François Bayrou : "À partir du 10 juin, on dessine un paysage politique nouveau"
François Bayrou était l'invité de l'émission "Questions politiques" sur France Inter et France Info TV ce dimanche 26 mai à 12h00.
Seul le prononcé fait foi.
Carine Bécard : Bonjour, ravie de vous retrouver dans « Questions politiques », l'émission politique du dimanche sur France Inter diffusée sur France Info TV et en partenariat avec le journal Le Monde.
L'offensive médiatique est impressionnante. Ce matin, les deux têtes de l'exécutif sont à la une de la presse. D'un côté, le président Macron qui imagine un référendum pour solder la crise qui dure depuis déjà deux semaines en Nouvelle-Calédonie. De l'autre, son Premier ministre, Gabriel Attal, qui durcit une nouvelle fois, la quatrième depuis 2017, les règles d'indemnisation des chômeurs dans notre pays. Tout cela pour quel résultat ? À deux semaines des élections européennes, elles restent mal engagées pour la majorité, au point d'ailleurs qu'Emmanuel Macron réclame un débat avec Marine Le Pen. On en parle ce dimanche avec un proche du Président, un pilier de la majorité, le Président du MoDem François Bayrou, Commissaire au Plan et maire de la ville de Pau. Il est notre invité dans « Questions politiques », en direct et jusqu'à 13h.
Bonjour François Bayrou, merci d'avoir accepté notre invitation. Nous serons trois à vous interviewer, comme toujours avec Nathalie Saint-Cricq de France Télévisions et Françoise Fressoz du journal Le Monde. Bonjour à toutes les deux.
On va d'abord s'intéresser à toutes ces images qui ont marqué l'actualité de cette semaine. François Bayrou, je commence évidemment avec vous. Quelle est celle que vous avez repérée en particulier ?
François Bayrou : J’ai choisi une image symbolique d'un événement qui est en train de se passer sans qu'on en parle trop. C'est l'incroyable succès, triomphe, du grand pèlerinage de la flamme olympique à travers les villes françaises. Cette flamme était à Pau au début de la semaine. Lundi, il y avait 25 000 personnes.
Carine Bécard : On voit qu'il y a du monde effectivement sur votre image.
François Bayrou : Et 25 000 personnes avec la vasque allumée par un de ces champions paralympiques qui s'appelle Ahmed Andaloussi et qui était déjà très proche du podium aux derniers jeux. J'espère qu'il y sera au prochain.
25 000 personnes. Et ce qui est intéressant, c'est ce grand concours de monde, cette présentation si chaleureuse. Qu'est-ce que ça veut dire ? À mon avis, ça veut dire que, au contraire de ce que nous commentons tous les jours les uns et les autres, ou faisons naître tous les jours les uns et les autres, il y a dans le peuple français, au moins aujourd'hui, peut-être plus largement, un immense besoin de communion, d'être ensemble autour de valeurs qui dépassent, un peu ou qui dépassent beaucoup, les seules valeurs d'intérêt que nous rencontrons tous les jours. Il y a ce besoin de rassemblement, presque de fusion dans lequel vous, les médias, vous jouez bien sûr un rôle très important et en même temps un besoin d'idéal.
Carine Bécard : Alors je vais quand même poser une question moins positive autour de tout ça. Ces Jeux olympiques, c'est aussi une succession de grèves qu'on a vues un peu partout : SNCF, RATP, ADP pour réclamer des primes. La facture sociale de ces JO, elle finit par être un peu trop élevée ?
François Bayrou : Elle est sûrement élevée. Pardonnez-moi de dire les choses comme ça, je ne vais pas me faire des amis en le disant. Je pense que saisir un événement qui est important pour le pays, pour la nation, pour les Français eux-mêmes, et les plus modestes en particulier, qui eux n'ont pas le Festival de Cannes, pour en faire un sujet d'affrontement pour des avantages corporatistes, moi je trouve que ça ne correspond pas à l'idée que nous devrions avoir des principes civiques de citoyenneté.
Françoise Fressoz : Ça abîme l'image des syndicats à votre avis ?
François Bayrou : Je ne sais pas si ça les abîme. Les Français commencent à être habitués. Mais en tout cas, ça nuit à l'idée qu'on peut se faire des droits, et notamment du droit de grève, lorsqu'il est ainsi, à mon sens, détourné de son principe. Ça s'assimile à un moment de chantage.
Carine Bécard : Le mot « chantage » est fort.
Est-ce qu'il faut encadrer du coup ce droit de grève ? Est-ce qu'il faut revenir à ça très rapidement ?
