François Bayrou : « Notre désordre politique rend la France faible »

François Bayrou, Premier ministre et président du MoDem, était à la tribune de l’Assemblée nationale pour prononcer un discours après le dépôt d’une motion de censure par les députés du Parti socialiste en application de l'article 49, alinéa 2, de la Constitution.

Seul le prononcé fait foi.

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les députés,

Voilà la motion de censure, c'est la sixième que nous examinons en cinq semaines, et voilà la motion de censure la plus cousue de fil blanc de toute l'histoire parlementaire. Une motion de censure dont un des mieux informé de cette Assemblée, ancien premier secrétaire du Parti Socialiste et ancien président de la République française a dit textuellement : « ce n'est pas une motion de censure pour faire tomber le gouvernement, c'est une motion de censure pour montrer que nous sommes dans l'opposition. » Si l'on peut dire une motion de censure à faux, une motion de censure à blanc, après avoir à juste titre refusé quatre motions de censure à balles réelles contre le gouvernement et qui auraient été contre la France. 

C'est une motion de censure de congrès. Et voilà le parti de Blum, de Jaurès, le parti de François Mitterrand et de Jacques Delors, dont j'imagine vous devez bien avoir dans vos locaux des portraits, réduits à une motion de censure pour faire semblant. Il y a une vieille expression dans les vallées pyrénéennes, pour se moquer gentiment, des villages voisins réputés moins prospères. On disait : « ce sont des pays où l'hiver, les corbeaux volent sur le dos pour ne pas voir la misère ». Eh bien, les portraits des grands ancêtres, je pense... 

(Intervention dans l’hémicycle) J'y viens, M. Faure, je viens à vous. 

Je dis que les portraits des grands ancêtres, il va falloir que vous les retourniez contre le mur pour qu'ils ne voient pas à quels expédients le Parti Socialiste en est réduit. Car vous en arrivez… 

(Intervention dans l’hémicycle) Ne menacez pas, M. Faure. Ne menacez pas, je viens à vous. 

Et donc vous en arrivez au moment où la planète chancelle sur ses bases, où le danger est partout, où  la guerre d'agression de Poutine fait rage en Ukraine, où la Chine déploie sa puissance pour nous soumettre économiquement, au moment où le 47e président des États-Unis évoque rien moins que l'annexion du canal de Panama, de Gaza et du Groenland, où l'Europe que nous avons voulue ensemble et construite ensemble ne parvient pas à s'unir, voilà une motion de censure pour faire semblant, de manière à enlever à Jean-Luc Mélenchon, un angle de sarcasme contre vous. Mais vous ne détournerez rien, car vous aurez les sarcasmes et vous aurez le ridicule. Je dis cela avec tristesse. J'expliquerai à la fin de ce propos pourquoi je pense, et pas d'aujourd'hui, que la démocratie française a besoin de socialistes libres, comme elle a besoin de gaullistes libres, de démocrates libres, de grands partis réformistes de gouvernement à côté ou en face des mouvements protestataires, contestataires, plus radicaux, les uns sur la ligne nationaliste, les autres sur la ligne soi-disant « révolutionnaire ». 

J'ai toujours plaidé tout au long de ma vie politique la même conviction : « Si nous pensons tous la même chose, alors nous ne pensons plus rien ». La démocratie française a besoin de respect mutuel. Mais elle a d'abord besoin que chacun se respecte soi-même. Et c'est à cela que manque cette motion de censure pour faire semblant. 

Alors parlons maintenant des prétextes. Car ce ne sont que des prétextes. Car il n'y a pas un parlementaire dans cette Assemblée, sur quelques bancs qu'il siège, même sur ceux qui nous combattent et nous détestent, qui croient que nous ne respectons pas les valeurs de la République. Beaucoup pensent que nous sommes incapables, beaucoup pensent que nous sommes nuls, à côté de la plaque, loin de ce qu'il conviendrait de faire, agaçants et insupportables, mais il n'en est pas un en vérité pour croire que nous ne respectons pas la République. Car la République, nous l'avons, historiquement, nous l'avons défendue et sauvée, tous les courants qui appartiennent à ce gouvernement, et tous les courants de gouvernement en un temps dont j'ose espérer qu'il n'ait pas révolu, pour composer ensemble quand il fallait la résistance française. 

