François Bayrou : « Le monde que l'on avait décidé de construire, c'est "force sera à la loi", et le monde qu'on est en train de faire, c'est "loi sera à la force" »

François Bayrou, Premier ministre et président du MoDem, était l'invité de l'émission Questions politiques sur France inter et France info ce dimanche 16 mars 2025 pour revenir sur l'actualité politique nationale et internationale.

Seul le prononcé fait foi.

Carine BÉCARD

Bonjour. Ravie de vous retrouver dans Questions politiques, l’émission politique du dimanche sur France Inter, diffusée sur France Info la télé et en partenariat avec le journal Le Monde. Un invité, oui, exceptionnel ce dimanche dans Questions politiques. Le Premier ministre, il va nous expliquer comment basculer dans cette nouvelle ère annoncée par Emmanuel MACRON la semaine dernière. Cap fixé donc par le Président. Comment maintenant l'organiser pour le Gouvernement ? Avec quelles mesures, quelles réformes et surtout avec quel argent ? Après bientôt 100 jours passés à Matignon, le plus dur commence pour le chef du Gouvernement. François BAYROU qui, pour la première fois depuis sa nomination, est sur le plateau de Questions politiques. Une heure d'émission, en direct, pour tenter de comprendre ce qui nous attend.

[Jingle]

Carine BÉCARD

Monsieur le Premier ministre, bonjour.

François BAYROU

Bonjour.

Carine BÉCARD

Merci d'avoir accepté notre invitation.

François BAYROU

Oui, j'ai cru que vous alliez dire que c'était la première fois que je venais sur votre plateau.

Carine BÉCARD

Ah non, certainement pas. Avec moi pour vous interviewer, comme toujours, vous connaissez l'équipe de Questions politiques, Nathalie SAINT-CRICQ de France Télévision et Françoise FRESSOZ du journal Le Monde. Bonjour à toutes les deux, Mesdames.

Nathalie SAINT-CRICQ

Bonjour à tous.

Françoise FRESSOZ

Bonjour à tous et toutes.

Carine BÉCARD

François BAYROU, on va passer une heure ensemble. On a beaucoup de questions à vous poser. On observe depuis plusieurs semaines toutes ces réunions qui s'enchaînent. Pas beaucoup de décisions qui sont prises pour l'instant. Où en est-on exactement ? On aimerait savoir, on aimerait comprendre, surtout depuis l'allocution, il y a 10 jours maintenant, du Président MACRON.

Emmanuel MACRON (archive du 05/03/2025)

Vous êtes en effet, je le sais, légitimement inquiets devant les événements historiques en cours qui bouleversent l'ordre mondial. La guerre en Ukraine, qui a entraîné près d'un million de morts et de blessés, continue avec la même intensité. Les États-Unis d'Amérique, notre allié, ont changé leur position sur cette guerre, soutiennent moins l'Ukraine et laissent planer le doute sur la suite. Dans le même temps, les mêmes États-Unis d'Amérique entendent imposer des tarifs douaniers aux produits venant d'Europe. Notre prospérité et notre sécurité sont devenues plus incertaines. Et il faut bien le dire, nous rentrons dans une nouvelle ère.

Carine BÉCARD

Qu'est-ce que ça veut dire, François BAYROU « nous rentrons dans une nouvelle ère » ? Est-ce que ça veut dire qu'il faut se préparer sérieusement à la guerre ?

François BAYROU

En tout cas, il faut se préparer sérieusement. Non seulement à des menaces militaires, mais il faut se préparer sérieusement à la guerre commerciale, l'instauration de droits de douane, de tarifs douaniers qui menacent un très grand nombre de nos productions et qui menacent aussi, je le crois, parce que je pense que c'est une erreur d'appréciation fondamentale, un grand nombre de productions américaines. Nous étions habitués à être dans une alliance, avec ses hauts et ses bas, mais dans une alliance que personne ne remettait en question, autour de l'idée des sociétés de liberté. Nous étions, les Américains et nous, depuis la guerre, depuis 80 ans, et même pendant la guerre, ensembles.

Carine BÉCARD

Mais dans cette nouvelle aire annoncée par Emmanuel MACRON, décrite d'ailleurs encore ce matin dans la presse par le Président, on ne relance pas le service militaire. En tout cas, clairement, il le met de côté. Ça peut paraître surprenant, un chiffre, Ipsos a publié ce matin : « 86 % des Français ne sont pas contre un retour du service militaire ». Pourquoi est-ce que vous avez choisi cette option-là ?

François BAYROU

Alors, d'abord, cette option a été choisie en France en 1995. C'est Jacques CHIRAC qui avait fait le choix, et c'est un choix que je crois que tous les militaires soutiennent, de construire une armée professionnelle, une armée de conscription, d'appeler. C'est une armée qui est faite de jeunes gens, de jeunes garçons, et désormais, ce serait de jeunes filles, mais qui ne sont pas des professionnels de la chose militaire.

Carine BÉCARD

Mais là, on nous explique que le contexte a changé.

François BAYROU

Et donc, il faut que nous ajoutions sans doute à cette armée professionnelle une armée de réserve. Et cette armée de réserve…

Carine BÉCARD

Françoise.

Françoise FRESSOZ

Et pourquoi ? C'est pour essayer de développer la résilience de la population, c'est-à-dire impliquer davantage les Français dans peut-être un patriotisme, en tout cas, le sentiment qu'il y a une vraie nécessité de défendre la France et l'Europe, ou est-ce que c'est parce qu'il faut quand même ajouter des forces d'appoint à l'armée ?

François BAYROU

Non, je pense que c'est principalement pour que le lien entre l'armée et la nation soit vivant, respecté et soutenu par nos concitoyens.

Nathalie SAINT-CRICQ

C'est un réarmement moral, globalement ?

François BAYROU

Oui, c'est un réarmement moral et c'est aussi une capacité pour agir. Chaque fois qu'on a besoin d'une intervention que pour l'instant, on confie à l'armée, je vais prendre un exemple simple, le cyclone à Mayotte : destruction effroyable, des blessés, des morts, obligation de mettre en place un hôpital de campagne, comme sur un champ de bataille. Et puis de maintien de l'ordre, parce que, évidemment, comme vous le savez, la situation à Mayotte, avec 20 % ou 25 % d'illégaux, est une situation qui est très déstabilisée.

Carine BÉCARD

Donc il nous faut de l'opérationnel plus rapide, c'est ça ?

François BAYROU

Oui, opérationnel plus rapide, opérationnel pour tout ce qui touche à la sécurité, à l'intervention quand on en a besoin, quand il y a des catastrophes. Regardez l'opération SENTINELLE. On fait patrouiller dans les aéroports des professionnels et même parfois ultra-professionnels…

Nathalie SAINT-CRICQ

Des patriotes, des gens qui n'ont jamais manié une arme.

François BAYROU

Et donc, il vaut mieux avoir des réservistes qui seraient formés pour cela…

Carine BÉCARD

Mais justement, ça va fonctionner comment ? Parce que…

François BAYROU

…et qui permettraient de libérer du temps professionnel.

Carine BÉCARD

Nathalie.

Nathalie SAINT-CRICQ

Les autres pour faire… Édouard PHILIPPE dit : « 50 000 par an…

Carine BÉCARD

De réserviste.

Nathalie SAINT-CRICQ

…sur la base du volontariat » Est-ce que vous visez des jeunes, des gens de tous les âges, ou est-ce que c'est une façon, effectivement, de faire une espèce de service humanitaire où, en gros, tous les gens que vous avez en réserviste libèreraient, comme vous venez de le dire, les tâches de gendarmerie, de militaire, de police ?

François BAYROU

Oui, je pense que…

Nathalie SAINT-CRICQ

C'est des jeunes, et c'est combien par an, il en faudrait ?

François BAYROU

Tout ça n'est pas chiffré. Il se trouve que les armées y travaillent depuis 15 jours ou une semaine assidûment. Il faut que vous mesuriez que si l'on faisait quelque chose de très large, ça coûte très cher.

Carine BÉCARD

Ça coute combien ?

François BAYROU

Où est-ce qu'on les loge ? Dans quelles casernes ? Quel est l'encadrement ?

Nathalie SAINT-CRICQ

Pendant combien de temps ?

