François Bayrou : "Les manifestations ont leur légitimité mais elle n'est pas supérieure à la légitimité démocratique"
François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, était l'invité de la matinale de France Info ce mercredi 22 mars. Interrogé par Salhia Brakhlia et Marc Fauvelle, il est revenu sur la réforme des retraites, la motion de censure, et l'interview du Président de la République Emmanuel Macron prévue ce midi.
Emmanuel Macron s'adresse aux Français tout à l'heure, mais il a déjà prévenu qu'il n'annoncera ni dissolution ni remaniement, ni référendum sur les retraites. Qu'est-ce qui lui reste ?
Il lui reste deux choses très importantes. Tout le monde a repris : ni dissolution, ni remaniement, ni référendum. Je veux dire, ce sont des armes que le président de la République en cinquième République a dans sa main. Mais j'imagine que ce n'est pas pour les utiliser aujourd'hui. Ce n’est pas des réponses de cet ordre.
Il a deux impératifs. Le premier de ces impératifs, c'est rassurer les Français sur la nécessité absolue de la réforme. Au fond le président de la République, a dit hier quelque chose que je partage profondément. Il a dit : on n'a pas réussi à faire partager aux Français les raisons de cette réforme.
C'est un euphémisme.
Oui, on peut aussi dire comme ça. Et donc cette mission du président de la République est de partager avec les citoyens qui l'ont élu, avec les Français, le fond de cette affaire, le fond de cette démarche. Pourquoi ? Et vous savez que je me suis beaucoup exprimé sur ce sujet. Pourquoi ? Parce que les déséquilibres dont on n'a pas parlé et je n'arrive pas à comprendre pourquoi on n'en a pas parlé, les déséquilibres financiers du système de retraite français qui les payent ? Eh bien, c'est les générations à venir. Parce que ces déséquilibres entre 30 et 40 milliards par an, au moins 30 000 000 000 de déficit, on les paye par la dette.
Il doit continuer à rassurer sur le fond de la réforme. Deuxième point, il doit replacer l'action du gouvernement, l'action de l'exécutif, sa volonté en tant que président de la République dans un cadre plus large et plus se projeter vers l'avenir.
Parler de la suite, parler d'autre chose que des retraites.
Pas d'autres choses sans la réforme des retraites, plus rien n'était possible pendant un temps certain. C'était une situation de blocage. Ç'aurait été une situation de blocage sans issue. Mais il est vrai que la campagne présidentielle, s'est à mes yeux un peu limitée ou n'a abordé que cette question de la réforme des retraites, alors qu'il y a la grande question du projet national, des grands enjeux et du modèle de société français qui est en péril.
Excusez-moi, vous voyez bien l'ambiance qui est actuellement dans le pays. Vous voyez bien ce qui se passe dehors, dans les rues tous les soirs. Si Emmanuel Macron arrive tout à l'heure à 13 h en disant : vous n'avez pas tout à fait compris ce qu'on voulait faire. Parce qu'on l'a mal expliqué. Mais vous pensez que ça ne va passer ?
Quand quelque chose et vital pour un peuple, il est du devoir des responsables de le conduire à son terme en l'expliquant. Je trouve que cette partie d'explication a été un tout petit peu oubliée.
Il doit faire son mea culpa ?
Je ne partage pas l'idée de l'autoflagellation. Il est le président de la République, il est en charge. Vous voyez bien qu'il n'y a aucune autre majorité disponible et donc il a la responsabilité de partager avec les Français les raisons profondes de tout ça et la raison profonde et première et de justice et d'équité, c'est qu'on ne peut pas continuer à surcharger les générations qui viennent, vous reconnaîtrez un thème que j'ai beaucoup défendu, avec une dette qu'ils vont devoir assumer en plus de leurs conditions de travail, en plus des nécessités de la société dans laquelle nous vivons. Ceci est une injustice crasse et devant laquelle les générations qui en profitent devraient être honteuses. Faire payer les plus jeunes à long terme pour les boomers, c'est comme on dit, c'est moralement inacceptable.
Est-ce que la situation politique aujourd'hui, François Bayrou, elle est catastrophique. Hier, à l'Assemblée nationale, c'était les questions au gouvernement et Mathilde Panot, la cheffe de file des Insoumis s'est adressée à Elisabeth Borne, la Première ministre. Écoutez :
Madame la Première ministre, vous céderez, vous céderez car vous ne tenez qu'à neuf voix. Vous céderez car deux Français sur trois souhaitent votre départ. Vous céderez, car passer en force contre le peuple, les syndicats, le Parlement relève d'une folie. Vous céderez, et au moment où vous céderez, il sera déjà trop tard car de vote pouvoir, il ne restera que des débris.
Est-ce qu'un gouvernement reste légitime quand il a failli être renversé à neuf voix près ?