François Bayrou : Peut-être on pourra l'éviter, mais il me semble que très souvent la manière dont ces choses-là sont orchestrées au bénéfice d'une catégorie, appelle à une réflexion générale. Oui, je trouve que ça ne va pas. Je trouve l'idée que, « parce que j'ai la clé de la vie commune, de la vie partagée des Français, je peux imposer ma volonté à mon seul bénéfice », il y a là quelque chose qui ne ressemble pas à ce que nous voulons construire ensemble. Et quand on voit le déséquilibre incroyable entre le nombre de Français qui sont déstabilisés et le petit nombre de ceux qui vont recueillir des avantages, oui, je trouve que ça ne va pas.
Carine Bécard : François Bayrou, je rebondis sur ce que dit Nathalie. Est-ce que ce référendum national sur la Nouvelle-Calédonie, proposé effectivement ce matin dans la presse par Emmanuel Macron, est une bonne idée ? Y êtes-vous favorable ?
François Bayrou : Le président de la République n'a fait qu'appliquer le texte de la Constitution. Le texte de la Constitution stipule que quand on veut changer la Constitution, il y a deux manières de le faire : le Congrès ou la saisine par le président de la République du peuple français. Je rappelle qu'on l'a déjà fait sur la Nouvelle-Calédonie, et c'était un référendum. C'était Michel Rocard en 1988, à Matignon. Et nous avons été nombreux à voter oui, bien que dans l'opposition à cette époque, simplement parce que c'était un très grand enjeu.
Est-ce que c'est adapté à la situation d'aujourd'hui ?
Ce que le président de la République a dit, c'est qu'en cas de blocage absolu, il a cet outil-là, il a cette arme, cette dissuasion.
Mais je pense qu’aujourd'hui, le 26 mai, l’essentiel, c'est évidemment de faire reprendre le dialogue. Dans les circonstances, Nathalie Saint-Cricq l'a rappelé, qui sont terriblement difficiles parce que les émeutiers, ce ne sont pas les indépendantistes. Ce sont leurs enfants, souvent. Peut-être aussi avec des influences étrangères. On l'a dit, stupéfiantes, parce que vous voyez que c'est, on en aura l'occasion...
Carine Bécard : On va en reparler.
François Bayrou : ...oui, d'en parler. Ce sont des entreprises de déstabilisation de la France en tant que telles. Sur tous les terrains et tous les continents.
Et pour une raison qu'il conviendra d'analyser ensemble un peu plus loin dans cette émission, la France est la seule à s'opposer à des déchaînements de violence.
Et sur le référendum, je dis qu'aujourd'hui l'important c'est que puisse de nouveau s'exprimer la voix de ceux qui savent qu'on va devoir vivre ensemble. Autrement, vous voyez vers quoi on peut aller…
Françoise Fressoz : Vous entendez que c'est difficile cette voix ? Parce que ça fait trois jours que le président de la République est rentré et..
François Bayrou : Trois jours, c'est rien. On vit au rythme des médias, mais la Calédonie en particulier elle ne vit pas strictement au rythme des médias. Quand vous allez dans les tribus, alors vous voyez que ce n'est pas le rythme des médias. C'est un autre rythme, un rythme plus séculaire. Est-ce que ceux qui, je pense notamment aux anciens, ont exprimé jusqu'à maintenant cette voix-là dans la lignée de Tjibaou et des autres, est-ce qu'ils vont pouvoir reprendre la parole ? Si vous me donnez trente secondes, il y a une scène absolument terrible qu'on m'a racontée et je n'ai pas vérifié, mais les gens qui me l'ont racontée sont sérieux. Vous savez, le gendarme qui a été tué ? Il a été tué par un tir à plusieurs dizaines de mètres ou centaines de mètres dans la tête, parce qu'un leader kanak était venu lui parler et il a enlevé son casque pour parler au leader kanak et c'est à ce moment-là qu'il a été abattu. Ça dit quelque chose de très profond sur le fait que les voix de la sagesse, du fond de l'âme de ce territoire et des peuples, y compris d'origines qui y vivent, le vrai enjeu, c'est qu'ils retrouvent la parole et que la violence, incontrôlée ou contrôlée par d'autres que les visages légitimes, reprenne sa place.
