « des personnes d'expérience », certains disent, « Ah, pourquoi pas des gouvernements techniciens ».
François Bayrou : Je ne crois pas aux techniciens. Il y aura forcément des techniciens dans le gouvernement, il peut y en avoir, mais la fonction de chef du gouvernement, il suffit de prononcer l'énoncé de cette mission, c'est une fonction éminemment politique, quel que soit le profil et les antécédents.
Darius Rochebin : Soyons clairs, je ne vais pas vous isoler là-dedans, mais le portrait que vous venez de faire, c'est vous.
François Bayrou : Pas du tout, parce que le président de la République a dit qu'il cherchait des sensibilités différentes de la majorité. Alors il l'a dit, on a cru le comprendre, certains l'ont compris de cette manière-là…
Darius Rochebin : Vous êtes un peu différent. Allez, on peut jouer sur les mots : vous êtes un peu un petit peu différent.
François Bayrou : Comprenez-moi, le moment est suffisamment grave pour qu'on ne cherche pas des avantages personnels. En revanche, ce que je sais et ce que je crois, c'est que oui, cette élection et les années qui se sont écoulées appellent un changement profond de démarche et de méthode, appellent à rechercher une manière nouvelle de rencontrer les Français…
Darius Rochebin : François Bayrou…
François Bayrou : …se faire entendre d'eux. De parler la langue de leur vie et pas la langue des milieux politiques, qui sont trop souvent isolés du terrain.
Darius Rochebin : Monsieur Bayrou, je ne veux surtout pas réduire les choses à des combines de partis, mais ça passe aussi par là. En gros, il y a quand même 2 tendances et une ouverture plutôt sur la droite ou plutôt sur la gauche. Est-ce qu'à droite, c'est possible ? Chez les LR, on articule des noms, des Xavier Bertrand, Michel Barnier, Valérie Pécresse. Est-ce qu'il y a là, un potentiel ?
François Bayrou : Monsieur Rochebin, vous êtes vraiment tombé sur le mauvais interlocuteur, parce que toute ma vie, j'ai plaidé pour qu'en France, un centre s'affirme et qui soit un centre ouvert mais indépendant de la droite et de la gauche. Si vous passez votre temps à ramener l'engagement des femmes et des hommes du centre, à « est-ce que vous êtes à gauche ou est-ce que vous êtes à droite ? », ça n'a pas de sens. J'ai souvent utilisé une image qui est, peut-être, très limitée. Les gens disaient « mais Monsieur, vous êtes au centre, mais à droite ou à gauche ? » et je répondais « Monsieur, quelles sont les couleurs du drapeau français ? ». La personne est un peu interloquée, elle répond « bleu blanc rouge » et je dis « Et le blanc, il est bleu ou rouge ? ». Il se trouve que, c'est très important, nous sommes entrés dans le temps du pluralisme. Vous le savez bien, sur vos antennes, vous ne pouvez pas vous contenter d'inviter 2 sensibilités. Alors il faut trouver un gouvernement ouvert, central, large, qui sera capable de réunir des personnalités dont le parcours est à droite et des personnalités dont le parcours est à gauche, et même franchement à droite et même franchement à gauche, et qui acceptent de travailler ensemble parce qu’ils s’estiment.
Darius Rochebin : Mais ça veut dire quoi ? François Bayrou, pardon encore d'insister, mais évidemment ça passe aussi par des personnes. La politique est affaire d'incarnation. Il n’y a pas un si grand nombre de poids lourds politiques qui correspondent à votre descriptif. Il y a vous, Bernard Cazeneuve... Vous le mettez dans la série ?
François Bayrou : Oui.
Darius Rochebin : Il est un de ceux qui peuvent, diriger même, ce gouvernement ?
François Bayrou : C'est une personnalité que, en tout cas moi, j'estime et qui est estimée très largement dans les courants politiques du pays. Et y en a d'autres, j'en suis sûr. Pas pléthore, pas foule, bien sûr, parce que le parcours qu'il faut pour avoir fait la preuve de ce qu’on est capable de porter, de dire et de faire….Mais il y en a d'autres, je ne limite pas le nombre de ceux qui peuvent faire ça. Je sais que les qualités sont des qualités qu'on ne peut pas éluder, qu'on ne peut pas oublier. On ne peut pas improviser des parcours politiques dans un moment aussi important que celui-là. Vous sentez bien, il n’y a pas beaucoup d’issues après. On est dans un moment qui est un moment que tous les Français ressentent comme grave et ils vérifient que la malédiction française historique, la malédiction de l'histoire de France, qui est la division du pays, est en train d'éclater, d'exploser partout.
