Marc Fesneau : « Un chemin vers un cap collectif et vers, j’ose le mot, une espérance »
Marc Fesneau, président du groupe Les Démocrates à l'Assemblée nationale et premier vice-président du Mouvement Démocrate, a pris la parole dans l'hémicycle après la déclaration de politique générale du Premier ministre François Bayrou.
Seul le prononcé fait foi.
Madame la présidente,
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et messieurs les ministres,
Chers collègues,
Il y a parfois une forme d’injustice quand on veut servir l’intérêt général ou l’intérêt du pays, et quand les crises ou les circonstances viennent contrarier vos intentions sincères. C’est pourquoi je voudrais commencer mon propos en rendant hommage à Michel Barnier et à son gouvernement pour l’action conduite avant la censure.
Mais aujourd’hui, comme toujours, je n’ai nulle intention de nourrir de vaines querelles ou des polémiques avec ceux qui, par la censure, ont, pourtant, un peu plus plongé notre pays dans la crainte, le doute et l’inconnu, lui – notre pays – qui n’en avait pourtant vraiment pas besoin.
Non. Je veux parler de ceux :
- qui nous regardent ou non,
- qui se désespèrent - ils sont nombreux - ou non,
- qui sont en accord avec nous ou non…
… et qui attendent pourtant – je ne dirais pas « espèrent » tant ils doutent – d’un chemin vers un cap collectif et vers, j’ose le mot, une espérance.
Je veux donc, simplement, essayer de parler des Français et des Françaises et du chemin que nous devons leur proposer collectivement pour rassurer et convaincre.
- Les lignes rouges, vraies ou fausses,
- les chantages réciproques,
- les concessions que l’on entend arracher comme un trophée,
- les postures…
Tout cela ne les intéressent pas.
Cela les mène avant tout à considérer qu’ils ne seraient en fait qu’en arrière-plan d’un théâtre de « dialogues de sourds ». Cela les éloigne chaque jour un peu plus de la politique et c’est un drame.
Aussi, je voudrais vous dire, avec humilité, monsieur le Premier ministre, ce que nous percevons des attentes des Français, qu’elles concernent les urgences du quotidien, leur avenir ou celui de nos enfants.
Je voudrais vous dire ce que nous percevons du sens qu’ils donnent à leur vote de juillet dernier, ce qu’ils attendent de ces élections législatives sans vainqueur, de cette assemblée sans majorité, mais aussi de votre gouvernement et de notre assemblée.
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Monsieur le Premier ministre,
La France a aujourd’hui le visage d’une jeune enseignante qui a choisi la plus admirable des missions, celle d’être le « passeur » qui conduit chacun des enfants de la République sur les rives du savoir et éveille leur conscience citoyenne…
Mais aussi le visage d’une jeune enseignante qui s’interroge profondément sur ce que l’école devient, sur ce qu’elle « peut » faire quand on lui demande de répondre à toutes les fragilités de la société, le tout avec une absence de reconnaissance, et parfois même une forme de démagogie blessante, dont elle souffre terriblement…
La France a le visage d’un agriculteur, fier de son métier, de sa vocation, l’une des plus essentielles, celle de nous nourrir, dont il n’arrive pourtant pas à vivre ; qui a le sentiment d’être comme mis au ban de la société tout entière et livré aux concurrences les plus déloyales, et qui se sent de plus en plus impuissant face aux bouleversements climatiques dont il est la première victime.
Elle a le visage du chef d’entreprise, artisan ou commerçant, qui ne peut exercer son métier avec sérénité dans un climat d’incertitude permanente, d’instabilité organisée et de « surnormation » galopante.
Elle a le visage de ces jeunes qui s’inquiètent eux de la planète que nous leur laisserons, ou qui se disent qu’ils ne bénéficieront pas d’un modèle de solidarité que nous leur demandons pourtant de financer. Ils se sentent parfois trahis ou abandonnés car ils ont le sentiment que les générations futures sont sacrifiées sur l’autel du court terme, des petits calculs et des grands renoncements.