François BAYROU

Il y a une chose qui marche très bien en France, et ça marche Outre-mer, c'est ce qu'on appelle le service militaire adapté, qui a été mis en place il y a longtemps, et je connais bien les protagonistes, par exemple à La Réunion, qui ont mis en place le service adapté, ça marche très bien. Mais c'est un taux d'encadrement très important. Et on va retomber sur un des problèmes que nous avons devant nous, qui est le problème budgétaire et il se heurte...

Carine BÉCARD

Voilà. Et alors, justement, Françoise.

François BAYROU

Mais j'ajoute un mot. J'ai toujours, toujours, été partisan d'un service civique. C'est-à-dire qu'on puisse proposer à des jeunes de participer à des actions d'intérêt général...

Nathalie SAINT-CRICQ

Mais proposer, pas imposer.

François BAYROU

Proposer, imposer ? Vous vous rendez… ça pose des problèmes. Par exemple, quelqu'un qui ne veut pas, qu'est-ce que vous faites ?

Nathalie SAINT-CRICQ

Je vous le demande.

François BAYROU

Voilà. Eh bien... Vous ne me l'avez pas demandé, mais je vous pose la question à vous.

Carine BÉCARD

Mais là, c'est un peu compliqué parce que vous parlez du service civique...

François BAYROU

Le caractère obligatoire d'un service, ça impose des sanctions si ce service n'est pas rempli. On n'en est pas là. Je pense que l'idée de construire, en vue d'avoir des réserves opérationnelles, une partie de la classe d'âge pour qu'elle soit instruite de tout ce qui est intervention, mise en place de secours, je pense que c'est une bonne idée et ça me permet d'adresser un salut à tous les jeunes qui ont choisi de faire le service civique aujourd'hui et que je suis allé rencontrer très récemment.

Carine BÉCARD

Je voudrais juste qu’on comprenne…

Françoise FRESSOZ

Le (inaudible) de l’émission, ça va être : vous avez plein de bonnes intentions, vous avez plein d'adaptations dans votre tête, mais comment, concrètement, on passe aux travaux pratiques ? Par exemple, la réorganisation du service national universel, quel objectif, à quelle échéance et qu'est-ce que vous préconisez ? On va essayer d'être très concrets.

Carine BÉCARD

Et juste, je complète. On a parlé là de service national universel, vous avez parlé de service civique, on a parlé de réservistes, comment les différentes choses s'encastrent les unes avec les autres ?

François BAYROU

Les réservistes, ce sont ceux qui ont fait cette formation…

Carine BÉCARD

D’accord, très bien.

François BAYROU

…et qui, plus tard dans leur vie, demeurent mobilisables, exactement comme les sapeurs-pompiers volontaires. On ne se rend pas compte de l'importance et du nombre de tous ceux qui sont prêts à donner d'eux-mêmes pour la société, et les sapeurs-pompiers volontaires sont un très bon exemple.

Carine BÉCARD

Mais ceux-là, on ne leur apprend pas à manier les armes.

François BAYROU

Mais si, les sapeurs-pompiers volontaires, on les a appris… On leur a appris, pardon, vous me faites faire des fautes de français, ce qui est très mal.

Carine BÉCARD

Pardonnez-moi.

François BAYROU

On leur a appris à se former au maniement…

Carine BÉCARD

Des armes, d’accord.

François BAYROU

…de tout ce que sont les matériels contre l'incendie, contre les accidents. Et donc les réserves, c'est tous ceux qui ont été formés au fil du temps et qui accepteront de demeurer engagés. Voilà exactement comment ça s'articule.

Françoise FRESSOZ

Et la réorganisation du service national, du service civique universel, comment vous l’imaginez ? À quelle échéance ?

François BAYROU

Je pense que dans l'esprit du président de la République, dans sa déclaration, c'est cela qu'il vise, cette articulation-là.

Carine BÉCARD

Alors, il va falloir financer, Françoise en parlait déjà, cette nouvelle ère. Il y a une réunion importante jeudi prochain, le 20 mars, qui va se passer au ministère de l'Économie et des Finances à Bercy avec le ministre des Finances, Éric LOMBARD, et Sébastien LECORNU, le ministre de la Défense. Vous attendez là, précisément, quel type de décision à l'issue de cette réunion ?

François BAYROU

Est-ce qu'on peut tracer un cadre, et je vais répondre à la question, mais un cadre un peu plus large ? En réalité, qu'est-ce qui se passe depuis 30 ans en France ? C'est qu'on découvre qu'on n'a pas les moyens de faire ce qu'on voudrait faire. Et on le découvre sur chacun des sujets que vous avez évoqués, et chacun des Français dans sa vie se dit : “mais en effet, je n'ai pas les moyens d'avoir dans un grand nombre la vie que je voudrais avoir.”. Pourquoi ? C'est très simple, parce que notre pays, depuis 30 ans au moins, ne produit plus comme il l'a fait et ne produit pas ce que nos voisins produisent. Si vous regardez la production par habitant, on dit le PIB par habitant, le produit intérieur par habitant, et que vous le comparez à nos voisins, par rapport à l'Allemagne, par rapport à la Belgique, par rapport, c'est -15 % et par rapport aux Pays-Bas, c'est -30 %.

Carine BÉCARD

Donc, on n'a pas les moyens de cette nouvelle ère dont on parle ?

François BAYROU

Je n'ai pas dit qu'on n'avait pas les moyens, j'ai dit que la priorité que nous devons donner à notre action, c'est la reconquête de la production.

Françoise FRESSOZ

Donc, politique de l'offre, allongement du temps de travail, de la durée du travail ?

Carine BÉCARD

On va laisser le Premier ministre s’exprimer tranquillement pour qu’on le comprenne bien, C’est important.

François BAYROU

J’adore vous entendre, Françoise FRESSOZ, mais peut-être c’est mieux d’aller au bout des phrases.

Carine BÉCARD

Quel enthousiasme !

François BAYROU

Reconquête de la production agricole, reconquête de la production industrielle, reconquête même de la production intellectuelle. Et probablement jamais les temps n'ont été aussi favorables depuis très très longtemps, pour deux raisons principales. La première, pour produire, il faut de l'énergie, et nous avons la chance d'avoir reconstruit un appareil de production d'énergie, d'électricité nucléaire, qui est décarboné, et qui peut, à terme, nous offrir une électricité qui soit accessible, abondante et pas trop chère. Les autres pays autour de nous n'ont pas ça. C'est une très grande chance. Et deuxièmement, pendant très longtemps, c'était impossible, nous disait-on, de produire. Parce que l'heure de travail, en France, par rapport à la Chine, était payée, évidemment, beaucoup trop cher. Il se trouve que nous assistons à un moment, que nous sommes dans un moment où une révolution est en cours, qui est la révolution de la robotique et de l'intelligence artificielle. Un robot, il travaille 24 heures sur 24. Le prix de revient du robot…

Nathalie SAINT-CRICQ

Et il ne fait pas grève.

François BAYROU

… Le prix du robot, dans le sud-est asiatique et dans nos pays, il ne fait pas grève, comme vous dites, mais pas seulement, il n'est pas malade, il n'a pas de coup au moral, et donc cette... Ce basculement dans une nouvelle époque, à quoi il faut ajouter que nous sommes ceux en Europe qui maîtrisons le plus l'industrie verte, le respect de l'environnement dans nos processus industriels, tout ça constitue un ensemble de chances considérables.

Carine BÉCARD

Oui, mais par rapport à la réunion alors, par rapport à nos finances publiques ?

François BAYROU

C'est ce que je dis. Si nous produisons plus, les finances publiques seront améliorées.

Françoise FRESSOZ

Alors, les conséquences pratiques ?

François BAYROU

J'aime beaucoup qu'on aille à la question du lendemain. Mais la question d’aujourd’hui, elle est peu posée. Elle a peu été formulée. Et je tiens, moi, à ce qu'elle soit transparente pour tous. Notre responsabilité, c'est d'arrêter de laisser décrocher la France comme elle a décroché depuis 30 ans, de laisser désindustrialiser la France comme on l'a fait, de laisser désagriculturiser, si je puis inventer un mot, le pays, vous vous rendez compte, nous étions le pays le plus exportateur en Europe en matière agricole. Aujourd'hui, nous sommes à peine à l'équilibre. Et s'il y a les catastrophes qu'on annonce sur le vin, la vigne et les spiritueux, à ce moment-là, on va être encore en déficit commercial. Donc, s'il doit y avoir une priorité nationale, celle-là doit être à la reconquête de la production. Ça n'est pas d'aujourd'hui que je défends ça, je l'ai défendu au plan comme vous le savez.

