François Bayrou : "Les anti sont en train de monter en France"

François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, était l'invité du 20h de Darius Rochebin sur LCI ce samedi 18 mai 2024.

Seul le prononcé fait foi. 

Darius Rochebin : Merci d'être avec nous, merci François Bayrou.

François Bayrou : Bonsoir. 

Darius Rochebin : Pilier de la majorité présidentielle, Haut-commissaire au Plan, centriste historique, votre voix compte beaucoup dans la campagne européenne présente et dans les événements graves que traverse la France. C'est une semaine rude pour l'ordre public. Les événements de Nouméa, l'attaque de la synagogue à Rouen. D'abord, Nouméa, le degré montant de violence, qu'est-ce qui est en train de se passer ?

François Bayrou : Comme vous le savez très bien, il y a 40 ans que s'est créée en Nouvelle-Calédonie une situation qui est une situation extrêmement difficile à réguler, dans laquelle deux communautés s'affrontent : une communauté mélanésienne d'origine et la communauté des Français installés au travers du temps.

Lorsqu’ont été pris les accords de Matignon, sous Michel Rocard, on avait trouvé un délai pour essayer de faire que les choses s'harmonisent. Puis il y a eu récemment, au terme d'un processus extrêmement long de trois référendums successifs, une tentative de respecter le texte qui avait été décidé et de traiter la question du corps électoral. 

Lequel corps électoral est gelé pour les Français métropolitains installés en Nouvelle-Calédonie depuis plusieurs décennies. 

Darius Rochebin : Les Kanaks s'opposent à ce dégel parce que ça diminuerait leur capacité de représentation. Est-ce que l'heure est venue de concession ? 

François Bayrou : Je vais vous dire le fond de ce que je pense. Et c'est vrai pour la Nouvelle-Calédonie, et c'est vrai pour notre nation. Il y a des gens qui pensent qu'on peut vivre en prenant le pas ou en écrasant les autres. 

La thèse que je défends, et je ne suis pas le seul, c'est la thèse historique des accords de Matignon. C'est celle-ci : nous allons devoir vivre ensemble. Les communautés calédoniennes, les deux communautés, elles vont devoir vivre ensemble. L'affrontement perpétuel, la montée des tensions, les violences, tout ceci ne peut pas durer. Ça n'est pas durable au sens le plus simple du terme. Et donc il va falloir que soient recherchés des accords nouveaux. C'est évidemment beaucoup plus difficile maintenant parce que les drames qui se sont produits sont évidemment d'extraordinaires blessures. Mais ce que je dis là est vrai aussi pour la question de l'immigration en France, nous allons devoir vivre ensemble. Et vous voyez que cette idée, que le peuple d'origine ne peut pas accepter que d'autres qui les ont rejoints vivent avec eux, elle fait le fond d'une partie de l'extrême droite en France. Et elle fait le fond des événements d'extrême gauche, ou en tout cas soutenu par l'extrême gauche en Nouvelle-Calédonie. Donc vivre ensemble, ça veut dire accepter de faire des concessions les uns en direction des autres, que ça ne soit pas toujours les mêmes, mais qu'on trouve ce nouvel équilibre qui est nécessaire à la Nouvelle Calédonie.

Darius Rochebin : Cette idée de vivre ensemble, elle a l'air tellement mal en point quand on voit évidemment ce qui s'est passé au suprême degré à Rouen avec la synagogue attaquée. Est-ce que l'antisémitisme est en train de monter en France ? 

François Bayrou : Les anti sont en train de monter en France. Antisémitisme, anti-Islam à d'autres niveaux, anti Communauté française, sans doute ailleurs.  

On est entré singulièrement depuis un peu plus de deux ans dans une nouvelle époque du monde. Et cette nouvelle époque du monde, elle a libéré tous les démons qui avaient été plus ou moins maîtrisés au travers du temps. 

Darius Rochebin : Vous faites le lien, n'est-ce pas, entre la violence de Poutine et la violence quotidienne qu’il peut y avoir partout ? La violence valorisée ? 

