François Bayrou : "SciencesPo est devenue le champ clos d'affrontements sectaires et partisans"
François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, était l'invité de la matinale de France Info présentée par Salhia Brakhlia et Jérôme Chapuis ce mardi 30 avril à 8h30.
Seul le prononcé fait foi.
Salhia Brakhlia : Bonjour François Bayrou.
François Bayrou : Bonjour.
Jérôme Chapuis : Bonjour.
Salhia Brakhlia : Valérie Pécresse, la Présidente LR à la tête de la région Île-de-France a décidé de suspendre tous les financements de la région à Sciences Po Paris. Est-ce que vous trouvez ça normal ?
François Bayrou : Il n'y a pas un citoyen ou une citoyenne républicaine qui puisse ne pas s'inquiéter de ce qui se passe à Sciences Po.
Salhia Brakhlia : Qu'est-ce qui vous inquiète ?
François Bayrou : Sciences Po devenue le champ clos d'affrontements sectaires et partisans, et qui voit des manifestations d'étudiants avec les mains peintes en rouge. Vous savez ce que ça veut dire, les mains peintes en rouge ? C'est l'évocation d'un drame en 2002 qui a vu 2 soldats israéliens lynchés. Et une des personnes, un des hommes qui avait procédé à ce lynchage, cette torture, est apparu à la fenêtre avec les mains rouges de sang de ceux qu'il venait de tuer et en montrant ses mains pour se faire ovationner.
Salhia Brakhlia : Ça c'est la référence à laquelle vous faites, à laquelle vous rappelez ces mains rouges. Sauf que les étudiants concernés de Sciences Po qui ont agité ces mains rouges disent qu'ils n'avaient pas eu connaissance de cette référence. Pour eux, les mains rouges, c'était le sang sur les mains, c'est à dire la complicité avec laquelle on laisse les choses se faire au Gaza.
François Bayrou : Maintenant, au moins, on saura de quoi il s'agit.
Salhia Brakhlia : Donc à priori vous ne pouviez pas les attaquer d'antisémitisme ?
François Bayrou : Vous voyez, on a le sentiment qu'il y a deux poids deux mesures. Que d'un côté il y a des gens qui sont stigmatisés, et d'un autre côté il y a des gens qui sont absous et excusés à l'avance parce qu’ils ne savaient pas. Je ne crois pas que qui que ce soit qui dans ces manifestations peint ses mains en rouge ignore à quoi il faisait allusion.
Salhia Brakhlia : Ce sont des jeunes étudiants. L'année 2000, c'est en 2000 que ça s'est passé à Ramallah précisément. Eux, ils n'en n’avaient pas connaissance, c'est ce qu'ils disent. Vous ne les croyez pas ?
François Bayrou : Alors maintenant, ça ne se reproduira pas, j'imagine.
Salhia Brakhlia : C'est ce qu'ils disent.
François Bayrou : Ça ne se reproduira pas.
Jérôme Chapuis : François Bayrou.
François Bayrou : Il faut voir la profondeur de ce drame, et son écho dans l'Université française. La profondeur de ce drame, c'est très simple, il y a eu le 7 octobre, un assaut concerté et à mon avis téléguidé par l'Iran qui visait à mettre un terme définitif, à empêcher que se réalise le timide espoir de paix qu'on appelait les accords d'Abraham avec Israël, l'Arabie saoudite et le Maroc entre autres. Et donc, il y a toute une faction qui a voulu mettre un terme définitif à ça en se servant de la barbarie comme arme, ce n’étaient pas des dégâts collatéraux, ce n'était pas une attaque, c'était « on va faire des actes tellement insupportables que jamais plus on ne reviendra en arrière ». Ça, c'est le premier point. Et derrière il y a le deuxième drame qui sont les assauts extrêmement durs et dont souffrent les pauvres gazaouis de l'armée israélienne pour répondre à cette barbarie-là.
Salhia Brakhlia : Et en cela, la jeunesse française ne peut pas se mobiliser pour montrer sa révolte ?
