François Bayrou : "Le concept que je défends, c'est une coresponsabilité"
François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, était l'invité du Grand Jury RTL ce dimanche 8 septembre à 12h00 sur RTL et Public Sénat.
Seul le prononcé fait foi.
Olivier Bost : Commençons François Bayrou, par qualifier cette situation politique : Michel Barnier à Matignon, est-ce une cohabitation ?
François Bayrou : Non, et ça ne pouvait pas être une cohabitation parce que le résultat de cette élection empêchait que cela en fût une. Pourquoi ? Qu'est-ce que c'est qu'une cohabitation ? C'est une majorité à l'Assemblée nationale hostile au président de la République. Et donc le président de la République reste en fonction. Mais il a des adversaires à l'Assemblée nationale qui ont la majorité absolue. Ça, c'est une cohabitation. On a déjà connu ça, Mitterrand, Chirac, Balladur, Jospin...
Olivier Bost : Alors si ce n'est pas une cohabitation, qu’est-ce que c’est ?
François Bayrou : Je me suis exprimé souvent sur le concept que je défends. C'est une coresponsabilité. Chacun est dans son rôle, chacun avec ses convictions, dans un moment particulièrement dangereux, particulièrement risqué parce que la succession des crises et le contexte international et les difficultés que nous connaissons, notamment à partir de la guerre en Ukraine, tout cela nous oblige à une démarche nouvelle, une démarche inédite. Et je dis coresponsabilité. Coresponsabilité, ça veut dire le président de la République exerce la plénitude de ses fonctions définies par la Constitution. Le Premier ministre exerce la plénitude de ses fonctions définies par la Constitution à l'article 20. Et pour moi, c'est un équilibre qui correspond à un triptyque. Un Président fort, un gouvernement fort, un Parlement fort. À ce moment-là, en coresponsabilité, on peut avancer.
Jim Jarrassé : Michel Barnier a quand même acté une forme d'autonomie de liberté vis-à-vis du chef de l'État. Il dit : « Il y aura des changements et des ruptures. » Comment vous interprétez cette prise de parole ?
François Bayrou : Mais il a tout à fait raison d'affirmer une autonomie. J'ai été toute ma vie politique et dans des épisodes nombreux et différents, partisan d'un chef de gouvernement autonome - j'ajoutais autonome et complice avec le président de la République - autonome et en respect réciproque et en bonne entente et en discussion. Et pour moi, ça ne présente absolument aucune difficulté. Ce qui présente une difficulté, c'est l'antagonisme. On a connu ça, y compris du temps où les présidents avaient une majorité. Exemple, je ne suis pas sûr qu'entre Mitterrand et Rocard, l'amour était la lumière…
Olivier Bost : Ça sera plus simple entre Emmanuel Macron et Michel Barnier ?
François Bayrou : Je crois que oui.
Perrine Tarneaud : Mais comment vous interprétez le fait que lors de son premier discours lors de la passation de pouvoir, Michel Barnier n'ait pas une seule fois prononcé le nom du président de la République ?
François Bayrou : Je ne fais pas l'exégèse avec une loupe ou un microscope des discours des uns et des autres, il y aurait trop de travail…Je suis absolument certain - et je ne suis pas certain dans l'abstrait, je suis certain pour l'avoir passé ces jours avec eux - chacun d'entre eux pour avoir parlé beaucoup avec eux, je suis absolument certain qu'il n'y a pas ce climat d'offense et qu'il n'y aura pas ce climat d'offense.
Perrine Tarneaud : Et pourtant, Michel Barnier, il a quand même dit : « On va maintenant plus agir que parler » donc faire un peu moins de com, sous-entendu, il y avait trop de com jusqu'à maintenant ?
François Bayrou : Je ne suis pas certain qu'il parlait du président de la République.
Jim Jarrassé : Du Premier ministre sortant, peut-être Gabriel Attal ?
François Bayrou : Je ne sais pas…
Olivier Bost : Justement, qu'est-ce que vous avez pensé de cette passation de pouvoir entre Gabriel Attal et Michel Barnier. Est-ce que vous avez trouvé ça sympathique, décalé ou carrément peu respectueux ?
François Bayrou : En politique, on a mille occasions - ça veut dire plusieurs par jour - d'entrer dans les affrontements de personnes, les petites phrases vaches, les méchancetés qu'on peut dire sur les uns, sur les autres, l'observation des méchancetés que les uns disent sur les autres et les autres sur les uns. Je n’ai pas de jouer à ça. On est dans un moment particulier dans lequel chacun a une responsabilité. Ceux qui étaient en place avant ont une responsabilité. Ceux qui étaient en place avant les précédents ont eux aussi une responsabilité parce que la situation du pays, elle est la résultante de mois et d'années. Donc je n'entrerai pas dans cette mêlée.
Olivier Bost : Vous rencontrerez Michel Barnier en en début de semaine.
François Bayrou : Non.
Olivier Bost : Ah bon ?
François Bayrou : Je le rencontrerai cet après-midi.
Olivier Bost : Donc cet après-midi, qu'est-ce que vous allez lui dire ?
