Marc Fesneau : « Il va falloir regarder le dérèglement climatique en face »
Retrouvez ci-dessous l'entretien accordé par Marc Fesneau pour Le Parisien et paru ce mardi 20 août 2024.
Cet entretien est également disponible sur le site internet du Parisien
Propos recueillis par Frédéric Mouchon et Quentin Laurent
LE PARISIEN - Le secteur de l'agriculture fait face à plusieurs crises cet été. Un ministre démissionnaire a-t-il la capacité de les gérer ?
MARC FESNEAU - On ne peut pas lancer de nouveaux projets mais gérer les affaires courantes, c'est notamment s'occuper des situations urgentes de crises sanitaires et animales qui nous concernent aujourd'hui : la fièvre catarrhale ovine, la maladie hémorragique épizootique qui touche les bovins, la réapparition d'un foyer d'influenza (grippe) aviaire. Cela est également le cas pour la récolte 2024 de blé, assez mauvaise. Je n'ai été entravé en rien. Les affaires courantes, c'est aussi déployer les dispositifs décidés avant la démission du Premier ministre.
Comment gérez-vous notamment le risque lié à la fièvre catarrhale ?
Nous avions anticipé en commandant des vaccins car nous avons vu des cas en Allemagne et en Belgique. Compte tenu de sa propagation exponentielle, on a commandé, en plus, un million de doses destinées aux ovins et cinq millions destinées aux bovins pour couvrir en priorité les zones les plus touchées. Elles sont mises à disposition des éleveurs gratuitement. Sur la maladie hémorragique épizootique, un vaccin sera prochainement disponible. Concernant l'influenza aviaire, nous avons lancé les commandes de vaccin il y a plusieurs semaines déjà et l'État prendra en charge leur coût à hauteur de 70 %. Cela permet d'éloigner le spectre d'années comme 2021-2022 où 20 millions de volailles avaient dû être abattues.
On parle de la pire récolte de blé en France depuis 41 ans en raison des pluies excessives.
Si c'est bien la pire récolte en quantité de blé tendre depuis ce laps de temps, c'est aussi parce que vous avez moins d'hectares plantés. Face à la pluie continue à l'automne, dans certaines zones on n'a pas pu planter de blé. À la place, on a pu semer du maïs, des betteraves, des pommes de terre, du lin. Il faut donc tenir compte de la diversification des productions dans les exploitations pour savoir quel est l'état exact des récoltes et des pertes. Des commissions d'indemnisation seront réunies en septembre-octobre, ce qui permettra de commencer les paiements liés à l'assurance récolte.
J'invite à une modestie collective pour pouvoir servir les Français.
Le gouvernement a-t-il assez œuvré pour permettre aux agricultures de s'adapter aux effets du changement climatique ?
C'est un travail de long terme. Il faut gérer par endroits le manque d'eau et, ailleurs, l'excès d'eau. Le dérèglement climatique court vite et il faut arriver à courir aussi vite que lui. Les décisions prises aujourd'hui auront des effets pour cinq, dix, trente ans. À condition que ce soit accepté et acceptable.
Justement, les agriculteurs ne sont-ils pas réfractaires à certains changements nécessaires ?
Les agriculteurs sont comme tous les citoyens. Le changement n'est jamais un élément rassurant et vers lequel on a envie de s'engager. C'est pourquoi nous avons mis sur la table 1 milliard d'euros supplémentaires en 2024 pour trouver des alternatives aux produits phytosanitaires, lutter contre les maladies émergentes et trouver des techniques agricoles permettant de mieux retenir l'eau. On navigue en permanence entre la gestion des crises à court terme et le long terme. Mais le sujet du dérèglement climatique est devant nous. Il va falloir le regarder en face et accélérer les capacités d'adaptation de notre agriculture.
N'y a-t-il pas une autre urgence, celle de nommer un nouveau gouvernement ? Emmanuel Macron ne tarde-t-il pas trop ?
Je ne pense pas. Si on avait écouté les responsables du Nouveau front populaire (NFP) en nommant Lucie Castets, elle n'aurait aujourd'hui pas de majorité. Il faut une prise de conscience collective : il n'y a pas de majorité à l'Assemblée nationale. Personne ne l'a. Les socialistes, les écologistes se sont enfermés dans une logique qui ne marche pas. Dire « mon programme rien que mon programme » quand vous n'avez que 193 députés c'est nier la réalité. J'invite à une modestie collective pour pouvoir servir les Français.
Le vote des Français nous impose le compromis. Sinon, ce sera le chaos.
Alors, quelle est la solution ?
Il faut simplement que nous disions sur les sujets de budget, les sujets européens, les sujets de transition écologique, de sécurité, ce sur quoi on partage un certain nombre de points de vue. Ça oblige à sortir des choix partisans et à faire preuve de responsabilité. Par ailleurs, il faut respecter les institutions : c'est le Président de la République qui nomme le Premier ministre. Ce n'est pas à un cartel de partis ou de groupes politiques de lui dire, « vous nommez untel ou je vous destitue ».
Vous allez voir le Président de la République à l'Élysée vendredi. Allez-vous lui suggérer un nom ?
Je ne vais pas à l'Élysée pour donner un nom. Les gens veulent savoir ce qu'on va faire : savoir si l'on peut mettre nos querelles de côté pour travailler ensemble, et si peut-on trouver une majorité même relative, qui ne soit pas sous la menace permanente d'une motion de censure ? Le NFP ne veut parler qu'avec lui-même. Nous disons : il faut qu'on parle avec d'autres, des socialistes, des gens chez LR, chez les indépendants. On ne peut pas laisser le pays comme ça. Les jours qui viennent vont être un formidable révélateur : on va voir ceux qui veulent gouverner et ceux qui cherchent le bazar ou qui ont des intentions cachées. Le vote des Français nous impose le compromis. Sinon, ce sera le chaos.
Au MoDem, vous estimez que François Bayrou peut remplir cette mission ?
Il l'a dit lui-même, ce n'est pas une question de personne. Même si François Bayrou est un de ceux qui ont l'expérience et la capacité à rassembler.
Cet entretien est également disponible sur le site internet du Parisien