La France a également le visage de milliers de salariés qui ne parviennent pas à vivre correctement de leur travail ou qui n’y trouvent plus aucun sens… De ces Français qui ne trouvent pas assez par leur travail les voies :
- de l’épanouissement,
- de l’ascension sociale,
- et – pire encore sans doute pour l’esprit public – les moyens de permettre à leurs enfants d’agrandir le champ des possibles.
Elle a le visage de ces patients, qui doivent attendre des mois pour trouver un médecin, parfois dans l’angoisse de la maladie qui progresse… Et qui, au bout, finissent par renoncer aux soins.
Elle a aussi le visage de ces soignants dévoués au service de leurs patients et de nos aînés, qui font face comme ils peuvent à la dégradation de notre système de soins et de l’hôpital public, malgré – et cela devrait tous nous interroger – les moyens colossaux qui ont pu y être consacrés ces dernières années.
Elle a le visage de tous ceux qui s’inquiètent, sur la sécurité ou la justice, de ce qu’ils perçoivent comme un affaissement de l’autorité de l’État et de sa capacité à les protéger. De ceux qui pensent que la justice n’est pas la même pour tous ou qu’elle est trop lente.
Elle a enfin le visage de celles et ceux qui voient, inquiets, leurs repères ou leurs identités bouleversés face à ce qu’ils perçoivent comme de nouvelles menaces, qu’elles soient mondiales et globales ou qu’elles émergent en bouleversant leur vie quotidienne ou leurs modes de vie.
Et ce n’est pas seulement, pas uniquement, à nous, à cette assemblée, qu’il faudra s’adresser, monsieur le Premier ministre, mais à La France, à cette France.
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De quoi les Français ont-ils besoin ?
Ils attendent un pacte de « bon sens » pour mettre en ordre de marche le pays, pour répondre aux urgences et pour retrouver du sens.
Ils attendent un budget pour d’abord tenir les engagements qui avaient été pris par les gouvernements précédents. Je pense à ce qui avait été dit et promis pour l’inclusion. Je pense aux collectivités locales. Je pense bien-sûr aux agriculteurs. Ils attendent d’avancer sur les sujets qui peuvent faire consensus. Je pense au projet de loi fin de vie. Ils attendent aussi un cap.
Et, pour cela, nous avons besoin :
- de stabilité,
- de lucidité,
- et de confiance.
De stabilité, tout d’abord, et en premier lieu de stabilité institutionnelle et politique.
Je ne crois pas que les Français soient fascinés par le chaos…
Le désordre organisé méthodiquement à l’Assemblée nationale, comme à l’extérieur, les désespère et les exaspère… La censure du gouvernement précédent a marqué les esprits parce que cela nous a fragilisés.
Et pas seulement parce que cela a privé la France d’un budget – mais parce que cela a démontré notre incapacité à dialoguer, à nous entendre face à une situation critique, et cela nous a fragilisés en Europe, mais aussi face à des puissances étrangères qui ont des intérêts contraires aux nôtres. Cela a démontré notre incapacité à faire face à l’avenir.
La stabilité, cela signifie aussi la stabilité économique et sociale, dont les acteurs ont impérativement besoin pour créer de l’activité et de la croissance.
Il y a, nous en avons la conviction, des secteurs essentiels qu’il nous faut soutenir massivement.
Je pense au secteur du logement et à la construction, en mobilisant les logements vacants, en développant de nouvelles formes d’accès à la propriété, en libérant la construction de logements, et en facilitant le recours aux prêts. C’est d’abord une question de justice sociale.
Je pense aussi à notre agriculture. Face aux bouleversements géopolitiques et climatiques que nous connaissons, face à la montée en puissance des impérialismes qui font de l’alimentation une arme, et ce de part et d’autre de l’Europe, l’agriculture est l’un des piliers de notre souveraineté et de notre capacité à décider de notre destin, à l’image du secteur de l’énergie. Il y a une urgence vitale au renouvellement des générations et à soutenir toutes les démarches de transition, tant ces deux exigences sont intrinsèquement liées.