Le devoir de ce gouvernement, s'il est formé comme je crois qu'il doit l'être, est de conjurer la division et de faire en sorte qu'on identifie les problèmes principaux du pays qui sont devant nous. Certains sont urgents : les finances publiques, c'est urgent. Certains sont essentiels. L'éducation nationale, c'est essentiel. Certains sont un besoin ressenti par l'opinion : la sécurité est un besoin ressenti par l'opinion. D'autres ont une dimension planétaire, c'est le cas de tout ce qui touche à l'écologie et au climat. L'Europe est une question essentielle. Quand vous disiez tout à l'heure « un gouvernement NFP » : dans le programme du NFP, il y a le refus des règles que l'Europe s'est imposée à elle-même. Si on ne respecte pas les règles, ça veut dire simplement qu’il n’y aura plus d'Europe. Vous voyez bien à quel point on est dans un moment de gravité et d'urgence. Beaucoup le ressentent. Il y a urgence, il faut la traiter. On a vécu un été qui montrait qu’on pouvait se réunir, mais il y a urgence et il faut la traiter.
Darius Rochebin : Dans ce large rassemblement que vous appelez de vos vœux, il y a la question particulière des LR. Dans une première version, les LR disaient « Faites votre gouvernement et on peut, disons, s'abstenir de le faire tomber, on peut s'abstenir de toute motion de censure tant que LFI n’y est pas », en gros, c'était leur discours. Est-ce que vous aimeriez qu'ils aillent plus loin ? C'est-à-dire qu'ils montent dans un bateau, qu'ils fassent partie d'un gouvernement, est-ce que ça aurait un sens pour vous ?
François Bayrou : Monsieur Rochebin, ça n'est pas que j'aimerais. Je pense que les sensibilités principales du pays et notamment celle-là, la droite républicaine qui a exercé le gouvernement, qui a exercé les fonctions de gouvernement pendant des années et des décennies, mais le parti socialiste aussi, et puis le centre français, et puis des sensibilités qui sont carrément plus indépendantes et autonomes, tous ceux-là ont le devoir de se réunir.
Darius Rochebin : Mais pardon, même un Laurent Wauquiez ? Il y a une partie de la droite qui disait « Faites votre affaire sans nous ». Est-ce que même un Laurent Wauquiez aurait son sens, selon vous, dans cette union ?
François Bayrou : C’est à vous de le dire. Mais vous voyez bien que je ne fais aucune exclusive. Ce qui ne me paraît pas possible, c'est les extrêmes ou les idées des extrêmes. Mais tous les autres, s'ils mesurent la gravité de la situation, et je suis sûr qu'ils le font, et ils vont la mesurer davantage encore au fur et à mesure que les jours vont passer, tous ceux-là ont une responsabilité qu'ils ne peuvent pas écarter. Ils ne peuvent pas s'en abstraire. Autrement, c'est prendre le pire des risques pour le pays et pour nos institutions. Et donc oui, je crois que ces personnalités-là ont le devoir de réfléchir à leur engagement dans la période historique où nous sommes.
Darius Rochebin : Monsieur Bayrou, est ce que c'est le moment d'entrer, quoi qu'il en soit, dans une cohabitation ? Il y avait, je crois, dans la tribune l'excellent dessin de Chappatte qui montre le président de la République, sur le divan du docteur Freud disant « Je me vois cohabiter avec moi-même », ce côté, un petit peu « encore un instant, Monsieur le bourreau ». Est-ce qu'il y a là un déni de réalité comme certains le pensent, à tort ou à raison ? Est-ce qu'il faudra partager le pouvoir pour le président de la République ?
