François Bayrou : « Il est urgent de sortir du jeu des partis politiques qui feignent de vouloir gouverner »
Retrouvez ci-dessous l'entretien accordé par François Bayrou au Figaro et paru ce dimanche 18 août 2024.
Cet entretien est également disponible sur le site internet du Figaro.
Propos recueillis par Loris Boichot
LE FIGARO - Emmanuel Macron recevra les chefs des forces politiques vendredi, en vue de nommer un premier ministre. N'est-ce pas tard, sept semaines après son échec aux élections législatives anticipées ?
FRANÇOIS BAYROU - Beaucoup d'éléments poussaient à temporiser : le caractère inédit d'une Assemblée sans aucune majorité, ni absolue, ni relative, les vacances d'été et les Jeux olympiques. Mais le temps de la responsabilité est venu. Et donc celui de la lucidité : il est urgent de sortir de ces semaines de faux-semblants, du jeu des illusions dans lesquelles se complaisent certains partis et acteurs politiques. Ils feignent de vouloir et pouvoir gouverner, alors qu'ils savent pertinemment pour certains qu'ils n'en ont pas les moyens et pour d'autres qu'ils veulent demeurer opposants. Ces jeux sont dangereux, destructeurs. Nous ne pouvons pas en rester là.
Est-ce à dire que vous jugez vains les efforts du chef de l'État, tout comme ceux des dirigeants de Renaissance et de Horizons, qui ont récemment envoyé des lettres à de potentiels alliés ?
Évidemment, l'idéal serait qu'une majorité raisonnable soutienne un gouvernement rassembleur. Mais on n'en prend pas le chemin. Tout le monde écrit à tout le monde des lettres que personne ne lit et auxquelles personne ne répond. Chacun fait semblant d'être déterminant dans la recherche d'une majorité.
Mais la nature profonde des partis politiques en France, doublée de soixante ans de culture brutalement majoritaire où on ne peut être que «pour» ou «contre», ne conduira qu'à des impasses : il apparaîtra très vite que ces partis ne veulent pas et ne peuvent pas s'entendre. Imaginer le contraire, ce sera du temps perdu, qui aggravera la situation et ne tardera pas à exaspérer les Français.
Sans accord entre partis, comment gouverner ?
Contre le jeu des partis, s'imposera par la force des choses la logique de la Ve République : le pouvoir exécutif est indépendant du pouvoir législatif. Ce ne sont ni les partis ni les groupes qui ont la charge de former le gouvernement. Sauf bien sûr si l'un d'entre eux obtient une majorité absolue ou déterminante dans une élection intermédiaire.
Dans les heures graves, quand on risque de voir les institutions paralysées, c'est au président de la République de prendre l'initiative. Il doit former un vrai gouvernement, désintéressé, pluraliste et cohérent, constitué de personnalités de caractère. Ses membres doivent être représentatifs non pas des appareils de partis, mais des grandes sensibilités du pays. Des personnalités qui se respectent entre elles et suffisamment expérimentées pour que le pays profond puisse se dire : «Dans ce bazar, à ceux-là au moins on peut essayer de faire confiance».
Quels seraient les contours politiques d'un tel gouvernement ?
Un gouvernement large et central avec des femmes et hommes d'expérience, de sensibilité compatible, réformistes, de gauche, du centre et de droite, républicains, hors extrêmes. Mais - c'est très important ! - capables aussi de comprendre ce que traduisent les votes à l'extrême-droite et à l'extrême-gauche. Décidés à rassembler et pas à exclure. Les yeux fixés sur aujourd'hui et pas sur la prochaine élection présidentielle. Et qui croient qu'on peut vraiment changer les choses.
Pourquoi ne pas accéder à la demande du Nouveau Front populaire (NFP) , premier bloc de l'Assemblée, qui revendique Matignon ?
