Marc Fesneau, le professionnel
Le magazine Le Point a dressé un portrait de Marc Fesneau, Ministre chargé des Relations avec le Parlement et de la Participation citoyenne. Retrouvez l'intégralité du portrait sur Le Point.
Marc Fesneau a souvent un briquet sur lui. Pour allumer les discrètes cigarettes qu’il s’autorise dans l’enceinte de son ministère ou celles de ses invités, parfois des journalistes, conviés à sa table ou lors d’un déplacement. Ce jour-là, sur une propriété viticole proche de Blois (Centre-Val de Loire), à quelques heures de la fin de la campagne des régionales, le ministre chargé des Relations avec le Parlement se prête volontiers au jeu des questions, les traits tirés sous d’éternelles lunettes qui lui mangent la moitié du visage. Entre deux épaisses volutes de fumée, le centriste prétend ne pas avoir démérité alors que le Centre-Val de Loire pourrait bien être le seul territoire à tomber dans l’escarcelle de la majorité, faisant de lui le régional de l’étape sur la route des présidentielles.
Quelques jours plus tard, la déception est à la hauteur de ses attentes. Sans aucune région gagnée, le parti du président et de ses alliés demeure un astre mort au plan local. Marc Fesneau, malgré son talent et son implantation dans la région – il a été maire du petit village de Marchenoir où il habite encore –, n’aura pas su inverser le rapport de force entre l’ancien monde et le nouveau qui peine encore à naître. Pire encore, son adversaire, le sortant socialiste, pourtant en place depuis plus de dix ans, lui dame le pion alors que la droite régionale sort renforcée du scrutin. L’histoire ne dit pas combien de cigarettes le ministre a consumées ce jour-là, mais, au sein des couloirs du ministère, dans les semaines qui suivent, le silence est d’or.
Marc Fesneau a pourtant du savoir-faire. Élu MoDem sous l’égide du patriarche François Bayrou, ce fin connaisseur de la carte électorale, hypermnésique quand il s’agit du détail d’une élection, calque son parcours politique sur ces ministres radsocs du XXe siècle. Rusés sous le couvert de la modestie, forts d’une implantation locale inébranlable, ces premiers chantres de la décentralisation grimpaient alors de ministère en ministère, faisant et défaisant les majorités. Marc Fesneau vit avec son temps, au gré des élections, mais prolonge la tradition parlementaire. Le MoDem représentant le principal allié de la majorité à l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron, logique et darwinien à la fois, a donc voulu confier les clés du Parlement à ce soutien de poids en même temps qu’en faire l’otage de la réussite du quinquennat. Au centriste réputé consensuel, la responsabilité du passage et de l’adoption des textes, tout en veillant à la bonne hygiène parlementaire au sein du gouvernement. Et pour s’imposer dans cette entreprise difficile, Marc Fesneau peut compter sur sa méthode, tout en maîtrise et délié.
« Je ne le fais pas exprès, j’ai toujours fonctionné comme ça. J’arrive à me mettre à la place de mon interlocuteur. Je sais absolument dépassionner les conflits », explique le ministre alors qu’on lui expose les ressorts de ce mélange singulier d’écoute attentive et de judo verbal. « Marc, il connaît les gens, il sait comment les amener à lui. C’est un champion de la matière humaine », témoigne un proche, exemple à l’appui lors des dernières régionales. Face à un maire confronté à la défiance de ses administrés, visiblement en colère – « j’ai dû les dissuader de venir bloquer la route devant votre cortège » –, Marc Fesneau prend d’abord le parti de son interlocuteur dans cette salle de réception transformée en mess de campagne. « Je comprends bien, mais vous êtes là aujourd’hui pour porter une certaine parole. » Avant de faire l’éloge des élus locaux, ces vigies de la République, premières victimes de l’incivilité. Un murmure d’approbation parcourt l’assistance à majorité composée d’édiles.