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« C'est la réforme de l'assurance chômage la plus violente qui va pénaliser absolument tout le monde, notamment parce que la durée d'indemnisation sera limitée à quinze mois maximum. Les jeunes vont payer un lourd tribut. Ils vont être très nombreux à ne plus être indemnisés car il faudra avoir travaillé huit mois pour pouvoir être indemnisé. Les seniors vont aussi être très concernés malheureusement, puisque cette réforme de l'assurance chômage remet en cause leur indemnisation spécifique en matière d'allocation chômage qui leur permettait d'avoir des droits au chômage renforcé. »
Carine Bécard : Voilà la réaction de la patronne de la CGT, Sophie Binet, ce matin après les annonces sur l'assurance chômage du Premier ministre Gabriel Attal. Est-ce qu'elle a raison, François Bayrou, Sophie Binet ? Est-ce que c'est une réforme extrêmement violente ? Quand elle a été reçue cette semaine par Catherine Vautrin, elle a même parlé d'une réforme criminelle. Est-ce que vous êtes d'accord ou pas ?
François Bayrou : C'est une réforme que la réalité appelle et à laquelle aucune majorité ne peut échapper. Moi, je suis un élu de terrain, je suis l'élu d'une ville et d'une région. Il suffit de parler avec ceux qui créent l'emploi, les responsables d'entreprises pour mesurer le désespoir qui est le leur. C'est-à-dire qu'ils ont du travail, mais ils ne trouvent pas des gens pour travailler et quand ils les forment, ils partent. Ils partent le plus vite possible au bout de six mois puisqu’au bout de six mois, les droits sont rechargés. La question c'est combien de temps faut-il travailler pour recharger son droit aux indemnités chômage. Et c'est devenu une pratique constante.
Carine Bécard : Les chômeurs exagèrent en fait ? C'est ça que vous voulez dire ?
François Bayrou : Non, je n'ai jamais dit ça. Mais la situation dans laquelle se trouvent des salariés, notamment des jeunes salariés, qui interrompent volontairement leur contrat de travail et s'en vont pour bénéficier pendant un laps de temps donné des indemnités de l'assurance chômage, ce n'est pas normal. Vous savez bien, on fait semblant de ne pas le voir, c'est devenu un choix de vie : travailler par intermittence pour le reste du temps, faire des choses tout à fait louables comme découvrir le monde, voyager, et interrompre volontairement alors que le travail existe et qu'on vous propose de rester.
Carine Bécard : Mais vous êtes en train de dire que les jeunes sont des tire-au-flanc finalement ?
François Bayrou : Non. D'abord, vous ne m'avez jamais entendu utiliser un mot globalisant. Je n'ai jamais dit "les jeunes", c'est vous qui le dites parce que vous essayez de me pousser.
Carine Bécard : Non, je ne vous pousse à rien du tout. J'essaie de comprendre.
François Bayrou : Ce n'est pas mon point de vue. Venez, prenez vos micros, descendez chez nous, je vais vous présenter toutes les entreprises de BTP, c'est vrai aussi dans d'autres secteurs d'activité comme la restauration et d'autres petites et moyennes entreprises.
C'est du désespoir que les chefs d'entreprise rencontrent et il y a beaucoup de jeunes qui pourraient trouver là une affirmation professionnelle. Alors se draper dans une toge blanche de lin pour dire « mais quand même », ce n'est pas vrai !
Peut-être qu'il faudra que le texte le précise beaucoup mieux. Ce qui est en cause pour moi, c'est l'interruption volontaire du contrat de travail pour échapper ou pour aller connaître d'autres moments de vie
Françoise Fressoz : Donc, sur la philosophie de la réforme, vous êtes pour. Par rapport aux partenaires sociaux à qui le gouvernement avait redonné la main après la dramatique réforme des retraites, essayer de régler les problèmes. Et là, finalement, il ne tient absolument pas compte des syndicats. Est-ce que c'est un sujet pour vous ou pas ?
François Bayrou : C'est un sujet parce que je pense que la démocratie sociale est une des clés de voûte de la société dans laquelle nous vivons. Alors c'est un sujet. Mais vous avez vu que sur les seniors, les organisations syndicales et patronales ont négocié huit mois sans parvenir à se mettre d'accord. Alors, on ne peut pas en même temps constater cet effritement de la démocratie sociale qui est réel. Dans mes fonctions de commissaire au plan, je travaille évidemment avec les organisations syndicales, simplement pour échanger. Je ne connais pas un responsable syndical qui pense que la démocratie sociale va bien. Ils pensent que la démocratie sociale va assez bien dans l'entreprise, ce qui est d'ailleurs très encourageant, et qu'il y a beaucoup d'accords d'entreprises qui sont pris.
Carine Bécard : Dans leur relation avec le gouvernement, c'est compliqué.
