Marc Fesneau : "On ne peut plus installer des agriculteurs à l'aveugle"

Par Dominique Chapuis, Marie-Josée Cougard, Matthieu Quiret pour Les Echos

Alors que le projet de loi d'orientation agricole est présenté en Conseil des ministres ce mercredi, notre ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Marc Fesneau, explique aux « Echos » qu'il faut enrayer la baisse du nombre d'exploitations pour préserver la souveraineté alimentaire de la France. Mais les aides à l'installation seront désormais mieux ciblées.

Le texte qui sera présenté au Conseil des ministres le 3 avril est-il la grande loi d'orientation agricole promise par Emmanuel Macron il y a deux ans ?

Les objectifs de souveraineté alimentaire et l'élévation de l'agriculture au rang d'intérêt général majeur, les dispositifs relatifs à l'orientation, la formation et l'installation-transmission ainsi que les éléments de simplification en font une loi qui affirmera les grandes orientations portées par le président depuis le Covid et la guerre en Ukraine. Ces éléments vont nourrir l'ensemble de nos politiques publiques nationales.

Le projet de loi comporte énormément de mesures qui vont contribuer au renforcement de notre souveraineté. Il prévoit tout un dispositif incitant à l'installation et à son accompagnement, renforce l'attractivité des métiers agricoles , la formation et donne des outils pour découvrir cette activité. Pas seulement pour trouver des forces vives qui relancent l'activité agricole.

On a un énorme besoin de reconnexion entre le monde agricole et la société. A quel moment les 67 millions de Français ont-ils l'occasion de parler aux 400.000 agriculteurs dans une société désormais très urbaine ? On doit et on veut faire découvrir la réalité et la nécessité de ce secteur.

L'enseignement agricole est déjà assez largement reconnu…

Oui, tout à fait, la dynamique est favorable depuis 2019 et on peut même dire qu'il est un des éléments de la compétitivité de l'agriculture française. Mais aujourd'hui, la question n'est plus seulement de former un jeune qui veut s'installer en production laitière. C'est d'en former davantage et de les préparer à faire face à des moments géopolitiques, climatiques, socio-économiques beaucoup plus perturbés, qui supposent de grandes capacités de mobilité et d'adaptation. Les clés des formations initiales ne suffiront plus. On doit, et c'est que prévoit le projet de loi, y ajouter de la formation continue, qui permette au jeune d'adapter son modèle en continu. Comment dégager un revenu dans un système profondément impacté par les excès du climat ? Regardez ce qui se passe ces dernières années en Occitanie ! Ce sont des outils pour relever ces défis que nous mettons en place.

Il y a déjà plus de départs en retraite que d'installations. Quel est le déficit ?

C'est très disparate d'une filière et d'une région à l'autre. Au global, un tiers de départs ne sont pas couverts. Surtout dans les régions chahutées par le climat mais aussi dans la filière viande bovine. Jusqu'ici, il n'y a pas de terres abandonnées car elles servent à l'agrandissement des exploitations. Cela étant, on n'est pas à l'abri de voir ressurgir de la déprise agricole, notamment dans certaines régions, ce qui sera moins le cas dans les grandes régions céréalières ou d'élevage.

En Bourgogne-Franche-Comté, sur l'appellation Comté, pour un départ, il y a un remplacement, parce que cette AOC dégage de la valeur ajoutée. Dans certaines régions, comme en Champagne, ce n'est pas le modèle économique qui pose problème mais plutôt le coût de la transmission et donc le portage de capitaux. Le système breton fonctionne, même si on commence à voir de la décapitalisation et les limites environnementales.

En revanche, les conditions de travail sont un frein. C'est pour cela que l'on a amélioré le service de remplacement. Un jeune qui s'installe en lait veut au moins un week-end de temps en temps. On voit beaucoup d'installations en maraîchage, mais sur de petites exploitations, et le rapport au nombre d'heures travaillées/revenu est parfois décourageant. Au total, près de 200.000 exploitations sont appelées à changer de mains dans les dix ans. C'est un défi historique… Avec ce projet de loi et ce que nous mettons en place depuis 2022, nous nous dotons des outils pour viser, d'ici à dix ans, une installation pour un départ, pour stabiliser le nombre actuel d'exploitations. Nous devons garder des agriculteurs pour préserver notre souveraineté alimentaire mais l'agriculture de demain n'aura pas la même organisation qu'aujourd'hui.

