François Bayrou : le seul courant qui n'ait jamais varié sur l'Europe, c'est le courant central
François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, était l'invité de BFM Politique ce dimanche 10 mars à 12h sur BFM TV.
Seul le prononcé fait foi.
Neïla Latrous : François Bayrou, je veux commencer par la campagne européenne qui a été lancée hier à Lille en présence de tous les poids lourds de la majorité, donc vous y étiez, Gabriel Attal aussi, Edouard Philippe, Gérald Darmanin, et évidemment Valérie Hayer, votre tête de liste avec un fil rouge au fond pendant ce meeting, c'était le Rassemblement national. À se demander, est-ce que votre objectif pour les européennes, est-ce que c'est de l'emporter ou est-ce que c'est de limiter la casse face à Jordan Bardella ?
François Bayrou : Je pense que l'un et l'autre sont faux.
Neïla Latrous : Ah bon ?
François Bayrou : Les 2 affirmations sont fausses.
Neïla Latrous : Pourquoi ?
François Bayrou : D'habitude, les élections européennes, c'est de la politique. C'est-à-dire des rapports de force, des discours, des promesses, des critiques. Et c'est classique, on a vécu ça 100 fois. Ce n’est pas du tout la situation aujourd'hui. Aujourd'hui, la situation, elle est, le moins qu'on puisse dire historique, c'est-à-dire que l'essentiel de ce que nous vivons et croyons a été mis en jeu, a été menacé et est menacé tous les jours depuis 2 ans. Le 24 février 2022, quand la Russie de Poutine a attaqué l'Ukraine, presque sans défense, quelque chose a basculé dans le monde.
Neïla Latrous : Ça, François Bayrou on va y revenir. Vous avez parlé d'Ukraine, mais vous avez surtout parlé de Rassemblement National ?
François Bayrou : Non, hier, je n'ai pas prononcé dans mon discours le mot du Rassemblement national.
Neïla Latrous : Alors pas vous personnellement, mais Gabriel Attal, Edouard Philippe, Valérie Hayer…
François Bayrou : Oui, mais parce que les chose se focalisent, mais ça n'est pas le cadre de ce que je pense. Et comme c'est moi que vous interrogez, je vais essayer de vous dire ce que je pense, moi. Ce qui se passe, c'est un basculement. C'est un basculement analogue à ce qui s'est passé dans les années 30, au moment où on montait, où on sentait monter d'un côté Hitler, et puis on a découvert après Staline et que ces 2 puissances, qui ont été alliées à un moment, ces 2 puissances avaient fait basculer le monde dans autre chose.
Neïla Latrous : Pour vous Poutine, c'est Hitler, c'est Staline, c’est tous ceux-là ?
François Bayrou : Je n'ai pas dit ça, mais je dis ce que nous avons vécu et que je caractérise simplement : ils ont fait basculer le monde du côté de la force brutale, de la force contre le droit.
Marion Mourgue : François Bayrou, dans ce contexte, est-ce qu'on n'a pas envie d'entendre aussi des propositions ? Hier, on n'a pas entendu une seule mesure pour l'Europe que vous souhaitez, on a entendu cette attaque contre le Rassemblement National, est-ce que vous ne craignez pas, un moment, que ça lasse même vos électeurs ?
François Bayrou : Est-ce que vous voulez bien écouter ce que je réponds quand vous me posez une question ? Vous avez bien voulu convenir que mon discours hier ce n’était pas sur votre focalisation. Il y aura des propositions, il y aura un programme, mais ce qui compte c'est que nous arrivions à savoir et à comprendre tous ensemble où nous en sommes. Aujourd’hui, qu'est-ce qui est en jeu et quel est le risque ? Et ce que le président de la République a dit, et il l'a dit avec force, c'est que ce qui se passe en Ukraine nous concerne. Nous, Européens et citoyens du monde.
Neïla Latrous : François Bayrou, on va y arriver, on va y arriver sur l'Ukraine. Mais pour bien comprendre ce que vous dites, vous dites, si on fait campagne uniquement contre le RN, on fait fausse route. On ne parle pas des vrais enjeux ?
François Bayrou : Je n'ai pas prononcé cette phrase, mais je ne crois pas que la solution soit de faire du Rassemblement national, le seul sujet de la campagne électorale. D'une certaine manière, c'est lui faire un cadeau. Alors il faut naturellement le placer, placer ses représentants, face à leurs responsabilités. Et Dieu sait que leurs responsabilités dans cette affaire ont été considérables. Le nombre de fois où ils sont venus, pas seulement eux, mais les amis de Mélenchon aussi, ceux de Zemmour, où ils sont venus sur votre plateau dire : mais ce n’est pas vrai que Poutine va attaquer l'Ukraine, mais qu'est-ce qu'il irait faire en Ukraine ? Si vous ressortez les enregistrements de ces interviews, vous allez trouver ces phrases exactement. Ceux qui prétendent qu'il y a un risque n'y connaissent rien. Et bien, ce n’est pas comme ça que les choses se sont passées. Ils ont été de mauvais conseils tous ensemble, tous les anti-européens, ils ont été de mauvais conseils tout le temps.
Matthieu Croissandeau : À propos des anti-européens. Gabriel Attal a dit hier à propos de votre liste : « nous sommes les seuls vrais défenseurs de l'Europe dans le paysage politique français ». Ce n’est pas un peu énorme ? Ça veut dire que le PS qui siège avec les sociaux-démocrates, LR qui siège au PPE ou encore les écologistes ne sont pas des vrais Européens ? Pour vous, ce sont des anti-européens ?