Mais on voit bien de quoi il s'agit. D'habiller de mots les plus grands et les plus grandiloquents possibles, de médiocres, médiocrissimes intérêts, minuscules intérêts électoraux, microscopiques intérêts de courant de congrès, et ce faisant, je vous le dis comme je le crois, vous vous trompez. 

(Intervention dans l’hémicycle) C'est dommage, monsieur Faure, je vais parler de vous, c'est bête. J'avoue que c'est la première fois que je vois un parti qui dépose une motion de censure quitter l'Assemblée pendant la discussion de sa motion de censure. Mais bon, l'innovation est la marque des peuples vivants. 

Et donc d'habiller ses intérêts électoraux et intérêts de courant de congrès. Et je crois que vous jouez contre vous-même en faisant cela. 

Donc vous vous êtes saisis avec la même grande éloquence de ceux que j'ai employé le mot « submersion » dans une émission de télévision. Je n'ai pas employé, jamais, le mot de « submersion » migratoire. Mais vous vous êtes à loisir épandus sur ce sujet. Alors je veux rappeler le contexte, je veux rappeler le contexte puisqu'aujourd'hui il faut se justifier de tout. C'était l'émission de Darius Rochebin et j'étais dans cette émission et au bout d'une heure ou de plus d'une heure d'émission, le journaliste me pose une question à laquelle je dois l'avouer, c'est assez rare, je ne m'attendais pas. Et il a dit ceci : je suis allé voir les photos de votre enfance au lycée de Nay, dans les Pyrénées-Atlantiques, au pied des Pyrénées, et j'ai remarqué, dit-il, quelque chose. J'avoue qu'à cet instant, mon esprit battait un peu la campagne en repensant à ces photos auxquelles nous sommes tous attachés, auxquelles sont attachés tant de souvenirs et de tendresse, et j'avoue que je ne voyais vraiment pas où il voulait en venir. J'ai remarqué, dit-il, que dans votre classe, vous étiez tous blancs. Imaginez que dans un pays africain, au Sénégal ou au Congo, on ait interrogé un responsable politique en lui disant « j'ai regardé vos photos d'enfance et vous êtes tous noirs ». Je crois qu'on en parlerait aux quatre coins du continent et que ceci aurait dit quelque chose du temps que nous vivons. Et j'étais saisi, je dois l'avouer, à la pensée que ces garçons et ces filles, que nous étions ensemble, je n'avais jamais pensé qu'ils étaient blancs. Nous étions quelques 600 élèves en effet, et dans tout le lycée il y avait un Africain, dont nous étions tous les garçons vaguement jaloux. Parce qu'il était toujours au coin de la cour du lycée, sur le même banc, avec une très jolie fille, pleine de charme, qui se reconnaîtra si elle écoute. Alors j'ai répondu, et donc sa question… la question est prolongée… 

(Intervention dans l’hémicycle) Écoutez, vous proposez de me censurer, vous allez bien accepter que je vous réponde. Il y a quelque chose qui... 

Donc la question était, prolongée par le journaliste : vous étiez tous blancs, est-ce que vous pensez qu'il faut métisser la France ? Et j'ai répondu deux choses. D'abord, que je ne regardais pas la couleur de la peau. Et ensuite, qu'il y avait du danger dans une telle affirmation. Parce que si nos compatriotes considèrent que la couleur de la peau doit inexorablement changer, qu'ils le veuillent ou non, si c'est une fatalité qu'on leur commande de subir, même contre leur gré, alors ils auront le sentiment de perdre le contrôle, et c'est ce que j'ai appelé « submersion ». Et je répète que je n'ai jamais dit « migratoire », j'ai dit « submersion » et « migratoire » jamais. 

Et si vous ne vous rendez pas compte de cela, pas compte que les choses qui viennent du fond des âges, même si vous direz qu'elles sont archaïques, font partie de la nature humaine. Alors vous passez à côté de choses bien plus profondes que l'addition de Marx, Lénine, Staline et Trotski réunies. Et méfiez-vous, à force de nier l'archaïque, alors vous ouvrez la voie à tous les Trump, à tous les Vance, à tous les Musk de la création, spécialement à tous les suprémacistes et à tous les racistes, spécialement dans les milieux, comme vous dites, populaires, ceux qui vivent dans les difficultés sociales et culturelles, et qui se croient dépossédés de leur destin. Vous les transformez, malgré eux, en chair à canon de la mondialisation. Vous touchez non pas à ce qu'ils ont, mais à ceux qu'ils sont ou croient être. Vous faites, avec la bouche en cul de poule, le lit de toutes les instrumentalisations. Mais il y a pire. 