Nathalie SAINT-CRICQ

On a presque l'impression que vous nous présentez les choses comme si c'était une opportunité pour nous de nous bouger enfin. Que veut dire Emmanuel MACRON lorsque, dans son allocution de l'autre jour, il nous prédit qu'il va falloir avoir du courage, faire des choix et faire des efforts ? Ce que vous nous dites, on le comprend très bien.

François BAYROU

C'est un choix et un effort.

Nathalie SAINT-CRICQ

Ça va être dur. C'est-à-dire, on va se priver de quoi ? On va travailler plus. On va être moins remboursés.

Carine BÉCARD

Et où est-ce qu'on trouve l'argent pour financer tout ça ?

Nathalie SAINT-CRICQ

Certes, ça sera bien après, mais pour l'instant, il va... L'effort et le courage...

François BAYROU

Vous voyez... Vous faites comme si je n'avais pas fait la première partie de la question.

Nathalie SAINT-CRICQ

Mais si, mais bien sûr qu'on vous a entendu.

Carine BÉCARD

Pas du tout.

Françoise FRESSOZ

On attend la deuxième partie.

Nathalie SAINT-CRICQ

Vous dites qu'il faut se reprendre, il faut se réindustrialiser. Vous dites tout ça. Et que c'est peut-être une chance, parce qu'on a dormi trop longtemps.

François BAYROU

Oui depuis 30 ans.

Nathalie SAINT-CRICQ

Mais avant de pouvoir se réveiller, on a quand même entendu un ton d'Emmanuel MACRON qui était « il va falloir le faire, ça ne va pas être facile. »

François BAYROU

Mais « Il va falloir le faire, ça ne va pas être facile », ça va demander des efforts considérables, mais cette première affirmation, elle signifie que nous pouvons y arriver au bout du chemin. Pendant des années, on a vu se défaire notre appareil de production et notre industrie, et tout le monde disait, mais il n'y a rien à faire. Vous vous rendez compte, « on ne peut pas lutter avec les Chinois ». Vous avez entendu cette phrase 150 fois. Et l'idée qu'on puisse reconquérir les conditions. Alors c'est plus large que ça, parce que, par exemple, l'éducation, ça compte énormément. Et les déficits ou les difficultés d'éducation que nous avons, et les échecs en matière d'éducation que nous avons, qui font que la France passait de... du pays connu dans tous les pays du monde pour être le pays qui a la meilleure éducation est aujourd'hui en situation de se trouver, je ne sais pas, tout à fait dans les dernières places.

Françoise FRESSOZ

Alors, vous, vous avez l'analyse, vous essayez de la faire partager aux Français. Maintenant, ce qu'on voudrait connaître, c'est la méthode BAYROU. C'est-à-dire, est-ce que vous échelonnez les prochains... Vous venez de passer le cap des 100 jours ou à peu près. Est-ce que vous échelonnez vos prochains mois en disant : « à telle date, j'aurais fait ça, à telle date, j'aurais fait ça ». Est-ce que je fais une grande conférence des finances publiques ? Comment vous vous y prenez pour, au fond, mettre les Français dans le jeu ?

François BAYROU

Est-ce que vous me permettez de vous dire qu'on a déjà fait beaucoup ? Il n'y a aucun Gouvernement, avant celui-là, qui a obtenu un budget alors qu'il n'y en avait pas en passant le cap de 6 motions de censure successives. 6 ! Ça ne s'est jamais produit dans l'histoire de la Ve République, qui a fait adopter non seulement les budgets, mais la loi d'orientation agricole, par exemple, qui est en train de faire discuter la loi sur les narcotrafics. Et ça, malgré les très grandes difficultés d'organisation du Parlement en France. Parce qu'il y a une chose qu'il faut savoir. Alors, on entre là dans un de mes dadas que je défends invariablement. Il y a une chose qu'il faut savoir. Pourquoi on ne peut pas examiner tous les textes qu'on voudrait à l'Assemblée ? Pour deux raisons. La première, c'est qu'on ne peut inscrire qu'un texte à la fois à la discussion alors qu'au Parlement européen, on examine plusieurs textes à la fois et on vote tout ensemble, tout le monde se réunit pour voter en présence physique, il n'y a pas de délégation, tous les scrutins sont publics. Et deuxièmement, parce qu'on a réparti depuis une réforme antérieure, on a réparti les semaines qui font que le Gouvernement n'a qu'une ou deux semaines par mois pour faire examiner des textes.

Carine BÉCARD

On ne va pas revenir sur le travail parlementaire parce qu'on a trop de questions à vous poser sur cette nouvelle ère.

François BAYROU

Non mais simplement… Je le signale.

Carine BÉCARD

Et je trouve que vous avez du mal à nous en parler. Moi, j'ai besoin de comprendre cette nouvelle ère.

François BAYROU

Comment j'ai du mal à vous en parler ? Je vous explique.

Carine BÉCARD

On la finance, on la finance. Comment est-ce qu’on augmente les impôts, par exemple, très concrètement ?

François BAYROU

Non Carine BÉCARD, non Carine BÉCARD, excusez-moi. Ce genre de questionnement, d'interrogation, qui fait semblant d'ignorer ce qu'on vient de dire, ne me va pas.

Carine BÉCARD

Ah, mais je n'ignore pas.

François BAYROU

Ne me va pas. Vous dites... Vous ne nous dites pas votre stratégie. Je vous dis la stratégie du Gouvernement. La stratégie du Gouvernement, c’est de…

Carine BÉCARD

de remettre les Français au travail et de produire plus ?

François BAYROU

C’est de choisir en priorité la question qui fait que nous sommes appauvris et que donc nous avons des difficultés de financement et que les Français ont des difficultés pour vivre dans leur famille. Tout cela, tout le monde fait semblant de l’ignorer et ne traite pas de la vraie question. Donc, je la place comme la question première.

Carine BÉCARD

Très bien et ensuite ?

François BAYROU

Ensuite, deuxièmement, est-ce que la solution est dans l’augmentation des impôts ? C’est une blague.

Carine BÉCARD

D’accord.

François BAYROU

C’est une blague pour une raison très simple. Si les impôts permettaient d’être prospère et d’être heureux, la France serait le pays le plus heureux du monde.

Nathalie SAINT-CRICQ

Alors, on taille dans quoi en clair parce que…

François BAYROU

Attendez !

Carine BÉCARD

Est-ce qu’on taille quand même dans le modèle social ? Elle a raison Nathalie. Est-ce que du coup, vous êtes en train de nous dire qu’il va falloir travailler plus et partir plus tard à la retraite par exemple ?

François BAYROU

Mais c’est deux choses différentes. Vous dites le modèle social, j’y suis profondément attaché.

Nathalie SAINT-CRICQ

Alors, on va prendre dans l’ordre.

François BAYROU

Et ensuite, la question du travail est une question évidemment posée et qui fera partie, je ne vois pas de manière d’aborder le sujet autrement qu’en se posant la question du travail avec les partenaires sociaux..

Nathalie SAINT-CRICQ

Alors, on va prendre dans l’ordre.

Carine BÉCARD

Vas-y Nathalie.

Nathalie SAINT-CRICQ

Il y a un conclave actuel qui existe à propos des retraites. On entend plein de personnes dans votre majorité dire : de toute façon, il va falloir travailler plus longtemps, 65, 67, Édouard PHILIPPE. Est-ce que ce conclave a encore un sens ? Je ne vais pas passer mon temps à citer Édouard PHILIPPE, mais il considère que c'est hors sol et que c'est totalement dépassé. Est-ce que ça vaut le coup en gros de se demander surpasse à 62, 63, 58, quand on sait tous qu'il va falloir travailler plus ?

Carine BÉCARD

Nathalie, juste faites attention au micro parce que à chaque fois, vous… voilà ! Vous…

Nathalie SAINT-CRICQ

Je ne tape plus dans le micro.

Carine BÉCARD

Merci. Merci beaucoup..

François BAYROU

Je ne veux pas vous empêcher de vous disputer.