François Bayrou : La violence à qui on reconnaît la prééminence. Vous savez bien ce qui s'est passé, vous le savez mieux que d'autres : depuis la guerre mondiale, depuis la guerre de 1940, on était entré dans un univers où on considérait qu'il y avait un droit international, des lois, des libertés, le respect, qui devaient s'imposer à tous ; qu'on ne touchait pas aux frontières par exemple. Qu’un pays surarmé qui se jette sur un voisin plus faible, ça n'était plus accepté. Et on pensait que ça ne le serait plus. 

Et ce basculement-là, a ouvert la porte à tous les déchaînements. 

Pas seulement les déchaînements de violences militaires. Encore que, on vient de voir sur votre écran l'accord qui a été mis en scène entre Poutine et Xi Jinping, entre les besoins militaires de la Russie et l'extraordinaire capacité de production militaire de la Chine. Accord qui a été mis en scène puisque Poutine a été invité à visiter l'université des innovations technologiques chinoises. 

Et quand on voit tout ce que ça veut dire du point de vue du numérique et du point de vue des armes…

Darius Rochebin : Est-ce qu'on s'est fait là des illusions, quand on compare l'image de Xi Jinping à Paris, il pleuvait, en plus il neigeait je crois même un peu à la Mongie, avec ce décorum des deux puissants autocrates ensemble ? Est-ce que c'est la réalité du monde qui nous éclate à la figure ?

François Bayrou : La réalité du monde nous éclate à la figure. La réalité de la loi du plus fort qui doit s'imposer à tous les autres et dans tous les domaines. Elle éclate sous toutes les latitudes sur notre planète. 

Pas seulement la violence militaire, physique, les armes, mais aussi la violence économique, la tentative de prendre le contrôle des technologies nouvelles, la tentative de prendre le contrôle du commerce et le déchaînement des intégrismes. 

Tout ça, partout, du Moyen-Orient jusqu'à Taïwan, c'est une libération des forces les plus inquiétantes qui existent aujourd'hui sur la planète. 

Darius Rochebin : Faut-il que les démocraties soient fortes pour l'ordre international et pour l'ordre intérieur ? Si on reste à ce qui s'est passé à Rouen, l'assaillant était sous le coup d'une OQTF. Monsieur Darmanin a expliqué que s'il avait été contrôlé, il aurait été mis dans un centre de rétention en vue de renvoi. On sait l'arrière-plan de tout ça. Pierre Moscovici disait, c’est son expression, « le très faible taux d'exécution des OQTF ». Est-ce qu'il est temps de réagir et de faire que les OQTF soient bien davantage exécutées ? 

François Bayrou : Tout ce qui est ordre défendu et ordre imposé, il est temps depuis des années de s'engager dans cette voie. Mais il y a bien des changements à apporter.

Je vais vous dire quelque chose de très simple : je n'arrive pas à comprendre comment il faut extraire un prisonnier qui s'est révélé aussi dangereux que cela du centre de détention dans lequel il était avec 5 gardiens avec lui, tout ça pour quelques minutes d'audition par un juge. 

Mais dans quel temps on vit ? Et des fourgons qui ne sont pas blindés. On ne peut pas dire que c'est un manque de moyens : il y a 5 gardiens pour une personne. Pourquoi est-ce qu’on ne crée pas des lieux dans lesquels le juge pourrait venir à côté de la prison et où l'extraction n'obligerait pas à des forces de cet ordre ? Est-ce qu’on ne peut pas faire des visios ? Vous en faites tous les jours. Et puis simplement, on peut rapprocher les lieux où les détenus sont entendus par les juges, on peut les mettre à la porte ou à proximité des centres de détention. 

Darius Rochebin : Parlons de sujets extrêmement concrets, vous introduisez le sujet. Les réponses concrètes. La semaine qu'on vient de passer, on se dit que c'est un cadeau pour le Rassemblement national : l'affaire du fourgon, Nouméa, toutes les questions d'ordre public, la synagogue de Rouen. L'Assemblée nationale propose par exemple un référendum sur l'immigration, est-ce que vous y êtes favorable ? 