François Bayrou : Alors d'abord, je lui ai parlé beaucoup depuis des mois. Vous savez, on se connait Michel Barnier et moi depuis longtemps. Je crois qu'on se respecte. Je pense que c'est dans les circonstances actuelles un bon choix. Je pense qu'il a des atouts. Et par exemple, il va permettre d'élargir la majorité. Il va permettre de créer la majorité au Sénat. Tout ça, c'est des atouts importants. Il a une image rassurante à Bruxelles. Dans les circonstances où nous sommes, c'est très important. Donc ça fait beaucoup d'atouts. Il a, à mes yeux, deux exigences devant lui. La première exigence, c'est de trouver un gouvernement équilibré, c'est-à-dire avec des personnalités qui représentent les sensibilités de gauche autant que les sensibilités du centre et les sensibilités de droite. Nous sommes sur un triptyque, alors l'avantage des trépieds, tout le monde sait ça, c'est que ça tient en toutes circonstances. C'est la seule configuration pour un siège qui ne se renverse pas, si on ne fait pas de bêtises. Deuxième exigence : le renouvellement. Je pense - je l'ai dit à Michel Barnier – qu’il faut qu'une configuration nouvelle apparaisse, il faut qu'on sente une nouvelle manière d'être pour le gouvernement. Et ça passe par des visages qui n'étaient pas au gouvernement précédemment.
Olivier Bost : On reviendra sur la composition du gouvernement et sur les exigences que vous venez de de lister. Mais auparavant, vous disiez aussi, vous connaissez Michel Barnier depuis longtemps. Quelle histoire partagez-vous avec Michel Barnier ? On sait que vous avez été au gouvernement dans les années quatre-vingt.
François Bayrou : Vous allez nous faire faire de l'archéologie amicale ! Nous étions Michel Barnier et moi, dans un mouvement que j'avais impulsé, qui s'appelait « les rénovateurs ». C'était il y a 35 ans environ. Et quand on regarde la photo, je l'ai regardée cette semaine - par hasard - quand on regarde la photo, on voit qu'il y avait là des visages qui ont joué un rôle ou qui auraient pu jouer un rôle très important par la suite. Par exemple, il y avait Philippe Séguin pour lequel j'avais beaucoup de considération, même si on n'avait pas toujours les mêmes idées. Il y avait Michel Noir qui était à l'époque maire de Lyon, il y avait des personnalités aussi différentes que Philippe de Villiers qui était à l'époque plus sage qu'il ne l'est maintenant.
Perrine Tarneaud : Est-ce que vous diriez aujourd'hui que c'est le retour ou la revanche de l'ancien monde ?
François Bayrou : Non, c'est des bêtises. Je n'ai jamais cru au nouveau monde. Donc je ne vais pas vous dire ancien monde, mais je pense que l'heure exigeait de l'expérience et de l'apaisement. Et vous voyez bien que je crois que la figure de Michel Barnier répond à cette double exigence. Après le chantier est très difficile. Mais après tout, il a mené de très difficiles négociations au moment du Brexit et il a été commissaire européen, c'est à dire le la fonction dans laquelle vous êtes le plus obligé de tenir compte des sensibilités, des nationalités, des convictions, des obsessions des uns et des autres,
Olivier Bost : De ce que vous décriviez de votre parcours politique, finalement, aujourd'hui, vous dites, ce sont des retrouvailles quelque part ?
François Bayrou : Non, parce que on ne s'est jamais perdu de vue. On a toujours parlé, même quand il n'était plus directement engagé dans les affaires publiques. On a ce lien-là, et puis on est tous les deux issus des régions de montagne, on est tous les deux avec des convictions de décentralisation assez fortes.
Jim Jarrassé : Nicolas Sarkozy dans son dernier livre, dit à propos de Michel Barnier : « Son sérieux est reconnu, mais il peut parfois manquer un peu de charisme. » Qu'est-ce que vous pensez de cette prise de position ? Est-ce que vous partagez cet avis ?
François Bayrou : Non, je n'ai aucune envie de jouer à ça : les vacheries des uns sur les autres, je vous ai dit, ce n’est pas mon affaire.
Perrine Tarneaud : Parmi les exigences que vous avez données concernant Michel Barnier, vous n'avez pas parlé d'Emmanuel Macron ? Quelle va être la marge de liberté du nouveau Premier ministre vis-à-vis du chef de l'État dont on sait qu'il ne laisse pas toujours beaucoup de marge de manœuvre à ses Premiers ministres ?
François Bayrou : Tout est écrit dans la Constitution, tout.
Olivier Bost : Oui, mais si je peux me permettre elle n’est plus appliquée depuis un certain temps en matière de Premier ministre…
François Bayrou : Oui, eh bien je crois que c'est une erreur. Ce que je vous dis-là, le président de la République sait exactement que je le pense et j'ai défendu ce point de vue devant lui plusieurs fois. Tout est écrit dans la Constitution. Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Il y a des décisions qui lui appartiennent en propre. Et il y a des décisions qui ne peuvent être prises qu'avec l'accord du président de la République. Et donc tout est parfaitement écrit.
Olivier Bost : Mais ça n'était pas l'exercice du pouvoir d'Emmanuel Macron jusque-là. Est ce qu'on pourra dire Emmanuel Macron a changé ?
François Bayrou : C'était pas l'exercice du pouvoir d'Emmanuel Macron, c'était pas celui de François Hollande, c'était pas celui de Nicolas Sarkozy, c'était pas celui de Jacques Chirac, ça n'était pas tout à fait celui de François Mitterrand, c'est le moins que l'on puisse dire, c'était pas celui de Giscard avant lui.