(Intervention dans l’hémicycle) Alors je vous rappelle que c'est vous qui avez déposé la motion de censure. Vous avez raison. C'est vous qui avez déposé la motion de censure. 

Les mêmes qui osent déclarer que nous faisons la politique de l'extrême droite. Les hypocrites, les hypocritissimes ! Quand François Mitterrand disait « le seuil de tolérance est atteint » , ce qui est une phrase qui touche à une conception organique de la société, qui est décrite comme se défendant contre une agression, à cette époque, qu'ont-ils dit ? 

Mais il y a pire dans l'hypocrisie. Et je regrette que M. Faure soit parti. Peut-être parce qu'il imaginait ce que j'allais dire. Le responsable politique qui est le principal leader du parti qui dépose la motion de censure, M. Olivier Faure, premier secrétaire du Parti Socialiste, que dit-il le 25 octobre 2018 ? Je cite exactement, j'ouvre les guillemets. Il dit : « il existe aujourd'hui des endroits où le fait de ne pas être issu de l'immigration peut poser problème à des gens dans les quartiers, qui peuvent se sentir exclus. Il y a des endroits où des regroupements se sont faits génération après génération, qui donnent le sentiment qu'on est dans une sorte - écoutez bien - de colonisation à l'envers. Ce que m'a dit un jour - dit-il - une de mes concitoyennes, qui me disait, après avoir voté longtemps pour la gauche, qu'elle ne voulait plus voter pour nous - c'est M. Faure qui parle - parce qu'elle avait le sentiment d'être colonisée ». Et il ajoute « ce message-là, je l'entends ». « Colonisation à l'envers », ce message-là, M. Faure l'entend. Mais est-ce que M. Faure sait que « colonisation à l'envers », c'est bien plus grave que « seuil de tolérance » ou que « sentiment de submersion », qui n'est que le constat d'une situation subie. « Colonisation à l'envers », c'est autre chose. C'est un projet politique, un dessin politique, une volonté de conquérir et de soumettre. 

Et c'est le même responsable politique qui, vêtu de probité candide et de lin blanc, et j'imagine d'un peu de fond de teint pour effacer le rouge de la honte, dit hier à la radio que nous sommes connivents avec l'extrême droite et même en fusion idéologique avec l'extrême droite. Celui qui dit « colonisation à l'envers » ... 

(Intervention dans l’hémicycle) Madame, je viens de lire le texte en entier et il finit par « ce message-là, je l'entends ». Est-ce que vous entendez ce que je dis ? « Ce message-là, je l'entends ». Ce sont ses mots précisément. J'ai donné la date et j'ai dit la radio. Et vous pouvez aller vérifier la précision de cette affaire. 

Alors parlons un peu d'immigration, puisque c'est le sujet. L'immigration, c'est d'abord la misère du monde. Nous le savons bien, nous qui fûmes, pays d'émigration. Pourquoi s'en allaient-ils ? Pourquoi partaient-ils, nos arrière-grands-parents basques, béarnais, bretons ? Parce que c'était la misère. Ils allaient vers une vie qu'ils croyaient beaucoup plus facile. Et beaucoup y mouraient. Je parle de ma propre famille. Alors ceux-là, qui sont aujourd'hui dans la misère, ils viennent chez nous ou ils passent chez nous. Ils passent parce que 300 000 se sont accumulés au fil des années, parce que ce qu'ils veulent, c'est passer en Grande-Bretagne. L'immigration, c'est une partie de notre France. 25% des Français, dit-on, descendent d'un parent immigré de la première, deuxième ou troisième génération. Et c'est votre cas, madame, et vous avez raison de le revendiquer à la tribune. 