François Bayrou : Mais je ne sais pas quelle question on pourrait poser sur un référendum sur l'immigration. 

Darius Rochebin : Par exemple, ils vous disent : le modèle japonais qui est clair : on restreint l'immigration quitte à avoir une démographie un peu déficiente, mais on accepte ce modèle-là. Oui ou non ? 

François Bayrou : Je vais prendre le problème par sa réalité. Les difficultés qui sont identifiées et qui touchent très souvent des personnes et des jeunes issus de l'immigration, ça n'est pas d'une immigration récente qu'il s'agit. C'est une immigration qui dure depuis des décennies. C'est un défaut d'intégration. Nous n'avons pas réussi, notre société n'a pas réussi, parce qu'économiquement elle n’est pas suffisamment dynamique et parce qu'elle ne sait pas imposer l'ordre. Et parce que les technologies nouvelles : il y a des téléphones portables en prison et on n'arrive pas à les empêcher ! J'imagine que dans le règlement de la prison, ça doit être interdit. Ces réponses-là, simplistes, apportées par les formations politiques ou les courants politiques que vous évoquez, elles ne seront pas appliquées. Il n'est pas vrai que on puisse supprimer totalement les millions de personnes nées à l'étranger et qui sont en France. L'idée qu'on pourrait les renvoyer… 

Darius Rochebin : On ne parle pas de ça. On parle des nouvelles arrivées. Ce que fait l’Australie par exemple ou le Japon. Ça concerne aussi les arrivées de maintenant. 

François Bayrou : Je dis clairement ce qu'un certain nombre de gens disent, je n’invente pas les idées de « remigration ». 

Darius Rochebin : Oui, que l’AFD en Allemagne a prôné. 

François Bayrou : Tout ça, c'est une manière d'escroquer les Français en les empêchant de voir la vérité. 

La vérité, c'est que nous avons besoin de réinventer des règles, y compris des techniques, des règles qui font qu’elles doivent être appliquées pour vérifier ça. On vient de faire un pas très important en avant : l'Union européenne - on ne peut pas se défendre tout seul, ceux qui croient qu'on pourrait tout seuls bloquer nos frontières, ce sont des escrocs - a décidé de prendre ce problème à bras-le-corps et c'était très difficile. Les trois grands courants majeurs du Parlement européen, le parti socialiste, la droite du PPE et nous au centre, se sont mis d'accord sur un texte, sur une loi asile immigration qui est un pas considérable en avant parce qu’il permet de garantir les frontières, d’identifier au passage des frontières, tous ceux qui rentrent dans l'espace européen et de pouvoir après les suivre, savoir où ils sont, vérifier s'ils ont des droits à être sur le territoire européen, droits qui sont très souvent détournés comme vous savez. 

Ce texte a été adopté et il se trouve que des courants majeurs en France, le parti socialiste français a voté contre. Ça a été produit, construit par les socialistes européens. Et les socialistes français, Monsieur Glucksmann par exemple, ont voté contre. De quoi on parle ? Ça veut dire que pour des raisons de politique électorale nationale et simplement arithmétiques, il y a des gens qui refusent d’assumer les responsabilités qui sont les nôtres. 

Darius Rochebin : Mais vous voyez, François Bayrou, qu'une partie importante des Français ne croit pas à l'application de tout ce qui est fait, promis ou même parfois adopté légalement. Ce sont les sondages, de fait, qui sont désastreux pour la majorité. C'est le constat froid quand on voit la liste. C'est notre sondage roulant chaque jour à 17h00 qui tombe, vous le suivez comme tout le monde : la liste de Monsieur Bardella est régulièrement au-dessus de 30. Tandis que la liste de Madame Hayer plafonne autour de 16-17%. Est-ce que c'est tenable ? 

François Bayrou : Pardonnez-moi vous confondez 2 sujets. Qui existent. Mais vous confondez 2 sujets : le sujet des sondages électoraux et le sujet de la gravité du moment que nous traversons.

Darius Rochebin : Je confonds peut-être mais c'est quand même très embêtant pour vous. 