François Bayrou : Elle peut se mobiliser. Ce que je conteste, c'est que Sciences Po, qui a été le creuset de la réflexion, du partage des idées, des convictions. Que Sciences Po soit ainsi, devienne ainsi, le champ clos de gens qui n'écoutent plus personne, qui ne s'écoutent plus d'un bord ou de l'autre. Quand il y a une jeune fille juive qui veut assister à une réunion, elle est virée manu militari.
Salhia Brakhlia : Il y a une enquête en cours François Bayrou, ça n'a pas été prouvé.
François Bayrou : Écoutez, alors tous les articles que vous publiez sont sujets à caution…
Salhia Brakhlia : Ce n’est pas ce qu’on dit à France info, pardonnez-moi,
François Bayrou : … tous le articles que les journalistes publient sont sujet à caution. J'ai lu dix articles sur ce sujet, alors peut-être que c'est faux, mais on va savoir si c'est faux.
Jérôme Chapuis : Ce mouvement de contestation de la jeunesse, il est soutenu par la France insoumise. Et Rima Hassan, candidate sur la liste la France Insoumise aux européennes, ainsi que Mathilde Panot, présidente des députés LFI, sont convoquées après une plainte pour apologie de terrorisme. Vous êtes à l'aise avec ce type de convocation en pleine campagne électorale ?
François Bayrou : Je ne suis à l'aise avec rien de ce qui se passe aujourd'hui, ou en tout cas avec toutes les exacerbations et toutes les flambées d'accusations, de mise en cause. Je ne suis à l'aise avec rien de tout ça. Le tour que prennent les choses, c'est un tour qui est absolument le contraire de tout ce à quoi je crois. Je crois à la laïcité, et la laïcité pas seulement religieuse mais aussi du point de vue des opinions. C'est-à-dire au respect mutuel et à la compréhension mutuelle, à l'effort constant pour comprendre ce que les camps qui sont en présence voient et pensent. Je suis pour la confrontation et je suis pour le débat, le dialogue, l'échange des opinions.
Salhia Brakhlia : Et donc vous êtes contre ces convocations judiciaires pour apologie du terrorisme ?
François Bayrou : En tout cas je ne suis pas à l'aise avec le tour que prennent toutes ces choses-là, y compris celle-là. Mais le l'interdiction de telle personnalité pour venir faire des réunions, il y en a eu récemment…
Salhia Brakhlia : Jean-Luc Mélenchon a été interdit de réunion à Lille.
François Bayrou : L'idée qu'on transforme l'Université en lieu de meeting, je ne suis pas à l'aise non plus. L'idée qu'on essaie de mobiliser la mise en accusation des uns par les autres, je trouve que ça ne va pas. L'université, c'est un lieu dans lequel on devrait respecter cette vertu cardinale qu'est le pluralisme des opinions.
Jérôme Chapuis : Les torts sont partagés de tout côté dans ces affaires ?
François Bayrou : Les torts c’est à l'esprit du temps. C’est l'espèce de perpétuel durcissement qu'on est en train de vivre. C'est l'espèce d'exacerbation des passions. Et des camps, vous parliez de la France Insoumise qui essaie de faire brûler les passions pour s'en servir comme carburant électoral. Alors ce n’est pas la première fois. Et d'un autre côté, l'extrême droite c'est la même chose. L'idée qu’on puisse chercher dans la société française des ennemis, des boucs émissaires à mettre en cause, expliquer que tout est la faute des immigrés, tous les problèmes sont liés à l'immigration qui sont des affirmations et plus encore des arrière-pensées. Je trouve que ceci va à l'encontre de ce que nous, républicains et démocrates, avons de plus précieux.
Jérôme Chapuis : François Bayrou, invité du 8.30 France Info on retrouve juste après le fil info de 08h40.
Salhia Brakhlia : François Bayrou, permettez-moi d'y revenir parce que vous n’avez pas répondu à ma première question en début de l'entretien, à savoir, est-ce qu'il faut couper les subventions à Sciences Po Paris vu ce qu’il s'y passe ?
François Bayrou : Le financement de Sciences Po Paris, c'est à peu près 45% par l'État. Si mes chiffres sont exacts. Et l’État a une responsabilité.