Olivier Bost : Donc ça impose à Emmanuel Macron de changer ?
François Bayrou : Pas besoin de changer, il faut se réaliser ! Les événements, quand vous êtes un homme d'État, les événements vous imposent par une sorte de - je ne sais pas comment on peut dire - de métabolisation. Vous êtes soumis à des tempêtes, à des vagues, à des sentiments profonds que vous voyez apparaître devant vous…
Perrine Tarneaud : Il semblait pourtant jusque-là qu’Emmanuel Macron était plutôt dans la résistance face à ces tempêtes et à ces événements.
François Bayrou : Oui, mais bon…
Perrine Tarneaud : Pas dans l'adaptation toujours.
François Bayrou : Pas toujours ! Souvenez-vous des gilets jaunes ! Devant une crispation sociale très importante, il a au contraire, comme on dit pour les surfeurs, pris la vague. C'est-à-dire qu'il est allé à la rencontre des gens et c'est très bien parce qu'il va le faire. Et ça va lui permettre de trouver une nouvelle dimension de lui-même.
Jim Jarrassé : Un pouvoir moins vertical aujourd'hui, c'est ce que vous dites.
François Bayrou : Par la force des choses. On fait des montagnes alors que tout est simple. Moi, je suis un défenseur de la Ve République. Tout a été dit, par exemple le fait que c'est le président de la République qui choisit le Premier ministre. Et qui choisit le Premier ministre en en tenant compte de la situation politique. Et donc ce choix, il l'a fait et il l'a fait, vous savez très bien dans quelles circonstances. Quand le parti socialiste a refusé, et encore lors de sa réunion de son bureau national, de dire : « Bon, on ne censurera pas le gouvernement si c'est Bernard Cazeneuve qui le conduit ». Il y a eu un vote et ils ont refusé de donner ce cette garantie ou cette assurance ou cette sécurité. Et à ce moment-là, vous savez que j'étais partisan de la nomination de Bernard Cazeneuve et que je le dis sans aucune réserve. Et à ce moment-là, le parti socialiste a décidé que ça ne serait pas lui. Et donc on s'est trouvé où le président de la République s'est trouvé dans une situation parfaitement claire, paradoxale.
Perrine Tarneaud : C'est une erreur historique du parti socialiste vous diriez aujourd'hui ?
François Bayrou : Bah non. À la base de tout ça, quelque chose qui est un - comme vous dites dans les rédactions - un ‘fake’, une escroquerie, une fausse information qui était d'avoir répandu partout à son de trompe, l'idée que le nouveau front populaire comme il s'appelle avait gagné les élections, ils n’ont rien gagné du tout. C'était drôle. Je ne sais pas si vous avez suivi le discours de de Jean-Luc Mélenchon hier. Moi, je l'ai suivi parce que c'est toujours intéressant de s'instruire. Et Jean-Luc Mélenchon a dit : « Le Président de la République a subi 3 défaites successives et 10 ans » sans chercher la nuance, avec grandiloquence comme les tribuns aiment faire. Et de ce point de vue-là, on se laisse emporter quelquefois par son propre verbe. Il dit, « 3 défaites successives, première défaite : en 2022, au moment des élections législatives. Il n'a pas eu la majorité absolue, il a dit que c'était une majorité présidentielle, mais c'était une défaite. » Vous vous souvenez combien il y avait de sièges lors de la défaite que Jean Luc Mélenchon évoque pour le pour le bloc central, il y en avait 250, 255, et là, le nouveau Front populaire en a eu 50 ou 60 de moins. Et donc c'est évident qu'il n'y avait pas de victoire d'un bloc ou de l'autre pour des raisons que vous savez, il y a eu une victoire du Rassemblement national au premier tour. Et puis au 2e tour, il y a eu le choix des Français de ne pas lui confier la totalité du pouvoir. Et une fois qu'on dit ça, alors on décrit un paysage qui donne des devoirs à tout le monde, qui oblige tout le monde. Et le parti socialiste a refusé de faire face à cette responsabilité.
Jim Jarrassé : Vous évoquez le Rassemblement national qui est de fait aujourd'hui le premier groupe à l'Assemblée hors coalition. Le RN dit : « Michel Barnier, aujourd'hui c'est un Premier ministre sous surveillance ». Comment Michel Barnier peut gouverner avec les coudées franches alors que le RN fait planer et va faire planer en permanence la menace d'une censure ?
François Bayrou : C'est comme ça que l'Assemblée nationale est constituée. Vous savez que j'ai été très hostile au choix qui a été fait de ne pas donner de poste de responsabilité au sein de l'Assemblée nationale au Rassemblement national. J'étais très, très hostile. Non pas que ce soit des postes de pouvoir. Mais ce sont des signes de reconnaissance. Et le choix qu'un certain nombre de groupes ont fait, pas le nôtre. Le choix qu'un certain nombre de groupes ont fait d'écarter le Rassemblement national des responsabilités est un choix à mes yeux irresponsable. Parce que quand vous êtes élu député, vous êtes parlementaire et tous les parlementaires sont à égalité. Et les parlementaires portent un certain nombre de voix, en tout cas pour ce pour ce mouvement. Un nombre très important, 11 millions de voix.
Jim Jarrassé : Est-ce que vous pourriez aller jusqu'à dire qu’il faudrait par exemple des ministres Rassemblement national au sein de ce gouvernement d'ouverture ?