François Bayrou : Ça n'est pas parce qu’il y a des gens qui dansent au bord du précipice, que leur danse va supprimer le précipice. Le danger extrême dans lequel nous sommes, le danger extrême pour la France et pour l'Union européenne, il est à mes yeux aveuglant et fascinant. 

Darius Rochebin : Alors permettez-moi de vous interrompre parce qu'on entend souvent ça « danger, danger, danger, précipice » et cetera. Mettons par exemple qu’en 2027, Madame le Pen soit Présidente, quel est ce grand danger selon vous ? Expliquez-nous en quoi. Parce que vous avez des mots très forts. 

François Bayrou : Je n'accepte pas l'hypothèse que je combats tous les jours, je sais bien que vous, c’est agréable… 

Darius Rochebin : Il y a des candidats qui sont élus ou pas… 

François Bayrou : C'est agréable pour des journalistes d'évoquer ce genre de choses.

Darius Rochebin : Ce ne sont pas les journalistes, là ce sont les gens qui se prononcent dans un sondage.. 

François Bayrou : Moi je vois un risque, une situation de danger extrême.

Darius Rochebin : Lequel ? 

François Bayrou : Je reprends les choses. On a vu que partout dans le monde se dressaient des forces qui, désormais, ont déchaîné leur puissance, que ce soit par les armes, que ce soit par les technologies, que ce soit par l'argent, que ce soit par les monnaies, que ce soit par les intégrismes. Et je mets tout cela sur le même plan. 

Qu'est-ce qui peut résister à ces forces ? Une seule chose. L'Union des pays libres de l'Europe, l'Union des démocraties européennes, l'Union européenne. Qu'est-ce qui porte l'étendard de l'Union européenne en Europe ? Qui le porte ? La France. Et singulièrement en France, le Président de la République française. Et si ces hypothèses que vous évoquez prennent corps, notre affaiblissement en tant qu’Union européenne et en tant que pays leader sera absolument considérable. Vous voulez résister à quoi ? Vous voulez résister à ce que vous appelez, ce que nous appelons ensemble, les GAFAM, les immenses entreprises de technologie.  

Darius Rochebin : Le Rassemblement national, citez-moi, une, deux, trois mesures qu'il prendrait au lendemain du pouvoir qui serait selon vous, pour reprendre votre mot, un précipice ? 

François Bayrou : Vous voyez bien, toutes les mesures qu'il prône, ce sont des mesures d'affaiblissement de l'Europe !

Darius Rochebin : Un exemple ?

François Bayrou : Ce sont des mesures d'affaiblissement de l'Europe, ce sont des mesures je vous rappelle qu'ils ont milité contre la monnaie européenne !

Darius Rochebin : Mais ils sont revenus là-dessus.

François Bayrou : C'est une blague ? Non mais excusez-moi, comment un journaliste sérieux, considéré comme tel…

Darius Rochebin : Vous êtes très gentil François Bayrou…

François Bayrou : …et considéré par moi comme tel…

Darius Rochebin : … vous êtes très aimable. 

Permettez-moi de vous rappeler, François Bayrou, permettez-moi une comparaison : 

En 1981, François Mitterrand a été élu, on essayait de dire « les socialo-communistes » rappelez-vous c’est Chirac qui disait ça. En réalité, ça n’a pas été. On n'a pas vu les chars soviétiques défiler. Est-ce que vous comprenez qu'une partie de l'électorat n'achète pas aujourd'hui ce discours sur « ça va être l'apocalypse si le Rassemblement national est au pouvoir » ? C'est une question. 

François Bayrou : Eh bien moi, je n'achète pas votre thèse. Non, ce n’est pas une question, c'est une thèse. C'est une thèse selon laquelle au fond, ce n'est pas si grave. Est-ce que vous pouvez me citer à votre tour, un seul pays dans le monde dans lequel la prise de pouvoir par les extrêmes, d'un bord ou de l'autre, a apporté quelque chose de bon et de positif ? 