S'il avait été renversé, même à une voix, il aurait quitté ses fonctions. La démocratie, vous savez, la République a été votée à une voix et heureusement, elle s'est imposée. Elle est légitime. C'est comme ça que la démocratie fonctionne. Alors c'est serré la démocratie. Et là, en l'occurrence, ça l'était.
Mais si c'est serré, la démocratie, est-ce qu'il n'aurait pas fallu faire preuve de panache et de soumettre la loi retraites au vote des députés pour qu'on se compte, pour que vous vous comptiez, pour qu'on voit s'il y avait une majorité aujourd'hui pour réformer ou non le système ?
Ce sont des questions qui ont été abordées par les fondateurs de la cinquième République et même avant eux, par ceux qui ont essayé de sauver la quatrième République.
Avant le 49 trois, il y avait la possibilité de la faire voter ou non cette loi.
Oui, mais heureusement ce qu'on appelle le 49.3, qu'on a laissé diaboliser parce qu'on est stupide, parce qu'on est ignorant, la plupart du temps, on a laissé diaboliser une disposition essentielle de la Constitution qui est celle-ci : le gouvernement vient devant les députés et dit : voilà ce projet et vital pour le pays et pour ma vision de l'avenir.
Si ce projet ne peut pas être adopté, alors je n'ai plus rien, je n'ai plus de légitimité. Il vient et on remet aux députés le vote suprême, c'est-à-dire le sort du gouvernement. Ceci a été voulu par toute la quatrième République finissante, quand ils n'en pouvaient plus de voir exploser le Parlement.
Vous auriez voulu que qu'il y ait un vote sur le texte sur la réforme des retraites. Est-ce qu'Emmanuel Macron n'a pas fait preuve de lâcheté ?
Non, en aucune manière. D'abord, ce n’est pas lui, le 49.3, c'est le gouvernement qui le demande. Le président de la République a essayé jusqu'au bout de rassembler un nombre suffisant de voix. Mais pour moi, quand vous remettez aux députés le sort d'un gouvernement, vous leur donnez le pouvoir le plus important le pouvoir maximum. Parce que les députés, à ce moment-là, répondent : oui, nous acceptons que ce texte soit pour vous essentiel. Et c'est ce qui s'est passé. Alors à neuf voix, ça prouve que les institutions que nous avons acceptent le pluralisme. Pour une fois, ça ne s'est pas produit souvent.
Les expéditions sont arrêtées. 12 % des stations service manquent d'au -1 carburant sur l'ensemble du territoire. Quelles peuvent être les mots d'Emmanuel Macron alors que la réforme a été adoptée avec le 49 trois ? Interview du chef de l'Etat à 13 h. C'est à suivre en direct sur France Info. Hier, le chef de l'Etat parlait devant les parlementaires de son camp.
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Intervenant 2
La foule qui manifeste n'a pas de légitimité face au peuple qui s'exprime à travers ses élus, dit Emmanuel Macron. Réaction ce matin du président du groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale. Le rôle du président, c'est de chercher à apaiser, pas de donner le sentiment de jeter de l'huile sur le feu, dit Olivier Marleix. Des attaques de drones russes touchent l'Ukraine ce matin.
La loi est adoptée. On l'a dit grâce au 49.3. Mais est-ce que vous conseillez à Emmanuel Macron d'attendre avant de la promulguer, le temps que ça se calme dans le pays ?
Franchement, on a des souvenirs comme ça. Jacques Chirac avait fait un choix et il ne s’en est jamais remis pour dire la vérité. Donc le cheminement normal n'est pas la promulgation. Le cheminement normal, c'est que le texte a été adopté ou est réputé adopté et que maintenant il part au Conseil constitutionnel et il part au Conseil constitutionnel avec deux questions qui sont posées autour de ce texte.
La première, c'est : est-ce qu'on peut imposer un référendum sur ce texte tout de suite ? En principe, la loi dit qu'il faut. Non, mais il y a une question qui est posée sur ce référendum d'initiative partagée avec les citoyens. Il y a une deuxième question sur le texte : est-ce que ces dispositions sont constitutionnelles ? Est-ce que son adoption a été constitutionnelle ?
Quand vous êtes absolument certain qu'il y a des menaces sur le pays et qu'on doit les affronter, on aurait pu les affronter différemment. J'avais d'autres idées. Je les ai défendues longtemps sur le texte des retraites, mais il demeure que aujourd'hui, il y a péril en la demeure si on ne fait rien.
Et donc je comprends très bien la démarche qui a été suivie, même si je crois oui, en effet, on aurait pu faire autrement et notamment on aurait pu associer les Français à la réflexion sur ce sujet. On n'est pas à la promulgation. La promulgation, c'est une fois que le Conseil constitutionnel a rendu une décision en disant : ceci est constitutionnel et ceci ne l'est pas.
