Marc Fesneau : entretien dans l'Express

Marc Fesneau a accordé un entretien au journal l'Express avant le lancement d'Ensemble Citoyens ! Bilan du quinquennat et objectifs de ce grand rassemblement,  le ministre chargé des Relations avec le Parlement évoque tous les sujets. 

L’Express : La « maison commune », qui regroupe toutes les composantes de la majorité, sera officiellement lancée ce lundi soir, à la Mutualité. Finalement, il s’agit davantage d’une bannière que d’un parti. Franchement, que change-t-elle, au fond ?

Marc Fesneau : Une bannière serait un simple étendard commun en vue de la prochaine élection présidentielle. Nous allons bien plus loin. Ici, nous créons une association, composée de personnes morales qui sont des partis politiques, ayant la volonté de travailler ensemble. Ces sensibilités politiques s’engagent à soutenir le président de la République sil décide d’être candidat et àmener le combat des législatives main dans la main. De plus, cette maison commune permet, à l’intérieur, que des partis politiques puissent aller plus loin dans leur coopération. Cette architecture solidifiera ainsi encore l’espace central, par une alliance renforcée entre La République en marche et le Mouvement Démocrate. De même que le pôle plus à droite, Agir et Horizons, pourra se consolider. C’est une nouvelle étape qui respecte tout le monde.

Oui, mais il y aurait pu avoir plus d’intégration encore. François Bayrou voulait aller plus loin en ce sens, il y a eu une forme de consensus avec Édouard Philippe qui souhaitait davantage d’indépendance…

Il était hors de question de créer une structure comme le fut l’UMP : nous avions d’ailleurs refusé d’y être associés en 2002, ce n’est pas pour l’accepter aujourd’hui. Si nous avions initié un parti classique, rigide, vous nous auriez dit qu’il y avait en son sein des choux et des carottes… Les Républicains sont dans un parti unique, mais trouvez-vous des points communs entre Eric Woerth et Guillaume Peltier ? Il faut toujours qu’il y ait du sens à un rassemblement. C’est ce que nous faisons.

Nous avons réussi à aller plus loin dans le dépassement et le rassemblement, tout en permettant à chacun de se sentir à laise.Respecter chacun, chercher ce qui nous rassemble plutôt que ce qui nous sépare, servir l’intérêt général, parler au plus grand nombre de Français, c’est notre boussole avec Ensemble citoyens.

Vous dites souvent qu’il n’y a pas de dépassement politique sans fortification de l’axe central. La République en Marche - MoDem. Considérez-vous que ces deux partis ont vocation à renforcer encore davantage leurs liens, voire, à termes, à fusionner ?

Je suis quelquun qui ne confond jamais vitesse et précipitation. Mais ils ont vocation à renforcer leurs liens, bien sûr. Tout le monde a évolué depuis quatre ans ! Le groupe MoDem que jai présidé, et le groupe En marche, étaient des ensembles qui ne se connaissaient pas. Ils ont appris à gouverner travailler ensemble, ils se sont découverts nombre de points communs et ont parfois traversé des crises. En cinq ans, nous avons beaucoup progressé, y compris, sur le terrain, dans la coopération.  Et au fond la relation construite entre Richard Ferrand et François Bayrou est le reflet de ce qui se passe chez les députés et les militants. La confiance se construit dans les combats communs et les intéts partagés et bien compris.

Il n’y aura pas de commission d’investiture commune pour les élections législatives. Les investitures, les tractations, les bisbilles seront-elles moins complexes à gérer quen 2017, où il y avait eu du grabuge ?

C’est un exercice toujours compliqué par nature. Nous devons d’abord veiller sur les députés sortants, tout en faisant en sorte d’avoir une majorité plus diverse et plus large encoreCe qui simplifie les choses, en revanche, cest quon se connait mieux.J’insiste sur le fait que les députés sortants devront être traités comme à part. Nous avons, avec eux, traversé trois immenses crises. Ils n’ont jamais tremblé. Ils ont été solidaires à l’égard des gouvernements successifs. Et ils ont été beaucoup plus loyaux et solides que de précédentes majorités. La moindre des choses quon doit à une majorité qui na pas ménagé ni son soutien, ni son énergie, cest de lui dire quil ny a pas de raison quon ne la soutienne pas, d’une manière générale, en retour. La seule ligne qu’il faut avoir, pour tout le monde, est de consolider la majorité. De choisir partout les meilleurs.  On ne fait pas ça pour se compter, ce serait une erreur !