François Bayrou : Je ne pense pas que ce soit ni possible ni souhaitable aujourd'hui. Pourquoi ? Parce que ce gouvernement s'est constitué en réalité sur le large espace central, hors extrêmes. Alors le nouveau Front populaire le nie parce qu’ils ne veulent pas voir évidemment que la situation eût été exactement la même et peut être plus offensive, agressive encore à l'égard de LFI, que beaucoup de Français considèrent comme portant atteinte à leur à leurs valeurs profondes - y compris ceux qui ont voté pour eux puisque nous avons mélangé les voix pour faire barrage. Donc tout ça est extrêmement simple. Je ne suis pas pour qu'on considère que l'Assemblée nationale est une menace permanente. Je ne suis pas pour qu'on considère que le gouvernement est sous contrôle ou surveillance. Chacun prendra ses responsabilités. Et les Français seront aussi les juges. Derrière l'Assemblée nationale, il y a des juges et les juges, ce sont les Français. Ils se diront franchement, si c'est devenu ça la politique, c'est-à-dire d'abattre tous ceux qui essaient de faire quelque chose, de mener contre eux des accusations permanentes, des mises en cause permanentes, des hurlements permanents, alors les Français diront aussi leurs sentiments. Tout le monde vit avec l'idée qu'on va avoir une nouvelle dissolution dans 9 mois. Je ne suis pas partisan de cette instabilité. Je suis pour qu’on fasse ce qu'il faut, on se mette en situation de citoyen responsable.
Perrine Tarneaud : Vous aussi vous menacez les extrêmes, finalement vous dites : « attention, les Français vous regardent, vous êtes-vous aussi sous surveillance. »
François Bayrou : Je ne ne menace de rien, j'indique ce que je crois être les fondements de la démocratie dans laquelle nous voulons vivre.
Olivier Bost : Mais si on résume la situation François Bayrou : donc la gauche va censurer Michel Barnier, elle l'a déjà dit. Le rassemblement international dit, on verra. Et sur l'accueil même du bloc central de Michel Barnier, expliquez-nous quand même, ça a été assez frais comme accueil. Si on reprend le l'accueil des députés MoDem, le groupe les démocrates « prend acte. Il appartient désormais à Michel Barnier de traduire dans les faits le vote qui s'est exprimé ». Renaissance dit : « ni blocage, ni soutien inconditionnel ». On a vu plus enthousiaste.
François Bayrou : Le monde parlementaire, l'univers du Palais Bourbon est un monde dans lequel - vous le vous le savez bien, c'est votre métier - on joue assez facilement au bowling hein, on lance la boule parce que c'est rigolo d'abattre les quilles. Je suis persuadé que tout le monde va réfléchir. En tout cas, c'est moi que vous interrogez et moi je vous réponds. Et je suis président de ce mouvement qui est un mouvement central de cet ensemble. Moi je soutiendrais Barnier. Je ferai tout ce que je peux pour que ça marche, je ferai tout ce que je peux pour que le pays ait la certitude que nous faisons tous ce qu'il faut pour sortir de l'impasse.
Olivier Bost : Et pour ça, il faut des ministres MoDem au gouvernement ?
François Bayrou : Ça dépendra ce que Michel Barnier en pense. Parce que ce ne sont pas les partis politiques qui composent les gouvernements. Ça, c'était la IVe République.
Olivier Bost : Ça veut dire que ça ne vous semble pas une évidence ?
François Bayrou : Ça me semble une évidence. Mais souvenez-vous aussi de ce que j'ai dit, je suis pour le renouvellement.
Perrine Tarneaud : Et François Bayrou comme ministre ?
François Bayrou : Non, je ne serai pas ministre. Si ça avait été Matignon et c'était impossible pour la raison que vous savez, même si mon nom a été assez souvent prononcé, c'était impossible parce que le président de la République a dit qu'il voulait un opposant parce qu’il se trouve que les élections avaient été perturbées, chahutées, et que président de la République voulait montrer qu'il entendait ce message-là. Donc il avait dit qu'il voulait un opposant et je n’en suis pas un.
Olivier Bost : Vous dites du « renouvellement ». Est-ce que ça veut dire que vous redoutez un gouvernement qui soit trop RPR ?
François Bayrou : Non. Non parce que ça ne passerait pas la rampe.
Perrine Tarneaud : Mais les premiers rendez-vous quand même de Michel Barnier ont été avec les LR.
François Bayrou : Ce sont ses amis et il voulait partager avec eux..
Perrine Tarneaud : Mais est-ce que vous craignez que les LR soient majoritaires au sein du gouvernement Barnier ?
François Bayrou : Non. Je vous ai dit équilibre et renouvellement. Équilibre, ça veut dire qu’il faut que les 3 grandes sensibilités soient représentées. Ce sera une exigence pour moi qu'on représente aussi les sensibilités de gauche parce qu’on ne traverse pas une période comme ça sans qu'il y ait des sensibilités, l'impression qu'on n'a pas été entendu. Il faut que tout le monde sache qu'il est entendu et il faut que tout le monde sache qu'il est légitime à prendre sa part du redressement du pays.
Questions Express :
Olivier Bost : Le nom de l'abbé Pierre doit-il disparaître de l'espace public après de nouvelles accusations pour agressions sexuelles ?
