François Bayrou : "Nous allons vers la crise la plus grave que la France ait connue depuis la guerre."
Jérôme Cordelier pour Le PointFrançois Bayrou, Haut-commissaire au Plan, Président du MoDem et Maire de Pau, devrait jouer un rôle clé dans la relance présidentielle. Il s’explique au « Point ».
Le soutien du patron du MoDem, trois fois candidat à la présidentielle – avec un score de 18,5 % en 2007 et 9,1 % en 2012 – fut décisif pour l'élection d'Emmanuel Macron en 2017. François Bayrou devrait jouer cette fois l'un des rôles clés dans la relance annoncée par le chef de l'État au début de ce second quinquennat, dans un contexte national et international très tendu : Emmanuel Macron a demandé que le Conseil national de la refondation, installé à partir du 8 septembre, démarre ses travaux en s'appuyant sur les études du haut-commissariat au Plan, que dirige François Bayrou.
Celui qui est également maire de Pau nous a accordé son premier grand entretien depuis des mois, sans rien éluder de sa forte inquiétude, de ses relations avec le président, des dossiers chauds de la rentrée et des questions qui fâchent.
Le Point : Vous vous êtes peu exprimé publiquement depuis les législatives. Pourquoi ce silence ?
François Bayrou : Les responsables politiques n'ont pas à parler tout le temps, à tort et à travers. Il fallait au gouvernement et à la majorité le temps de se mettre en place, de chercher les équilibres nécessaires dans le nouveau paysage politique. Ce n'était pas un temps pour le charivari des déclarations intempestives.
Vous avez, cependant, fait entendre ponctuellement vos divergences sur plusieurs sujets.
Quand on dirige le deuxième parti de la majorité et que l'on perçoit des nuances, si l'on n'est pas capable de les exprimer, alors il faut choisir un autre métier.
Je dis ce que je pense en ayant à l'esprit mes relations confiantes et proches avec le président de la République, tout en gardant ma liberté de parole, ce qui est mon devoir.
Une liberté qui n'est jamais agressive mais qui repose sur un bloc cohérent de certitudes.
Vous êtes pessimiste sur la situation ?
Mon sentiment profond est que nous allons vers la crise la plus grave que la France ait connue depuis la guerre. Peut-être pire même que la guerre d'Algérie, qui fut la blessure la plus douloureuse, un drame épouvantable pour des millions d'entre nous et pour les deux communautés. Mais, à l'époque, on bénéficiait de 6 % de croissance économique par an. Cela permettait d'ouvrir des possibilités nouvelles. Aujourd'hui, chaque jour qui passe ajoute de nouveaux nuages à l'horizon.
Quels sont ces dangers ?
Une accumulation sans précédent ! La guerre folle déclenchée par Poutine contre l'Ukraine perturbe les équilibres européens. Elle flirte même avec la menace nucléaire, militaire, terroriste ou accidentelle. Elle fait craindre une crise alimentaire, notamment en Afrique. Elle a rendu explosive la question de l'énergie en Europe. La puissante Allemagne paie au prix fort sa dépendance au gaz russe, mais ni la France ni ses voisins n'ont l'esprit tranquille. Le gaz, l'électricité, le charbon, le nucléaire redeviennent des enjeux de vie quotidienne et de souveraineté économique.
À ce tableau sombre est venue s'ajouter la crise politique italienne, alors que, ces dernières années, l'Italie était avec la France et l'Allemagne un facteur de stabilité et de volonté en Europe. Les États-Unis sont dans une crise de société si grave qu'on ne voit pas comment ils vont en sortir, avec la question raciale, une sorte de guerre de sécession et la violence endémique des armes à feu. Et la Chine connaît en même temps le drame de son effondrement démographique, la gestion critique du Covid, une remise en cause pour des raisons climatiques et parfois la rupture des chaînes d'approvisionnement. Le tout sur fond de retour d'une très forte inflation !
On a rompu tout lien entre la démocratie locale et la démocratie nationale.
Peu de perspectives d'avenir dans un tel contexte ?
Il y a toujours des perspectives à découvrir. Mais ce qui conduit l'économie, ce sont les anticipations des acteurs, et notamment des investisseurs. Le vrai carburant de l'économie, c'est la confiance
Or, face aux nuages noirs qui s'amoncellent, les anticipations des investisseurs ne peuvent être que négatives. Dans ce paysage sombre, la France pourrait avoir beaucoup d'atouts, mais notre société est-elle prête ?
Vous en doutez ?
Je ne crois pas qu'une telle crise puisse être surmontée sans un immense effort national. Or l'idée même d'un effort national semble souvent s'être effacée.
Le rapport au travail, au risque, à la solidarité, à la tolérance, à la bienveillance, à l'unité du pays, la qualité de notre démocratie à l'épreuve du pluralisme, la sécession de ces Français qui ne se reconnaissent pas dans les institutions, tout cela va à l'encontre de la prise de conscience qui devrait nous souder dans l'effort à venir.
J'ai parfois l'impression que le monde politique lui-même ne se rend pas compte de ce qui vient, vu les hurlements et les insultes qui polluent les débats à l'Assemblée nationale.
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