Leur présentation est tendancieuse ! 193 députés, ce n'est pas une majorité, cela fait à peine un tiers des sièges. On l'a vu lors de l'élection de la Présidente de l'Assemblée nationale, 220 députés de centre et de droite modérée, sans extrême-droite, se sont accordés pour refuser la prééminence du NFP. Ajoutons que la revendication de la désignation pour diriger le gouvernement de Mme [Lucie] Castets, sans aucune expérience de quelque responsabilité politique que ce soit, ni électorale, ni gouvernementale, ni exécutive, apparaît baroque et dangereuse aux yeux d'une immense majorité de Français.
Pourquoi, alors, ne pas réitérer au gouvernement l'alliance avec Les Républicains (LR) qui a permis la réélection de Yaël Braun-Pivet à la tête de l’Assemblée ?
Tous ceux qui croient qu'on pourrait obtenir une majorité orientée à droite ne voient pas, ou font semblant de ne pas voir, que LR se définit comme un mouvement d'opposition et affirme ne pas vouloir participer à un gouvernement. Dans des circonstances aussi graves et aussi dangereuses, la seule voie possible - et qui s'imposera – ce n'est pas un gouvernement d'un côté, s'opposant à l'autre côté, mais une équipe de rassemblement pour affronter les problèmes si graves de notre pays, du monde et de la planète.
D'autant que le Rassemblement national (RN) est devenu le groupe le plus important de l’Hémicycle, avec 126 députés à lui seul…
Ce groupe du RN, le premier numériquement de l'Assemblée nationale, s'est vu exclure des postes de responsabilité parlementaire. Pour moi, c'est inacceptable, c'est un mauvais signal, qui renforce une partie des Français dans l'idée que le système n'est pas juste. Je suis en désaccord avec cette exclusion. Pour moi, un député est égal en dignité à tout autre député, il doit avoir les mêmes droits et les mêmes devoirs. Je combats les idées, mais je défends la démocratie.
Le gouvernement que vous proposez, au-dessus des partis, ne risquerait-il pas la paralysie ? Serait-il capable de durer plus d'un an pour mener des réformes ?
J'en suis convaincu. Il s'agit de retrouver l'équilibre et l'élan. Le chantier le plus fondamental est celui de l'éducation nationale. Le plus urgent, c'est un retour planifié à une situation durable des finances publiques. Le plus vital, c'est la reconquête de la production dans le respect de l'environnement. Le quatrième, nécessaire, c'est la recherche d'un équilibre institutionnel, passage à la proportionnelle aux législatives et organisation plus claire des pouvoirs publics décentralisés.
Plusieurs noms de «premiers ministrables» circulent, dont ceux du socialiste Bernard Cazeneuve et, à LR, de Xavier Bertrand et de Michel Barnier. Correspondent-ils au profil idéal ?
Je ne sais pas si les profils idéaux existent. Mais je sais une chose : c'est le rôle et le devoir du président de la République de trouver un profil qui corresponde aux attentes. C'est-à-dire expérimenté, rassembleur, dont la priorité va à l'intérêt général, et non aux intérêts particuliers ou partisans.
Un procès en appel aura lieu dans l'affaire des assistants d'eurodéputés MoDem, après votre relaxe en février. Cela vous place-t-il toujours «hors-jeu » pour Matignon, comme vous l'aviez déclaré avant le premier procès ?
La relaxe prononcée a fait justice de ces accusations. Cet obstacle est donc complètement levé. Mais le sujet, dans cette affaire, ce n'est pas moi. Mon seul but, c'est d'aider à ce qu'on sorte de cette désespérante impasse. Et il y a plus grave encore que les impasses désespérantes : il y a les impasses ridicules, parce qu'en politique, contrairement à l'adage, le ridicule tue.
Il tue l'esprit public et l'idée que les citoyens se font de leur pacte démocratique, où ils doivent être reconnus et respectés. Nous sommes devant le danger d'impasses successives. Le risque est considérable. Nous serons nombreux à ne pas accepter que notre République et notre démocratie s'abîment sous nos yeux, comme si nous n'étions que des spectateurs de la pire des tragi-comédies.
Cet entretien est également disponible sur le site internet du Figaro.