C'est notre réalité et c'est une réalité d'enrichissement de notre pays. Immigration européenne, espagnole, portugaise, italienne, polonaise, russe, iranienne, chassée par la guerre, chassée par la misère. Immigration d'autres continents, très bien intégrée pour la plupart. Indochinoise, vietnamienne, cambodgienne, laotienne, d'Amérique du Sud, chilienne, brésilienne, argentine, chassée par la guerre, chassée par la misère. Immigration d'Afrique du Nord après la présence française en Algérie. Des liens si forts avec le Maroc et la Tunisie. Des liens, faut-il le rappeler, que nous avons voulus, nous, communauté nationale. Des liens avec des communautés entières, des familles entières qui avaient cru à la parole de la France durant la tragédie de la guerre d'Algérie et je veux à cette tribune évoquer nos compatriotes harkis à l'égard de qui notre dette ne s'éteindra pas. Immigration africaine, enfin, causée par le dénuement et la recherche d'un destin différent, favorisée par un lien indissoluble, la langue, la culture, la langue française, les études en France, le travail en France, que nos dirigeants de l'époque économique et politique ont tous souhaitée. Et disons la vérité, s'agissant de nombre de dirigeants économiques, continuent à souhaiter. 

Est-ce que ceux-là sont des compatriotes pleins et entiers ? Ils le sont ! Est-ce qu'ils ont contribué au rayonnement de la France ? Magnifiquement ! Car nous ne sommes pas un pays qui se fait sur une nation par l'origine ethnique, géographique, par la couleur de la peau. Et nos compatriotes des Antilles sont là pour la plupart pour l'attester, descendants d'esclaves africains. Nos compatriotes à La Réunion sont en nombre descendants de familles indiennes. Nos compatriotes en Nouvelle-Calédonie sont pour une part importante descendants des peuples autochtones austronésiens. Ils sont aussi d'origine polynésienne et walisienne. 

Chez nous, la nation ne se fait pas par l'origine, elle ne se fait pas par la religion, elle se fait par un ciment. Ce que nous sommes, c'est ce que nous croyons. Nous croyons que les hommes, les êtres humains, femmes et hommes sont libres. Nous croyons qu'elles et ils sont égaux. Nous croyons qu'ils doivent être fraternels. 

Et la fraternité à mes yeux, dans le triptyque républicain, c'est la clé de voûte. Car certains peuvent prétendre que c'est plus important d'être libre que d'être égaux. D'autres que d'être égaux sans être libres. On connaît beaucoup de régimes qui se sont construits sur ces modèles, mais on ne peut pas être fraternel si l'autre n'est pas libre, on ne peut pas être fraternels si l'on n'est pas égaux. 

Nous y ajoutons une conquête récente qu'est la laïcité. Laïcité, c'est précisément cette idée du ciment d'un peuple, car « laos » en grec c'est le peuple, et « laikos » on pourrait traduire « ce qui fait peuple ». La laïcité, nous avons mis quatre siècles pour la construire. 

Le premier pas, c'est l'idée de tolérance. C'est au XVIe siècle que cette notion a mis plusieurs décennies de guerre pour s'affirmer. Jusque-là, c'était un seul roi, une seule loi, une seule foi. Et puis une religion nouvelle est arrivée qui a tout chamboulé, c'était le protestantisme, et ça a fait presque un siècle de guerres de religion. Généralement, la laïcité est présentée comme une séparation. La séparation de l'Église et de l'État, ou comme je l'ai souvent énoncé, la séparation de la foi et de la loi. La loi protège la foi, mais en France, la foi ne fait pas la loi. Mais si l'on réfléchit bien, c'est beaucoup plus profond que cela. La laïcité va plus loin que la tolérance. Elle n'affirme pas seulement qu'on puisse être différents et cependant concitoyens. Elle affirme que nous sommes concitoyens parce que nous acceptons nos différences et plus encore parce que nous les voulons ; que le lien qui nous unit comme Français est assez fort pour cela. Et elle affirme que ce lien nous permet d'apporter nos différences à un espace commun de reconnaissance, de dialogue et d'enrichissement mutuel. La laïcité, c'est l'amour de cet espace commun contre tous les communautarismes. La laïcité a d'abord voulu en matière religieuse et philosophique, elle s'est imposée au terme d'une histoire dont on connaît les heurts, les violences et les effusions de sang. Imposée de manière religieuse et philosophique, nous avons mis plusieurs siècles à arriver à ce respect mutuel des croyants et des non-croyants. Les tenants d'une foi, heureusement, ne souhaitent plus l'extinction des autres religions. Les chrétiens et les juifs ne souhaitent pas la disparition de la religion musulmane dans notre pays et c'est heureux et on se bat pour ça. Pas plus que les athées ne souhaitent la disparition des croyances religieuses. Nous avons construit cet espace commun où tous ont droit de cité. 