Darius Rochebin : Monsieur Trump est venu au pouvoir, le président de la République, le vôtre, a traité avec lui avec des termes assez aimables, en disant que comme lui, c'était « quelqu'un un peu hors système ». 

François Bayrou : Parce qu’il se trouve que les thèses que vous évoquez, et notamment les arrière-pensées de l'extrême droite, ce ne sont même pas celles de Trump. C'est l'idée qu'il y a dans la population française, une partie de la population qui est responsable des difficultés extrêmes que nous rencontrons, et que c'est cette partie de la population qu'il faut cibler. Trump n’a jamais dit ça. 

Darius Rochebin : Vous voulez dire qu'ils sont toujours racistes ? C'est ce que vous entendez ? 

François Bayrou : Je n'ai pas utilisé le mot de raciste.

Darius Rochebin : Alors c'est quel mot ? Vous pensez à quoi ? 

François Bayrou : Ils ciblent une partie de la population, ils surfent sur le rejet qu'une partie des Français porte d'origines et de cultures différentes. Ils prétendent que c'est de cette partie des Français que viennent toutes les difficultés que nous rencontrons et de ce point de vue-là, ils égarent le peuple. 

Darius Rochebin : Monsieur Bayrou…

François Bayrou : Je vais un peu plus loin, vous dites quelle thèse ? La retraite à 60 ans. Vous croyez crédible que, dans la situation où nous sommes aujourd'hui, et comme vous savez j'ai établi avec le Commissariat au Plan les chiffres de ce déficit... 

Darius Rochebin : Ce serait un désastre économique ?

François Bayrou : Ce ne serait pas un désastre économique, c'est impossible ! C’est un mensonge. Et donc, il n'est pas vrai que les mesures qu'ils annoncent puissent être défendables. Et d'ailleurs le fait que tous les 2 ans ou presque, ils changent d'opinion et vous dites vous-même : « ah mais ce n’est pas grave, ils ont changé d'opinion ! » 

Non, ils n’ont pas changé d'avis. Si leur thèse avait été soutenue, nous serions dans une catastrophe terrible. Madame Le Pen, je l'ai entendue comme vous et on peut projeter les images, sur votre plateau, dire : « mais qui peut imaginer que la Russie pourrait attaquer l'Ukraine ? Qui ? Qu'est-ce que la Russie irait faire en Ukraine ? ». Vous considérez que c’est une option qui était recommandable aux Français ? 

Darius Rochebin : François Bayrou, vous allez sur le plan des principes. Allons un peu plus précisément parce que là, pour citer Saint-Matthieu, « que chacun porte sa croix » et là c'est la vôtre. 

Renew, la formation présidentielle a dans son sein les libéraux néerlandais, et quand c'est leur intérêt, je vous rappelle, ça a commencé là, ils s'allient à l'extrême droite néerlandaise. Et ça, c'est vraiment l'extrême droite, parce que Monsieur Wilders c'est interdiction du Coran, ce sont des propos ouvertement xénophobes, racistes. Et ça ce sont vos gens, qui sont alliés à eux. 

François Bayrou : Ça n'est pas nos gens ! C'est un parti qui est dans ce groupe parlementaire et pour ma part je ne l'accepte pas. 

Darius Rochebin : Ça veut dire que vous êtes pour leur exclusion ? 

François Bayrou : Je ne veux pas employer des mots de cet ordre, je veux que cette situation ne soit pas acceptée. 

Darius Rochebin : Ça veut dire exclusion ou pas ? 

François Bayrou : Oui ça veut dire qu’ils n'auront pas leur place dans le groupe que nous formons…

Darius Rochebin : Ça veut dire que vous assumerez ?

François Bayrou : …que j'ai moi-même fait naître.

Darius Rochebin : Et vous assumerez donc - quitte à perdre des voix, des sièges, parce que vous allez en perdre certainement, peut-être une majorité - on ne pactise pas avec l'extrême droite. Donc les libéraux néerlandais ne peuvent pas être dans votre groupe ? 