Salhia Brakhlia : C'est quoi la responsabilité ?
François Bayrou : C’est de faire en sorte que Sciences Po ne devienne pas un champ de bataille, que Sciences Po ne devienne pas un lieu d'affrontement.
Salhia Brakhlia : Mais ça peut être un lieu de débat ?
François Bayrou : De débat, oui, mais ce n’est pas ce qu'on est en train de faire. On n'est pas dans les règles d'un débat dans lequel on s'écoute, on est dans la situation dans laquelle on a des affrontements perpétuels entre thèses qui mettent en cause et qui prennent pour cible les uns ou les autres. Et ceci, pour moi, ce n'est pas la vocation de l'Université.
Salhia Brakhlia : Juste une dernière chose…
François Bayrou : Il faut mesurer que Sciences Po, ça a été une espèce de trésor national dans lequel on a essayé d’édifier ou de construire un esprit critique, une manière de penser les choses…
Salhia Brakhlia : Mais ce n’est pas ce qui se passe aujourd'hui, François Bayrou ? Vous avez été jeune, vous-même, il y avait des causes qui vous ont particulièrement touché. Ce qui se passe à Gaza, ce qui se passe aujourd'hui, le nombre de morts à près de 40 000 d'après les différents chiffres. Tout ça, ce n’est pas un motif de révolte ? Vous ne comprenez pas cette jeunesse qui se dit : ce n'est pas normal, on assiste à ce massacre, ce sont leurs mots, et on ne bouge pas ?
François Bayrou : Ce déchaînement-là, il est la conséquence directe de ce qui s'est passé le 7 octobre. Et si on ne voit pas le lien de cause à effet entre les deux, et à mon avis le lien de cause à effet recherché entre les deux, alors…
Salhia Brakhlia : Mais on peut condamner le 7 octobre et ne pas parler de ce qui se passe à Gaza.
François Bayrou : Ce n’est pas ce que ce discours est en train de faire. Ce discours est en train d'effacer le 7 octobre, d'effacer l'attaque qui a lancé tout ça. Et c'est une attaque dont je répète, je sais que ce n’est peut-être pas facile à énoncer, c'est une attaque qui n'était pas faite contre des assaillants, et qui aurait eu des conséquences tragiques. C 'est une attaque qui a été faite pour que les gestes les plus horribles et les plus barbares viennent s'entrechoquer avec la situation intérieure et la conscience israélienne pour obtenir les rétorsions et les rétorsions les plus dures pour rendre irréversible et impossible ce processus de paix.
Salhia Brakhlia : Là, les étudiants appellent au cesser le feu.
Jérôme Chapuis : Avec en effet ce risque de division. Merci François Bayrou là-dessus. Un autre sujet important aujourd'hui, c'est ce rapport d'experts qui va être remis tout à l'heure au président de la République qui préconise d'interdire l'usage des écrans aux enfants de moins de 3 ans, téléphone portable au moins de 11 ans, limiter strictement l'accès les années suivantes pour des adolescents. Vous qui avez été ministre de l’Éducation nationale…
François Bayrou : Et père de famille.
Jérôme Chapuis : Oui, et père de famille ?
François Bayrou : Je pense que l'impact des écrans sur l'intelligence, sur la constitution psychique et intellectuelle des enfants, des plus jeunes et ensuite aussi des adolescents, cet impact est réel et qu'il est dangereux. Je pense qu’on a beaucoup de mal, devant l'importance de ce phénomène, à défendre l’écrit.
Jérôme Chapuis : La lecture ?
François Bayrou : L’écrit, le texte, la lecture. Pas forcément sur le papier, on peut lire aussi sur des écrans. Mais l'écrit est la grande victime, l'écrit et la langue sont les grandes victimes. Et donc je pense que la prudence ou les précautions à prendre ou les limites à trouver sont très importantes parce qu’on est en train de vivre un vrai risque.
Jérôme Chapuis : Mais en distribuant des tablettes par centaines de milliers dans les lycées notamment, on a été imprudents ?
François Bayrou : On s'est trompé.
Jérôme Chapuis : On s'est trompé ? Il faut arrêter de le faire ?