On imagine à qui vous pouvez penser. Édouard Philippe compte bien avoir un groupe solide à l’Assemblée nationale sous la bannière de son nouveau parti, Horizons…

C’est logique et c’est son droit. Et, dans certaines circonscriptions, les meilleurs candidats, les plus adaptés au territoire, ceux qui auront le plus de chance de gagner, seront parfois Horizons, parfois, LREM, ou parfois MoDem. Et parfois, issus d’une autre sensibilité de la majorité comme Territoires de progrès. Il y aura des discussions. La force du président de la République à la fin de ce quinquennat, cest d’avoir créé une majorité avec des partenaires où la solidarité règne. Regardez dans le rétroviseur : sous Nicolas Sarkozy, il y avait de vraies frictions, sous François Hollande n’en parlons même pas, avec les frondeurs et une majorité qui se faisait la guerre. La majorité n’est pas et ne sera pas une multiplication de rapports de force entre organisations. 

Le dépassement est-il désormais terminé ?

Depuis 2017, le paysage politique a été profondément bouleversé et je pense qu’il n’a pas fini de l’être. Sur le flanc gauche, le Parti socialiste se retrouve concurrencé ou devancé par les Insoumis et les écologistes, et risque la disparition. La nécessité de traiter les questions écologiques est réelle or les Verts n’offrent pas à ce jour à la gauche une perspective d’arriver au pouvoir. Il n’y a pas de force, à gauche, capable d’être un moteur suffisamment puissant pour accéder au pouvoir aujourd’hui. Donc je ne vois pas comment cette élection présidentielle n’introduira pas des réorganisations de ce côté de l’échiquier car la politique que nous avons menée nest pas antinomique avec ce quune partie des socio-ddémocrates avaient initié par le passé. Et nous avons besoin d’une gauche avec ses convictions, reconstruite et ouverte.

Sur le flanc droit, comme je le disais, il y a des gens qui ne pensent plus du tout pareil : les uns sont dans une obsession anti-Macron, ce nest jamais un moteur durable dans la vie politique ; et dautres considèrent que l’intérêt du pays nest pas de se taper dessus… Et se disent finalement qu’Emmanuel Macron a fait ce quils auraient aimé faire. Il y a donc une capacité d’élargissement à droite.

La fameuse « poutre qui travaille », ce n’est pas une question de débauchage individuels. C’est une organisation de la vie politique qui tient compte des évolutions des clivages. Et nous, nous devons créer un lieu pour que les gens qui se posent des questions puissent être accueillis, sans qu’ils se sentent obligés de renoncer à ce qu’ils sont. Je ne demande pas à Édouard Philippe d’être centriste ou à quelqu’un de gauche d’abjurer sa sensibilité. Et je n’accepterai pas qu’on me demande de ne plus être centriste. 

Certes, dans ce quinquennat il y a eu la Convention citoyenne, mais aussi l’échec du comité citoyen chargé du suivi de la stratégie vaccinale : le deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron, s’il est réélu, devra-t-il aller plus loin en matière de participation citoyenne ?

Sur la Convention citoyenne, comme sur bien d’autres sujets, on ne rend pas assez justice à ce qu’on a fait ! Lors des précédents quinquennats, a-t-on parlé de participation citoyenne ? Jamais. Même avec les socialistes et les Verts, alors qu’il s’agit plutôt de leur culture. Pour le redécoupage des régions, personne n’a pas demandé l’avis des citoyens, pour lesquels cette réforme a été d’une violence inouïe. Typiquement, c’est un sujet sur lequel il aurait été très intéressant qu’un éclairage citoyen apporte sa pierre à l’édifice (qui ne se serait peut-être pas construit ainsi). 

Avant même la Convention citoyenne, n’oublions pas qu’il y a d’abord eu le grand débat national. Ce moment d’échanges de « catharcie citoyenne » a été très fort pour essayer de trouver avec les pouvoirs exécutif et législatif des solutions pour sortir de la crise dans laquelle le pays était. 

On attend encore de savoir ce que sont devenus, comment ont été utilisés, les cahiers de doléances écrits partout en France…

Les Maisons France Service, la requalification des centre-bourgs, les mesures prises pour le déploiement du numérique, le soutien à la reconquête industrielle dans nos territoires… Tout cela procède de ce qui a été dit à travers les cahiers de doléances et le Grand débat lancé par le Président de la République. Ces cahiers, pour beaucoup, n’étaient pas des solutions en tant que telles, mais des témoignages de sentiments d’abandon de la part des gens. Et c’est ce à quoi nous avons répondu.

Pour revenir à la Convention citoyenne, on en a dit beaucoup de mal et c’est injuste. Des gens se sont impliqués avec force, et la question poséétait d’une immense difficulté : comment baisser de -40% les émissions de gaz à effet de serre en 2030 ? On a connu plus simple. La moitié des sujets n’auraient jamais été mis sur la table si la Convention citoyenne navait pas été . Ensuite, dans la mise en œuvre, il y a des contingences de progressivité et de temporalité à respecter, ce qui a été parfois mal compris, mais lexercice a été réussi. 

Je me répète : faudra-t-il, pour faire respirer notre démocratie, augmenter le nombre de processus de ce genre ?