François Bayrou : Je ne veux pas employer des mots de cet ordre, mais enfin le seul courant politique qui ait été constamment, sans jamais varier d'un bout à l'autre, favorable à la construction de l'Europe, c'est ce grand courant central et c'est nous qui l'incarnons et qui en sommes la force principale. J'appartiens au parti, je suis le président du parti qui était le parti de Robert Schuman. On n'a jamais varié sur ce point. Regardez… Quand je dis, les anti-européens ont été…
Matthieu Croissandeau : Le PPE, pro-européen aussi ?
François Bayrou : Oui aussi, bien sûr, mais vous accepterez aujourd'hui de considérer que leur capacité d'expression en France est diminuée. Ça arrive à tout le monde, ça nous est arrivé, donc je ne …
Matthieu Croissandeau : Mais Valérie dit qu'elle vote à 90% avec Raphaël Glucksman, donc ça prouve bien qu'ils ne sont pas anti-européens ?
François Bayrou : Mais personne ne dit ça et je ne souhaite pas en faire un sujet de polémique. Ce n’est pas ça le sujet. Regardez, quand je dis : ils ont été de mauvais conseils tout le temps. Maastricht, vous vous souvenez, et là le moins que l'on puisse se dire, c'est que c'était partagé dans les 2 courants que vous indiquez…
Matthieu Croissandeau : Vous avez divisé à droite et à gauche.
François Bayrou : Le seul courant qui était compact et solidaire autour de cette idée de construction d'une puissance européenne qui passe aussi par une monnaie. Ils étaient contre. Où en serions-nous aujourd'hui ? Après la crise que nous avons connue, la crise de l'inflation que nous avons connue, où en serions-nous aujourd'hui si l'euro n'existait pas ?
Matthieu Croissandeau : Mais plus personne ne réclame de sortir de l'euro.
François Bayrou : Ah, mais votre phrase est très intéressante. En effet, d'un bout à l'autre, on peut distinguer ceux qui défendaient cette ligne essentielle, vitale, de sauvegarde et de préparation du futur qui est celle de la construction de l'Union européenne, on aura l'occasion d'en dire un mot. Et ceux qui était contre et qui viennent après, ce que vous avez évoqué à l'instant, dire : ah mais finalement on ne réclame plus. Ils étaient pour la sortie de la France de l'Union européenne, ils ne réclament plus. Ils étaient contre l'euro, ils ne le réclament plus.
Neïla Latrous : Vous dites qu’on ne peut pas leur faire confiance, qu'au fond ils varient ?
François Bayrou : J'ai été interrogé sur ce point : « comment pouvez-vous dire que vous êtes les seuls vrais Européens ? » L'expression est excessive, sans doute, mais le seul courant qui n'ait jamais varié sur ce point, en disant, après le 20e siècle que nous avons connu dans l'histoire telle qu'elle est en train de se bâtir… La seule option, si nous voulons survivre et trouver de l'avenir, c'est de bâtir une Union européenne solidaire dans laquelle nous serons ensemble pour faire face aux crises du monde.
Neïla Latrous : François Bayrou, vous dites il ne faut pas faire l'intégralité de la campagne sur le Rassemblement National. Et pourtant les chiffres sont têtus encore ce matin : enquête d'opinion Elabe pour BFMTV et la Tribune Dimanche, Jordan Bardella, 12 points et demi devant votre candidate Valérie Hayer. Est-ce que vous dites ce n’est pas qu'un scrutin européen, il y a un enjeu qui nous dépasse ? En cas d'échec, si on reste sur ces écarts le 9 juin prochain, est-ce qu'il faut en tirer des conclusions nationales ? Est-ce qu’il faut changer de gouvernement ?
François Bayrou : Est-ce que je puis, avec un sourire amical, vous dire que vous avez commencé l'interview en disant : mais vous êtes obsédés, vous ne parlez que du Rassemblement National
Neïla Latrous : Vous allez me dire qu'on y participe, mais on a un sondage ce matin…
François Bayrou : Votre question, les sondages, tout ce que vous voulez, vous prenez ce sujet-là. Je n'ai pas l'intention de faire du Rassemblement National, du Front national une obsession de campagne électorale.
Neïla Latrous : Oublions l'étiquette de Jordan Bardella. Est-ce que lorsqu'on redémarre la campagne, 12 points et demi derrière le favori alors qu’on est une majorité pro-européenne, alors que vous dites, on n'a jamais varié, on a toujours été les défenseurs de l'Europe, est-ce que ça reste un désaveu national et est-ce qu'il faut en tirer des conclusions auquel cas ?
François Bayrou : Je pense que ça n'a rien à voir avec une affaire intérieure. C'est une affaire de conscience des citoyens européens et des citoyens français, sur l'immense défi que nous avons devant nous aujourd'hui et qui est un défi de survie.
Marion Mourgue : Alors justement dans ce contexte, et vous dites bien…
François Bayrou : De survie et d'avenir !
Marion Mourgue : Mais est ce que la tête de liste Valérie Hayer est à la hauteur ? Est-ce que vous en avez parlé par exemple avec Emmanuel Macron avant qu'il choisisse puisqu'on sait que vous êtes en négociation pour constituer la liste ?
François Bayrou : C'était un choix qui n'était pas facile. Et c'est une jeune femme qui a cet immense avantage... Trois avantages, et un quatrième. Premier avantage, elle connaît le Parlement européen, elle y siège depuis 5 ans. Elle est présidente du groupe que nous avons constitué au Parlement européen.