Carine BÉCARD

Mais on ne se dispute pas. Je vous en prie François BAYROU.

Nathalie SAINT-CRICQ

Elle protège le micro.

François BAYROU

J'ai en effet une divergence avec Edouard PHILIPPE. Edouard PHILIPPE considère que la démocratie sociale et les partenaires sociaux, c'est négligeable, qu'il faut le laisser de côté, qu'il faut considérer que désormais, la décision doit venir du sommet et s'imposer à la base...

Nathalie SAINT-CRICQ

Vous êtes un peu dur, parce qu'en fait, ce qu'il constate, c'est le changement d'air depuis toute la tension autour de l'Ukraine.

François BAYROU

Non, il a assez souvent défendu la même position. Excusez-moi, je sais que je suis minoritaire quand je dis ça. Mais je tiens à défendre cette position. Je pense que, dans des temps aussi difficiles, on ne peut pas se contenter du pouvoir politique pour résoudre les questions, surtout quand on n'a pas de majorité, et surtout dans un pays aussi centralisé que la France. Je ne crois pas que ce soit la solution. Je ne crois pas que décider en haut et imposer en bas soit la solution. Je pense qu'il est très important de saisir toutes les chances, toutes les organisations qui nous permettront d'associer les Français et leurs représentants, leurs représentants syndicaux, leurs représentants professionnels, aux décisions et aux orientations qui vont être prises. Moi, je crois qu'on s'est trompés depuis des années en écartant les partenaires sociaux. Je pense que ça a donné des catastrophes. Pourquoi ?

Carine BÉCARD

Erreur d’Emmanuel MACRON ce que vous êtes en train de dire. C’est ça ?

François BAYROU

Non, bien avant. Bien avant. Si on avait réfléchi avant, ce ne serait sans doute pas passé de cette manière-là. J'ai été... Disons qu'un de mes modèles de référence, c'est Jacques DELORS et Jacques DELORS, il disait déjà ça à son époque.

Nathalie SAINT-CRICQ

Donc là, vous faites une conférence sur quoi ? Vous faites venir tout le monde. On dit qu'on parle des retraites, on parle d'autre chose ?

François BAYROU

Non, non, non

Nathalie SAINT-CRICQ

Comme le temps est… J’essaie de comprendre

Carine BÉCARD

Contraint, on comprend. Vas-y Nathalie.

François BAYROU

Très bien. Mais vous me posez des questions sur la conférence qui a lieu sur les retraites en indiquant qu'il y a des voix qui s'opposent et qui disent que c'est hors sol. C'est ce que vous avez dit.

Nathalie SAINT-CRICQ

Ou qui disent que ça ne sert à rien, vaut mieux prendre tout.

François BAYROU

C’est ce que vous avez dit. Je réponds à votre question. Eh bien moi, je crois le contraire. Je suis déterminé à défendre l'idée que nous avons besoin des corps intermédiaires. Il n'y a plus de corps intermédiaires. Tout se passe comme si, c’est d’ailleurs, une idée qui vient de la Révolution, comme s'il n'y avait que le sommet et une base indifférenciée. Or, la conception de la société qui est la mienne, celle qui aurait permis, j'en suis sûr, d'éviter beaucoup d'erreurs, c'est celle, au contraire, d'une société qui participe aux décisions. On va avoir des temps difficiles, vous l'avez dit. On va avoir des exigences qui vont être des exigences de contribution, de travail. Eh bien, il faut qu'on en discute.

Carine BÉCARD

Non seulement, il y a beaucoup de gens qui veulent qu'on revienne aux 62 ans. Ça va être possible ou pas dans le contexte dans lequel on est ?

François BAYROU

Non.

Carine BÉCARD

Vous le dites clairement. 62 ans, ce n’est pas possible.

François BAYROU

La conférence sociale, elle sait très bien, les représentants qui y participent savent très bien quel est le rapport numérique. Et j'ai fait établir par la Cour des comptes un bilan objectif financier. Qu'est-ce qu'il dit ce bilan ? Il dit deux choses simples. Nous sommes d'ores et déjà en déficit sur les retraites du privé en dépit de la participation de l'État, qui se monte, j'avais dit, dans un rapport du plan, à 30 milliards pour les retraites du public en particulier, ou pour la contribution qui passe par les retraites du public, et c'est probablement 42 milliards, dit la Cour des comptes. Ceci, c'est la charge publique. Et nous devons, à tout prix, avoir deux discussions, une sur le privé, avec l'exigence de revenir à l'équilibre en 2030, ce qui a été constamment, pour moi, le contrat avec les organisations professionnelles et syndicales. Et deuxièmement, à se demander quelle méthode nous pouvons trouver pour ce qui est des retraites du public pour qu'on ait, à terme, un retour à un meilleur équilibre des finances publiques. Voilà exactement la question.

Carine BÉCARD

Une position intermédiaire, 63 ans, c'est possible ou pas ?

François BAYROU

Non, mais…

Carine BÉCARD

Non, ce n'est pas possible.

François BAYROU

Je ne crois pas que la question paramétrique, comme on dit, c'est-à-dire la question de dire voilà l'âge pour tout le monde, je ne crois pas que ce soit la seule piste. Peut-être qu'on en reviendra là, parce que vous vous souvenez que nous avons dit tous ensemble que si ça échouait, c'est la loi actuelle qui s'appliquerait, dont la Cour des comptes a dit quelles étaient les limites et les difficultés.

Carine BÉCARD

Dernière question Françoise, ensuite, on change de sujets.

François BAYROU

Donc, je fais confiance à ceux qui ont accepté de s'asseoir autour de la table.

Carine BÉCARD

Alors, vous retrouvez la table (inaudible)

Françoise FRESSOZ

Vous leur faites confiance et on voit quand même que beaucoup de syndicats sont très réactifs à essayer de se mettre dans le jeu de réduire encore les déficits. Par ailleurs, il y a un sondage qui est paru, Ipsos dans le Parisien aujourd'hui, qui montre qu'au fond, les Français ne sont pas tellement prêts à travailler plus et que supprimer un ou deux jours de congé, comme ça peut être aussi la question, non, non plus. Comment on peut maturer l'opinion ? C'est-à-dire, est-ce qu'à un moment, il ne faut pas brusquer un peu ? Regardez l'Allemagne, d'un coup, se met en ordre de bataille pour faire un fonds d'investissement de 500 milliards d'euros. Est-ce que nous, on n'a pas intérêt aussi parfois à brusquer un peu les choses ?

François BAYROU

Si vous appelez faire un fonds d'investissement de 500 milliards brusquer les choses, alors…

Françoise FRESSOZ

Non.

François BAYROU

Alors ça, vous pouvez poser la question dans tous les sondages, les Français vont dire bravo.

Carine BÉCARD

Tout le monde sera d'accord.

François BAYROU

Faisons un fonds d'investissement de l'État.

Carine BÉCARD

Elle est généreuse, Françoise.

François BAYROU

Pourquoi est-ce que l'Allemagne peut faire ça ? Bah parce qu'ils ont gardé l'équilibre des finances publiques, que nous avons…

Françoise FRESSOZ

Voilà. Alors nous, est-ce qu'à un moment, il faut brusquer l'opinion ?

François BAYROU

Que nous avons abandonné, que nous n'avons pas maintenu alors qu'il aurait fallu les maintenir. Et il n'y a pas beaucoup de responsables dans la vie politique française qui ont défendu cette question des déficits et de la dette. Et si vous comptez sur les doigts, il ne vous faudra pas plus des doigts d'une seule main et probablement pas plus d'un doigt d'une seule main.

Françoise FRESSOZ

Revenons à la question.

Carine BÉCARD

J’avais dit dernière question, Françoise.

Françoise FRESSOZ

Est-ce qu’à un moment, il ne faut pas brusquer l'opinion, en disant : on est face à l'Himalaya et le mur de la dette, il faut y aller ?

François BAYROU

C'est l'expression, exactement, que j'ai utilisé le jour où j'ai été nommé à Matignon. Nous sommes face à cet Himalaya. Mais cet Himalaya-là, ce n'est pas seulement la dette. C'est avoir une dette de ce montant, des déficits de ce montant, je dis les plus graves de tous les pays européens pour la dette, et de tous les pays du monde presque, pour la dette, et cependant, des services publics qui ne marchent pas.