(Intervention dans l’hémicycle) Écoutez, je comprends, mais vous n'aviez qu'à ne pas déposer une motion de censure. Je vous assure, il est très difficile de déposer une motion de censure et de s'abstraire de l'obligation d'écouter, de ceux que vous voulez censurer, répondre. 

Je disais qu'il nous reste à tirer les ultimes conséquences de ce principe et à l'appliquer, ce qui est très loin d'être le cas aujourd'hui comme on le voit. Mais je suis persuadé qu'il va falloir le faire : appliquer les principes de la laïcité à la sphère politique. Passer de la laïcité religieuse et philosophique à la laïcité politique. C'est un concept nouveau. Mais il invite à sortir des absurdes guerres de religion partisanes, des « mon parti et rien d'autre », des « mon programme et rien d'autre », ces guerres partisanes dans lesquelles la France épuise son crédit depuis si longtemps. 

J'avoue que j'ai cru pendant longtemps, comme tout le monde, que le but des affrontements politiques était de faire triompher ses idées sur les idées des autres, de vaincre les autres. Ce qui suppose au bout du compte, si on réfléchit un peu, de considérer que le but est de prendre tous les pouvoirs, d'imposer un absolutisme politique comme on voulait autrefois imposer un absolutisme religieux. J'y ai cru, j'ai consacré beaucoup de temps, j'ai été un très bon militant dans des partis politiques qui n'étaient pas les plus faciles à défendre. J'y ai consacré beaucoup des capacités, quelques-unes, que j'avais à cette époque. Je l'ai cru et je ne le crois plus. 

Je ne crois plus que la démocratie signifie l'écrasement des uns par les autres. Je défends le contraire. Il se trouve que dans cet hémicycle et ailleurs, je suis en accord avec certains courants politiques qui composent cette assemblée et qui siègent au gouvernement, je suis en nuance avec d'autres, je suis en désaccord avec certains autres, et avec d'autres encore, je suis en opposition franche. Mais je crois en la démocratie comme en un espace où les sensibilités doivent vivre ensemble, et autant que possible s'enrichir. 

Car le but de la laïcité en toute matière philosophique, religieuse et politique, comme je le souhaite, ce n'est pas seulement la tolérance molle que je n'aime pas, ce n'est pas le relativisme que j'abhorre ; c'est la fermeté des convictions et la compréhension mutuelle. Pour le débat et même pour le combat, on n'a pas envie de mou, on n'a pas envie d'insipide, de « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ». Bernanos l'a dit au commencement d'un de ses plus grands romans, il a écrit : « petit cœur, petite bouche, ceci n'est point pour vous ». On a besoin de raison, vous l'avez dit, on a besoin de flamme, on a besoin de cœur et on a besoin d'engagement. Et on a besoin de culture, d'intelligence, d'histoire et d'art pour qu'avec toute cette raison, toute cette foi, toute cette vertu d'engagement, on arrive à comprendre l'autre et même l'adversaire comme on comprendrait un frère. Beaucoup hausseront les épaules en taxant d'idéalisme une telle manière de voir. J'accepte le reproche. Et même je le revendique. Car ce n'était pas un tiède Pascal et ce n'était pas un tiède Voltaire. Regardons-nous bien, nous sommes le peuple qui fait vivre ensemble Voltaire et Pascal, qui vit de Voltaire autant que de Pascal, sans arrondir les angles, ni de l'un ni de l'autre. Et qu'on enlève l'un et qu'on supprime l'autre, la France ne serait plus la France. 

Alors je vois bien les regards amusés du genre « quel est ce type qui vient nous parler de Voltaire et de Pascal à propos des valeurs de la République au temps des réseaux sociaux ? ». Pardonnez-moi, je crois, de toute ma conviction et peut-être de toute ma folie, que c'est précisément parce qu'on ne nous parle plus de Voltaire et de Pascal que les réseaux sociaux sont devenus si pauvres. Et Voltaire et Pascal, je vous assure, ce n'est pas moins moderne qu'Elon Musk et Sam Altman, et en tout cas c'est là qu'est la France. Et c'est parce que nous partageons ces principes que nous formons un seul peuple. C'est ce que disait déjà Renan il y a 150 ans. C'est unique au monde. Nous ne nous définissons pas par la pureté du sang de nos ancêtres, nous ne nous définissons pas par le sang de nos ancêtres ou par la supériorité d'un dieu sur les autres. Nous sommes porteurs de quelque chose d'infiniment plus précieux. Nous nous définissons par un projet commun fait de liberté, d'égalité et de fraternité, dont j'ai dit que c'était la fraternité qui était la clé de voûte. 