Je pense encore à l’emploi et au travail – une priorité qui est là depuis 2017 – parce que la production et l’activité économique sont, il faut le dire, la clef de voûte du fonctionnement de l’État, de sa capacité à protéger, à agir sur la sécurité, la justice, l’accès aux services publics, l’accès aux soins, l’école. Parce que c’est la prospérité qui est le gage de la perpétuation de notre modèle social !
Et la stabilité, ce n’est pas non plus l’immobilisme ou le conservatisme. Ce n’est pas l’addition de lignes rouges qui confine à l’inertie, mais une volonté d’avancer en faveur des priorités des Françaises et des Français.
Et nous devons pour cela nous doter d’un budget, autour de trois piliers :
- Celui, d’abord, de l’attractivité économique de la France et sa compétitivité. C’est pourquoi notre groupe considère que les choix à venir ne doivent pas remettre en cause ce qui a été mis en œuvre depuis 2017 pour conforter le dynamisme des entreprises. Tout simplement parce que cela a fonctionné ! ;
- Celui de la justice sociale et fiscale, comme nous l’avons toujours porté au sein du groupe « Les Démocrates » ; la justice fiscale et sociale, c’est le moyen de rendre acceptables les efforts et de lutter contre toutes les situations de rente ou de sur optimisation. C’est juste que le travail, l’ingéniosité et la prise risque payent plus que la rente et la spéculation. Il ne peut y avoir 100 milliards de dividendes versés sans que cela puisse au fond nous interroger.
- Celui de la responsabilité, en fixant des économies budgétaires importantes et crédibles dans une logique, vous l’avez dit, de réforme profonde – et pour qu’elle soit profonde il faut qu’elle soit pluriannuelle – de l’État. Et reconnaissons-le, nous n’avons pas souvent entendu à cette tribune autre chose que des dépenses supplémentaires ces dernières années.
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Mais pour garantir cette stabilité, il nous faudra ensemble faire preuve de lucidité.
Lucidité sur la gravité des enjeux qui devraient nous éloigner naturellement de nos considérations partisanes, tant la situation budgétaire est périlleuse, tant les ingérences étrangères et l’émergence d’un nouvel impérialisme doivent nous interpeller, tant notre modèle d’intégration et notre pacte républicain semblent se déliter sous nos yeux.
Lucidité, aussi, sur la nécessité d’accepter que nous ne parvenions pas à répondre à ces défis d’ampleur sans accepter que la politique ne répond pas seulement à l’immédiateté, qu’elle doit parfois obéir à des logiques de temps long… Accepter, aussi, que la réussite d’une politique publique ne dépend pas – et heureusement – seulement des moyens qui lui sont consacrés.
Pour cela, il nous faut développer une culture de la concertation, afin de parvenir à définir des trajectoires collectives partagées, une culture de l’évaluation mais aussi de la contractualisation et de la discussion à l’échelon pertinent, selon un principe de subsidiarité. Les collectivités locales doivent y être encouragées dans une logique de responsabilité réciproque. Les partenaires sociaux et le réseau associatif aussi.
Et je voudrais, à propos de lucidité, évoquer l’avenir de notre système de retraites.
Nous croyons qu’il n’est ni possible ni souhaitable de réinterroger la question des retraites en mettant sous le tapis son financement. Ni les sujets de justice pour les plus fragiles ou fragilisés. C’est l’un et l’autre. Parce que l’un n’existe pas sans l’autre. C’est ce qu’avaient compris nos pairs au sortir de la guerre.
Nous devons réouvrir ce débat et le remettre en chantier sans totems ni tabous, de part et d’autre, mais aussi sans passer par pertes et profits les réalités démographiques qui s’imposent à nous, sinon nous nous rendrions coupables d’une faute morale à l’égard de notre jeunesse.