François Bayrou : Tous les discours, et vous en avez tenus, qui tendent à intégrer l'extrême droite dans le fond, le jeu normal de nos institutions, ces discours-là, je ne les accepte pas. Je ne suis pas pour focaliser la totalité de l'attention sur l'extrême droite. Je pense qu'on lui rend un très grand service en faisant ça. Mais je dis qu'il y a des choses qui sont inacceptables sur les principes, vous avez utilisé ce mot, sur notre vie en commun et que les discours de cet ordre vont directement à l'encontre de l'intérêt national de la France. 

Darius Rochebin : Monsieur Bayrou, vous êtes un homme de conviction. J'aimerais vous entendre sur le projet de loi sur la fin de vie. Il a été approuvé en commission spéciale à l'Assemblée, un certain nombre de verrous qui existaient ont sauté. En gros, il est plus libéral ou plus permissif, on emploiera le mot qu'on veut selon le point de vue, et en particulier on a fait sauter l'idée du pronostic vital. On ouvre la possibilité. Est-ce que ça vous choque ? 

François Bayrou : Oui, je n'accepte pas cette suppression des repères, qui avait été difficilement définie en disant avec cet acte de donner la mort. On ne peut absolument pas ouvrir les portes, perpétuellement ouvrir les portes. Le projet de loi avait édicté des principes extrêmement clairs : c'est une maladie impossible à guérir à court terme ou à moyen terme. Par exemple, on ne pouvait pas l'ouvrir à n'importe quel âge. Et tout ça est en train de sauter. Je trouve que cette orientation est une orientation dangereuse pour ce que nous sommes. Je ne mettrai jamais un signe égal entre vie et mort. La médecine depuis 2500 ans, depuis le serment d'Hippocrate, elle s'est fait un principe absolu : elle est là pour défendre la vie, aider la vie et pour ne rien céder à la mort ou au désir de mort. 

Darius Rochebin : Est-ce que ça vous pose un problème en tant que citoyen, en tant que chrétien, en tant que quoi ? 

François Bayrou : Non, je ne parle pas en tant que chrétien. Je ne fais pas de ma conviction religieuse un drapeau. Mais ça me pose un problème en tant que citoyen et en tant qu'homme, en tant que père de famille ! Parce que je veux et je voudrais que mon pays soit du côté de la vie. 

Darius Rochebin : Vous avez employé à l'instant un mot très fort, vous avez dit « donner la mort ». Les mots que vous avez employés, « donner la mort » : est-ce que vous estimez que si ce texte passait effectivement, on bascule de l'autre côté de ce qui est tolérable ? 

François Bayrou : Il y a beaucoup d'analyses qui disent que dans l'état actuel, accepté comme il a été, ce texte est le plus permissif ou un des plus permissifs qui existe dans le monde. Je vais vous raconter une histoire. J'ai reçu des messages qui m'ont beaucoup ému. Une maman qui m'écrit et qui dit « j'avance en âge, j'ai une petite fille qui est trisomique et si je pars, et si autour d'elle on la persuade que sa sœur est mieux, qu'elle ne soit pas là, elle est tellement gentille qu'elle dirait oui » Si vous enlevez les repères, si vous enlevez les critères qui font qu’on peut voir définir une situation dans laquelle on est, dans une situation extrême comme celle-là, par exemple, quelqu'un qui est paralysé et qui ne peut pas lui-même, je comprends qu'on examine. Mais ce doit être examiné comme des cas limites et pas comme l'ouverture d'une possibilité et d'une liberté. 

Darius Rochebin : Quelles sont les arrière-pensées ? Tout ce que vous dites est tellement fort, on est d'accord ou pas, mais la comparaison en fait avec la question des trisomiques, vous savez bien... Ça fait penser évidemment à ce qu'il s'est passé sous le régime hitlérien. Ce sont des choses très graves comme comparaison. Quelle est selon vous la décadence morale de votre point de vue qui fait qu'on en est là ? 