François Bayrou : Ce n'est pas le gouvernement. Dans la capacité que les organisations syndicales et patronales devraient avoir de peser sur les grandes décisions, notamment des assurances sociales, chômage, retraite. Vous savez que j'ai défendu l'idée que, comme pour l'Agirc-Arrco, qui est la retraite complémentaire, pourquoi les syndicats ne prendraient-ils pas un jour la responsabilité du système de retraite ? Alors qu'ils ont montré leur capacité et leur responsabilité sur l'Agirc-Arrco. Je pense qu'il faut entrer dans ces questions avec un esprit beaucoup plus novateur que ce que nous avons. Donc là, on a un problème précis. On ne peut pas dire que les syndicats ne sont pas suffisamment consultés et quand ils le sont, ils ne trouvent aucun accord et donc on se retourne vers le gouvernement.
Nathalie Saint-Cricq : Est-ce le bon moment ? En clair, on est à deux semaines des élections européennes. Par ailleurs, la croissance est plutôt en berne par rapport à ce qui avait été prévu ou annoncé. En gros, on avait cru comprendre que l'assurance chômage serait calquée sur le principe de "plus il y a de croissance, plus on serre la vis" parce qu'il est plus simple de trouver du travail. Et franchement, vous n'auriez pas pu attendre quinze jours parce qu'il est possible, vu que vous culminez dans les sondages pour les Européennes, que cela n’apporte rien ?
François Bayrou : Vous dites « vous » ?
Nathalie Saint-Cricq : Bah justement, à vous de me dire si c'est le "vous" collectif et valide.
François Bayrou : C’est une formule.
Carine Bécard : Non mais c'est la majorité malgré tout.
Effectivement, lors de la précédente réforme sur l'assurance chômage..
François Bayrou : Excusez-moi, précisons les choses. Ce sont des orientations du gouvernement.
Journaliste : Donc vous n'étiez pas d'accord ?
François Bayrou : Non, ce n'est pas ce que je dis. Je dis simplement que, à la question précise que Nathalie Saint-Cricq pose, est-ce que c'est le bon moment ? Ce qu'a choisi le gouvernement, c'est de dire que ce n'est jamais le bon moment et peut-être est-il important de montrer que nous allons affronter toutes les questions qui se posent sans se laisser perturber ou dévoyer.
Carine Bécard : Pardonnez-moi, le gouvernement n'avait pas dit ça. Le gouvernement avait dit que, quand la conjoncture est favorable, on peut durcir les règles sur l'assurance chômage. En revanche, quand le chômage remonte, on est plutôt dans ce schéma-là...
François Bayrou : C'est d'ailleurs à peu près ce que dit dans un paragraphe le Premier ministre ce matin dans une interview à La Tribune dimanche. Il dit qu'il faudra que ce principe soit respecté. Si j'ai bien lu.
Journaliste : Commençons par le respecter aujourd'hui, ce qui n'est pas tout à fait le cas.
François Bayrou : Pardonnez-moi. Vous confondez deux choses. Le problème que j'ai décrit, c'est-à-dire le recours à l'intermittence comme une facilité de vie, faisant prendre en charge par la collectivité ses choix de vie personnelle. Ce n'est pas la même chose, par exemple, pour les seniors qui en effet ont plus de difficultés à certains moments. Et c'est pourquoi le Premier ministre annonce ce matin une mesure que je trouve très juste et très intéressante, qu'il m'est arrivé de défendre depuis longtemps, c'est-à-dire qu'on puisse se servir des assurances chômage pour compléter le revenu des salariés ce qui coûte moins cher à l'entreprise.
Nathalie Saint-Cricq : Avec un risque quand même, c'est qu'on pousse les entreprises de voir les salaires à la baisse…
François Bayrou : Vous avez raison, mais si vous connaissez une seule activité humaine, Nathalie, dans laquelle il n'y a pas de risque, présentez-la moi.
Nathalie Saint-Cricq : Je suis d’accord.
Carine Bécard : Mais malgré tout, François Hommeril, le président du syndicat des cadres de la CFE-CGC, dénonce cette réforme en disant qu'elle est populiste ce matin. Et vous-même, il y a deux mois, le 25 mars dernier, vous étiez opposé à une nouvelle réforme de l'assurance chômage, notamment contre la diminution de la durée d'indemnisation. Pourquoi avez-vous changé d’avis ?
François Bayrou : De quel texte avez-vous sorti ça ? Mais non.
Carine Bécard : Vous avez toujours été pour ?
François Bayrou : C'est à s'arracher les cheveux, n'est-ce pas ? Nous sommes un pays dans lequel le chômage est une dimension désespérante de la situation de millions de Français, notamment de jeunes Français. Vous avez des entreprises qui ne demandent qu'à embaucher et qui ne trouvent pas. Et quand vous interrogez les acteurs de ce jeu désespérant, ils vous disent : « Nous offrons des contrats aux jeunes, on les forme et quand on les a formés, ils partent. » Ou « on les prend pour une certaine durée et ils s'en vont », et ils s'en vont pas pour trouver un meilleur travail. Ils s'en vont parce qu'ils considèrent que le travail, c'est une suggestion, une charge, c'est dur et que si on peut y échapper pendant une certaine période grâce aux indemnités chômage, alors on le fait. Ceci n'est pas normal.