François Bayrou : Je ne le crois pas. Enfin, je ne crois pas qu'il y ait un déni de réalité, mais je crois à la nécessité absolue que la Constitution prenne son plein sens. Je n'ai jamais cru à l'affirmation d'un certain nombre de responsables politiques dans les années précédentes qui disaient « Il n’y a pas de Premier ministre. Le Premier ministre est un collaborateur, c'est le Président qui décide de tout ». Ce n’est pas un secret, ou c'est un secret que je vous révélerai, j'ai souvent eu des discussions avec Emmanuel Macron sur ce sujet. Je pense qu'il y a une fonction présidentielle, une fonction de gouvernement et une fonction du Parlement. Je suis pour un président fort et un gouvernement fort, ce qui veut dire une dose d'indépendance, une manière de prendre les choses qui s'adresse directement aux Français et un Parlement fort. Les 3 pôles de nos institutions doivent être forts pour que nos institutions soient respectées et que pour ceux qui occupent ces fonctions se sentent bien. Personne ne veut être secondaire, personne ne veut être aux ordres, personne ne veut être soumis. En tout cas, moi, ce n’est pas ma manière d'être.
Darius Rochebin : François Bayrou, vous avez donné une limite sur la gauche en disant par exemple « la révision de la réforme des retraites » fait partie de ce qui pour vous n'est pas négociable. C'est bien cela ?
François Bayrou : Non, je n'ai pas dit cela.
Darius Rochebin : Là, il y a une ouverture possible ?
François Bayrou : J'ai dit que les décisions sur l'immigration étaient impossibles. J'ai dit que les décisions sur la sécurité étaient impossibles. J'ai dit que les décisions sur les finances publiques étaient impossibles. J'ai dit que le pacte national que nous avons construit autour d'une électricité décarbonée et je pense évidemment à la production nucléaire d'électricité, tout ça, c'est évidemment absolument essentiel. Et la reconquête de la production…
Darius Rochebin : Alors pardon, pardon d'insister, sur la question de la réforme des retraites, est-ce qu'un aménagement est possible ? Parce que, s’il faut ouvrir à droite et à gauche, il faut évidemment élargir un peu les bras, est-ce que sur la réforme des retraites, il y a un geste possible ?
François Bayrou : J'allais vous répondre. C'est une réponse absolument personnelle. Je n’engage personne en disant cela. J'ai pensé que la manière dont on avait conduit la réforme des retraites, franchement, n'avait pas réussi à convaincre les Français. Et je suis persuadé qu'il y a d'autres démarches possibles. Mais ça ne signifie pas qu'on peut se priver d'une réforme des retraites. Je pense que la réforme des retraites, elle est vitale, elle est indispensable. Je pense que le pays porte une charge incroyable. Vous savez que j'avais sorti une étude, j'étais venu en parler à votre micro au Haut-commissariat au Plan, sur le financement des retraites qui montrait que c'était l'État, c'est-à-dire l'emprunt, c'est-à-dire les générations à venir qui payaient aujourd'hui les pensions de retraite. Donc une réforme de retraite est indispensable, mais on peut tout à fait imaginer une démarche différente. Après tout, une démarche différente avait été proposée avant par le même gouvernement et soutenu par des forces syndicales par exemple. Je pense que cette question peut être traitée à nouveau. Mais je répète, ceci est personnel et je n'engage personne en disant cela.
Darius Rochebin : Qu'est-ce qu'il en est de l'ouverture sur la droite ? Évidemment, c'est la question de la rigueur budgétaire qui est demandée de la part des LR. Si, comme vous le dites et vous l'avez dit tout à l'heure, il serait sain que, y compris ce grand parti de gouvernement historique, fasse partie de la formation du gouvernement, est-ce que là il y a un geste qui doit être fait par ce nouveau gouvernement pour plus de rigueur budgétaire ?
François Bayrou : Je ne sais pas ce que vous appelez rigueur budgétaire. Je sais, moi, ce que j’appelle équilibre budgétaire.
Darius Rochebin : Quand on voit les chiffres de la dette, on comprend très vite.
