François Bayrou : « Refonder le lien avec les Français »
Retrouvez ci-dessous l'entretien accordé par François Bayrou à La République des Pyrénées.
Propos recueillis par Éric Bély
Une question abrupte tout d’abord : le MoDem doit-il disparaître ?
Les partis sont en crise, ils explosent tous. Nous avons le devoir de proposer le contraire : une organisation nouvelle, qui unifiera les deux mouvements qui ont été les supports de la campagne de 2017 et qui sont tous les deux des mouvements du centre très proches philosophiquement. Leur histoire n’est pas la même, mais il n’y a pas de différence dans leur vision de la situation et dans les valeurs qu’ils affirment. Le MoDem a porté ce drapeau, longtemps avant la constitution d’En Marche ! en 2017. Aujourd’hui, je suis sûr que l’on peut trouver une organisation nouvelle, unifiée, sans que personne n’y perde de son identité. Ni ce qu’il est, ni ce qu’il a.
Votre idée de grand mouvement politique central doit-elle inclure selon vous une partie de la sensibilité LR incarnée par l’ancien Premier ministre Édouard Philippe ?
Tout élargissement est possible, à condition que tout le monde comprenne que les deux mouvements fondateurs ont une responsabilité particulière. Ce sont eux qui ont fait campagne en 2017, eux qui ont été solidaires à cette époque. Depuis cette date, ce sont eux, par leur solidarité, qui ont permis toutes les avancées. Qu’il y ait des sensibilités différentes, bien sûr. Mais il faut que tout le monde comprenne qu’il s’agit d’un combat commun, que le but n’est pas de recréer des concurrences internes. La division perpétuelle, et le chacun pour soi, j’en fais mon ennemi personnel.
LREM, qui compte le plus de députés, aurait-il selon vous vocation à avoir le premier rôle dans ce mouvement ?
Personne ne se soumet à personne. On décide d’avancer ensemble et Dieu sait qu’il y a du boulot ! On l’a vu aux municipales. Pau est une des seules villes françaises, avec le Havre, où la majorité l’a emporté. Aux régionales, on a également vu les résultats. Il y a un énorme travail de conquête à effectuer. Ce qui compte, c’est ce que l’on veut apporter à l’œuvre commune et non de profiter de l’œuvre commune pour sa propre promotion.
Il y a eu des tensions tout de même, sur la proportionnelle par exemple. N’en voulez-vous pas à Emmanuel Macron de ne pas avoir tenu son engagement de 2017 ?
Peut-être allez-vous me considérer comme un rêveur, mais, pour moi, la question de la proportionnelle n’est pas tranchée. Elle va encore se poser dans les mois qui viennent. Si l’on ne comprend pas que notre système démocratique est malade, et qu’il faut apporter des réponses inédites, c’est que l’on ne comprend rien.
Allez-vous poser des conditions en terme de programme pour 2022 ?
Je n’ai pas besoin de ce genre d’artifice. Trop de gens vivent la Ve République comme si nous étions dans la IVe République, celle des marchandages. Je n’ai fait aucun marchandage avec Emmanuel Macron. J’ai indiqué simplement quelles étaient les conditions nécessaires. Mais il n’y a pas eu une minute de négociations. La IVe République était un perpétuel chantage, une épreuve de force permanente. La Ve République, c’est le contraire de ça. C’est une adhésion.
Pourriez-vous présider ce futur mouvement central ?
On verra. Je n’ai pas ce genre de problème d’ego. Cela fait longtemps que j’ai dépassé cela.
Avez-vous des nouvelles de l’affaire des assistants parlementaires européens du MoDem dans laquelle vous avez été mis en examen ?
Aucune.
Que pensez-vous de la trentaine de candidatures effectives ou potentielles à l’élection présidentielle ?
C’est surtout ridicule. La seule question à se poser est : « Est-ce que la femme ou l’homme qui se présente a les épaules pour assumer la fonction ? ». Si vous la posez en ces termes, des dizaines de candidatures tombent d’elles-mêmes.
Et vous, si Emmanuel Macron n’y allait pas, pourriez-vous vous présenter une 4e fois ?
Je n’ai jamais renoncé à rien, à aucune part de mon engagement civique et citoyen. Et je n’avance pas avec des si. Avec des si, on mettrait Paris en bouteille, comme disait la chanson autrefois…
Une candidature d’Éric Zemmour, si elle se confirme, peut-elle arranger Emmanuel Macron face à Marine Le Pen ?
Je sais que beaucoup de gens font des calculs de cet ordre. Mais pour moi, la politique, ce n’est pas de la tactique, des petites habiletés, des coups de billard à trois bandes, des petits coups tordus… je ne crois qu’aux choix majeurs et tranchés qui engagent une vie, la sienne, celle des autres… Président de la République, ce n’est pas une fonction politicienne, c’est une fonction historique, qui consiste à donner à un peuple des raisons de vivre. C’est ce que Hollande, par exemple, n’a pas voulu comprendre et que Macron a saisi et intégré.
Pour en revenir à Éric Zemmour…
Ce qui me navre en lui, je le connais depuis 30 ans, c’est l’obsession qu’il développe désormais pour l’origine, la religion, le nom, le prénom… Si vous vous appelez Mehdi ou Rachid, pour lui, nous n’avez pas le droit d’être français. Il y a là une atteinte profonde, pas seulement au droit, mais à l’idée même que l’on se fait d’être français. Cela conduit sur des pentes qui dans l’Histoire ont entraîné des cataclysmes.
La France apparaît plus fracturée que jamais. N’est-ce pas au fond le plus gros échec du président Macron qui affirmait vouloir rassembler le pays ?
C’était son cap. Cela l’est encore. Ces dernières années, dans la succession des gilets jaunes et des anti-pass, dont beaucoup sont les mêmes, quelque chose de profond s’est découvert qui jusque-là cheminait souterrainement et fermentait dans la société française. Des femmes et des hommes intégrés, pas des marginaux ou pas seulement, se sont révélés en sécession contre toute autorité. Pas seulement l’autorité politique, mais aussi l’autorité médiatique et même l’autorité scientifique.
C’est très profond, cela remonte à des questions d’éducation au sens large du terme. Mais enfin, la plaie est débridée ! Maintenant, on voit. Je fais extrêmement attention, j’écoute ce qu’ils disent, je regarde, même si après avoir beaucoup discuté, je n’ouvre plus de controverse avec eux parce que cela ne fait qu’attiser les choses. Il ne faut pas les considérer avec colère ou mépris. Il faut essayer de comprendre ce qui se passe, et en tirer des conclusions. Y compris vous les médias. Écoutez ce qui se dit de vous dans les manifs ! Cette remise en cause de toutes les légitimités (même celle des médecins qui était jusqu’à maintenant le corps le plus respecté !) appelle à une refondation du lien entre les Français. Et, pour moi, le vrai enjeu de la présidentielle 2022, c’est celui-là.
Retrouvez cet entretien sur le site de La République des Pyrénées.