Nathalie SAINT-CRICQ

Non, mais ça, c’est… Attendez…

François BAYROU

J'ai été interpellé sur votre antenne, Nathalie SAINT-CRICQ, sur votre antenne le soir de ma nomination.

Nathalie SAINT-CRICQ

Ma propre antenne, oui.

François BAYROU

C'était d'ailleurs fascinant parce qu'on était presque dans l'obscurité puisqu'il y avait des grèves assez importantes ou en tout cas, des difficultés à l'intérieur. Et j’ai été… et vous avez fait parler dans cette émission Sophie BINET, la secrétaire générale de la CGT.

Nathalie SAINT-CRICQ

La patronne de la CGT.

François BAYROU

Et elle a dit : « Monsieur le Premier ministre, vous ne vous rendez pas compte, il n'y a rien qui marche en France. L'éducation, ça ne marche pas, la santé, ça ne marche pas, les services publics, ça ne marche pas. » Et elle a déroulé ainsi une longue liste. Et j'ai répondu : vous avez probablement raison, vous traduisez ce que les Français pensent, alors que nous sommes le pays du monde qui dépense le plus d'argent public et qui prélève le plus d'impôts et de taxes pour financer ces dépenses, et par le déficit, nous le projetons sur les années qui viennent. C'est donc qu'il y a un problème d'organisation. Alors qu'est-ce qu'on fait ?

Carine BÉCARD

Très vite.

François BAYROU

J'ai convoqué tous les ministres et tous les directeurs d'administration centrale, il y a 3 semaines, en leur disant : vous allez me faire la liste précise de toutes les missions que votre administration remplit. Et on va se poser deux questions. Est-ce que les résultats sont à la hauteur ? Premièrement. Et deuxièmement, est-ce que c'est bien à l'État de faire ce que vous faites ? Et j'ai reçu, la semaine dernière, la totalité de ces questions, de ces missions. Je vais les partager avec les Commissions parlementaires, dont c'est le boulot, et si les Français sont intéressés, je vais les mettre en ligne.

Carine BÉCARD

Et vous viendrez nous dire.

Nathalie SAINT-CRICQ

Et ça va suffire ? Il s'agit de trouver combien, en plus ? Ça va suffire, les économies dans chaque ministère ?

François BAYROU

Vous savez, nous avons un déficit, chaque fois qu'on dépense 100, en France, d'argent public, le déficit est de 20. 20 % de nos dépenses publiques sont en déficit, et il y a encore des gens qui pensent que ça ne suffit pas. Et qu'est-ce que c'est, le déficit ? C’est on fait payer par les enfants qui vont venir les dépenses que nous faisons aujourd'hui. Est-ce que c'est acceptable ? À mes yeux, non.

Carine BÉCARD

Allez ! On a plein d’autres questions à vous poser encore.

François BAYROU

Est-ce que c'est une remise en cause fondamentale ? Oui, il faut changer les esprits. Parce que vous avez expliqué très largement, à l'instant, Françoise FRESSOZ, que tous les sondages disent : est-ce que les Français sont prêts à faire des efforts ? La réponse est invariablement non.

Françoise FRESSOZ

À quel moment ça va s’inverser ?

François BAYROU

Donc le travail de conviction civique que nous faisons, que j'essaie de faire à votre micro, ce travail de conviction civique de convaincre les Français et un jour peut-être de les associer à la décision.

Françoise FRESSOZ

Par un référendum ?

François BAYROU

Par exemple. On peut…

Carine BÉCARD

Vous l'aviez déjà dit.

Françoise FRESSOZ

Non, attendez, à quel moment référendum ? Parce que la conviction c'est bien mais vous vous donnez combien de temps pour y arriver et le référendum ça serait sur quoi ?

François BAYROU

Il y a un très grand homme politique que j'ai beaucoup aimé, un très grand intellectuel et philosophe et homme de théâtre qui était le président de la Tchécoslovaquie d'abord et de la République tchèque ensuite qui s'appelait Václav HAVEL. Et Václav HAVEL, il avait une phrase pour répondre à votre question en parlant des impatients en politique ou en journalisme. Et il disait : « ils sont comme ces enfants qui, pour faire pousser les arbres plus vite, leur tirent sur les feuilles. » Vous dites, quand ? Quand est-ce que ça va se faire ? Françoise FRESSOZ, si ça s'était fait avant moi, je ne serais pas là. Certes, nous sommes les héritiers de 30 années d'action publique dans laquelle…

Carine BÉCARD

On en a parlé au tout début de l’émission.

François BAYROU

…aucune de ces questions n'est apparue, aucun de ces problèmes n'a été résolu. Il y a beaucoup de gens qui avaient des avis, qui ont essayé de les mettre en œuvre, qui n'y sont pas arrivés. Je suis ma méthode. Et ma méthode, quelle est-elle ? Elle est de poser les vrais problèmes fondamentaux de les poser avec les Français eux-mêmes. Pour moi, les petits comptent autant que les grands.

Carine BÉCARD

Allez ! On avance.

François BAYROU

Les provinciaux comptent autant que le cercle du pouvoir intra parisiens et encore quelques hectomètres seulement où se concentrent tous les pouvoirs. Moi, je pense à ceux, je connais, j'en viens, à ceux qui sont loin, à ceux qui n'ont pas d'argent, à ceux qui n'ont pas de relations. Et c'est ceux-là qui sont les vrais décideurs. C'est à ceux-là que je m'adresse et je prends le temps nécessaire. Il n'y a que 90 jours, vous avez dit 100 jours, il n'y a que 90 jours que nous sommes là, c'est déjà pas mal d'en être à ce point au moment où le monde bascule en effet.

Carine BÉCARD

Le Premier ministre François BAYROU est notre invité ce dimanche dans Questions politiques. Je voudrais revenir sur une des images marquantes aussi de cette semaine, celle de Vladimir POUTINE habillé en treillis, en militaire lors d'un déplacement dans la région de Koursk qu'il espèrait, enfin qu’il espère d’ailleurs reprendre aux Ukrainiens. On écoute un extrait de la conférence de presse, c'était mercredi. On écoute le président russe.

Vladimir POUTINE

Je m'attends à ce que toutes les tâches de combat auxquelles nos unités sont confrontées soient accomplies. Je m'attends aussi à ce que le territoire de la région de Koursk soit bientôt complètement libéré de l'ennemi.

Carine BÉCARD

Je voudrais votre regard, François BAYROU, sur la folie guerrière de Vladimir POUTINE et sur la folie commerciale dont vous avez commencé à parler, de Donald TRUMP. Quelle est la plus dangereuse des deux ? Quelle est celle que vous redoutez le plus ?

François BAYROU

La plus dangereuse, c'est la folie guerrière russe. Enfin, on fait... On passe l'éponge dans les débats, les commentaires, sur un fait historique qu'on n'aurait jamais imaginé voir. Une des plus grandes puissances du monde, la plus grande par la taille et la plus grande par les richesses souterraines, minières, membre du Conseil de sécurité des Nations Unies, c'est-à-dire garant de la loi internationale, qui se jette, comme d'autres dictateurs l'ont fait au XXe siècle, sur un pays voisin, au demeurant profondément, qui a vécu une intimité avec la Russie, pour l'annexer et chasser ces dirigeants par la force, par les armes au contraire de tous les engagements internationaux qui ont été pris au travers du temps. Et donc le plus dangereux et le plus responsable, c'est POUTINE. L'agresseur, celui qui s'est jeté sur la pauvre Ukraine, c'est POUTINE. Il y a un million de morts et de blessés russes et ukrainiens.

Carine BÉCARD

On continue à lui parler ou pas ?

François BAYROU

Il faut toujours parler, y compris avec ses ennemis, si on veut un jour ou l'autre faire la paix. Mais on n'est pas obligé de passer l'éponge sur les crimes. Et on n'est pas obligé, il y a pire que de passer l'éponge sur les crimes, il y a ceux qui prétendent que c'est la victime qui serait le responsable. C'est criminel du point de vue de l'esprit et c'est criminel du point de vue d'un pays comme la France.

Carine BÉCARD

Nathalie.