Neïla Latrous : Il vous a consulté Emmanuel Macron d'ailleurs sur ce choix ?
François Bayrou : Oui, bien sûr. Et donc premier avantage, elle est enracinée dans le Parlement européen. Deuxième avantage, c'est une jeune femme qui vient du terrain, qui vient de la Mayenne.
Matthieu Croissandeau : Elle dit « Je suis de quelque part ».
François Bayrou : Oui, elle a raison. Et c'est en cela que nous nous reconnaissons. C’est une fille de paysan de la Mayenne. Elle a été élue locale très jeune, à 21 ans. Elle a travaillé avec Jean Arthuis quand il était au Sénat. Donc de ce point de vue-là, elle a aussi un enracinement. Et troisièmement, elle a une authenticité. C'est-à-dire que j'écoute les discours, j'écoute les prises de position. Au fond, vous pouvez dire absolument à l'avance ce que tout le monde, ce que tous les autres intervenants principaux, comme vous les indiquez, vont dire. Elle a une authenticité et je suis sûr que cette authenticité, elle va la faire entendre. Pour l'instant, ça n'est pas très facile pour elle parce qu'elle n'a jamais fait de campagne et c'est très bien pour qu'il y ait une fraîcheur !
Marion Mourgue : Et alors sur sa ligne, vous aurez combien de places ? On ne connaît toujours pas la liste, le MoDem aura combien de places ?
François Bayrou : Mais vous connaissez la liste des autres ?
Marion Mourgue : Oh bah, ils commencent à les constituer un peu.
François Bayrou : Oui et bien non. Nous sommes à 3 mois de cette élection, nous sommes à 100 jours, dit-on, je suis pas sûr que le compte soit absolument exact, mais c'est parce que j'ai comme ça, des obsessions arithmétiques un peu tranchées… Mais nous allons constituer la liste.
Neïla Latrous : Vous voulez combien… De toutes façons, on sait que chez vos partenaires : Horizons en veut 4, l’UDI en réclame 2. Est-ce que vous vous dites bon bah il faudrait que je puisse avoir 4 eurodéputés ?
François Bayrou : Il n’y a qu'un langage que je ne parlerai pas, c'est le langage des rapports de force chiffrés parce que je connais trop la constitution des listes…
Matthieu Croissandeau : On est à moins de 3 mois, on ne connaît pas la liste, on ne connaît pas le programme, ce n’est pas une machine à fabriquer de l'abstention ça ?
François Bayrou : Mais vous connaissez la liste du PS ?
Matthieu Croissandeau : Non mais je parle de la vôtre !
François Bayrou : Non, nous avons une tête de liste… Vous passiez votre temps à dire « vous n'avez pas de tête de liste ». Maintenant on a une tête de liste. Vous aurez le programme, vous aurez la liste. Elle devra être équilibrée. Mais pour moi, le plus important de tout, c'est que les Français aient en tête le cadre de cette élection.
Neïla Latrous : J'y viens, le cadre, François Bayrou. Vous dites, c'est une élection qui nous dépasse au fond. Hier vous avez expliqué : ce qui joue en Ukraine, c'est la vie de de la France. Il se trouve que jeudi, vous étiez à l'Élysée avec les autres chefs de partis pour une réunion autour d'Emmanuel Macron avant le vote qui doit avoir lieu la semaine prochaine au Parlement. Le chef de l'État a indiqué ne se fixer aucune ligne rouge face à à un président Poutine qui, lui, n'a aucune limite. Quand on dit « aucune ligne rouge » et qu'on est une puissance dotée, est-ce que ça veut dire qu'on pense à l'arme nucléaire ?
François Bayrou : La situation… Celui qui parle d'arme nucléaire…
Neïla Latrous : Pour l'instant, c'est Vladimir Poutine.
François Bayrou : Alors commençons par ça. Vous êtes en face d'un dictateur, d'un chef d'État qui ne recule devant rien, qui gouverne à l'intérieur de son pays par l'assassinat. Qui, avec un pays surarmé, se jette sur un pays qui était son voisin et chez qui personne ne pouvait voir une menace de quelque ordre que ce soit… Le sentiment général est qu'il allait s'écrouler en 15 jours. Le sentiment exprimé par tous les leaders. Je me souviens de leaders importants qui disaient mais vous dites que l'Ukraine va résister, ce n’est pas sérieux.
Neïla Latrous : Et pourtant l'Ukraine résiste.
François Bayrou : Ils ont résisté héroïquement. Ils ont résisté au prix de dizaines de milliers de morts. Et qu'est-ce qu'ils défendent les Ukrainiens ? Ils défendent le droit, c'est-à-dire notre liberté, et la liberté du monde !
Neïla Latrous : Mais vous ne répondez pas à ma question, jusqu’où il faut aller dans le soutien quand on dit aucune limite ?
François Bayrou : Et moi je vous dis, chaque fois que vous êtes devant des cas comme ça : On a très bien connu ça au moment de Munich.
Matthieu Croissandeau : On est en 1938, comme le dit Valérie Hayer ?
François Bayrou : Très souvent les mots que j'entends, les postures que je vois, ce sont les mêmes qu'au moment de Munich.
Matthieu Croissandeau : Qui est lâche ? Le gouvernement ?
François Bayrou : Non.
Matthieu Croissandeau : Emmanuel Macron a dit : ne soyons pas lâche.