Nathalie Saint-Cricq : Pardon, quand on quitte un emploi comme ça en claquant la porte, on n'est pas indemnisé.
François Bayrou : Au bout de six mois, quand vous avez rechargé..
Carine Bécard :.. huit mois désormais à partir du premier décembre.
François Bayrou : Huit mois si c'est adopté, donc six mois, vous avez rechargé par un CDD et vous avez droit aux indemnités.
Carine Bécard : François Bayrou, pilier de la majorité, proche du président Macron, est notre invité ce dimanche dans Questions Politiques. François Bayrou, Emmanuel Macron a redit qu'il aimerait une confrontation avec Marine Le Pen avant les élections européennes. Alors, elle y a mis quelques conditions : la démission du président ou la dissolution de l'Assemblée s'il perd le prochain scrutin européen. Est-ce que vous pensez qu'il faut ce débat entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen ? Est-ce une bonne idée ? Y êtes-vous favorable ?
François Bayrou : Vous voulez bien qu'on refasse l'historique. Madame Le Pen a dit, "Je voudrais un débat".
Carine Bécard : Non, non, non, c'est le président de la République le premier qui a dit.
François Bayrou : Le président de la République a dit, "Un débat, j'y suis prêt". Ce n'est pas la première fois. François Mitterrand a affronté Philippe Séguin dans des circonstances similaires…
Françoise Fressoz :.. C’était pour un référendum, pas pour la campagne européenne. Ce n’est quand même pas la même chose.
François Bayrou : Nous allons en parler tout à l'heure. Mais je pense que cette campagne européenne est aussi importante qu'un référendum pour l'Europe et pour l'équilibre futur de l'Europe, et que c'est probablement une élection sans précédent du point de vue de son importance.
Carine Bécard : Donc ce serait une bonne idée ou pas, un débat ?
François Bayrou : Visiblement, la proposition est faite et Madame Le Pen ne veut pas que cette confrontation se tienne. C'est pour ça. Elle dit, "J'accepte s'il démissionne". Bon, tout ceci, ce sont des jeux de rôle.
Carine Bécard : Démocratiquement, ce n'est pas un peu gênant malgré tout que le président considère que dans ces élections européennes, il n'y a qu'un seul autre parti, c'est le Rassemblement National ?
François Bayrou : Oui, vous avez raison, mais enfin, comme vous l'avez souligné à l'envie depuis le début de l'émission, ils sont à 33%, c'est-à-dire un Français sur trois. Moi, je ne crois pas que ce sera le score, je n'accepte pas cette situation, je me bats contre cette situation. Mais il demeure que vous en parlez à longueur d'antenne.
Françoise Fressoz : Pourquoi, à votre avis, le Rassemblement National est en tête aujourd'hui et largement en tête dans cette campagne électorale ?
François Bayrou : Parce que ce parti a cultivé depuis des décennies ce qu'il y a de plus à la fois naturel et dangereux dans l'esprit des citoyens. C'est-à-dire que la situation n'est pas bonne, il faut que ce soit la faute de quelqu'un et c'est la faute des immigrés. Le travail, les déséquilibres des assurances sociales, la sécurité, tout cela, le Front National, qui n'a jamais eu à exercer de responsabilité, l'a toujours utilisé.
Françoise Fressoz : Et ce n'est pas nouveau. Jean-Marie Le Pen le disait dans les années 1980. Pourquoi aujourd'hui ?
François Bayrou : Eh bien, excusez-moi de vous rappeler que Jean-Marie Le Pen était au deuxième tour de l'élection présidentielle en 2002. Tout cela, c'est une sédimentation de décennies et de décennies. Or, cette affirmation et ce simplisme-là détournent les Français de la réflexion sur leur pays et sur ce qu'il faut faire.
Carine Bécard : Mais il n'y a pas d'erreur de la part de la majorité ?
François Bayrou : Il y a sûrement des erreurs, tout le monde commet des erreurs.
Carine Bécard : Est-ce qu'il y a un problème avec la tête de liste, Valérie Hayer ?
François Bayrou : Non, je pense que c'est une jeune femme courageuse et compétente, venant du peuple, ce qui est rare. Elle mérite qu'on la regarde. Mais vous voyez bien, c'est terrible. L'extrême droite et l'extrême gauche sont venues devant les Français pour dire solennellement qu'il n'y a aucun risque que Poutine envahisse l'Ukraine. Sur tous vos plateaux, il y a des extraits vidéos il suffit de les regarder. En disant « je ne vois pas ce que Poutine irait faire en Ukraine ». Ils ont dit aussi, Marine Le Pen a dit, « notre modèle, c'est Trump et Poutine ».