Nathalie SAINT-CRICQ

Alors, en ce qui est de la France, il y a des personnes dans la classe politique, telle Marine LE PEN ou tel Jean-Luc MÉLENCHON différemment, qui considèrent que vous en faites trop, vous, pas spécialement, mais Emmanuel MACRON, et qu'en gros, vous dramatisez la situation et que ça vous arrange bien, et que ce qu'on appelle l'effet drapeau, c'est-à-dire qu'en période de crise et d'inquiétude, les codes de popularité remontent. C'est vrai pour Emmanuel MACRON, c'est moins vrai pour vous. Est-ce que vous en rajoutez ou vous ? C'est quoi, là, le degré de gravité...

Carine BÉCARD

Alarmiste ou pas ?

Nathalie SAINT-CRICQ

... ou de tragique de la situation ?

François BAYROU

Le degré de gravité, il est historiquement maximal.

Nathalie SAINT-CRICQ

Vous n’en rajoutez pas ?

François BAYROU

Je répète ce que j'ai dit au début et vous allez voir que c'est marqué au coin de la réalité, n'est-ce pas ? Il se trouve que le rapport de force depuis la guerre entre l'Europe et ses menaces éventuelles, qui étaient de l'autre côté du mur, c'est-à-dire à l'Est, et qui peuvent venir de partout, le terrorisme, etc. Ce rapport de force, il était simple. En dehors de la France, tous les pays considéraient que c'était les États-Unis qui étaient l'assurance suprême pour notre sécurité. Tous les pays. Et ils achetaient du matériel américain pour leur sécurité. Il se trouve que sur nombre de ces matériels, on apprend que les États-Unis ont gardé une capacité... Enfin, ils ont gardé une clé.

Carine BÉCARD

Il peut bloquer quoi !

François BAYROU

Je ne sais pas si vous voyez ce qu'est le tremblement de terre dans les esprits, à partir du moment où Donald TRUMP dit : je n'honorerai pas nécessairement la défense de mes alliés. J'ai aidé l'Ukraine pendant 3 ans, nous avons aidé les États-Unis, l'Ukraine pendant 3 ans, eh bien non, on va s'arrêter, et même, on vient vous expliquer qu'au fond, POUTINE avait raison.

Carine BÉCARD

Donc très dangereux, Donald TRUMP qui en plus, là, nous impose des droits. 200 % sur…

François BAYROU

Très dangereux, POUTINE, d'abord le….

Carine BÉCARD

Oui. On l'a bien entendu.

François BAYROU

Essayons de ne pas renverser.

Carine BÉCARD

Mais vous avez fait la transition.

François BAYROU

Deuxièmement, ce que fait le président des États-Unis est une déstabilisation complète, y compris pour son peuple. Quand vous mettez des droits de douane, vous introduisez de l'inflation. Comme les produits paient des droits, les prix montent. C'est assez simple. Et donc le peuple américain, vous avez vu les pronostics d'un certain nombre d'instituts économiques américains qui tablaient sur une croissance de l'économie américaine de 4 % et même de 4,5 % l'année prochaine et qui table désormais sur une chute de 3 % au lieu de +4 ou -3.

Carine BÉCARD

Mais donc, nos produits vont coûter très cher et ils ne seront pas achetés par les Américains, notamment les vins et les champagnes français. Qu'est-ce qu'on fait pour la population ?

François BAYROU

Sur la question des vins et des champagnes, qui est une question incroyable, j'étais avec les producteurs de cognac…

Carine BÉCARD

Hier ou avant-hier.

François BAYROU

Avant-hier. C'est une question terrible. Il y a 70 000 personnes qui vivent du cognac et ils sont pris sous le double feu de la Chine d'un côté et des États-Unis de l'autre.

Carine BÉCARD

Qu'est-ce que le Gouvernement peut faire ?

François BAYROU

Est-ce qu'on a fait quelques maladresses ? Enfin, on. Est-ce que des maladresses ont été faites ? Probablement oui, parce qu'on a introduit le bourbon du Kentucky comme si c'était une menace commerciale, parce qu'on a repris une liste très ancienne sans relire la liste comme il aurait fallu.

Carine BÉCARD

Voilà. La communauté européenne... Enfin, pardon, la Commission.

François BAYROU

C'est en effet au niveau de la Commission européenne. Nous avons 15 jours devant nous pour essayer, essayer, de trouver un chemin, et nous travaillons depuis des semaines à essayer de trouver un chemin avec la Chine pour cette production.

Carine BÉCARD

Avec les États-Unis ou la Chine ?

François BAYROU

Avec la Chine qui a introduit des droits de douane conséquents, et avec les États-Unis sur ce sujet.

Françoise FRESSOZ

C'est-à-dire que vous êtes plus dans la négociation par rapport à TRUMP sur les droits de douane pour limiter la casse ou de dire non, on va riposter et puis on va se préparer, on va peut-être aider nos producteurs ? Dans quel état d'esprit vous êtes par rapport à cette guerre commerciale ?

François BAYROU

Je suis pour essayer d'arranger les choses le plus vite possible. Et je pense que la négociation n'a pas complètement échoué encore.

Carine BÉCARD

Donc frontal mais un peu d’esquive ?

François BAYROU

Vous avez vu qu'il y a eu des déclarations, des tweets de TRUMP mais pas de décision encore. On va voir. Dès l'instant qu'on se trouverait en situation d'échec dans le travail de négociation, alors il faudrait chercher d'autres décisions, d'autres mesures, d'autres mesures d'escalade, et franchement, ce n'est pas à souhaiter, mais s'il faut, il faut. Vous savez, sur les canons autrefois, au XVIIe siècle, vous pouvez le voir aux Invalides, sur les canons anciens, il y avait une phrase latine, c'était « ultima ratio regum », le dernier argument des rois. Le dernier argument. La guerre, c'est le dernier argument. Si on peut éviter et faire en sorte qu'on arrange le plus possible de choses, alors il faut le faire. Est-ce que je suis optimiste ? Pas forcément. Je vois le tour qui a été pris par les uns et les autres, par les uns, les États-Unis et par les Russes. Je trouve que le monde dans lequel nous sommes entrés, c'est exactement le contraire du monde que nous avions décidé de construire. Le monde que l'on avait décidé de construire, c'est « force sera à la loi », et le monde qu'on est en train de faire, c'est « loi sera à la force ».

Nathalie SAINT-CRICQ

Comment vous expliquez qu'il y a un certain nombre de personnes dans le Gouvernement, dans l'opposition ou dans l'exécutif qui considèrent que vous êtes bien paisible pendant cette période et qu'au moment donné où il faudrait avoir une espèce de « ton Churchillien » vous gardez votre calme ?

François BAYROU

Vous ne trouvez pas que c'est un ton qui est un peu Churchillien ?

Nathalie SAINT-CRICQ

Non, mais attendez…

François BAYROU

Je garde mon calme parce que, excusez-moi, si j'avais perdu mon calme…

Nathalie SAINT-CRICQ

(inaudible) je n’ai pas dit sur (inaudible), j’ai dit (inaudible).

François BAYROU

Si je perdais mon calme, alors probablement, je ne serais pas à la dimension de cette responsabilité.

Carine BÉCARD

Mais il n'y a pas que le calme, François BAYROU. On lit beaucoup aussi le flou, le brouillon. Vous êtes d'accord avec ça ou pas ?

François BAYROU

Vous trouvez que c'est flou, ce que j'ai dit ?

Carine BÉCARD

Non, mais...

François BAYROU

Bon, alors, attendez. On va s'arrêter une seconde.

Carine BÉCARD

Allons-y.

François BAYROU

Vous êtes des journalistes...

Carine BÉCARD

Et là, vous êtes (inaudible)

François BAYROU

Vous êtes des journalistes éminentes.

Carine BÉCARD

On essaye. Surtout mes consœurs.

François BAYROU

Vous voyez que je dis ça en gardant le…

Françoise FRESSOZ

Bon, alors mais…

Nathalie SAINT-CRICQ

Et ensuite ?

François BAYROU

Vous êtes des journalistes éminentes.

Nathalie SAINT-CRICQ

C’est la deuxième partie qui est importante.

François BAYROU

Et vous dites : « non, ce que vous dites n'est pas flou ». Arrêtons-nous là. Faisons le constat qu'en effet, ce que je dis n'est pas flou et plus encore, qu'en effet, j'ai une méthode qui ne ressemble pas complètement à la méthode de mes prédécesseurs.