François Bayrou : Je ne connais rien du dossier. Je ne sais pas sur quoi reposent toutes ces allégations. L'abbé Pierre a été pour des dizaines de millions de Français le visage d'un idéal. Et je ne suis pas pour qu'on abatte les idéaux s'il n'y a pas de certitude et de certitude de faits gravissimes.
Olivier Bost : Faut-il garder les vitraux d'origine à Notre-Dame de Paris ? Le Président veut en installer de nouveau.
François Bayrou : Il faut que chaque génération apporte sa sensibilité artistique. Mais on garde l'essentiel, l'immense majorité des vitraux, j'imagine et qu'on en mette quelques-uns de nouveau, je suis d'accord.
Perrine Tarneaud : Est-ce que pour la fin de la restauration et la réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, Emmanuel Macron doit-il prononcer un discours ou ça serait trop décalé ?
François Bayrou : C'est lui qui verra. Je me souviens des discussions avec lui à cette époque, quand tout le monde disait : « 5 ans, mais vous êtes malade, 5 ans on ne peut pas ! » Et puis en 5 ans, on l’a fait.
Tiens, il y a une question express que vous ne m'avez pas posée. Je fais comme le général De Gaulle. Faut-il garder les anneaux olympiques sur la tour Eiffel ? Pardonnez-moi de vous dire, c'est stupide. Qu'on les garde un petit moment pour célébrer l'esprit olympique, mais on ne va pas transformer la tour Eiffel, sa vocation, son dessin et son esthétique en y ajoutant ou en ou en y imposant des symboles d'événements transitoires, donc c’est idiot
Deuxième partie :
Olivier Bost : François Bayrou, en première partie, vous nous avez dit que vous ne seriez pas ministre de Michel Barnier. Pour quelle raison ?
François Bayrou : Parce que c'est lui le Premier ministre et que j'ai beaucoup de volonté d'être en soutien de son action. Mais deuxièmement, parce que j'ai deux choses très importantes à faire. Vous savez bien, si on m'avait confié Matignon, c'est ce que je vous disais, bien sûr, j'aurais accepté. J'ai deux choses très importantes à faire. D'abord, je suis maire de Pau et c'est une fonction à laquelle dans notre ville, dans toute son agglomération et dans notre région, je tiens beaucoup parce que c'est la locomotive de toute une région. Il y a des emplois de des étudiants, des chercheurs et c'est une ville qui est en train de décoller ou de redécoller et c'est très précieux pour moi. Et deuxièmement parce que je veux aller au bout de la mission du Plan. Je me suis beaucoup battu pour qu'on fasse renaître le Plan. Le Plan, ça veut dire que, au lieu d'être prisonnier à quelques heures ou à quelques jours de l'actualité des réseaux sociaux, de vos articles toujours excellemment écrits naturellement. Mais, on a le nez sur le guidon. Et on a le nez sur l'écorce de l'arbre qui vous cache la forêt. Et je suis absolument déterminé autant qu'on me fera confiance, à faire du Plan ce qu'il devrait être, c'est-à-dire : voir à 10 ans, voir à 30 ans et faire naître un nouveau climat de réflexion autour des nouvelles politiques publiques. Le Plan, ça doit être le laboratoire des nouvelles politiques publiques. Vous savez le commissaire au Plan dépend du président de la République, pas du gouvernement et en décalage avec le gouvernement, en dialogue avec le gouvernement pour qui j'ai les sentiments que je vous ai dit, je suis persuadé qu'on peut faire apparaître des idées nouvelles.
Oliver Bost : Une première question sur l'Assemblée nationale, François Bayrou où le groupe Modem va changer de place dans l'hémicycle. Vos députés vont siéger géographiquement à la gauche du groupe Renaissance pour être plus au centre sur l'image. Symboliquement, vous êtes désormais plus à gauche que la macronie ?
François Bayrou : Non, symboliquement, nous sommes à notre place. C'est-à-dire au centre de l'hémicycle.
Pauline Buisson : Il y avait quand même un enjeu sur ce changement de place.
François Bayrou : Il faut demander ça à Marc Fesneau, le président du groupe. C'est pas une conversation que nous avons eue, mais je connais suffisamment ses convictions et son caractère pour savoir qu’il a réfléchi à tout ça.
Perrine Tarneaud : François Bayrou, la pression monte pour l'ouverture d'une session extraordinaire au Parlement en en septembre, avant même la session ordinaire d'octobre. Vous y êtes favorable ?
François Bayrou : Oui. Je suis favorable à une session extraordinaire pour que le Premier ministre puisse faire un discours de politique générale.
Perrine Tarneaud : Gérard Larcher, lui, est opposé. Enfin, il préférait attendre le mois d'octobre, le temps que le gouvernement se compose.
François Bayrou : Oui, mais chacun exprime son, sa sensibilité. Les relations entre le gouvernement et l'Assemblée - vous y avez passé toutes les questions ou presque toutes les questions de votre de votre interview - ces relations vont être cruciales et donc il n'y a rien de plus normal, de plus souhaitable que de voir le Premier ministre venir devant l'Assemblée, devant les représentants des Français et au travers d'eux devant les Français, pour dire de manière solennelle, construite par lui, quelle va être, quelles vont être les orientations de la politique qui va suivre et prendre des engagements. En tout cas, si j'avais été Premier ministre, moi j'aurais demandé une session.