François Bayrou : Il a raison, je ne veux pas utiliser des mots qui seraient excessifs et qui donc amoindriraient le propos de gravité que je veux tenir. Je sais que ce qui se joue, c'est la question de savoir si dans le monde, à partir de 2024, nous allons être uniquement sous le règne de la force brutale. Et ils sont nombreux, la force brutale : sous le règne de la force brutale des Russes, sous le règne de la force brutale de la Chine, lorsqu'elle menace Taïwan, sous le règne de la force brutale au Moyen-Orient. Lorsque le Hamas a attaqué le 7 octobre, qu'est-ce qu'il cherchait à faire ? Il cherchait à faire que la barbarie devienne une arme. Il ne cherchait pas à battre tel ou tel, mais il cherchait à faire…
Neïla Latrous : François Bayrou… je vous laisse finir, mais je veux bien que vous répondiez à ma question : sur aucune limite, est-ce que ce ne serait pas jusqu'à l'arme nucléaire ?
François Bayrou : Vous aurez la réponse précise et donc, lorsque le Hamas attaque le 7 octobre, il attaque pour créer l'effroi, que la barbarie soit une arme et qu'à partir de cette barbarie, des femmes violées, assassinées, éventrées, des enfants, des bébés... À partir de cette barbarie, la réplique, les représailles embrasent tout le Moyen-Orient. Pourquoi ?
Neïla Latrous : Vous dites, on laisse faire en Ukraine, on laisse faire partout, et on risque d'envoyer le message à l'ensemble des barbares, j'ai bien écouté votre discours hier à Lille, qu’au fond, on serait faibles. Ça ne répond pas à ma question quand on dit la réponse, aucune ligne rouge ?
François Bayrou : Vous aurez votre réponse…
Neïla Latrous : On est un peu tenus par le temps, François Bayrou, donc je veux bien qu’on puisse avancer sur ce point-là.
François Bayrou : Oui, mais vous avez dit : laisser faire en Ukraine, c'est laisser faire partout. Non, c'est pire que ça. Laisser faire en Ukraine, c'est donner son aval au fait que la force brutale désormais va l'emporter sur le droit partout.
Marion Mourgue : Mais vous voyez bien qu'on est assez seul sur cette position. Alors est-ce que la France peut mener cette bataille seule, sans coalition, sans soutien ?
François Bayrou : Je vais vous dire Marion Mourgue. Pour moi, ce n’est pas grave d'être seul quand vous défendez la vérité, la liberté ou le droit, ou des choses essentielles…
Marion Mourgue : Mais pour créer un rapport de force, il faut aussi qu’on soit soutenu !
François Bayrou : Il arrive qu'on soit seul, et puis après, les événements se déroulent et montrent à tout le monde que vous aviez raison. Le général De Gaulle était seul en 40, seul.
Matthieu Croissandeau : Juste, il faut être clair, François Bayrou. On a jeudi un président qui dit il y a aucune ligne rouge, et puis vendredi un ministre de la Défense qui dit il n'est pas question d'envoyer au sol, des troupes combattantes. Ce n'est pas un peu incohérent ? Et puis quelle serait la raison d’envoyer des troupes au sol ?
François Bayrou : L'expression pourrait le paraître. Ce que le président de la République a dit, il n'a jamais dit la phrase qu'on lui a prêtée…
Matthieu Croissandeau : Il n’a pas jamais parlé de ligne rouge ?
François Bayrou : … Mais il a dit quelque chose de tout à fait essentiel, il a dit : quand vous êtes en face d'un risque comme celui-là, qui est un risque de voir le monde basculer dans la violence, contre le droit, dans la force contre les libertés. Quand vous êtes devant un risque comme ça, vous n'avez pas le droit de dire « je suis contre, mais ». Parce que si vous dites « mais », j'ai dit ça dans un discours l'autre jour, si vous dites « je soutiens l'Ukraine, mais », qu'est-ce que Poutine entend ? Il n’entend pas « je soutiens l'Ukraine », il entend « mais ». Il dit ceux-là, c'est très clair, ils ne feront rien.
Matthieu Croissandeau : Ceux qui disent aujourd'hui en France, il faut privilégier la paix se trompent ?
François Bayrou : Ce n’est pas qu'ils se trompe, c'est qu’ils veulent nous entraîner dans la servitude. Ou plus exactement, je ne veux pas être aussi méchant, ils acceptent de nous entraîner dans la servitude. Ils acceptent que nous refusions de regarder en face ce risque inouï que nous sommes en train de vivre, que nous sommes en train de vivre partout. Il y a une chaîne comme ça, de la force brutale. Qui fabrique les drones russes qui vont tuer les femmes, les familles, les enfants en Ukraine, qui ? C'est l'Iran qui les fabrique ! Qui il y avait derrière l'attaque du Hamas ? C'est l'Iran qui était derrière l'attaque du Hamas. Pourquoi ? Parce que la paix était en train de se négocier entre l'Arabie Saoudite, le Maroc…
Neïla Latrous : On sort un tout petit peu du sujet de de l'Ukraine. Je vois, vous dites, tout est lié. J'aimerais vous poser une question très concrète. Gabriel Attal a encore parlé du Rassemblement National, c'était à l'Assemblée en début de semaine pour assimiler les troupes de Marine Le Pen aux troupes de Vladimir Poutine. 4 jours plus tard, il dit vouloir travailler avec tout l'hémicycle. Est-ce qu'on peut travailler avec les troupes de Vladimir Poutine ou les inviter à l'Élysée, comme c'était le cas jeudi, pour parler de l'Ukraine ?
François Bayrou : Oui, il y a un moyen de s'enfermer dans une impasse : c'est de porter au plus extrême les affirmations.