Ce projet ne peut s'extraire de son époque ; une époque où se pose la question des grandes migrations, car tout est inscrit dans la démographie. Il suffit de regarder la carte du monde pour constater les bouleversements démographiques qui se jouent. La Chine est sur la voie de perdre des centaines de millions d'habitants. D'ici 50 ans, elle pourrait avoir perdu l'équivalent de la population de l'Europe tout entière. L'Inde croit au contraire à grande vitesse. L'immense Russie est comme prisonnière d'un long hiver démographique. Plus près de nous, l'Italie perd des habitants. Quand l'Espagne n'en gagne qu'en accueillant 3 millions d'immigrés, il est vrai de la même tradition religieuse et de la même langue. Dans ce monde de bouleversements démographiques, les conflits d'identité dans la société s'aiguisent. On le voit comme sous un verre grossissant aux États-Unis ou en Inde. 

Ces conflits charrient avec eux des dangers extrêmes et il n'y a aucune raison pour que la France n'y soit pas elle aussi exposée. La névrose identitaire, c'est un immense risque. Aux États-Unis renaît la guerre de Sécession. En Inde, jusque dans les villages entre hindous, musulmans et chrétiens, c'est la guerre des temples et on ferait brûler le voisin détesté. En même temps, la guerre est partout, la guerre n'est plus d'autrefois, la guerre est de demain. La guerre de conquête, la guerre économique, la guerre monétaire, la guerre technologique, la guerre des intégrismes religieux, la guerre qui naît de la grande mutation climatique. Ces guerres, toutes ces guerres, elles chassent devant elles les pauvres gens, les jeunes sans avenir. 

Et c'est pourquoi si quelqu'un prétend qu'il peut parvenir dans ce monde en feu à l'immigration zéro, c'est une illusion. Et la clé de l'immigration dans le monde où nous allons vivre, c'est les conditions de l'intégration. Quelle est la clé pour que la France échappe aux affrontements et aux embrassements ? Qu'elle fasse respecter sa loi. Aucun pays ne peut accepter la dissolution des règles qu'il s'est choisi. Car alors, il sent que son existence est menacée et les réactions de rejet s'enflamment. Et je dis « oui qu'il nous faut réguler l'immigration ». D'où l'importance que les obligations de quitter le territoire français, qu'on ne prononce même plus que comme « OQTF », prononcées par nos tribunaux, soit respectées. Car si les décisions de justice ne sont plus exécutées, c'est que la loi est bafouée et c'est que la loi n'existe pas. D'où l'importance aussi que notre droit d'asile ne soit pas dévoyé. 

La France a été et restera terre d'asile. Et nous nous battrons pour ça. C'est sa tradition et son honneur. C'est même une valeur constitutionnelle. Mais l'accueil que la France veut garantir à ceux qui sont en danger, à ceux qui ont peur et voient en elles un refuge, cette générosité-là ne peut être dévaluée, démonétisée, parce qu'elle se transforme en subterfuge pour d'autres qui n'ont pas trouvé de moyens plus commodes d'entrer en France. D'où l'importance, enfin, que nous ayons tous une idée nette des devoirs à observer quand on est accueilli en France et que cette idée soit respectée. Pour moi, ces obligations qui ouvrent la voie à la régularité du séjour d'abord, à l'intégration ensuite, à l'assimilation enfin au terme de ce chemin d'étape, sont au moins au nombre de trois. L'obligation de travailler, c'est-à-dire de contribuer à notre modèle économique et social ; l'obligation de parler notre langue, qui est le fondement du lien social ; et l'obligation, enfin, d'adhérer à nos principes de vie en commun. 

Cette conviction est, je crois, partagée par la plupart de ceux qui siègent sur ces bancs. Alors où se situent les débats ? Certains affirment qu'un grand nombre d'étrangers viennent sur notre sol pour chercher des avantages sociaux. Et ils disent « 13% des familles non-immigrées sont locataires de logements sociaux, pour les familles immigrées c'est 35% ». D'où un sentiment d'injustice qu'on ne peut balayer, pas plus qu'on ne peut refuser à une personne d'être admise au séjour régulier quand elle réside sur notre territoire depuis une durée conséquente, participe à la marche de la société, travaille, maîtrise notre langue et adhère à nos principes de vie en commun. Et je ne parle pas ici de la nationalité. 