Oliver Bost : Le gros morceau, l'énorme morceau, on pourrait même dire pour les parlements, ça va être bien évidemment le budget. Les parlementaires des commissions des finances sont effarés. Ils ont épluché la masse de documents fournis par Bercy en début de semaine, et qui alerte sur une dérive potentielle du déficit de cette année, à 5,6%. Une situation budgétaire catastrophique, selon le rapporteur général du budget au Sénat, de la responsabilité exclusive de l'exécutif. Pourquoi les parlementaires ont-ils été alertés si tard ? Et cette situation vous inquiète ?
François Bayrou : On avait un gouvernement démissionnaire. Et le budget a été préparé par ce gouvernement. Le budget qui va venir ne sera pas le même. Mais je me suis souvent fait une observation que je partage avec vous. J'ai souvent entendu des parlementaires s'exprimer sur le budget. Sévèrement. Je n'en ai jamais entendu aucun monter à la tribune pour exiger des économies. 95% d'entre eux. Je les ai tous entendus monter à la tribune pour demander des dépenses supplémentaires. Pour toutes les catégories sociales.
Olivier Bost : D'accord, mais pour vous, la situation est catastrophique ou pas ?
François Bayrou : Elle est inquiétante, elle est un peu meilleure que celle des États-Unis qui qui vit la même course en avant.
Olivier Bost : si on prend notre échelle, c'est-à-dire l'échelle européenne, on est très très très mal placé.
François Bayrou : Oui, parce que vous savez bien que je pense que depuis 30 ans, nous avons fait des mauvais choix. J'ai même fait une campagne présidentielle pour alerter sur le risque…
Olivier Bost : Dans la dernière période, François Bayrou, c'est-à-dire ces dernières années où nous avons tous le même contexte économique au niveau européen, nous finissons 24 sur 27 pour nos déficits alors que nous avions les mêmes contraintes que nos voisins.
François Bayrou : Oui, mais on est parti d'une situation beaucoup plus dégradée. À partir de 2008, la situation budgétaire du pays….
Perrine Tarneaud : Mais comme tous nos voisins européens…
François Bayrou : Non les autres ont fait d'autres choix. Ce n’est pas moi qui vais défendre le déficit. J'ai toujours pensé qu'il y avait là un risque qu'on ne mesurait pas. Je pense que l'emprunt peut-être tout à fait utile. À condition que cet emprunt soit consacré à l'investissement, c'est-à-dire à la préparation de l'avenir du pays. Quand vous construisez des universités, des voies de chemin de fer pour meilleure conscience écologique et pour rendre le territoire plus perméable et l'aménagement du territoire, quand vous construisez des hôpitaux, des universités, il est normal que vous en partagiez la charge avec les générations qui vont en profiter.
Perrine Tarneaud : Toujours est-il François Bayrou que la situation ne s'est pas améliorée sous Emmanuel Macron. D'ailleurs Marine Le Pen aujourd'hui ironise, elle dit : « On comptait sur le Mozart de la finance, le cador de la finance, et on est tous déçus. » Qu'est-ce que vous lui répondez ?
François Bayrou : Moi je ne suis pas Mozart, mais je sais une chose, on a vécu 3 crises. La première crise, c'est les gilets jaunes... Et ça a coûté de l'argent pour essayer de de rééquilibrer le sentiment de toute une partie de la population. Deuxièmement, on a eu le COVID. C'est très rare d'avoir de la reconnaissance en politique, mais je ne rencontre pas un seul chef d'entreprise qui ne me dise pas quand même on peut dire ce qu'on veut, mais Macron nous a sauvés. Permettez-moi de finir la 3e crise, qui est l'Ukraine, qui est la guerre en Ukraine, et l'inflation, le renchérissement du coût de l'énergie, tout ce qui est venu avec la guerre en Ukraine et ce n’est pas fini. On est encore en plein là-dedans. Donc succession de crises. Est-ce qu'on aurait pu gérer différemment ? Probablement, mais les responsables de l'époque qui appartenaient à toutes les sensibilités en ont jugé autrement. Donc moi je sais ce qu'il faut faire ou je crois savoir ce qu'il faut faire. Maintenant il faut faire un plan décennal de retour à l'équilibre des finances publiques. Vous ne pouvez pas gérer un budget par des décisions brutales. Vous ne pouvez pas aller d'un côté et aller de l'autre virer de bord. Tout ceci, la population ne le comprend pas mais il faut s'inscrire dans un plan de long terme pour revenir à l'équilibre des finances publiques selon le principe que j'indique, vous pouvez emprunter mais vous empruntez pour investir. On n'investit pas en France et on emprunte trop.
Olivier Bost : Est-ce que vous, vous pouvez dire où il faut commencer par faire des économies, même si c'est sur 10 ans. Il faut bien commencer par quelque part, notamment dans le budget 2025 ?
François Bayrou : Eh bien j'espère bien avoir cette discussion avec le Premier ministre et le futur ministre de l'économie, parce que si j'ai des idées, c'est à eux que je les soumettrai et pas directement à vous, quelque estime que j'ai pour vous.
Olivier Bost : Michel Barnier veut améliorer la réforme des retraites. Les retraites, jusque-là c'était plutôt une piste d'économie. Il veut l'améliorer, notamment pour les plus fragiles, mais sans toucher à l’équilibre financier de la réforme. Qu'est-ce qu'il est possible de faire avec ces contraintes ? Passer l'âge à 65 ans ?