Et sur le référendum d'initiative partagée, ce n'est pas une solution pour sortir de la crise ?
J'ai défendu beaucoup l'idée que la réforme des retraites devait être adoptée par référendum. Ça fait quinze ans que j’ai défendu cette idée-là. C'était une démarche complètement différente et on ne peut pas changer la loi.
Elle a été adoptée par l'Assemblée nationale suite au 49.3. Oui, mais quand même c’est une disposition essentielle. Rocard s'en est servi 28 fois, je crois. Dans mon souvenir, c'était presque plus parce qu'on avait l'impression que c'était tout le temps. 28 fois. Vous n’allez pas dire que c'est anticonstitutionnel ?
Chacun des parlementaires, en son âme et conscience, s'est vu remettre la décision suprême. Est-ce que étant donné ce texte, vous renversez le gouvernement ou vous acceptez que le gouvernement continue avec ce texte ? Comment on peut faire plus chargé de signification pour un vote parlementaire ?
François Bayrou, la foule n'a pas de légitimité face au peuple qui s'exprime à travers ses élus. C'est ce qu'a dit Emmanuel Macron hier soir face à ses troupes, face aux députés et sénateurs de la majorité. Est-ce que c'est un dérapage ou un bras d'honneur, comme le dit ce matin le rassemblement national ?
Les mots dans ces périodes sont facilement excessifs. Je n'aurais pas dit les choses comme ça. Je vais le dire comme je les aurais dites. Je n'y étais pas. Je dirigeais un débat sur la fin de vie et c'était très, très intéressant. Chacun a sa légitimité. Les manifestations ont leur légitimité, mais ce n'est pas une légitimité supérieure à la légitimité démocratique, la Constitution dit : la souveraineté appartient au peuple qui l'exerce au travers de ses représentants et donc c'est de la considération.
Pour ceux qui aiment les souvenirs de littérature, c'est Victor Hugo. Cette distinction entre la foule et le peuple. Il suffit d'ailleurs de se remettre devant les yeux ce qui s'est passé aux Etats-Unis avec les partisans de Trump qui ont essayé de prendre le Capitole. Où était la légitimité ? Est-ce que c'était dans la foule qui a assailli le Capitole et qui voulait renverser ?
Le président de la République a eu une formule. La mienne est un peu différente. Il a eu cette formule, mais je donne l'illustration de cette formule. Lorsqu'ils ont attaqué le Capitole, c'était une foule, mais elle n'avait pas la légitimité des institutions et donc il faut trouver cet équilibre-là. Mais pour ma part, je ne nierai pas la légitimité des manifestations.
C’est pour moi le symptôme de cette un communique habilité dans lequel on se trouve entre les pouvoirs officiels et les citoyens de base. Ça fait plusieurs décennies, ça fait peut être 30 ans, 40 ans qu'on est dans cet espèce de mur de verre et c'est ce mur de verre qu'il faut faire sauter. En tout cas, c'est ça qui m'intéresse, moi.
François Bayrou On n'a pas beaucoup vu et pas beaucoup entendu. Edouard Philippe ces dernières semaines. Il donne ce matin une interview. Est-ce que vous trouvez que c'est normal qu'un ex-Premier ministre, qui est l'un des piliers avec vous de la majorité, avec son parti Horizon, ne défende pas la réforme comme d'autres ?
Moi je, je ne donne pas de leçons aux gens avec qui je me bats. Il s’est exprimé, il s'exprime aujourd'hui encore et simplement. Il a pris la distance qui lui est apparue légitime. Et en tout cas, moi, j'irai à son congrès samedi ou à sa réunion samedi, parce que je trouve que dans la majorité, je dirais même au-delà de la majorité, on est coresponsables de l'avenir. On a chacun à sa place, on tient une des clés de ce que cet avenir doit être.
Justement qu'il faut étendre la majorité à gauche aux élus de gauche qui ne sont pas d'accord avec la nuance. Vous êtes d'accord avec lui ?
C'est drôle comme question. En fait, On vient d'essayer d'élargir vers la droite.
Ce n’est ni un succès ni une victoire. C'est simplement l'issue d'une période de tension très difficile. L'issue institutionnelle. Après, il reste l'issue dans le dans le peuple, on a essayé d'élargir vers les républicains. Il y en a 40 d'entre eux qui n'ont pas voté la censure. Ce n’est quand même pas rien. 40 députés, 40 députés de l'opposition élus dans l'opposition, qui ont dit non, Nous ne voulons pas renverser le gouvernement.
