François Bayrou : "Le vote sur la motion de censure n'est pas une victoire pour qui que ce soit !"
François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, était l'invité dans l'émission C à vous sur France 5, à la suite du rejet des motions de censure concernant la réforme des retraites. Revoir son entretien.
François Bayrou, rien n'est réglé ? Le Gouvernement n'a pas été renversé soit, le projet de loi sur la réforme des retraites a été adopté soit, mais à quel prix ?
C'est un vote serré et ce n'est pas un triomphe de qui que ce soit, parce que la coloration du débat que Patrick Cohen a décrite très bien entre les lignes, le tour que les choses ont pris, n'est pas satisfaisant.
Il y a une phrase qui m'a intéressé sur laquelle je voudrais réagir dans les interventions. Réforme ni nécessaire ni juste a dit une des intervenantes. Cette réforme était vitale, je vais essayer de vous dire pourquoi en une phrase, et la plus juste, si je puis dire, cette obligation de justice la rendait vitale. Pourquoi ? En deux mots et le Gouvernement n'a pas su l'expliquer, je le reconnais...
Il y a eu échec à convaincre.
Je le reconnais.
Je vous écoute avec intérêt François Bayrou, mais c'est un peu tard pour défendre la réforme...
Non ce n'est pas tard parce que comme vous le savez, avec le Haut-Commissariat au Plan, j'ai publié une note pour précisément apporter la preuve de ce que je dis. On a entendu ici et là que les retraites étaient équilibrées, c'est une blague et un mensonge immoral.
Les retraites, dès aujourd'hui, l'Etat verse entre 30 et 40 milliards d'euros par an pour les équilibrer.
Ce qu'on a répété ici de nombreuses fois sur le plateau de C à vous avec Patrick Cohen...
Non mais si vous l'avez fait c'est bien, parce que beaucoup de gens ne l'ont pas fait. Mais Patrick Cohen a de très bonnes lectures et je le félicite pour ça.
Or cet argent, si on l'avait, ça serait tout à fait plausible, possible, on pourrait discuter. On pourrait dire que c'est là qu'il est le mieux utilisé. Après tout, on récompense ceux qui ont travaillé... mais cet argent nous ne l'avons pas ! Nous l'empruntons tous les ans, et l'emprunter ça veut dire le mettre sur le dos des plus jeunes, des actifs actuels et puis des encore plus jeunes, des actifs de demain.
Mais ces arguments ont été développés depuis des mois et des mois par tous les membres du Gouvernement...
Malheureusement cet argument, pardon de le dire comme ça, n'a pas été, à mon sens, présenté et défendu devant les Français. Et cette génération, mettons de boomers comme on dit, qui fait payer ses retraites par ceux qui travaillent aujourd'hui et travailleront demain, qui ne pourront plus assumer leurs charges comme l'éducation et la santé. Ils seront obligés de prendre la dette qu'on leur laisse sur le dos. Ceci pour moi est malhonnête et immoral.
Mais si le Gouvernement a échoué à convaincre, ne faut-il pas en tirer les conséquences ?
Si le Gouvernement a échoué à convaincre, nous sommes là pour essayer de prendre le relais et que cette idée soit comprise ou entendue par tous...
Et que les Français se disent que cette réforme est légitime ?
Comme Patrick Cohen l'a dit, évidemment il y aura d'autres épisodes et il y aura d'autres réformes. Donc ça, c'est le premier point.
C'est pas la réforme qu'il faut changer, c'est le Gouvernement si je vous entends bien ?
Non pas du tout...
Si c'est ce qu'on comprend, vous venez de défendre la réforme mais pas le Gouvernement ?
C'est la méthode qui a été choisie, et à mon sens, qui n'a pas été portée et poussée comme elle aurait du l'être.