Marion Mourgue : Mais les Français ont moins du mal à suivre en ce moment. On les voit assez inquiets par ces déclarations et avoir du mal à les comprendre…
François Bayrou : Les Français ont raison de s'inquiéter sur l'évolution du monde. Jamais depuis la guerre, jamais depuis 80 ans, on n'a eu autant de risques accumulés dans les dans l'orage, dans les orages qui viennent, jamais. Donc ils ont raison de se poser des questions avec gravité. C'est pourquoi toutes les histoires politiciennes on s'en fiche !
Neïla Latrous : Justement, François Bayrou, quand Gabriel Attal dit, ce sont les troupes de Vladimir Poutine, et en même temps elles sont dans l'Arc républicain… Elles peuvent être dans l'Arc républicain en étant les troupes de Vladimir Poutine ?
François Bayrou : Écoutez, vous voyez bien qu'il y a dans la vie politique française, plusieurs partis politiques qui ont défendu Poutine jusqu'au bout et au-delà du bout,
Neïla Latrous : Ils sont dans l’arc républicain ?
François Bayrou : Et est-ce que ceux-là sont les mieux qualifiés pour nous conduire ? Non ! Très importante la question que vous avez posée à l'instant. L'Arc républicain, cet adjectif républicain dissimule 2 choses, ou en tout cas caractérise 2 choses. La première, c'est la République comme institution. Est-ce que quand on est élu, on est égal avec les autres élus ? Pour moi, la réponse est oui, sans aucun problème. Et donc moi je n'ai pas de problème à faire que tous les courants politiques trouvent leur place dans le jeu démocratique français. Deuxièmement, la République, ce ne sont pas seulement des institutions, ce sont des valeurs. Et est-ce que ces partis-là défendent les valeurs républicaines, celles que nous avons apprises à l'école : la liberté, l'égalité, la fraternité, qui pour moi est la clé de voûte de tout ça.
Neïla Latrous : Est ce qu'ils les défendent ?
François Bayrou : Non.
Neïla Latrous : Merci François Bayrou.
François Bayrou : Les uns privilégient l'égalité, les autres privilégient la liberté et le laisser faire les troisièmes… Mais tous refusent en tout cas, ou les principaux refusent la réalité de la fraternité. Les gens qui ne sont pas de chez nous ou comme nous, ils sont dignes de trouver leur place.
Neïla Latrous : On va poursuivre notre conversation, François Bayrou, dans quelques instants, restez avec nous sur BFM Politique.
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Neïla Latrous : François Bayrou, président du MoDem, Haut-Commissaire au Plan, invité de BFM Politique. Une question des téléspectateurs, François Bayrou, de Fabrice, question Europe, qui vous interroge, je le découvre en même temps que vous : est-ce que vous soutenez la candidature de Madame Von der Leyen à la Commission européenne ? C'est l'actuelle présidente de la Commission européenne. Où êtes-vous d'accord avec Thierry Breton, qui est commissaire européen, notamment au marché intérieur, et qui en gros a expliqué qu’il était temps que Madame Von der Leyen passe la main ?
François Bayrou : Je suis d'accord avec Thierry Breton sur le fait essentiel que lorsque vous êtes un courant politique majeur, vous essayez de placer l'un des vôtres à la responsabilité la plus importante des institutions européennes. Et donc de ce point, alors je ne fais pas de polémique…
Marion Mourgue : Qui sera candidat alors ?
François Bayrou : Mais vous avez observé que, maintenant, LR annonce qu'il ne votera pas pour Madame Van der Leyen, alors qu'il est membre du Parti Populaire Européen, c'est-à-dire de la droite européenne qui présente Madame Van der Leyen.
Neïla Latrous : Et où elle n'a pas fait le poids.
Frabçois Bayrou : Est-ce que c'est d'une clarté absolue, vous qui me réclamiez de la clarté, et qui allez en avoir tout au long de cette émission. Est-ce que c'est une clarté absolue ? Je ne suis pas sûr.
Neïla Latrous : En tous cas, ce n’est pas votre candidate, c'est ce qu'on vient de comprendre. Et à nos téléspectateurs, je dis qu'ils peuvent continuer à vous adresser leurs questions à travers toujours ce QR code qui apparaît sur la droite de l'écran. François Bayrou, je peux vous interroger sur la dette. C'est un de vos combats historiques. 3000 milliards de dette. Dans le même temps, le gouvernement annonce la nécessité de faire des économies, 3000 milliards de dette, 30 milliards d'économies entre cette année et l'année prochaine. Est-ce que ce n'est pas une goutte d'eau dans l'océan ?
François Bayrou : Oui, mais ça serait bien de commencer par une goutte d'eau ! Et vous allez voir que quand on va essayer de commencer par cette goutte d'eau, de constituer cette goutte d'eau, ça va apparaître comme moins facile qu'on ne croirait. Mais vous avez rappelé que c'était un combat historique pour moi. En effet, j'ai eu cette, peut-être c'était une folie, je ne sais pas, de placer l'élection présidentielle de 2007 sous l'angle de l'endettement croissant de la France. Pourquoi ? Parce que vous ne pouvez pas être un pays libre, défendre votre vision des choses, être respecté dans le monde si vous êtes hyper endetté.
Neïla Latrous : Et dans le même temps, François, depuis 7 ans, tous les budgets sont en déficit, même avant Emmanuel Macron, mais depuis 7 ans aussi. Sauf que depuis 7 ans, vous les votez ces budgets !