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Enfin la France a besoin de confiance et, pour cela, nous devons tracer des perspectives sur lesquelles il peut y avoir un accord entre les femmes et les hommes de bonne volonté dans cet hémicycle et à l’extérieur. Je ne reviens pas sur ce qu’il faudra faire sur les institutions pour construire la confiance et faciliter une pratique démocratique nouvelle.
Je pense à notre école, qui est une priorité nationale.
Je pense aussi à la santé, sur laquelle nous avons besoin d’une visibilité pluriannuelle et je voudrais saluer, monsieur le Premier ministre, l’annonce que vous avez faite et que porte le groupe Les Démocrates d’une loi de programmation pluriannuelle.
Je pense à l’accès aux services publics en particulier dans nos territoires ultramarins – vous me permettrez d’avoir en cet instant une pensée pour nos compatriotes mahorais – et aux territoires ruraux, qui ont besoin de modèles mieux adaptés aux singularités territoriales, aux évolutions démographiques et sociales, épousant leurs réalités propres, et laissant une place plus importante à l’expérimentation.
Je pense enfin à l’écologie : je suis persuadé qu’il existe un chemin pour répondre à l’urgence climatique tout en s’assurant de l’adhésion la plus large possible et de la soutenabilité des trajectoires que nous définirons pour nos entreprises et, plus globalement, pour une écologie qui ne pèse pas, en premier lieu, sur les plus modestes et ne soit pas vécue comme une punition.
Ces priorités, nous devons y répondre avant tout pour notre jeunesse. Son indifférence, si ce n’est sa défiance, nous oblige et devrait collectivement nous inviter à nous ressaisir.
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Pour que ce triptyque « stabilité – lucidité – confiance » ne repose pas que sur du sable, nous avons besoin d’un ciment, celui de la « coopération ».
Et nous en serons, avec notre groupe, comme toujours, les fers de lance.
La coopération c’est accepter que personne, ici, n’est majoritaire et ne peut, seul, imposer ses vues.
La coopération, c’est accepter d’endosser les mesures difficiles ou impopulaires prises dans l’intérêt du pays, pas seulement revendiquer des victoires quand elles sont faciles ou populaires.
Car s’il ne s’agit que de plaire, s’il ne s’agit que de voguer dans le sens du courant, il n’est nul besoin de coopération parce que c’est la facilité du populisme !
La coopération c’est accepter que l’opposition soit respectée, y compris dans sa différence et pas seulement quand elle est en accord avec nous.
La coopération c’est, pour ceux qui ont fait le choix - que je respecte - de ne pas participer à un gouvernement pour ne pas être comptable de son action et de se demander, à chaque instant, sur chaque vote, de bonne foi, ce qu’ils feraient s’ils étaient demain en situation de responsabilité.
La coopération c’est accepter qu’au sein de ce gouvernement puissent s’exprimer des nuances, des divergences mêmes mais sous la réserve que l’on respecte les arbitrages et que l’on se concentre sur ce qui nous rassemble - et les sujets sont nombreux. Le temps de l’expression des différences viendra, que chacun se rassure. C’est 2027 ! Mais je propose que d’ici-là, nous soyons utiles au pays et ne perdions pas de temps.
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Ce n’est que par la coopération que nous sortirons la France de l’ornière, d’abord ; et que nous lui donnerons à nouveau de l’espoir, ensuite. Parce que la coopération est la conviction profonde que personne ne peut y arriver à moins que tout le monde n’y arrive.
Par la stabilité, la lucidité et la confiance, par une éthique du dialogue et de coopération.
Les Français nous jugeront aux actes, et nous ne pourrons agir à leur service qu’en construisant des compromis et de la coopération.
Et nous serons au rendez-vous de cette coopération qui n’a qu’un objet : celui de l’intérêt de la France et donc celui des Français. C’est pour nous la seule chose qui vaille.
Je vous remercie.