Adroit, le ministre en vient alors aux propositions du gouvernement pour remédier à la crise de légitimité que traverse le pays, valorisant au passage l’activisme de Jean Castex en la matière, sans cesser de rappeler qu’il a été lui-même premier magistrat. Le maire en question se rassoit, pleinement satisfait d’avoir été écouté, flatté et peut-être entendu. Crise désamorcée. « Je ne suis ni un béotien tout frais émoulu, ni quelqu’un qui a construit une carrière en pensant constamment à l’après, mais je n’en suis pas pour autant un puits de vertu », fait-il valoir lorsqu’on l’interroge, sans nier une forme d’habileté personnelle. Et quand l’interlocuteur se fait soudain trop véhément, Marc Fesneau affiche l’air pénétré de celui qui sait, avant que le micro ne change fortuitement de main. « Un ministre chargé des Relations au Parlement, s’il n’est pas sympathique et bavard, ce n’est même pas la peine d’y penser », relativise, peu impressionné, un ancien tenant du titre, aujourd’hui sénateur LR des Hauts-de-Seine, Roger Karoutchi.
Efficace avec les élus locaux comme avec les députés, malgré quelques ratés, comme sur le très controversé article 24 de la non moins controversée loi sécurité globale. Marc Fesneau, habile au demeurant, s’arrange à l’époque de la crise législative pour faire l’éloge des parlementaires, tout en confessant un péché d’ambiguïté sur le texte. Ministre avant tout, le Monsieur loyal de l’exécutif ne revient en rien sur le fond et parvient à échapper aux balles perdues, contrairement à Gérald Darmanin à l’origine de la controverse. « Il a un côté félin qui retombe toujours sur ses pattes », loue un proche, impressionné par tant d’agilité. Qualité indispensable en politique pour qui veut survivre au feu roulant des petites phrases et vaines polémiques. « Il a quand même été assistant parlementaire pendant plusieurs années, président de groupe, il connaît par cœur les procédures parlementaires, et c’est un vrai élu local. » Du savoir-faire et du savoir-être politique, en somme. « Quand on est à peu près bon, ça se voit assez vite, et si on ne l’est pas, il ne faut pas le regretter », ponctue, philosophe, Marc Fesneau, confortablement installé dans un des salons cossus de son ministère, rue de Varenne, à deux pas de l’Assemblée nationale.
Serein dans la tempête sanitaire – « Il n’y a pas que le pangolin dans la vie… » –, le ministre se garde bien d’afficher de plus grandes ambitions, d’où un relatif anonymat médiatique, même s’il confesse une inclination toute personnelle pour Édouard Philippe, son « pote de droite ». « Je ne suis pas un frustré, un insatisfait de la vie politique. J’en ai trop vu s’abîmer par ambition, se damner pour un regard du président. Quand Édouard m’a appelé, il fallait que je sente le truc. La première fois, j’avais décliné. Mais comme je sais comment tourne le Parlement, que je ne suis pas mauvais en gestion des ressources humaines et que j’ai une idée de ce qu’il faut faire, avec Philippe, c’était ensuite une relation de confiance. » Il s’est lui aussi laissé pousser la barbe, à l’instar du maire du Havre, ce qui lui confère comme un air de marin tout juste rentré au pays. « Maintenant que vous me le faites remarquer, c’est vrai que je l’ai laissé pousser après qu’il est parti. » Une forme d’hommage capillaire à celui qui restera son « premier Premier ministre ».