François Bayrou : Pardon de dire des choses choquantes. Équilibre financier de la réforme, je ne suis pas absolument sûr qu'on y soit. J'ai souvent exprimé mes regrets sur la manière dont on a conduit, tous, la réforme. J’ai mis sur la table avec le commissariat au Plan pour la première fois, la réalité des chiffres, c'était il y a 2 ans, ou un peu plus. La réalité des chiffres sur lequel tout le monde mentait. Y compris avec des déclarations surprenantes du Conseil d'orientation des retraites qui prétendait qu'on était en excédent. On est en excédent comptable quelquefois, mais l'excédent comptable n'était établi que parce que on a une subvention de dizaines de milliards, 30 milliards, 40 milliards du contribuable public et des générations à venir. Parce que c'est un ce sont des sommes dont vous n'avez pas le premier euro et que nous empruntons. C'est à dire que ce sont les plus jeunes de la nation et leurs enfants qui paient les retraites d'aujourd'hui. Vous connaissez quelque chose de plus scandaleux que ça ? Moi pas, c'est moralement, socialement, sociétalement inacceptable et donc je pense qu'il y a place et matière et après tout le Plan est prêt à prendre ses responsabilités pour une réflexion de fond sur ces sujets, dans le cadre de cette idée que je défends.
Olivier Bost : Est-ce que cet après-midi avec le Premier ministre vous parlerez aussi de la proportionnelle ?
François Bayrou : La proportionnelle est une évidence désormais. Je suis certain que le président de la République a discuté de ça avec le Premier ministre et je suis certain que c'est une question qu'on ne peut pas éluder parce que c'est pas une question politique. C'est une question de société. Si vous regardez la France aujourd'hui, prétendre qu'elle doit être découpée entre 2 parties ou 2 factions, c'est complètement ridicule. C'est un pays qui est devenu pluriel et pluraliste avec des sensibilités.
Olivier Bost : La vie politique ne serait pas plus simple demain avec la proportionnelle…
François Bayrou : Elle ne serait pas plus simple mais elle serait plus loyale. C'est-à-dire que la proportionnelle à cette vertu de ne pas vous obliger à vous allier avec des gens dont vous ne partagez aucune des idées. C'est ça le scrutin majoritaire. J'ai souvent énoncé une règle, une loi de Bayrou. Les partis se tiennent par leur noyau dur. Regardez les États-Unis !
Perrine Tarneaud : La France insoumise a lancé une procédure de destitution du président de de la République. Un Français sur 2 souhaite le départ du chef de l'État. Est-ce que vous prenez cette menace au sérieux ?
François Bayrou : De destitution parlementaire, non. Ce n’est pas une menace, c'est un…
Perrine Tarneaud : Mais c'est vrai que les mots destitution démission sont un peu rentrés comme ça dans la tête des Français, dans l'atmosphère…
François Bayrou : Il ne faut pas mélanger les 2 qui sont 2 choses différentes. Il y a des oppositions, je pense qu'elles s'estomperont et je souhaite qu'elles s'estompent notamment grâce à ce nouvel équilibre des pouvoirs. Et que le président de la République puisse se faire entendre le fond de ce qu'il pense et qui ne ressemble pas à ce qu'on lui prête. Parce que, par exemple, on dit, c'est un libéral, c'est le pays qui dépense le plus d'argent pour ses services publics et donc tout ça c'est des blagues et donc ce scénario-là est une est une offense au bon sens, mais peut-être ce rééquilibrage va nous aider à mieux apprécier les choses.
Olivier Bost : Quand vous avez vu alors probablement sur votre téléphone tomber l'alerte. Édouard Philippe est candidat à l'élection présidentielle. C'était mardi en début de soirée. Vous vous êtes dit quoi ?
François Bayrou : Je me suis dit que c'était pas tout à fait le moment que j'imaginais pour. Je pense qu’en politique, les fautes de temps sont plus graves qu'en grammaire.
Olivier Bost : Mais est-ce vraiment une faute de temps ? Parce que Édouard Philippe ne parle pas de 2027 mais de la prochaine élection présidentielle, sous-entendant ou même c'est même plus un sous-entendu, qu'elle pourrait être précipitée.
François Bayrou : Édouard Philippe a été que je sache 3 ans au Premier ministre sous l'autorité du président de la République. Son parti appartient à la majorité appartenait à la majorité et a appartenu au bloc central pour ces élections quoiqu’avec nuance, ça ne me paraissait pas évident de considérer que c'était contre le président de la République qu'il fallait braquer les feux. Je ne considère rien. Je vous ai dit tout ce que je pense, mais je pense c'est un timing comme on dit qui a été surprenant pour beaucoup de gens et je suis de ceux qui ont été surpris.
Pauline Buisson : Et cette idée d'une présidentielle anticipée, ça vous paraît possible ?
Probable ?
François Bayrou : J'ai beaucoup discuté de ça, par exemple avec François Hollande. Avec qui je parle depuis longtemps, comme vous savez, avec des hauts et des bas. Mais en politique, il y a des hauts pour beaucoup de gens, il y a des bas pour beaucoup de gens et pour beaucoup de relations. Si nous ne faisons pas attention à nos institutions, et si je pouvais faire passer le souci qui est le mien sur ce sujet, si nous nous aventurions sur un chemin dans lequel, la règle devient on va abattre celui qui est en place pour organiser de nouvelles élections, c'est une fragilisation extraordinaire de nos institutions. Et je ne connais personne…
Olivier Bost : Qui visez-vous ?