Toutes ces affirmations-là doivent être sujet de disqualification, et elles le seront si nous sommes courageux et engagés.
Nathalie Saint-Cricq : On peut toujours dire qu'ils mentent, on peut toujours les accuser sans interruption, c’est irrationnel. Donc, ça veut peut-être dire qu'il faut y aller autrement qu'en étant poli en disant que ce n'est pas vrai. On exporte plus de bœuf au Canada que ce qu'on en importe. Jordan Bardella dit que ce n'est pas vrai.
François Bayrou : Je ne me reconnais pas dans la caricature que vous faites d’être polie et tout ça. Quel est l'essentiel dans cette élection ? Pour moi, c'est extrêmement simple et je m’étonne qu’on ne le voit pas. Le monde, à partir de février 2022, est entré dans une nouvelle époque. Cette époque, c'est celle du déchaînement de la violence pour de nouveaux impérialismes visant à dominer le monde et à dominer les autres. Cela a commencé avec Poutine. Ensuite, nous avons eu le drame du Haut-Karabagh avec les Arméniens obligés de partir. Personne n'a rien dit. Puis, l'Iran qui fournit des drones à Moscou pour taper sur l'Ukraine et qui a déchaîné, qui a déclenché à partir du 7 octobre, le drame d'Israël et de Gaza. Tout cela vise à empêcher la paix de survenir. Et puis la Chine, vous avez vu les manœuvres autour de Taïwan, le déploiement de la marine chinoise pour montrer sa volonté... Les États-Unis, quant à eux, ne sont pas du bord de la violence militaire, mais ils ont une stratégie de maîtrise de tous les contenus et réseaux, notamment iCloud, pour maîtriser cette part de développement de la planète. Face à ces déchaînements, qu'est-ce qui peut résister ? Une seule réponse : une Union européenne qui croit en elle-même et qui prend les décisions nécessaires, dépassant les intérêts des uns et des autres. Et dans l'Union européenne, qui propose cette voie-là ? Un pays, la France, et le président de la République française. Le but de toutes ces puissances, ouvertement ou souterrainement, c'est d'affaiblir les autorités françaises.
Carine Bécard : Mais vous n'êtes pas toujours très clair parce que Renaissance et Renew... Pardonnez-moi, je vous coupe, mais vous avez parlé très longtemps.
François Bayrou : Mais oui, c'est même pour ça que vous m'avez invité.
Carine Bécard : Vous avez d’encombrants alliés libéraux, par exemple aux Pays-Bas, qui viennent de s'allier avec l'extrême droite. On n'entend pas Renew, on n'entend pas Renaissance sur ça.
François Bayrou : C'est parce que vous ne m'avez pas écouté. J'ai dit que, moi qui suis président et fondateur du Parti démocrate européen, donc fondateur d’un des groupes dont vous parlez, que nous ne l'accepterions pas.
Carine Bécard : Ça veut dire donc les exclure définitivement ?
François Bayrou : Ce n’est pas exclure, les groupes vont se constituer pour la prochaine assemblée.
Carine Bécard : Donc, vous refuserez.
François Bayrou : Et je vous dis que moi, en tout état de cause, je n'accepterai pas, même si elle est marginale, cette compromission pour des raisons qui tiennent au fond. Mais vous voyez bien, pardon d'avoir été un peu long pour énumérer les drames dans lesquels la planète a basculé à partir de 2022. Seule force de résistance, l'Union européenne, et dans l'Union européenne, seule force de proposition de résistance, la France. Et donc, c'est un enjeu majeur.
Nathalie Saint-Cricq : Pourquoi les gens ne le comprennent pas ? C'était ça ma question, ce n'était pas de dire qu'on n'était pas d'accord, mais de dire qu'on a l'impression que les gens sont imperméables. Peut-être faut-il faire campagne différemment.