François Bayrou : Je pense que l'omniprésence des tablettes de toute nature, le fait que les parents ne soient plus reliés à l'école que par le numérique, tout ça a donné au numérique et aux écrans, une place qui est une place démesurée dans l'acquisition des connaissances du savoir et dans la construction d'une capacité psychique et intellectuelle.
Jérôme Chapuis : Il y a une question de souveraineté aussi derrière ?
François Bayrou : Sans aucun doute. En tout cas, il y a beaucoup d'analyses qui sont faites sur le fait que des puissances étrangères se servent des écrans pour déstabiliser la société. Mais je pense - je vais prendre un risque - je pense que la déstabilisation la plus importante ce n'est pas celle d'ingérence étrangère, c'est celle de l'incapacité à construire une démarche psychique et intellectuelle pour que l'enfant apprenne à apprendre. L’écran, ça place le garçon ou la fille qui est addict à cet écran, en situation de perpétuelle passivité. Devant un livre, devant un texte, l'esprit est par nature en situation d'activité, il va chercher l'information et devant un écran, vous êtes en situation de passivité, vous êtes envahi par une information.
Salhia Brakhlia : Mais une fois qu’on a fait ce constat-là, parce qu’Emmanuel Macron, en réunissant ses experts, envisageait, en fonction des conclusions, des interdictions. Comment on interdit dans les familles les écrans ? C'est juste impossible.
François Bayrou : C'est juste impossible sans doute, mais en tout cas on peut faire prendre conscience à tout le monde des choses. Pour moi, l'écrit et l'écran, ce ne sont pas les mêmes choses, ça n'est pas du même ordre. L'engagement dans l'écrit construit davantage que la soumission à l'écran.
Salhia Brakhlia : François Bayrou, passons à un tout autre sujet. Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance et membre de votre parti, le MoDem, veut un débat sur la GPA, la gestation pour autrui, « pour sortir de l'hypocrisie », dit-elle. En général, quand on dit ça, c'est qu'on est pour, pour la GPA. Est-ce que vous la suivez là-dessus ?
François Bayrou : Nous avons dit en France que la GPA était interdite et pour de très importantes et très bonnes raisons que je vais essayer de rappeler. Pour une fois, je ne serai pas tout à fait de cet avis.
Salhia Brakhlia : De son avis à elle ?
François Bayrou : La GPA, ça consiste… D'abord, j'en parle avec prudence et respect parce qu'il y a beaucoup de drames derrière tout ça. Il y a beaucoup de jeunes femmes qui ne peuvent pas avoir un enfant ou de couples qui ne peuvent pas avoir un enfant et ça provoque un manque très important et qui est ressenti comme un drame par beaucoup. Donc j'en parle avec prudence. Mais deuxièmement, ça consiste à acheter le ventre d'une femme et la période de la gestation. Et à acheter le lien qu'il devait y avoir. Je crois qu'un livre vient de sortir sur une jeune femme qui dit : moi j'ai le sentiment d'avoir été vendue.
Jérôme Chapuis : Qui elle-même est née par GPA.
François Bayrou : Qui elle-même est née par GPA. Et je considère que dire … Il y a là quelque chose que nous considérons nous comme intouchable. Qui est le fait qu’on n’achète pas un corps humain.
Salhia Brakhlia : Il n’y a pas de GPA éthique ? C'est ce que par exemple proposait Yannick Jadot pendant la présidentielle : moi je pense à une GPA éthique, il n'y a pas de question d'argent, il n'y a pas de transactions financières.
François Bayrou : Ça peut arriver. Je ne veux pas avoir de jugement péremptoire, mais je voulais ajouter une chose. Les gens qui en général sont contre la GPA disent : il ne faut pas reconnaître les enfants nés de GPA. Et moi je suis pour qu’on les prenne en compte. On ne peut pas demander à un enfant qu'il soit rendu des comptes sur la manière dont il est venu au monde.
Jérôme Chapuis : Mais ce n’est pas une « hypocrisie », pour reprendre le mot de Sara El Haïry, justement, cette position ?