Nathalie SAINT-CRICQ

Attendez…

François BAYROU

Et je vais vous dire pourquoi. Parce que si mes prédécesseurs avaient eu la bonne méthode…

Nathalie SAINT-CRICQ

On n'en serait pas là. D'accord, ça, on l’a compris.

François BAYROU

…nous n’en serions pas là.

Nathalie SAINT-CRICQ

Mais on va être au budget…

Carine BÉCARD

Nathalie.

Nathalie SAINT-CRICQ

On va être à l'année zéro du budget. Vous avez dit pour l'instant que pour ce qui est du budget 2025, vous faisiez comme vous pouviez, et ça, on a bien vu, de manière à s'en sortir, c'est-à-dire qu'au moins, on ait un budget. Bon, 2026, c'est demain, c'est-à-dire que vous allez commencer à rentrer dans le dur, ce que vous avez appelé l’année zéro.

François BAYROU

C'est en septembre, oui.

Nathalie SAINT-CRICQ

Oui, mais enfin, ça se prépare avant.

Françoise FRESSOZ

Pour compléter le tableau : moins de croissance, plus de dépenses et des déficits, et une dette qui coûte de plus en plus cher.

François BAYROU

Eh oui.

Nathalie SAINT-CRICQ

(inaudible) un petit cas, quoi.

François BAYROU

Eh oui. Eh bah, c'est précisément…

Carine BÉCARD

Donc, équation impossible.

François BAYROU

C’est précisément la raison pour laquelle je pense qu'il faut reprendre les choses à la base. Je pense qu'il faut que chacune des dépenses de l'État soit examinée en se demandant si elle est indispensable et si elle marche. Chacune des dépenses de l'État. Et on doit le faire maintenant. Et en attendant...

Carine BÉCARD

Oui, mais chacun va défendre son pré carré, on les connaît, les ministres.

François BAYROU

Oui, mais vous voyez... Carine BÉCARD, je comprends très bien ce que vous dites. Vous dites : « ça ne peut pas marcher, on les connaît, les ministres » C'est votre affirmation.

Carine BÉCARD

Non. On les a encore vus là, par exemple, pour votre budget. Dès lors que leur montant de dépense baissait, ils se sont tout de suite tournés vers Matignon en disant : « Ce n'est pas possible. Moi, tu sais, j'ai absolument besoin de mon budget ».

François BAYROU

Beaucoup plus encore que vous ne pouvez imaginer.

Carine BÉCARD

Imaginer, ça, je n'en doute pas.

François BAYROU

Oui. Et les médias font écho.

Carine BÉCARD

Oui.

François BAYROU

Tout le monde dit : “oui, en effet, là, ce n'est pas possible, il y a 10 millions qu'on ne peut pas enlever.”.

Carine BÉCARD

L'écologie doit absolument avoir plus de...

François BAYROU

Vous voyez bien à quel point nous sommes contraints de changer de méthode. Et c'est ça qu'on est en train de faire. Et c'est très...

Nathalie SAINT-CRICQ

Parce qu'on a le temps, quoi.

François BAYROU

Oh, ce n'est pas qu'on a le temps. On est à l'heure près. Mais ça demande un travail de préparation, pas de préparation, de réévaluation considérable.

Nathalie SAINT-CRICQ

Et des convictions.

François BAYROU

Je vais vous dire ce que j'ai dit au ministre. J'ai dit : « le budget 2026, on ne peut pas le faire comme on a fait le budget 2025 » Et d'ailleurs, comme on a fait le budget des 30 années précédentes. Comment faisait-on le budget ? C'est très simple.

Nathalie SAINT-CRICQ

On prend des (inaudible).

François BAYROU

On prenait le budget de l'année avant et on y ajoutait un coefficient d'inflation. Est-ce que ça peut se reproduire ? Ça ne peut pas. Et donc, c'est avec le soutien de tous les fonctionnaires qui, eux, savent qu'assez souvent, on dépense de l'argent pas à très très bon escient, que l'action de l'État, elle n'est pas organisée comme il faudrait. Tiens, je vais vous raconter un truc. Je peux vous raconter une histoire pour vous faire sourire ?

Carine BÉCARD

Dépêchez-vous. Vous me connaissez, moi, je suis le maître des horloges.

Nathalie SAINT-CRICQ

Il y a une petite question sur l’Algérie, mais enfin, ce n’est pas grave.

Carine BÉCARD

Oui, voilà, on a une petite question sur l’Algérie quand même.

François BAYROU

Il y a un des ministères importants qui, après mes alertes, a adressé un questionnaire très important à toutes les collectivités locales pour leur demander s'il était vrai qu'ils avaient besoin de l'intervention de l'État pour leur travail, en disant : « telle agence, telle agence, telle agence, est-ce que vous en avez besoin ? » Et le directeur des services de la ville et de l'agglomération de Pau avait envie de répondre : « non, on n'a pas besoin. » Et il a essayé de répondre “non”. Et on ne peut pas parce que…

Carine BÉCARD

Bah oui, sinon…

François BAYROU

…pour passer de la première à la deuxième page, on lui disait : “vous ne pouvez pas passer si vous n'avez pas coché au moins une des cases dans lesquelles vous réclamez l'action de l'État sur tel ou tel sujet.”. Deuxième exemple pour sourire.

Carine BÉCARD

Plus vite.

François BAYROU

Un ministère a envoyé un plan, un questionnaire pour qu'on détermine dans chaque collectivité qu'est-ce qu'il y avait comme plan ou comme action verte dans le budget.

Carine BÉCARD

Écolo.

François BAYROU

La notice d'accompagnement fait 144 pages.

Carine BÉCARD

Voilà.

Nathalie SAINT-CRICQ

Alors, ça va être…

Carine BÉCARD

Je m’étonne, il y a du boulot.

Nathalie SAINT-CRICQ

Je vais essayer de faire rapide.

Carine BÉCARD

Nathalie.

François BAYROU

Vous voyez ce que je veux dire ? Il y a du boulot dans tous les aspects de l'État.

Carine BÉCARD

Ça, on en est sûres.

François BAYROU

Et si vous ne comprenez pas ça en disant : « il faut faire comme d'habitude », excusez-moi, j'ai choisi, ce n'est pas que j'ai choisi. La nécessité impose de ne pas faire comme d'habitude et de changer de pratique.

Carine BÉCARD

Elon MUSK, il est très efficace, Elon MUSK.

Nathalie SAINT-CRICQ

Ça veut dire que...

Carine BÉCARD

C’est cette question-là que vous êtes en train de soulever, finalement ?

François BAYROU

Non, non. Elon MUSK, il fait absolument le contraire de ce qu'il faut faire, pas que sur ce sujet. C'est-à-dire que lui, il prend une tronçonneuse. Moi, je n'ai jamais pensé qu'on pouvait guérir une plaie avec une tronçonneuse.

Nathalie SAINT-CRICQ

Oui, enfin, les ciseaux à ongles, au bout d’un moment, il va falloir peut-être, non ?

Carine BÉCARD

Nathalie, sur l’Algérie.

Nathalie SAINT-CRICQ

Ce que je voulais dire… poser la question sur l’Algérie. C’est que vous avez l'air… tout à l'heure, vous disiez à Françoise : il faut de la conviction, il faut convaincre les gens pour le réarmement moral, le financier et tout. L'Algérie, vous avez tapé du poing sur la table.

François BAYROU

Oui.

Nathalie SAINT-CRICQ

Bruno RETAILLEAU le fait aussi. En gros, il a laissé entendre que si tout ça, ça ne donnait rien, il pourrait prendre le large.

Carine BÉCARD

Dans la presse ce matin, il menace de démissionner.

Nathalie SAINT-CRICQ

Dans la presse ce matin. Est-ce qu'il y a partage des rôles entre Emmanuel MACRON et vous, vous et Bruno RETAILLEAU, pour faire les méchants ou les mecs qui… enfin, les gens, pardon.

Carine BÉCARD

Les bad cops.

Nathalie SAINT-CRICQ

Les bad cops et Emmanuel MACRON qui reste un pilier dans les diplomaties, où en gros, tout le monde considère que si… Il vous avait donné un mois et demi, pour commencer à faire un certain nombre de choses.

François BAYROU

Et on a passé la liste hier.