François Bayrou : Alors qui sommes-nous, nous, France et nous, au fond, Europe ? Et nous, civilisations, qui sommes-nous ? Nous sommes ceux qui croyons contre toute évidence, contre toute apparence, que si vous êtes malade, si vous êtes vieux, si vous êtes handicapé, si vous ne servez à rien, vous avez exactement la même dignité et les mêmes droits que ceux qui sont en pleine forme, que ceux qui sont conquérants, que ceux qui ont la chance de tout réussir dans la vie. C'est une société dans l'Histoire qui est extrêmement rare. Et c'est pour nous, exactement la définition de notre civilisation. Nous disons « humaniste » et qu’est-ce que ça veut dire humaniste : tout être humain a les mêmes droits et a droit à la même protection. 

Darius Rochebin : On comprend François Bayrou, que vous vous opposerez de tout cœur. Ça veut dire que vous en faites un cas de conscience, vous vous opposerez absolument, vous ferez tout pour faire échouer ce texte tel qu'il est là ?

François Bayrou : Je ferai tout pour que cette dérive n'ait pas lieu, et je m'exprime à la fois en tant que, je disais, père de famille et que voix et porte-drapeau d'un courant politique historique qui s'est toujours opposé à ça. Il y a liberté de conscience chez nous. Chez nous, il y a liberté de vote. Il y a donc de nos parlementaires qui peuvent défendre cela. Mais je serai là autant que je pourrai pour défendre l'autre vision et l'autre thèse, qui est une vision à mes yeux beaucoup plus généreuse et beaucoup plus puissante comme société et civilisation. 

Darius Rochebin : Monsieur Bayrou, nous allons aller à l'étranger dans quelques instants. Xavier Tytelman va nous rejoindre sur ce plateau. Il y a beaucoup de développements très importants en ce moment avec l'accusation portée par la Russie contre la France qu’une arme, une bombe française aurait été utilisée sur son sol par l'Ukraine. Question sur les principes, est-ce que oui ou non, selon vous, les Ukrainiens peuvent utiliser des armes françaises pour frapper en territoire de la Fédération de Russie ?

François Bayrou : De toute façon, ils ne vont pas utiliser ces armes là pour frapper sur leur propre sol. L’Ukraine est en état de légitime défense. Et au travers de l'Ukraine, l'Europe et peut-être plus largement encore, tous ceux qui croient à une certaine idée de la démocratie, sont en état de légitime défense. Et si nous pouvons fournir des armes qui leur permettent de faire reculer l'inexorable, parce que c'est ce que vous décrivez sur vos écrans à longueur de temps, on est au bord de devoir craquer la défense héroïque de l'Ukraine. 

Darius Rochebin : Soyons précis. Ça veut dire que les verrous qui ont été mis parfois de façon un peu ambiguë, par les Américains et par la France, doivent maintenant sauter ? Qu'on doit pouvoir dire aux Ukrainiens « les armes que nous vous donnons les armes à longue portée, vous avez le droit légitime défense de les utiliser même très loin dans la Russie. » 

François Bayrou : Si je comprends bien, c'est ce que les Américains ont dit.

Darius Rochebin : Non, les Américains n'ont pas fait le saut entièrement, ils sont revenus là-dessus, ils sont déjà revenus là-dessus. Que doit faire la France ? 

François Bayrou : Le Président de la République a dit qu’il ne voulait pas qu'on définisse à l'avance des blocages qui serviraient l'armée de Poutine, qui serviraient la stratégie de Poutine. 

Vous croyez que Poutine, lui, il prend des précautions pour utiliser des armes iraniennes ? Par exemple les drones iraniens. Vous croyez qu'il prend des précautions pour les utiliser sur le pauvre peuple et les pauvres cités ukrainiennes ? Pourquoi vous ne posez pas la question de manière équilibrée ? L'Ukraine a le droit et le devoir de se défendre. 

Darius Rochebin : François Bayrou, merci beaucoup, très grande clarté de vos réponses. Je vais vous libérer parce que vous allez voir le match La Rochelle contre Pau ? 

François Bayrou : Vous savez tout de ma vie privée.

Darius Rochebin : Ça se présente bien pour Pau ? 

François Bayrou : On verra ça ce soir. 

Darius Rochebin : Merci beaucoup, merci François Bayrou.

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