Mettez-vous à leur place, ils se sont fait élire dans l'opposition, souvent contre des candidats qui soutenaient le gouvernement. Et au moment de la réforme la plus difficile, donc impopulaire, ils font l'effort et moi je leur en sais gré, ils font l'effort de ne pas renverser le gouvernement, de dire non, ça n'est pas un sujet légitime pour renverser le gouvernement.
Alors il y en a 19 qui ont voté la censure. Ça fait des vagues en interne et c'est beaucoup. En effet. Je n'ai pas envie de parler légèrement de sujets qui, j'en suis sûr, dont j'en suis sûr, ils les ont vécues avec tension intérieure.
François Bayrou, nouvelle journée de mobilisation demain, à l'appel de l'intersyndicale. Est-ce que Emmanuel Macron doit tendre la main aux syndicats ? Est-ce qu’il doit recevoir Laurent Berger de la CFDT, et Philippe Martinez de la CGT, alors qu'il a refusé ?
Je trouve que ça serait bien au stade où nous sommes. Il faut retisser les fils. Il faut retrouver le contact et le dialogue. Alors naturellement, c'est mieux si on a en tête un scénario de d'issue de crise. Mais dans les jours qui viennent ou les semaines qui viennent, oui, il faudra que le fil soit renoué avec les partenaires sociaux.
Mais pas pour parler des retraites, pour parler d'autre chose.
Non, mais quand vous recevez quelqu'un, vous n’imposez pas le sujet de conversation. Ainsi, si vous me recevez, je suis sûr que c'est vous qui posez es questions et que donc de ce point de vue-là…
Mais vous l'avez dit et il vous a dit quoi ?
S'il avait ouvert pendant le processus parlementaire une négociation avec des organisations syndicales, ça voulait dire que ce qui se passait à l'Assemblée n'avait plus aucun sens et donc la logique des choses a été respectée et je crois que ce serait bien qu'on renoue les fils.
On apprend ce matin que ce qui devait être la prochaine grande loi du quinquennat, la loi sur l'immigration qui devait arriver devant le Parlement dans quelques jours, la fameuse loi en même temps, qui était censée séduire à la fois la droite et la gauche, est reportée. Souhaitez-vous qu'elle soit enterrée ?
Non, je pense que c'est un grand sujet d'inquiétude pour les Français, d'inquiétude, d'interrogations, d'inconfort. Et je pense qu'un chemin existe pour que les sensibilités différentes, je me suis expliqué souvent, y compris à votre micro, sur ce sujet, pour que les sensibilités différentes puissent reconnaître que nos concitoyens présents dans le pays, y compris issus de l'immigration, peuvent trouver un mode de vie en commun, des règles de vie en commun pour être, pour partager quelque chose de l'avenir sans renoncer à ce qu'ils sont.
La droite a déjà dit : cette fois, c'est clair que pas une voix de droite ne la voterait et toute la gauche est contre aussi. Il faut utiliser le dernier 49 trois de la mandature ?
Je pense que ça ne serait pas une bonne idée. Il y a des lois qui sont des lois qui créent des tensions. Ce n'est pas le moment aujourd'hui précisément, on verra dans quelques semaines. Mais je crois que ce n'est pas le moment de mettre sur la table des textes qui sont inflammatoires, qui créent de l'inflammation.
Oui à un report de cette loi, mais pourquoi pas plus tard ?
On ne peut pas éluder les responsabilités qui sont celles des gouvernants devant l'état de la société française et du pays. Rien ne serait pire que de mettre tout ça de côté et de s'en aller en sifflotant, en se fichant éperdument de ce qui va se passer par la suite. La suite est dangereuse, le monde est dangereux, l'Europe est dangereuse et la France n'est pas armée comme elle devrait l'être parce qu'elle sait depuis des décennies, au fond, elle n'a pas affronté les nécessités de l'éducation nationale, les nécessités…
Gros sujet. François Bayrou, vous avez été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour complicité de détournement de fonds publics dans l'affaire des assistants parlementaires du MoDem. Mediapart, qui a pris connaissance de l'ordonnance de renvoi, rapporte que les magistrates y pointent notamment votre rôle central dans le système frauduleux qui a été mis en place.
Tout ça ne tient pas un quart de seconde et comme il y aura un procès maintenant, on le sait. Tous ou presque tous les députés européens qui étaient accusés ont été lavés et blanchis, y compris ces dernières semaines, y compris Marielle de Sarnez qui est morte il y a deux ans.
Les magistrats disent : elle n'aurait pas dû être poursuivie. Je vous dis qu'il n'y a rien dans cette affaire qui soit véridique et qui puisse permettre de supporter une accusation.
À aucun moment cette accusation n'a été fondée sur des faits et ça sera prouvé. Et quand vous êtes totalement certain de votre innocence ou en tout cas du caractère fallacieux des accusations, eh bien, vous n'avez pas l’âme troublée et je ne l'ai pas.