Il y a une deuxième chose, on a laissé entendre que ce fameux article 49 alinéa 3 de la Constitution n'était pas démocratique, or comme vous le voyez, il remet entre les mains des élus de la nation le sort du Gouvernement. S'ils pensent qu'il y a quelque chose d'injuste, ils renversent le Gouvernement. Il n'y a pas plus important, plus grande responsabilité que celle là, c'est d'ailleurs sous la IVème République avant d'arriver à Vème où De Gaulle a repris cette idée, ce sont des responsables de gauche et du centre de l'époque qui ont imposé ce fameux article.
François Bayrou, est-ce que la pédagogie tardive, trop tardive, sur cette réforme des retraites va convaincre les Français, qui n'en veulent pas, que cette loi est nécessaire ? Et qui ne pardonneront pas au débat démocratique ne pas avoir eu lieu à l'Assemblée, pensant que c'est le Gouvernement qui l'en a privé ?
Le débat a eu lieu pendant des centaines d'heures. Il a eu lieu dans une ambiance détestable, honteuse, qui fait honte. Vous savez, il y a plein de députés qui sont, bon ils avaient signé et s'étaient présentés pour ça, qui sont profondément traumatisés par ce qui s'est passé. Et beaucoup de Français sont aussi profondément traumatisés.
Ceci ouvre une responsabilité nouvelle, parce qu'en effet, la question a été posée très justement, est-ce que nous pouvons trouver ou pas une méthode pour réformer le pays qui ne soit pas dans cette explosion attendue, vécue, et entretenue ?
Vous voyez bien l'ampleur des colères et des oppositions aujourd'hui dans le pays. Vous l'avez, si je puis dire, sans doute vue de près parce qu'on a plusieurs fois cité la ville de Pau à chaque mobilisation...
Chaque fois qu'on cite Pau, c'est très bien !
A chaque journée interprofessionnelle, Pau a eu des milliers de manifestants dans les rues, sans doute à une mesure que la ville n'avait jamais connue. Donc vous avez vu, ceci n'est pas vrai ?
Si, à une mesure, vous connaissez la sensibilité politique de la ville, c'est une ville qui est de ce point de vue là éruptive...
Elle a longtemps été socialiste.
Cette sensibilité-là, elle s'est exprimée, et elle a bien raison. Je veux dire, si on aime la démocratie comme moi, on accepte qu'il y ait du débat, on accepte qu'il y ait contestation, et c'est une très juste et très bonne chose. Simplement ce qu'il faut, quand il y a un débat de cette difficulté, c'est pouvoir en sortir et précisément il y a un papier très intéressant sur le site Telos avec Gérard Grunberg qui est un spécialiste de ces sujets qui est remarquable. Il dit que le 49.3 c'est la sauvegarde d'un régime parlementaire, il avait été inventé pour ça.
Pourquoi ? Parce qu'autrement le Parlement c'est une explosion perpétuelle, ça devient illisible et les Français se détournent de ça, et donc le fait qu'à un moment on puisse dire qu'on va trancher, chacun va prendre ses responsabilités, le Gouvernement vous dit "Ce texte est pour moi vital pour le pays", les opposants disent "Ce texte, nous n'en voulons pas". Chacun va au bout et on a des votes comme ce soir et au moins les parlementaires ont pris leurs responsabilités.
Mais il n'empêche, Elisabeth Borne en ressort extrêmement fragilisée, est-ce qu'elle peut rester encore longtemps Première ministre ? LFI d'un côté, le Rassemblement national de l'autre, réclament sa démission. "C'est un Gouvernement d'ores et déjà mort" dit Mathilde Panot pour la France Insoumise.
Vous voyez bien, LFI d'un côté et le Rassemblement national de l'autre, ça ne fait pas une majorité rassurante. C'est le Président de la République qui choisit. Il analyse la situation, il le fait, je crois, avec beaucoup de souci de ce qui se passe.
Il ne le montre pas beaucoup à l'opinion...
Je m'exprime à titre personnel...
Non, non, mais lui ne montre pas beaucoup son anxiété.
Mais peut-être aura-t-il l'occasion de la montrer très vite...