François Bayrou : Depuis des années. Mais il s'est passé quelque chose, il s'est passé 2 choses que nous avons vécues ensemble. Il s'est passé le Covid. Et que le Covid nous a plongé, c'est l'expression que j'utilisais à cette époque, dans une économie de guerre. C'est-à-dire, qu'est-ce que c'est qu'une économie de guerre ? C'est si vous voulez que votre nation subsiste, survive, alors qu'elle est menacée d'effondrement et d'écrasement. Eh bien vous faites ce qu'il faut pour qu'elle survive.
Matthieu Croissandeau : Aujourd'hui il n’y a plus le Covid, il y a 30 milliards d'économies à trouver sur cette année et l'année prochaine on coupe…
François Bayrou : 10 milliards cette année-là.
Matthieu Croissandeau : C'est pour ça que je dis sur cette année et l'année prochaine. On coupe où François Bayrou ? Est-ce qu'on coupe, comme les premières annonces l'on essaie entendre, sur la transition écologique, sur le travail, sur l'éducation ? Ça tombe mal, ce sont les priorités du quinquennat !
François Bayrou : À mon sens, je voudrais défendre un autre point de vue, une autre méthode, une autre démarche. On ne peut pas sortir de la situation où on est sans un plan de long terme de retour à l'équilibre. Vous avez rappelé que j'étais Commissaire au Plan, que j'ai voulu que renaisse le Plan, même si c'est évidemment aujourd'hui encore une ébauche de ce que le Plan a été après la guerre. Et il faut le réinventer, parce que le Plan après la guerre, c'était à l'image soviétique et c'est plus du tout ce qu'on peut faire aujourd'hui.
Matthieu Croissandeau : On coupe où François Bayrou ?
François Bayrou : Et donc le il faut un plan de long terme, de retour à l'équilibre. Un plan sur plusieurs années et qui se fonde, et c'est là où l'intuition du Président de la République est juste, pas seulement sur les dépenses, mais sur les recettes, c'est-à-dire sur la progression de la production, la progression des emplois qui est le seul moyen de retrouver l'équilibre.
Matthieu Croissandeau : Ça c'est la partie la plus facile. Mais pour trouver 30 milliards cette année et l'an prochain ?
François Bayrou : N'attendez pas que je vous dise où…
Matthieu Croissandeau : Enfin vous êtes d'accord avec les choix qui sont fait : transition écologique, travail, on va être à la 3e réforme de l'assurance chômage…
François Bayrou : Je pense que nous avons d'immenses marges de progression et d'efficacité dans tout ce qui est la suradministration française. Mais ça nécessite que nous réinventions l'administration.
Neïla Latrous : Pour bien comprendre, vous ne dites pas « on supprime des postes de fonctionnaires », ce n’est pas ce que vous êtes en train de dire ?
François Bayrou : Non, mais on supprime s'ils ne servent à rien !
Matthieu Croissandeau : Et il y en a ?
François Bayrou : Oui, je pense que… J'allais vous dire quelque chose que je répète à mes collaborateurs…
Neïla Latrous : Allez-y !
François Bayrou : En réalité, il n'est pas d'action publique qui ne puisse être aussi efficace avec 10 ou 15% de contributeurs en moins.
Matthieu Croissandeau : Y compris dans la santé, y compris dans l'éducation ?
François Bayrou : Dans l’éducation, devant les classes, non ! Mais dans l'administration de l'éducation, oui je suis sûr qu'il y a des progrès à faire dans tout ce qui est l'administration publique. Et c'est vrai pour tout ! Je suis un fan absolu de quelqu'un dont personne ne connaît le nom, qui s'appelle Parkinson, qui est un sociologue des administrations britanniques. Si vous trouvez ses livres d'occasion, achetez-les ! Qu'est-ce qu’il dit Parkinson ? Il dit, le principe de l'administration, c'est que quand vous avez un service, il a besoin d'inventer du travail pour justifier son existence. Et très vite après, on s'aperçoit qu’ayant inventé du travail, ils sont pas assez nombreux pour le faire.
Neïla Latrous : François Bayrou, vous évoquez les recettes, Marion Mourgue a une question…
François Bayrou : Il a une phrase extraordinaire, car tout le reste il faut quelquefois aussi s'aérer l'esprit, il dit : l'administration, ça n'est pas un corps à l’état solide, ça n'est pas encore à l’état liquide, c'est un corps à l’état gazeux. Qu'est-ce que c'est le gaz ? C'est, le principe du gaz, c'est qu’il occupe tout l’espace, et il lui en faut encore plus.
Neïla Latrous : On s’éloigne un peu du sujet, François Bayrou, on va revenir sur le budget. Pour nos téléspectateurs, on va parler des recettes que vous évoquiez François Bayrou…
François Bayrou : Je vais le dire de manière sérieuse : oui, je pense qu'il y a une immense réforme de l'action publique à conduire qui soit dirigée en direction du terrain et des initiatives du terrain et de l'imagination du terrain. C'est d'ailleurs le principe de ce que le président a appelé le Conseil national de la Refondation, dont il m'a confié la responsabilité, et tout ceci est à reconstruire.
Neïla Latrous : Les recettes avec Marion Mourgue…
Marion Mourgue : Est-ce qu'il faut aller chercher de nouvelles recettes ? Par exemple, est-ce que vous, à titre personnel, vous êtes pour taxer de manière exceptionnelle les plus riches ? On rappelle que votre parti s'est interrogé pour taxer les super dividendes ou les rachats d'actions des entreprises. Est-ce que c'est une piste ?