Nathalie SAINT-CRICQ

Voilà. Et vous avez l'impression que ça va s'arranger ? Tous les jours, on a l'impression qu'il y a une OQTF…

Carine BÉCARD

Il reste 3 semaines.

Nathalie SAINT-CRICQ

…obligation de quitter le territoire français, qu'on arrête et qu'il ne peut pas être reçu en Algérie. Vous êtes tous d'accord là-dessus ? Est-ce que vous êtes tous d’accord là-dessus ?

Carine BÉCARD

OQTF : obligation de quitter le territoire français.

François BAYROU

Alors, je considère que sur le fond, il n'y a pas de différence entre le président de la République, le ministre de l'Intérieur et moi sur le...

Nathalie SAINT-CRICQ

C'est vous qui considérez ça ou c'est vrai ?

François BAYROU

Non, je pense qu'il n'y a pas de différence.

Nathalie SAINT-CRICQ

D’accord.

François BAYROU

Le président de la République, il est garant des traités. C'est son rôle dans la Constitution. Il a exactement les mêmes indignations qui sont celles du ministre de l'Intérieur et les miennes sur le fait qu'entre pays liés par un traité d'amitié et de super coopération en raison de l'histoire, il n'est pas possible d'avoir un refus de reprendre des ressortissants qui sont considérés…

Nathalie SAINT-CRICQ

Qui ont des papiers.

François BAYROU

Qui ont des papiers.

Nathalie SAINT-CRICQ

Qui ont des papiers algériens, qui pourraient très bien atterrir. Enfin, ils atterrissent, d'ailleurs, mais ils ne sortent pas.

François BAYROU

Et deuxièmement, puis-je ajouter qu'il n'est pas possible non plus qu'il y ait des campagnes hostiles, s'agissant de l'Algérie, enfin du gouvernement algérien, à la France…

Nathalie SAINT-CRICQ

Avec les influenceurs.

François BAYROU

…à la langue française, au refus ou au choix d'exclure la langue française des classes et de la vie publique.

Carine BÉCARD

Et donc, il faut un peu de fermeté, là.

François BAYROU

Et de la vie publique. Et donc, il faut de la fermeté. Mais la fermeté, elle ne parle pas nécessairement fort.

Carine BÉCARD

Alors, il nous reste…

François BAYROU

C'est une chose très importante. Et je veux le dire, en particulier…

Nathalie SAINT-CRICQ

Mais est-ce que la fermeté va l’emporter ? Assez rapidement.

François BAYROU

Et en particulier, je veux le dire parce que nous avons beaucoup de compatriotes d'origine algérienne, nous avons des personnes qui vivent en France, très nombreuses, qui sont binationaux algériens ou d'origine algérienne. Est-ce que c'est avec eux qu'on a des difficultés ?

Nathalie SAINT-CRICQ

Non.

Carine BÉCARD

Non, non. Alors,...

François BAYROU

Est-ce que c'est avec le peuple algérien qu'on a des difficultés ? Non. Nous avons une difficulté entre gouvernements. Et il faut la prendre à ce degré-là et le faire...

Nathalie SAINT-CRICQ

Mais ça va aboutir.

François BAYROU

J'espère que ça va aboutir. Autrement, nous aurons une révision complète, une remise en cause complète de ces accords. Et cette remise en cause, elle est d'ailleurs prévue par un accord qui a été signé en 2022.

Carine BÉCARD

Allez, il nous reste très peu de temps et il nous faut absolument revenir sur l'affaire Bétharram, évidemment. Deux questions très précises, François BAYROU. La Commission d'enquête parlementaire, mise en place après les révélations sur ce scandale, a fait savoir qu'elle souhaitait vous entendre, vous auditionner. Est-ce que vous irez ?

François BAYROU

Si j'ai une convocation officielle, je vais toujours. Est-ce que j'ai... C'est une affaire... Vous savez, il y a eu des plaintes. Elles ont été classées sans suite.

Carine BÉCARD

Vous concernant, oui.

François BAYROU

Elles ont été classées sans suite. La justice a dit...

Carine BÉCARD

Oui, complètement, les deux.

François BAYROU

Qu'est-ce que c'est, cette affaire ? C'est une manœuvre de déstabilisation et un drame. Du drame, ceux qui conduisent à la manœuvre de déstabilisation, ils s'en fichent. Ils n'ont jamais rencontré les victimes, ça ne les intéresse pas. Moi, j'ai rencontré les victimes, c'était même la première fois qu'ils se rencontraient entre eux.

Carine BÉCARD

Mais c'est parce qu'il y a eu un scandale politique qu'on a entendu parler, en fait, de cette affaire aussi ?

François BAYROU

Non, c'est parce qu'il y a eu un scandale qui visait un politique pour essayer de le déstabiliser.

Carine BÉCARD

Oui, c’est juste.

François BAYROU

C'est bien que vous disiez que c'est vrai. Donc c'est une chose très importante. Le maire de la commune sur laquelle est situé Bétharram, ce n'est pas un de mes amis politiques, c'est un militant du Parti socialiste très, très investi. Et il a fait une déclaration publique en disant : « mais ce n'est pas vrai que nous savions ». Il est maire depuis 2002, il est maire depuis 23 ans.

Carine BÉCARD

23 ans.

François BAYROU

Il dit : « ce n'est pas vrai qu'on savait ». Il y a eu deux choses. Il y a eu en effet une claque en 1996, inacceptable, sur laquelle il y a eu saisine de la justice, jugement, condamnation et licenciement de la personne qui avait donné la claque. Et j'ai demandé, j'étais ministre à cette époque, il y a quand même 30 ans, et j'ai demandé une inspection. L'inspection a eu lieu. Et l'inspection a dit que ce n'était pas vrai. Et puis, il y a eu un drame qui a entraîné un jeune garçon qui a révélé un drame de pédophilie. Et l'auteur du drame s'est suicidé. Et depuis…

Nathalie SAINT-CRICQ

Après avoir pu se réfugier au Vatican.

François BAYROU

Oui, parce que la justice…

Nathalie SAINT-CRICQ

C’est-à-dire qu’en gros, la justice a un peu traînassé, et comme par hasard, il a été au courant.

François BAYROU

Non, la justice n'a pas traînassé, vous vous trompez. Vous voyez, on passe son temps… Encore une fois, c’est parce que…

Nathalie SAINT-CRICQ

Non, non, je ne passe pas mon temps, je me suis juste étonnée, en regardant les faits, que cette personne ait pu aller se mettre à l'abri.

François BAYROU

C'est parce que c'est ma région, la justice, il avait été mis en garde à vue et la justice l'a libérée. Il lui a donné l'autorisation d'aller en effet…

Carine BÉCARD

Il vous reste quelques secondes.

François BAYROU

…sur le territoire du Vatican. Et après, il a été rappelé et il a mis fin à ses jours. Et c’est en 99, quelque chose comme ça, en 25 ans. Et il n'y avait pas eu d'alerte entre-temps. Et c'est... Je dois dire que ce que vous avez dit est vrai.

Carine BÉCARD

Merci.

François BAYROU

C'est parce que j'ai été ciblé par une manœuvre politique que ces choses sont sorties.

Carine BÉCARD

Exactement.

François BAYROU

Et moi, j'ai reçu les victimes.

Carine BÉCARD

Merci.

François BAYROU

Et je travaille avec elles. Et Élisabeth BORNE a, ce matin…

Carine BÉCARD

Complètement, je voulais en venir là mais…

Nathalie SAINT-CRICQ

Plus d’inspections, plus de contrôles.

François BAYROU

…présenté un plan pour lutter contre ce genre de dérive, et ce plan a, je crois, l'avis unanime ou l'accord, y compris des victimes, et je crois qu'elle va recevoir le porte-parole des victimes.

Nathalie SAINT-CRICQ

Il y a des institutions dedans.

Carine BÉCARD

Merci beaucoup François BAYROU. Je savais que c'était trop court, une heure, mais merci d'être venu sur le plateau de Questions politiques.

François BAYROU

On fera deux heures la prochaine fois.

Carine BÉCARD

Un grand merci aussi à toute l'équipe. Cécile BIDAULT à la rédaction en chef ce dimanche, à Henry BAUCHET pour la programmation. Merci également à Fabienne LE MOAL, évidemment. Je vous souhaite une très belle fin de week-end. À la semaine prochaine.

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