François Bayrou : Cela arrive dans l'histoire. Je vous rappelle qu'avant la guerre de 40, la Grande-Bretagne a fait le choix du pacifisme, de ne pas se réarmer face à Hitler. Il y avait une seule personne, Winston Churchill, qui a dit : « Écoutez-moi, je ne peux pas accepter ça, c'est une erreur. Vous vous trompez, je suis minoritaire, mais vous vous trompez. » Il arrive que les majorités se trompent. Mais le rôle des responsables politiques, le rôle de ceux que vous invitez à votre micro, c'est de rappeler l'essentiel. Et l'essentiel est là. Nous sommes à un moment, j'ose dire, presque plus important que bien des référendums qui ont eu lieu. Nous sommes au moment où il appartient à chaque électeur de dire par son bulletin de vote s'il veut une Union européenne qui résiste à ces déchaînements de puissance financière, monétaire, militaire, de recherche ou non. Si on veut cela, alors il n'y a qu'une voie possible, c'est celle que défend la France dans l'Union européenne. Et c'est pourquoi tout le monde se frotte les mains. Ils ne veulent qu'une chose, pouvoir dire à partir du 10 juin que le président de la République est affaibli.
Françoise Fressoz : Un mot sur le voyage d'État d'Emmanuel Macron en Allemagne, le couple franco-allemand n'est pas au mieux de sa forme. Est-ce une inquiétude pour vous ? Est-ce qu'il y a une capacité de relance aujourd'hui ou pas ?
François Bayrou : C'est une inquiétude et il faut trouver les chemins d'une relance. Mais vous voyez bien ce qui se passe. L'Allemagne est dans une situation économique difficile, une situation à laquelle elle n'est pas habituée depuis des décennies. Cela est notamment dû à la rupture avec le gaz russe et aux relations avec la Chine, son premier partenaire commercial.
Françoise Fressoz : Comme vous le dites, il y a une prise de conscience dramatique, mais on ne voit pas de levier…
François Bayrou : Il n'y a pas suffisamment de prise de conscience.
Françoise Fressoz : Quelles seraient les solutions ? On ne les entend pas.
François Bayrou : Ce que je plaide devant vous, c'est précisément la voix de ceux qui veulent construire une Union européenne de résistance face à ces forces déchaînées. Et nous avons les moyens de la résistance. Nous sommes un très grand marché. Nous avons un niveau de développement qui doit nous permettre de résister à tout cela. Mais la question est la prise de conscience, c'est pourquoi je suis à votre micro.
Nathalie Saint-Cricq : Imaginons que, comme le montrent les sondages, il y ait un mouvement, un frémissement. Nous n'allons pas radicalement rebattre les cartes. Imaginons qu'à partir du 10 juin, Marine Le Pen, comme elle l'a déjà fait, et les autres appellent à la démission, à la dissolution, en disant que c'est fini puisqu'ils ont fait de cette élection un référendum anti-Macron. Si à l'automne une motion de censure est votée, que fait Emmanuel Macron ? Que faites-vous, en tant que pilier, comme le disait Carine ? Que plaidez-vous ? On prend Gérard Larcher comme Winston Churchill ?
François Bayrou : Moi, je plaide pour qu'à partir du 10 juin, on dessine un nouveau paysage politique.
Françoise Fressoz : Est-ce que cela signifie tendre la main à la droite, à la gauche ou juste à la droite ou ?
François Bayrou : Toute ma vie politique a été bâtie autour de l'idée qu'il fallait tendre la main. Parce qu'une fois que l'on mesure la gravité des problèmes et les difficultés réelles que nous rencontrons, imaginer qu'on va se battre entre ceux qui devraient construire l'avenir est une stupidité criminelle. J'ai constamment plaidé pour que le pluralisme permette des rassemblements. Est-ce que les gens voudront des rassemblements ? Je ne sais pas. Est-ce que les règles actuelles permettent des rassemblements ? Je ne sais pas.
Nathalie Saint-Cricq : Est-ce que de l'autre côté - parce que quand on tend la main, il faut bien que quelqu’un la prenne – vous avez l’impression qu’il a des gens qui ont envie de la prendre ?
François Bayrou : Oui.
Nathalie Saint-Cricq : Est-ce que le président de la République tend, comme vous, la main ? Est-ce que vous êtes seul à le faire ?
François Bayrou : Je pense que le président de la République a cette question en tête depuis longtemps, car ce qu'il a appelé depuis 2017 « le dépassement », c'est bien ce que cela signifie. Nos frontières sont artificielles, arbitraires, elles viennent d'un passé révolu. Il faudra bien que nous vivions et travaillions ensemble. Pour moi, c'est une ligne de conduite. Mais est-ce que nos pratiques et nos règles le permettent, c'est une autre question.
Françoise Fressoz : Vous évoquez la proportionnelle. Voilà, donc après le 9 juin, on met la proportionnelle.
François Bayrou : Un grand nombre de gens n'ont pas cette option à l'esprit car ils ne comprennent pas quel est le but de la proportionnelle.
La cohabitation est-elle exclue ? Non, jamais. La dissolution est-elle exclue ? Jamais. C'est une arme institutionnelle à la disposition du président de la République, comme le référendum, comme le changement de gouvernement, pour sortir des situations d'impasse. Est-ce qu'on peut se trouver dans une situation d'impasse ? Oui.