Oui et il devra dire quoi, justement aux Français ? On parle d'une intervention demain.
Je crois qu'il doit présenter, je ne sais pas si votre date est exacte, il doit présenter son analyse de la situation, dire ce qu'il a ressenti, expliquer les choix qui ont été faits en quelques phrases, simplement pour montrer que tout ça avait du sens, et il doit commencer à ouvrir des portes sur une nouvelle étape. Je crois que c'est absolument logique qu'il le fasse.
Une nouvelle étape, c'est-à-dire ? Une nouvelle étape institutionnelle ou de nouveaux projets ? Une nouvelle équipe ?
Je vais dire ce que je pense, et c'est moi qui le pense, ce n'est pas la majorité, ce n'est pas une affaire de parti. Je pense que l'élection présidentielle n'a pas totalement rempli la mission qui doit être la sienne de montrer au pays où on veut aller.
Donc, il doit faire campagne là maintenant ?
Parce qu'elle s'est focalisée, cette élection, précisément sur la réforme des retraites. Or la réforme des retraites n'est pas, comme on dit en français ou en grec, l'alpha et l'omega de tout ce que nous avons à faire. La réforme des retraites était indispensable pour les raisons que j'ai dites, de fragilisation incroyable de notre équilibre social, mais beaucoup est à reconstruire. On est devant un immense chantier de reconstruction.
Avec une majorité relative à l'Assemblée nationale, la menace de motions de censure à répétition et qui pourraient être votées ?
Oui mais c'est pas grave. C'est le jeu parlementaire mais si on s'arrête une seconde pour réfléchir ensemble aux défis que nous avons devant nous.
L'éducation qui est dans un état, c'est un sujet que j'aime beaucoup et qui est très important pour moi, l'éducation est dans un état inquiétant. Il y a des soucis importants autour de la santé, autour de l'organisation de l'Etat, de l'action publique, on va avoir Jean Jouzel dans quelques minutes, la stratégie de la nation et des nations qui nous entourent face au réchauffement climatique, et c'est un sujet très important. On ne peut pas s'arrêter au point où ce soir nous sommes arrivés.
Mais est-ce qu'il peut être entendu, est-ce qu'il peut arriver à cette nouvelle étape quand on voit ce qui se passe ? Il y avait des pancartes "Rendez-vous dans la rue", les Français y sont dans la rue, ils sont opposés à cette réforme et ils le disent. Encore ce matin, il y avait des manifestations pour protester contre la réforme des retraites et contre l'usage du 49-3 comme à Rennes qui avait lancé une opération ville morte.
François Bayrou, il y a eu des débordements ce week-end à Paris, mais aussi dans d'autres villes, est-ce que vous ne craignez pas un embrasement de la colère sociale ?
Ca peut toujours se produire, il ne faut jamais avoir un jugement péremptoire, mais je pense que non, nous n'en sommes pas là. Vous avez dit tout à l'heure "le pays est contre". Une partie du pays est contre...
Une majorité de Français est contre.
Oui, une majorité de Français dans les sondages, mais les majorités constituées dans les sondages, ce n'est pas le tréfonds des choses. Je pense que, ce n'est pas d'aujourd'hui que je dis ça, on a à reconstruire la démarche politique, la démarche citoyenne, elle est pour l'instant atomisée, explosée, bloquée. Les trois à la fois. On ne peut pas se contenter de ça, et on ne peut pas se contenter de baisser les bras en disant "Bon, c'est la faute du Gouvernement".
Ce que je crois profondément, c'est que tout le monde a sa part de faute : le pouvoir, majorité, les oppositions aussi... on peut faire le tour du paysage politique. Pour l'instant, et ce sera la grande question des années qui viennent, on n'a pas réussi à formuler un espoir crédible pour les Français, pour ceux qui vous et qui nous écoutent.