François Bayrou : Je ne crois pas qu'il y ait en France de personnalité politique qui se soit engagée autant sur la dette que je l'ai fait au cours des 2 décennies précédentes. J’ai été le militant de cet équilibre-là et je considère que le déséquilibre dans lequel nous sommes entrés est grave. Non pas que l'emprunt soit une faute, mais il faut emprunter pour investir, pour construire, pour mettre en place une capacité, des universités, des hôpitaux. Enfin, l'emprunt doit servir à préparer le pays des générations futures, et pas à signer des chèques aujourd'hui pour la génération actuelle. Donc je suis évidemment certain qu'il va falloir qu'on trouve une stratégie budgétaire pour que cette question de la dépendance à la dette se trouve réglée.
Darius Rochebin : Si on résume François Bayrou, pardon, vous me dites si je vous caricature, je ne veux surtout pas le faire…
François Bayrou : Je ne vous laisserai pas le faire.
Darius Rochebin : Mais vous parlez d'un gouvernement de large union qui irait des socialistes et vous avez bien dit les LR aussi, en tant que parti, c'est bien ce que j'ai compris. Est-ce que le parti présidentiel peut revenir ? À quel degré peut-il revenir dans ce parti ? Je rencontrais certains ministres qui, tout à coup, reprennent espoir, qui disent « Oui, je pourrais continuer à ma place au même ministère », est-ce que c'est imaginable pour vous ?
François Bayrou : Je ne suis pas sûr que ce soit une démarche qui corresponde au moment où nous sommes. Je ne regarde pas les parcours individuels et je pense que le pire est de regarder les parcours individuels. Mais il y a une chose que je crois, c'est qu’il y a dans le pays 5 courants au moins, peut-être 6, qui sont des courants historiques. Il y a l'extrême droite et l'extrême gauche. Ça fait 2 courants. Il y a les courants de la gauche de gouvernement et de la droite de gouvernement, ce sont 2 courants de plus. Il y a les écologistes et il y a le centre. De tous ces courants-là, le centre, s'il accepte d'être ce qu'il est, est le plus cohérent. Il n’y a pas de division sur les orientations du pays. Grosso modo, tout le monde a les mêmes. C'est aussi le plus nombreux de ces 6 courants. Donc, il a une responsabilité particulière, mais cette responsabilité n'est pas le monopole du pouvoir. Ce n’est pas d'avoir forcément, entre les mains, le monopole du pouvoir. C'est de rassembler, d'être capable d'être un trait d'union et puis simplement de regarder les gens en disant « Bon, on n'a pas toujours été du même avis. Il arrive assez souvent qu'on se soit heurté, qu'on se soit disputé, qu'on ait rivalisé entre nous. Mais cependant, sur le fond, on a forcément des choses en commun ». François Hollande, Macron, Cazeneuve, Bertrand, Barnier, même Laurent Wauquiez et moi, nous avons forcément des choses en commun. En-dehors des intérêts partisans, si on devait définir ce qu'on a absolument besoin de faire, il y a une majorité immense dans le pays pour le faire. La preuve, c'est que cette majorité, elle s'est réunie pour empêcher les extrêmes, en tout cas l'extrême droite, de prendre le pouvoir. Pourtant, les circonstances n’étaient pas faciles et le climat n’était pas facile.
Darius Rochebin : Merci beaucoup d'avoir été avec nous. Il nous reste peut-être 40 secondes. Dites-nous un mot, s'il vous plaît, évidemment sur l'attentat contre la synagogue à la Grande-Motte, un mot personnel. Je sais que c'est un sujet qui vous touche beaucoup. Il nous reste vraiment très peu de temps, mais sur ce que ça appelle en vous.
François Bayrou : Le pire de ce qui est en train de se passer dans le pays, c'est que reviennent les haines qui touchent à l'origine, à la religion, aux religions et qui essaient de pousser jusqu'au bout la détestation de ceux qui, en nos concitoyens, n’ont pas tout à fait le même chemin et la même histoire. Et c'est particulièrement vrai à l'égard de la communauté juive, mais ça serait la même chose à l'égard de la communauté musulmane et des communautés chrétiennes, et des communautés de ceux qui ne croient pas. Oui, nous avons besoin de faire entendre l'idée que nous avons en commun beaucoup plus que ce qui nous sépare et que les fous n’auront pas droit de cité. Ce ne sont pas les fous qui gagneront, ce ne sont pas les obscènes qui gagneront.
Darius Rochebin : Merci beaucoup d'avoir été notre invité en cette rentrée 2024. Merci beaucoup.