Nathalie Saint-Cricq : Est-ce qu'Emmanuel Macron peut cohabiter avec quelqu’un, un autre parti ?
François Bayrou : Nous avons déjà eu des situations de cohabitation avec des présidents de la République qui n'avaient pas la réputation d’être très « cohabitants ».
Ceci est une option, mais je pense que ce n'est pas la seule.
Nathalie Saint-Cricq : Ni la privilégiée ?
François Bayrou : Ça peut exister. Je pense que les événements sont suffisamment chargés de risques pour qu'on puisse imaginer une telle option. Cependant, celle que je pense être la meilleure, c’est celle qui permettrait à des personnes différentes de travailler ensemble pour redresser le pays. C'est ma ligne directrice, et je pense qu'elle est accessible.
Nathalie Saint-Cricq : Et gouverner au centre ?
François Bayrou : Oui, bien sûr. Il y a deux clés. La première est d'accepter le pluralisme ou, au contraire, de chercher la domination absolue d'un clan sur les autres. Je suis pour le pluralisme. La domination d'un clan est une stupidité, et la France en souffre souvent. La deuxième clé est de trouver les règles et les pratiques permettant de travailler ensemble. Si vous parlez aux parlementaires en dehors de l'hémicycle, où ils manifestent des postures et de l'agressivité, ils disent souvent : "François, tu as raison, il faudra bien qu'on le fasse ensemble." Ils veulent le faire sans perdre la face, en trouvant des avantages, mais ce n'est pas ainsi qu'il faut procéder. Il ne faut pas poser comme première condition que cela représente un avantage pour soi-même, mais plutôt un avantage pour le pays en situation critique. C'est cela l'essentiel.
Carine Bécard : François Bayrou, je ne peux pas éviter la question sur l'audiovisuel public. La réforme inquiète beaucoup de nos maisons : Radio France, France Télévisions, France Médias Monde, l'INA. Êtes-vous favorable à la réforme présentée par Rachida Dati ou pensez-vous qu'elle est précipitée ?
François Bayrou : Non, il ne faut pas qu'elle soit précipitée. Il faut que nous réfléchissions ensemble. Le paysage audiovisuel mondial, pas seulement français, est aujourd'hui dominé par des géants qui rendent toute création indépendante quasiment impossible. Si on ne voit pas cela, on ne voit rien. Alors, que faire ? Comme pour l'Union européenne, il faut rassembler les forces pour faire face à cela. Le Parlement, à l'initiative de Jean-Louis Bourlanges, a dit que l'audiovisuel extérieur, comme France 24, doit rester sous la tutelle du Quai d'Orsay.
Carine Bécard : Est-ce que cela fonctionne ? La BBC, par exemple, a supprimé 1800 postes et réduit son budget de 30 % en 10 ans.
François Bayrou : Bâtissons les conditions nécessaires pour que ce rassemblement permette des moyens et une capacité supplémentaire sans inquiétude. Je suis sûr que vous allez y arriver. Il y a suffisamment de gens qui ont réfléchi à cette question. Qu'il faille bouger, c'est indiscutable.
Carine Bécard : François Bayrou, rapidement, car nous arrivons à la fin de cette émission, êtes-vous d'accord avec cette idée de "déni de la dette" ?
Le président Macron vit-il dans le déni de la dette ?
François Bayrou : Il y a un homme politique en France qui a mis ce sujet au centre de sa campagne présidentielle, et c'est moi.
Carine Bécard : François Fillon avait dit, "Je suis à la tête d'un État en faillite." Il était conscient de beaucoup de choses aussi.
François Bayrou : Mais comme il était au pouvoir, cette affirmation a été prise avec des points d'interrogation.
Le problème, ce n'est pas tant la dette que l'usage de la dette. Les Français pensent que la dette sert à arranger les fins de mois. En réalité, il y a un bon usage de la dette, qui n'a pas été fait. Le bon usage de la dette, c'est l'investissement : construire l'avenir, des hôpitaux, des équipements publics, lutter contre le réchauffement climatique, et faire de l'éducation une priorité. Ce qui est anormal et scandaleux, c'est d'utiliser la dette pour combler les déficits de fin de mois. Exemple : les retraites. J’ai, avec le commissariat au Plan, donner au mois de décembre précédant la réforme des retraites, les chiffres exacts du financement pour montrer que l'équilibre apparent n'existait que parce que l'État empruntait 35 à 40 milliards d’argent public.
Carine Bécard : Merci François Bayrou. Belle fin de week-end à tous et à la semaine prochaine.