L'acquisition de la nationalité, c'est autre chose. La nationalité ne doit pas se brader. C'est une adhésion volontaire et explicite à un peuple réuni autour d'une conviction philosophique commune. Ce n'est pas l'accès à une panoplie de droits, mais l'inscription dans un destin collectif qui vient de loin et qui se projette vers l'avenir. Il existe un autre débat sur l'accès aux soins. Il y a bien sûr une question sanitaire pour notre propre population. Mais la France ne serait pas la France si la condition pour recevoir des soins indispensables, c'était d'avoir le bon passeport. Encore faut-il vérifier que les soins que nous prenons en charge sont effectivement indispensables aux personnes qui les reçoivent, qu'il n'y a pas d'abus et qu'il n'y a pas de fraude. La condition de l'intégration, c'est qu'il y ait une loi, une loi respectée, pas un pays ouvert à tous les vents où l'État n'est même plus capable de faire respecter ses propres règles. La fermeté pour l'État est un devoir, pour que ses citoyens aient la certitude d'avoir protection et même que leur nationalité est un privilège, que c'est un plus par rapport à tous les désordres du monde. 

Car la communauté nationale, ce n'est pas une question pour les privilégiés. Ceux-là sont protégés par leur patrimoine et leurs capacités. Mais si la communauté nationale se dissout, au bout du compte, qui seront les premières victimes ? Les premières victimes, ce sont les Français dont les parents et les grands-parents sont venus de loin pour rejoindre la communauté nationale. Ceux-là qui n'ont pas le bon nom de famille ou la bonne couleur de peau, ils seront les premières victimes de la dissolution des règles que nous ne respectons plus.

Il est temps d'ouvrir les yeux sur les dangers que nous vivons. Chaque jour qui passe, la force fait un peu plus la loi. En matière commerciale, technologique et financière entre les États-Unis et la Chine. Et puis nous vivons ces jours-ci le spectre d'une entente entre l'homme fort du Kremlin et le 47e président des États-Unis, et cela est terrifiant pour l'Europe. Il fait planer sur l'Europe l'ombre de la guerre et de l'asservissement. Nous sommes sur le point de voir se dérouler sous nos yeux une annexion annoncée, revendiquée, de territoires. L'Ukraine d'un côté, et puis la Crimée, le Donbass, et puis pour d'autres, annoncer le Groenland, Panama, etc. 

La question que les temps nous posent, c'est la question existentielle par excellence : « Être ou ne pas être ? ». Est-ce que nous voulons être la France, être ce que nous sommes, ou acceptons-nous la soumission ? Cette question se pose pour la France et se pose pour l'Europe. Car nous seuls en Europe, les Français, et particulièrement depuis 2017 grâce au Président de la République, sommes porteurs d'une vision du continent comme entité politique, unie par un socle de valeurs homogènes, une civilisation commune, déterminée à défendre son existence d'abord et son intérêt ensuite. Nous sommes, nous, les Français, les porte-drapeaux de l'Europe et de son autonomie stratégique. Nous sommes le seul pays européen à être présent sur les cinq continents. Mais nous sommes aujourd'hui dans une position critique, une situation de crise sur les océans. 

Nous sommes aujourd'hui dans une position critique, une situation de crise, de faiblesse, due à notre désordre politique. C'est notre désordre politique qui rend la France faible. Ce sont les affrontements entre partis, sans cause et sans raison, uniquement sur des prétextes. Ce sont les affrontements entre partis qui nous empêchent de saisir les enjeux et de les relever. J'appelle les sensibilités politiques représentées ici à ne pas détourner leur énergie de cette tâche historique, à ne pas dilapider leur force dans des tours de passe-passe politiques dont ce type de motion de censure fournit pour la postérité un cas d'école. Ainsi, votre motion de censure, je le crois, rate sa cible, mais je crois aussi qu'elle se retournera contre ceux qu'elle prétend défendre. C'est la raison pour laquelle j'appelle la représentation nationale à la rejeter. 

Je vous remercie.

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