François Bayrou : Du point de vue de la justice, vous avez entendu Biden dans le formidable discours sur l'état de l'Union qu'il a fait cette semaine. Et il évoque cette piste-là. Et il faut simplement avoir à l'esprit que nous sommes dans un monde ouvert. Et que la justice, elle est à construire ou elle est à améliorer. Et je n'ai pas de doute de ce point de vue-là.
Matthieu Croissandeau : Bruno Le Maire ne voulait pas en entendre parler.
François Bayrou : Oui c'est vrai. C'est pourquoi ce n’est pas Bruno Le Maire que vous avez invité, c'est moi. Donc de ce point de vue-là, je pense que c'est possible, à condition de vérifier que ça ne va pas nuire à ce qu'on appelle en termes compliqués « l'attractivité de la France ». Et je pense qu'on peut y arriver. Vous voyez, il y a une chose formidable qu'on a faite. Et là, Bruno Le Maire a joué un rôle positif et le président de la République a joué un rôle positif. On a mis en place un impôt minimal pour les multinationales en Europe, à 15%. Si on vous avait dit il y a quelques années que c'était possible, vous ne l'auriez pas cru. Vous auriez cru que c'était des rêves d'Européens enfin idéalistes qui imaginaient qu'on pourrait… Cette nécessité-là, elle a été remplie. C'est-à-dire qu'il n'y a plus aujourd'hui ces multinationales qui, en Europe, trouvaient des États refuges pour ne rien payer et laisser les charges à tous les autres. Désormais, il y a cet impôt minimal. Est-ce qu’on peut améliorer la fiscalité et la fiscalité du capital en particulier ? Est-ce qu'on peut regarder, l'améliorer ? Oui on peut, à condition, et je dis ça à mes amis chaque fois que je leur parle, de ne pas faire ça par surprise, de ne pas faire ça comme un coup, de réfléchir à l'ensemble des conséquences qu’on va déclencher avec des décisions de cet ordre.
Neïla Latrous : Il y a un autre débat qui est sur la table, c'est celui des groupes de niveau. Je voudrais qu'on parle un peu d'éducation. Cinq mois après avoir été annoncée en grande pompe, honnêtement, on ne comprend plus rien à la réforme. Gabriel Attal, le Premier ministre… vous acquiescez, vous aussi, vous n'y comprenez plus rien ? Je résumé pour nos téléspectateurs peut-être. Gabriel Attal, d'un côté dit, ça se fera à la rentrée. Nicole Belloubet dira, les Proviseurs décideront si c'est faisable.
François Bayrou : Vous savez bien, vous savez très bien parce que là, vous plaidez ce que vous savez à l'avance. Je n'étais pas persuadé que c'était la solution au problème de l'Education nationale et c’est même la raison pour laquelle je ne suis pas entré au gouvernement.
Neïla Latrous : les groupes de niveau ?
François Bayrou : Entre autres, mais je pense qu’on se trompe.
Matthieu Croissandeau : Vous auriez dû parce qu'il a reculé.
François Bayrou : Mais c'est bien que ça a été fait autrement. C'est très bien. On trompe ? On se trompe en croyant que les problèmes de l'Education nationale vont être résolus par une décision rue de Grenelle ou rue de Varenne, à Matignon ou à l’Elysée. Je ne crois pas - et j'ai écrit beaucoup de livres pour expliquer ça, et j'ai été ministre de l'Education nationale quatre ans et demi, et j'ai aimé passionnément et je crois avoir construit avec les enseignants, un rapport de confiance assez important pour qu’ils m'accordent leur suffrage dans les grandes élections de manière massive. Donc je ne crois pas ça, je crois que l'immense réforme à conduire dans l'Education nationale, c'est faire en sorte que les choses s'améliorent dans chaque classe. Ça n'est pas au ministère que ça se joue, ça se joue dans chaque classe. Et si vous trouvez le ressort pour apprécier le travail que les enseignants font - il y a des enseignants formidables, on a tous à l'esprit des visages qui ont changé notre vie. Il n’y a qu'un problème, c'est que personne ne les connaît, personne ne les repère, mais personne n'étudie leur travail. On marche à l'aveugle avec un système qui a abouti à ce que je dis ça amicalement - les syndicats ont tout mon respect, mais la seule question que les syndicats posent, c'est les moyens. Quelle que soit la question que vous abordez, c'est la question des moyens qui revient sur la table. Or, des moyens à vues humaines, on sera obligé de faire avec ce qu'on a et c'est déjà pas mal si on arrive à le sauvegarder.
Matthieu Croissandeau : Vous ne vous étiez pas exprimé dans les médias depuis le remaniement, on se souvient de votre coup de sang, vous venez d'en parler, de votre refus d'entrée au gouvernement. Au moment de la nomination de Gabriel Attal, vous aviez émis des doutes sur l'expérience nécessaire pour être Premier ministre. Deux mois après sa nomination, est-ce que vous dites : il fait le job, est-ce que c'est un bon Premier ministre ?
François Bayrou : Ça on verra. Vous savez, c'est généralement à la fin. Mais moi je suis là pour aider. Il y a des tas de gens en politique qui sont là pour s’aider eux-mêmes. Il y a des tas de gens politiques qui sont là pour leur propre promotion.
Matthieu Croissandeau : Vous pensez que vous l'avez aidé, Gabriel Attal, avec votre coup de sang ?