Quels sont les principaux freins à ces reprises aujourd'hui ?

Il y en a plusieurs, mais la première chose, c'est le niveau de revenu, sur lequel on agit avec Egalim, son application, son renforcement. L'accès au foncier est un autre handicap, car les prix ont progressé de plus de 3 % sur la seule année dernière. Et ce n'est pas un effet de l'inflation. Il y a des personnes qui achètent des terres et parmi eux, certains sont très éloignés du milieu agricole.

Dans les Hauts-de-France, on a de plus en plus de Belges et de Néerlandais qui viennent acheter des terres, et cela fait monter les prix. Dans d'autres secteurs, il y a ceux qui achètent du foncier pour investir parce qu'ils pensent décarbonation ou production d'énergie, par exemple. Pour faire face à ce phénomène, le président de la République a souhaité lancer, dans le cadre de France 2030, le fonds « entrepreneurs du vivant », destiné à porter le foncier les premières années, au travers des Safer [Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, NDLR], ou d'établissements publics fonciers pour alléger la charge du repreneur. Et on va continuer de développer le portage foncier avec le projet de loi.

La reprise des fermes est aussi de plus en plus coûteuse ?

Quand on reprend une exploitation laitière, avec 60 vaches, entre le troupeau et les bâtiments, on est très vite à 800.000, voire un million d'euros. Dans la loi de finances, nous avons inscrit un fonds de garantie d'emprunts agricole de 2 milliards, qui devrait permettre d'accéder à des taux faibles pour faciliter ces reprises.

Le projet de loi d'orientation agricole propose également la création d'un groupement foncier agricole, qui permettra d'ouvrir le capital à des investisseurs privés, jusqu'à 15 % du tour de table. C'est nouveau, jusque-là ce système était familial. On avancera notamment sur cela avec les parlementaires.

Toutes ces aides doivent favoriser l'installation d'un nouveau public plus urbain ?

Aujourd'hui, de plus en plus de personnes de 30 à 35 ans en reconversion professionnelle veulent devenir exploitants. Les nouveaux installés, en majorité, ne sont pas issus du milieu agricole. D'où le travail que l'on veut faire sur la formation et la découverte des métiers.

Dans l'enseignement agricole, plus de 60 % des élèves ne sont pas fils ou filles de paysans. Ils n'ont pas vécu dans des exploitations. Je pense que c'est aussi une richesse pour le monde agricole, car ils voient les choses avec un nouveau regard. L'enjeu est d'installer dans des conditions durables économiquement et écologiquement dans dix ou quinze ans.

(...)

Vous ne traitez pas la question de la rémunération dans cette loi, pourtant clé pour l'attractivité du métier.

Ce qu'on fait dans ce projet de loi est complémentaire avec ce qu'on fait et qu'on va continuer de faire dans Egalim . On a beaucoup parlé de l'augmentation des prix de l'alimentation avec l'inflation mais elle a touché aussi des secteurs non alimentaires, avec la hausse de 40 % du prix des téléphones portables, par exemple.

On a un système de valeur qui a relégué la question essentielle de l'alimentaire au rang de l'accessoire. Pourtant Egalim a bien protégé les filières qui y sont rentrées. Est-ce suffisant ? non ! Nous devons continuer et donc mener la bataille dans l'opinion publique de la souveraineté alimentaire, de la question du patriotisme alimentaire. Certains n'ont pas apprécié que je dise que chacun devait être patriote. Il n'y a pas que la grande distribution qui parfois ne joue pas le jeu, on m'a signalé un trois étoiles qui fait venir sa viande de Pologne. Pourtant, le sujet du prix n'est pas le premier dans ce type de lieu. Il faut que chacun se sente concerné et puisse s'engager pour nos filières.

Parmi les leviers, je compte renforcer par Egalim la transparence de la provenance des aliments dans les cantines scolaires. Il semble également nécessaire que le cycle de négociation des prix impose d'abord une discussion de l'industriel avec le producteur avant celle avec le distributeur. Il y a aussi la question des centrales d'achat extra-nationales à modifier. Enfin, il s'agit de faire progresser la contractualisation dans l'agriculture, dans la filière bovine. Les députés Anne-Laure Babault et Alexis Izard y travaillent.

📰 Retrouvez l'entretien dans Les Echos

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