Je dois dire d'ailleurs que je crois que le ton de votre émission est apprécié pour cette raison là. Ce n'est pas pour vous faire des compliments, je n'en fais jamais comme vous savez, mais là je pense que ce que vous exprimez, pas seulement par les mots que vous utilisez, les thèmes que vous choisissez, et que le ton que vous avez choisi, est positif pour cette question : comment trouver une nouvelle démarche dans laquelle les gens se retrouvent et aient assez confiance ?
Et politiquement ça se traduit comment, François Bayrou ? Et la question c'est qui le fait, aussi ? Est-ce qu'Emmanuel Macron a encore le crédit et la capacité de rebond pour impulser ce que vous décrivez là, qui est un diagnostic assez partagé sur l'état de fracture du pays, mais la personne du Président de la République aujourd'hui a vu son crédit sérieusement entamé, ça on le voit à la fois dans les enquêtes d'opinion et pas seulement en écoutant la rue ?
Si vous me permettez, j'ai vécu beaucoup, un certain nombre, de Présidents de la République, nous avons vécu ici un certain nombre de Présidents de la République impopulaires à un point qu'on ne peut même pas imaginer, et puis qui après ont retrouvé du crédit dans le reste de leurs mandats, et a fortiori après leurs mandats.
Donc il n'y a rien d'irréparable ?
Je peux citer, je regardais Pierre Lescure dans les yeux, François Mitterrand a été détesté à un moment, Jacques Chirac a été haï à un moment. Je ne parle que de ceux qui ne sont plus là, je pourrais aller un peu plus loin après, et puis ils ont retrouvé du crédit.
il y a deux choses, je crois que l'esprit public cicatrise, et je crois que de nouvelles inspirations viennent. Je suis persuadé qu'il va falloir maintenant exprimer, faire entendre, cette nouvelle inspiration là. Je crois ça, dans les jours qui viennent.
Mais ça ne passe ni par une dissolution, ni par un grand débat ? Que va pouvoir inventer le Président de la République pour convaincre là où il n'a pas convaincu ? Là où il n'a pas fait campagne pour les dernières présidentielles, ce qui lui a été beaucoup reproché ?
Il ne s'agit pas d'inventer, je pense que c'est le grand enjeu. Je pense qu'il y a des questions extrêmement profondes, même si on ne sait pas les exprimer, que les Français se posent en leur for intérieur. Par exemple la très grande question du modèle français. On parle social, on est le pays le plus généreux du monde en matière de redistribution sociale. Et cependant, on a le sentiment que tout cet effort s'enlise au fur et à mesure qu'on avance. Que dans ce pays pour qui les services publics sont vraiment un idéal partagé, plus on avance moins on est satisfait des services publics, et le sentiment assez souvent que plus on met des moyens et moins ça marche.
Alors je ne fais pas de relations entre les deux comme vous comprenez, mais il y a cette interrogation profonde. Ce que nous croyons être l'idéal français, qu'on a adopté, soutenu, ovationné quelques fois, en tout cas toujours souligné dans les dernières décennies, aujourd'hui on a besoin de le redéfinir. Ca ne peut pas se faire, en effet, sans que les grandes forces démocratiques, singulièrement dans l'arc central qui va des socialistes de gouvernement jusqu'aux gaullistes de gouvernement, sans que cet immense arc central ait sa responsabilité et c'est une responsabilité première.
L'un des problèmes du Président de la République, ce sera aussi de retisser, si c'est possible, un dialogue avec les partenaires sociaux, car la rupture semble consommée, y compris avec Laurent Berger.
Oui, et c'est une situation qui, pour ma part, me cause du souci. Quand je parlais de l'arc central, dans cet arc central il y a aussi les forces réformistes qui ont toujours assuré, regardé les choses en disant qu'on ne veut pas tout casser, qu'on ne veut pas tout mettre par terre mais nous savons ou nous pensons qu'on peut corriger et réorienter. Ce dialogue a été un peu escamoté ou abîmé ces derniers temps.
Vous demandiez ce que doit dire le Président de la République, voilà une dimension de ce qu'il devra dire au pays, je crois.