En prenant soin de ne jamais renier les qualités de son nouveau patron, Jean Castex, le chef improvisé de la majorité, venu le soutenir lors de ces régionales. « Tout le microcosme politique l’a pris pour un idiot à cause de l’accent du Sud-Ouest, petit maire de Prades, etc. Ça lui a permis de se balader pendant cinq mois l’air de rien. À côté de ça, il est capable de vrais actes d’autorité. » Seule ombre au tableau pour ce politique madré dont le talent détonne au sein d’un pouvoir sans cesse accusé d’être hors-sol ? « Il ne travaille pas assez », confesse un macroniste. « Ce n’est pas le genre à se coucher à trois heures du matin pour décortiquer un dossier compliqué sur le dernier projet de loi de finances », souffle-t-on dans les coulisses. « Marc Fesneau est dans une situation difficile à cause du mépris que le Parlement inspire au président, tranche Roger Karoutchi, fin connaisseur de la matière parlementaire. Il a le rôle le plus infâme qui soit sans avoir le poids politique nécessaire pour espérer peser réellement… »
Marc Fesneau, le cuir usé, s’en fiche passablement. Il prend le temps de câliner les uns et les autres, espérant modestement être confirmé à l’occasion d’un second mandat. Patiemment, sans heurts, comme le veut la bonne tradition centriste. « C’est un vrai MoDem, le genre à s’entendre avec tout le monde, à gauche comme à droite », analyse un communicant. Un brin cabotin, le ministre aime à plaisanter avec ses équipes, citant Audiard dans le texte, tiré du film Un idiot à Paris : « Vous semblez oublier, en effet, mes amis, que vous n’êtes que des salariés, c’est-à-dire les êtres les plus vulnérables du monde capitaliste ! » Comme en écho avec la précarité du poste. « Les dorures, c’est sympathique, il ne faut pas être hypocrite non plus, mais tout peut s’arrêter du jour au lendemain. Je ne dis pas que les quinze jours suivants seront forcément faciles, mais on peut très bien faire autre chose. »Marc Fesneau partagerait cet amour du bon mot avec ses collègues au gouvernement Gérald Darmanin et Sébastien Lecornu. « Avant le conseil des ministres, en attendant le président, ils se donnent la réplique façon films d’Audiard », rapporte un membre de cabinet, amusé par tant de culture cinématographique. À chaque discours devant une assemblée, au Parlement, le ministre demande à ses équipes sur le ton de la boutade : « Et mes acclamations ! Et mon enthousiasme ! » singeant Louis de Funès dans La Folie des grandeurs. « Il est aussi capable de vraie colère froide », modère un membre de son entourage. Au mur de l’hôtel de Clermont où figurent les illustres occupants du poste, un certain Jacques Chirac, à l’époque jeune et déjà le regard dur, observe les visiteurs se couler dans le salon central où crépite un réconfortant feu de bois. « C’est un ministère très politique. Au fond, je suis plus un ministre de Premier ministre, mais pas un intrigant », conclut Marc Fesneau, entre deux cacahuètes.
Si les régionales signent la fin de ses espérances locales, Marc Fesneau esquisse un léger sourire quand on le pousse à la confidence. Lui, dont les relations avec Emmanuel Macron relèveraient du registre purement politique – « je n’ai jamais déjeuné seul avec lui en tête-à-tête » –, conçoit-il son rôle autrement que comme un allié de circonstance, un rouage utile dans la mécanique huilée du quinquennat ? Tout juste admet-il que « vu toutes les catastrophes apocalyptiques que l’on s’est prises sur la tête, le président a en effet cinq ans de plus derrière lui ». Quant à Ensemble citoyens !, la maison commune voulue par le président de la République, le MoDem entend y prendre toute sa place, c’est-à-dire au premier rang sur la photo. Marc Fesneau y veillera, conscient que tout se jouera aux législatives pour ce modeste parti d’élus locaux. « Ce que j’aime, c’est construire des majorités. »
Sous le masque de l’aimable centriste, propulsé innocemment à la tête de ce ministère stratégique, perce le tacticien ambitieux qui n’aime rien tant que l’odeur de la poudre électorale, les alliances qui annoncent les contours politiques du pays. « Je compte bien faire cette campagne », reconnaît-il. « Quand on me fait la guerre, je fais la guerre. Et j’aime aller à la baston », ajoute-t-il, gourmand. Signe que le ministre se prépare à mener la bataille pour son propre compte, et celui du président, il aurait arrêté de fumer du jour au lendemain, sur un coup de tête, après son échec en Centre-Val de Loire, preuve que la défaite l’a plus atteint qu’il ne veut bien l’admettre. Depuis, les paquets de Marlboro Gold ne jonchent plus son grand bureau d’angle au ministère, et les briquets qui peuplaient ses poches ont déserté. « Parfois, je me dis que j’ai trop d’orgueil. »