François Bayrou : Ce n'est pas une hypocrisie, c'est une atteinte à des choses très importantes parce que qu'est ce qui tranche de la GPA ? C'est les moyens pour acheter et ça se compte - vous connaissez à peu près 100 000 $...
Salhia Brakhlia : Oui mais parce que c'est comme ça que ça se passe aux États-Unis. Mais est-ce qu'il faut réfléchir à une GPA à la française ? Je vous dis, c'est l'exemple de Yannick Jadot qui disait : dans une famille, si…
François Bayrou : Oui ça peut arriver dans une famille. On a tous rencontré des cas comme ça, c'est pourquoi j'en parle avec respect mais pas en ayant l'air d'ouvrir la porte à des pratiques que nous tous - et dans une grande majorité des courants et des philosophies du pays - nous considérons comme une atteinte à des choses importantes et profondes.
Jérôme Chapuis : À un peu plus d'un mois des Européennes, Jordan Bardella reste très largement en tête des intentions de vote dans les enquêtes d'opinion. Le RN plus fort que la majorité ? Et de très loin. Qu'est ce qui ne fonctionne pas dans cette campagne ?
François Bayrou : C'est plus facile de faire des campagnes quand on est dans l'opposition que quand on est dans la majorité. Et ça vous ne me contredirez pas sur un point aussi évident que celui-là. Et la seule chose qui soit nécessaire, c'est de faire mesurer la gravité de ce qu'on est en train de traverser, la gravité des risques auxquels nous sommes exposés et de montrer qu’il y a des réponses et que ces réponses, le seul courant d'opinion qui les porte, c'est le courant de la liste que Valérie Hayer conduira.
Salhia Brakhlia : Parce que Jordan Bardella en tête le 9 octobre prochain, c'est la fin du quinquennat Macron ?
François Bayrou : Non. Moi je n’ai jamais lié à une élection intermédiaire la fin d'une époque. Jamais.
Salhia Brakhlia : Moi, je vous dis ça parce que lui dit que s'il arrive en tête, il demande la dissolution de l'Assemblée nationale.
François Bayrou : Qu'il demande… Je ne crois pas ça. Je crois que c'est une élection dans laquelle pour l'instant s’expriment des mécontentements ou des humeurs qui ne vont pas dans le sens du pouvoir parce que dans des temps aussi difficiles, aller dans le sens du pouvoir, c'est évidemment rarissime dans l'histoire politique. Mais ce que je sais, c'est que les risques que nous avons devant nous, ces risques-là, qui sont des risques d'une Europe qui entre en voie de soumission ou qui accepte avec fatalisme ce qui est en train de se passer, c'est-à-dire la loi de la domination sur la planète des très grandes puissances militaires : la Russie est en train de faire ça en Ukraine, des très grandes puissances commerciales, la Chine, des très grandes puissances fanatiques, ce que l'Iran est en train de faire et d'autres sur la planète. Ce qui se passe en Iran, ce qui se passe en Afghanistan, tout cela, c'est aussi de l'ordre de l'effroi et aussi de la très grande puissance américaine qui cherche à contrôler les technologies, les industries, les filières les plus essentielles. Et nous, l'Europe, qui avons un marché plus grand que le marché américain, qui avons des intelligences qui sont captées par tous les autres, que nous formons : Chat GPT par exemple, l'intelligence artificielle, c'est pour l'essentiel ou pour la majorité des ingénieurs européens et français qui l'ont développé. C'est la même chose pour les vaccins. Nous entrons dans une voie qui est une voie de domination, de soumission à des puissances dominantes.
Salhia Brakhlia : Mais ça pourquoi vous n’arrivez pas à l'expliquer aux Français ?
François Bayrou : C'est pourquoi vous m’invitez, et c’est pourquoi je dis ça.
Jérôme Chapuis : Mais est-ce qu'il faut par exemple que Gabriel Attal débatte avec Jordan Bardella ?