Depuis la Convention, on réfléchit « participation citoyenne » sur beaucoup de sujets, beaucoup de thématiques. Ma position est simple : il faut faire de la participation citoyenne quand on connaît précisément la question que l’on pose, quand la méthodologie est claire et fiable, et quand on peut précisément rendre des comptes aux gens que l’on interroge. Il y a des sujets qui ne s’y prêtent pas, notamment à cause de la rapidité avec laquelle il faut prendre des décisions. Par exemple : confine-t-on ou non ? Comment trouver une solution au problème des pêcheurs en ce moment ? Cela me parait très compliqué de mettre en place un exercice citoyen pour ce genre de problématiques. Mais, pour d’autres, on gagne en réalité du temps avec de la participation citoyenne, notamment en matière d’acceptation : si on chemine avec, si on explicite pourquoi on prend telle mesure ou pourquoi on ne la prend pas, on donne plus de chance à rendre compréhensible et lisible l’action publique.

Dernière chose, très importante : la démocratie participative ne peut pas se substituer ou être mise en opposition avec la démocratie représentative. La participation citoyenne est un outil daide à la démocratie représentative, qu’il s’agira également de renforcer. 

La proportionnelle, demandée par François Bayrou dès laccord dalliance avec Emmanuel Macron en 2017, « ne résout pas à lui seul le sujet de la démocratie » dites-vous. Faut-il tout de même absolument la faire ?

Il faut la faire parce qu’elle pourra, durablement, influer sur les comportements politiques nationaux. On peut se parler, sans que les compromis soient vus comme des compromissions ! En Allemagne, le SPD, les libéraux et les Verts se mettent daccord sur un grand projet parce que leurs institutions leur imposent. En France, la majorité et les oppositions naissent au soir du second tour de l’élection présidentielle… Et après les positions sont figées ! Ne croyez-vous pas que des textes auraient pu être votés par les députés PS et LR ? La proportionnelle est un formidable outil pour essayer de trouver des convergences, elle nempêche pas pour autant la confrontation d’idées.

Le Parlement a aussi besoin de pouvoirs renforcés !

Aujourdhui, pour exister, les parlementaires en sont souvent réduits à multiplier les amendements, mais ça ne doit pas être le seul moyen pour eux de mettre en avant des positions politiques. Cest pour cela quil y a autant damendements! La campagne présidentielle sera l'occasion de manière générale à un débat global sur les propositions en matière de démocratie. Il faut une réforme de nos institutions. Et renforcer le pouvoir du Parlement ne veut pas dire réduire celui du gouvernement. 

Il faudra également questionner le rapport entre les territoires et l’Etat central. Avec la fin du cumul, des fractures entre le niveau local et national se sont créées. Il y a eu une espèce de rébellion premier vis-à-vis du second, cest très nouveau de mon point de vue, on ne voyait pas cela avant. En tout cas, pas autant. Or, l’un et l’autre doivent travailler ensemble, coopérer, parce qu’ils représentent chacun à leur manière l’action publique et l’intérêt général. Je regrette que certains élus locaux heureusement rares, se soient ainsi érigés, par exemple pendant le confinement, en opposants à l’Etat au mépris de cet intérêt général. 

Faut-il rétablir la possibilité d’être député-maire, ou sénateur-maire ?

Même si j’ai moi-même été maire, il n’y a pas nécessairement besoin d’exercer cette fonction pour comprendre la réalité des gens et heureusement ! Les citoyens qui ne sont pas élus locaux comprennent aussi la vie de leurs concitoyens, il suffit de penser au monde associatif par exemple. Cela étant, nous n’avons pas encore réussi à trouver la voie qui permette de combiner la fin du cumul et la nécessité que les acteurs locaux et nationaux se parlent en continu. On doit se demander comment améliorer le dialogue afin que les uns sachent ce qui se passe au niveau local et les autres au niveau national. Il faut donc ancrer et approfondir la relation, par exemple en permettant à un parlementaire d’exercer une fonction d’adjoint au maire ou de vice-président d’intercommunalité.

Dans le cadre de la présidence française de lUnion européenne (PFUE), la France doit-elle militer pour davantage de démocratie participative dans une Europe probablement trop opaque pour ses citoyens ?

Ce lundi, avec Clément Beaune (secrétaire d’état chargé des Affaires européennes, NDLR), nous présenterons la restitution de l’exercice de participation citoyenne européenne. Ce sera la contribution française à la Conférence sur l'avenir de l'Europe, que le Président de la République avait proposée à ses partenaires européens. C’est un travail de démocratie participative qui a été mené par 100 citoyens français représentatifs des quelques 900 citoyens mobilisés lors des 18 conférences régionales de métropole et d’outre-mer qui se sont tenues en septembre. Ils ont dit pour leurs attentes à l'égard de l’Europe. La PFUE et la conférence sur lavenir de lEurope seront encore plus intéressantes si on parvient à embarquer les peuples. Les dirigeants européens veulent comprendre les attentes des citoyens. Le sujet européen est un fabuleux sujet dappropriation pour les citoyens parce que les ensembles démocratiques sont encore trop éloignés des habitants.

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