François Bayrou : Je vise vous puisque c'est ça la question que vous me posez. Je ne connais personne de responsable dans la République qui se livre ou se laisse aller à ce scénario là parce que nos institutions ne s'en relèveraient pas. On peut être d'accord, on peut être en désaccord, on peut exprimer son accord ou son désaccord dans la vie publique, dans les médias, à l'Assemblée nationale, mais l'idée de cibler ce qui est la clé de voûte de nos institutions et c'était pareil : mes propos auraient été exactement les mêmes, avec François Hollande, avec Nicolas Sarkozy, avec Jacques Chirac, avec François Mitterrand. J'étais dans l'opposition, j'étais un jeune aventurier de l'opposition ! Jamais on n’a pensé que le but à atteindre était, - et Dieu sait que les haines à l'égard de François Mitterrand étaient considérables, et les haines à l'égard de Giscard étaient considérables, et les haines à l'égard de Nicolas Sarkozy étaient considérables - jamais personne n'a considéré, et nous ne l'aurions pas accepté, je ne l'aurais pas accepté, jamais personne n'a considéré que le but devait être d'abattre la fonction présidentielle. Et donc c'est pourquoi je suis sévère à l'égard de ces démarches-là.
Olivier Bost : Il nous reste quelques minutes. Effectivement, l'affaire Pélicot bouleverse la France. Cette femme a été violée par des dizaines d'hommes, droguée par son mari. Une mission sur la soumission chimique avait été confiée notamment à la députée MoDem Sandrine Josso, mission interrompue par la dissolution. François Bayrou, est-ce que vous demandez d'urgence à Michel Barnier de rétablir cette commission ?
François Bayrou : D'abord une commission, ce n’est pas le Premier ministre qui l'établit, c'est l'Assemblée. Et donc oui, je soutiens Sandrine Josso qui a été comme vous savez, victime elle-même d'une tentative de cet ordre-là, de ce genre de saloperie-là, il faut employer les choses par leur nom. Donc oui, je pense qu'il est normal et légitime que cette Commission soit recréée, mais il est normal et légitime que nous portions tous en nous la révolte. J'ai trouvé cette femme très courageuse de vouloir en procès public, pour affronter l'horrible et l'indicible. Et je ne suis pas prêt à faire preuve ni d'indulgence ni de silence sur ces sujets.
Perrine Tarneaud : Alors dans le quotidien des Français, il y a bien sur les salaires, le pouvoir d'achat, ça va être les premiers dossiers importants pour Michel Barnier. Est-ce que vous vous êtes favorable pour ouvrir le dossier de la désmicardisation des salaires ?
François Bayrou : Oui, et la désmicardisation de la société du travail est un très grand sujet parce que sans doute avec de bonnes intentions on a accumulé les exonérations et les aides sur les salaires au SMIC. Ce qui fait que de plus en plus de Français se trouvent au SMIC : 20%, on approche les 20%, on était à 10%. Et plus on fait monter cette marée de personnes au SMIC, plus d'une certaine manière on introduit - je nesais pas comment on peut dire – du découragement. Parmi les salariés ?
Perrine Tarneaud : Est-ce que vous êtes favorable à une grande convention sociale pour réfléchir à cette question ? Ça serait une manière aussi de retisser du lien avec les partenaires sociaux dont on dit qu'ils ont été pas mal malmenés ?
François Bayrou : Oui, travaillant sur ce sujet, je suis prêt moi-même à y travailler.
Pauline Buisson : Marylise Léon parle de la CFDT, parle de d'entreprise biberonnée.
François Bayrou : Oui, sûrement. Quel est le schéma normal dans une société comme on pourrait imaginer qu'elle soit ? Vous avez un SMIC, qui permet aux plus jeunes, aux plus inexpérimentés d'entrer tôt dans le monde du travail. Chaque fois qu'ils le peuvent et qu'ils le veulent-ils et après leur salaire monte. Or, dans la société dans laquelle nous entrons, et c'est ça la smicardisation : vous entrez au SMIC, vous restez au SMIC toute votre vie. Ça n'est pas bon ni pour vous-même, ni pour votre équilibre, ni pour votre famille, ni pour l'image que vous avez de vous-même. Et donc cette idée-là, elle doit être explorée, elle ne doit pas être explorée uniquement par des augmentations massives du SMIC parce que plus vous faites des augmentations massives, plus vous avez de personnes au SMIC.
Olivier Bost : Le Grand Jury inattendu avec une dernière question, François Bayrou, plus personnelle, vous incarnez le centre depuis au moins une vingtaine d'années. Avez-vous songé un jour à votre succession pour reprendre le flambeau du centre ?
François Bayrou : Oui, naturellement. J'ai même fait ce qu'il fallait. Mais vous savez, probablement, dans les années précédentes, cette question m'aurait agacé. Aujourd'hui, ma réponse est toute prête, je suis plus jeune que le nouveau Premier ministre. Et donc cette réalité qui est purement d'état civil et aussi de tempérament et aussi d'envie de vivre apporte en elle-même la réponse à votre question.
Olivier Bost : Merci beaucoup François Bayrou pour ce Grand Jury. Bon dimanche à tous, à la semaine prochaine.