François Bayrou : Ça, c'est leur affaire, moi je ne suis pas prescripteur de ce genre de chose. Je dis à tous ceux qui s'interrogent aujourd'hui : ce que nous sommes en train de vivre, c'est sans précédent. Sans précédent depuis 75 ans. Pourquoi ? Parce qu’on était sorti de la guerre de 40, de 45, et on était sorti par la chute du mur de Berlin, d'un temps dans lequel c'était le choc des deux géants, des puissances militaires, d'un totalitarisme et de l'autre. On en était sorti. Et ce que Poutine a lancé parce qu’il a appuyé sur ce bouton-là, c'est au contraire un temps dans lequel la loi, la force de la loi, les principes sont bafoués partout sur la surface de la planète.
Salhia Brakhlia : François Bayrou ceux qui nous écoutent, les auditeurs, les téléspectateurs qui nous regardent à la télé, ils doivent se dire, là, il est en train de nous faire peur, il est en train de nous faire peur pour qu'on vote pour la liste Renaissance alors que ça fait 7 ans qu'ils sont au pouvoir. Et puis dans de nombreux secteurs, on n'a pas vu les choses avancer. Qu'est-ce que vous leur dites à eux ?
François Bayrou : Eh bien, ceci est faux. S'il y a un secteur dans lequel la prise de conscience européenne a été obtenue par la France et par le chef de l'État français, s'il y a un secteur, c'est évidemment ces risques-là. Nous avons décidé, c'était la première fois et c'était totalement inimaginable, que nous allions tous ensemble, les Européens, emprunter - écoutez-bien le chiffre, 700 milliards d'euros - pour soutenir l'activité de l'économie européenne, 700 milliards que nous avons empruntés ensemble pour soutenir notre activité. Et le président de la République a dit dans son discours à la Sorbonne la semaine dernière, il faut 1 000 milliards supplémentaires supportés par tous les Européens pour que nous puissions à nouveau maîtriser les technologies, maîtriser le numérique, le cloud est sur le point …
Salhia Brakhlia : Et il y en a beaucoup qui ont peur de cette Europe fédérale que vous êtes en train de construire.
François Bayrou : Ça n'est pas une Europe fédérale, c'est une Europe du rassemblement de tous ceux qui ne veulent pas être rayés de la carte.
Jérôme Chapuis : Dont même le Rassemblement national ne souhaite plus sortir aujourd'hui.
François Bayrou : D'ailleurs, oui. Ils se sont trompés absolument sur tout, le Rassemblement national. Vous vous souvenez ? Vous devriez avoir ça en tête. Marine Le Pen qui dit : « Mais qui peut imaginer que Poutine attaque l'Ukraine ? Qu'est-ce que la Russie irait faire en Ukraine ? » quelques semaines avant février 2022 ? Et d'autres à l'extrême gauche aussi ont dit les mêmes énormités : « La Russie ne menace en rien l'Ukraine, c'est une obsession de craindre la Russie » : ceux-là, ces forces-là se sont trompés sur tout. Aucune de leurs affirmations n'a été vérifiée. Vous vous souvenez qu'ils étaient contre l'euro : où en serions-nous dans la vague d'inflation qu'on a connue si l'euro n'avait pas existé ? Et donc je ne cherche nullement à faire peur à qui que ce soit. Je cherche à construire la conscience des citoyens, de ceux qui vous écoutent, des auditeurs qui sont des citoyens en même temps en disant le risque qui est devant nous aujourd'hui, jamais nous n'avons connu le même depuis des décennies et des décennies. Et c'est un risque tel que je crois que si nous n'y faisons pas attention, nous allons avoir affaire à de l'irréversible. Vous parliez de Monsieur Glucksmann, un mot simplement. Dieu sait qu'il y a peu de problèmes qui, pour la conscience de nos concitoyens, soient aussi problématiques que l'immigration. L'Europe, tous les courants politiques de l'Europe ensemble, les principaux courants politiques démocratiques de l'Europe ensemble construisent un plan pour réguler l'immigration. Y compris le parti socialiste de Monsieur Glucksmann et la droite et le centre. Et il vote contre le plan. Comment peut-on être aussi éloigné de la conscience des urgences que de refuser les plans que les grands pays européens construisent ensemble pour maîtriser leur destin ?
Jérôme Chapuis : Merci François Bayrou.