François Bayrou : non mais là, je me suis aidé moi-même comme dit Cyrano de Bergerac avec assez de verve. La question est simple : ou vous êtes en accord profond avec la politique qui va être suivie dans le domaine de l'éducation, puisque c'était de ça dont on parlait, et dans le domaine si sensible pour moi de l'aménagement du territoire qui est aussi pour moi une très grande question, ou vous êtes en accord et vous entrez. Ou vous n'êtes pas en accord et vous n'entrez pas. C'est ce que j'ai dit parce qu'il me semble - il me semble toujours - que l'approche par une décision au sommet qui veut expliquer à chaque prof comment il va devoir enseigner, cette approche dont je vois bien les bonnes intentions et cette approche, elle n’est pas viable. C'est ce que nous sommes en train de vivre.
Marion Mourgue : Arrive bientôt le Congrès du MoDem, le 23 et 24 mars. Alors, est-ce que vous serez candidat à un nouveau mandat ?
François Bayrou : Excusez-moi, je le suis puisque la clôture des inscriptions à la présidence du Mouvement Démocrate avait lieu la semaine dernière, vendredi dernier, et il n’y a qu’un seul candidat.
Marion Mourgue : Donc vous ne décidez pas de passer le flambeau comme on voit dans d'autres partis ? Ce n’est pas le moment d'une nouvelle tête pour le MoDem.
François Bayrou : Je transmets le flambeau tous les jours. Si vous regardez les membres du gouvernement venus de notre famille politique, ils ont plusieurs caractéristiques. D'abord, ils sont bons je crois. Marc Fesneau a été dans la crise agricole - il est venu, il était dimanche dernier à ma place.
Marion Mourgue : Justement il aurait pu prendre d'autres fonctions. On voit ça dans tous les partis, on voit ça au gouvernement, de nouvelles têtes qui arrivent.
François Bayrou : Il est le numéro 2 du parti et c'est très important. Il a pris la place de Marielle de Sarnez dans une fonction chez nous essentielle. Et ils appartiennent à toutes les générations. J'ai fait en sorte que Sarah El Haïry - elle est très jeune et elle assume une fonction essentielle. Marina Ferrari est entrée au gouvernement, elle est jeune. Elle a une fonction essentielle. Jean-Noël Barrot, il est aussi parmi les jeunes. Ma mission, c'est de faire monter des gens. Pour le reste, quand vous avez une famille politique que vous avez créée, que vous avez porté de 0 député à plus de 50 députés qui participent au gouvernement, et tant que vous avez le sentiment que la confiance des vôtres vous est acquise, vous faites monter des générations nouvelles et vous assumez les responsabilités.
Matthieu Croissandeau : Vous disiez, notre parti n'a jamais varié, vos ambitions non plus, y compris pour 2027 ?
François Bayrou : C'est pas des ambitions.
Matthieu Croissandeau : C'est pas un gros mot les ambitions.
François Bayrou : Non, non, mais certes. Mais la manière dont je ressens ça, c'est pas des ambitions, c'est des responsabilités.
Marion Mourgue : Et donc elles vous emmènent où ?
François Bayrou : Et ses responsabilités, ce sont des responsabilités de citoyen, c'est-à-dire qui choisit d'être le plus utile possible dans les endroits où il peut être vraiment utile. Et donc je n'ai jamais exclu aucune responsabilité et je continuerai avec volonté et détermination à assumer ou à prétendre à ses responsabilités.
Neïla Latrous : Et Gabriel Attal, il fera un bon candidat aussi pour 2027 ?
François Bayrou : Mais ça, c'est vous qui le direz parce que l'experte des sondages, c'est vous.
Neïla Latrous : Vous n'êtes pas convaincu ? Certains en parlent, pas forcément autour de vous au MoDem mais dans la majorité en disant « Bah tiens, Gabriel Attal, pourquoi pas ? »
François Bayrou : Oui, mais vous voyez bien à quoi on joue là. On pose la question comme s'il s'agissait d'un casting de cinéma. Elle ou lui, il ferait drôlement bien dans le générique ou sur l’affiche. Mais président de la République, ce n’est pas ça. Vous vous souvenez que j'avais dit à Emmanuel Macron dans une séquence que les caméras ont attrapée contre mon gré : « Vous êtes trop jeune, mais on va y arriver quand même. » Mais la jeunesse d'Emmanuel Macron, c'était pas du tout une jeunesse fondée sur l'état civil. C'est un homme qui a ouvert sa propre voie. C'est lui qui a fait la révolution, c'est lui – et je dis souvent quand je parle avec lui, cette expression - c'est lui qui a sauté du plongeoir.
Matthieu Croissandeau : Mais sauf qu'il ne pourra plus être candidat
François Bayrou : Il ne pourra plus être candidat. Et je pense qu’Emmanuel Macron, aujourd'hui, il sait plus de choses sur l'état de la France et sur l'état du monde qu'il n'en savait au moment où il a été élu. Et si vous lui posez la question, je suis absolument sûr qu'il vous dira la même chose, j'en ai parlé souvent avec lui. Je suis pour réhabiliter l'expérience. C’est bizarre parce que le monde entier et pour le juvénilisme. Mais la jeunesse évidemment, ça compte
Matthieu Croissandeau : Pas aux États-Unis…
François Bayrou : Tous les pays du monde, Mathieu Croissandeau, tous les pays du monde : les États-Unis, la Chine, le Brésil. Lula vient d'être élu et il a 10 ans de plus que moi. Je suis pour qu’en tout cas, jeunesse et expérience s'accordent pour porter le pays-là où il doit aller, dans les moments les plus terribles qui sont devant nous.
Neïla Latrous : Et c'est dit. Merci François Bayrou d'avoir été l'invité de ce BFM politique.