Marc Fesneau : « Vous choisissez la rupture contre le compromis et le confort du statu quo contre les avancées »

Marc Fesneau

Retrouvez ci-dessous le discours prononcé par Marc Fesneau, président du groupe Les Démocrates à l'Assemblée nationale et premier vice-président du MoDem, à la tribune lors du vote de la motion de censure ce mercredi 4 décembre 2024.

Seul le prononcé fait foi,

Madame la Présidente,

Monsieur   le   Premier   ministre,   mesdames   et   messieurs   les membres du Gouvernement,

Mesdames et messieurs les députés, Chers collègues,

Je n’ai nulle intention en ces moments de crise si graves de participer d’un énième échange caricatural et théâtral quand les Françaises et les Français s’inquiètent ou s’interrogent légitimement sur leur avenir et celui du pays.

Et je n’ai pas davantage l’intention, par des invectives, de creuser un peu plus le fossé entre ceux qui, dans cette assemblée, devraient se comprendre, se parler et échanger pour bâtir au service du pays.

On ne peut pas, en même temps, vouloir rassembler et s’employer à diviser les démocrates. J’ai juste l’intention de dire ce que je vois de la vérité du moment et de notre devoir.

***

Monsieur le Premier Ministre,

Dans ma réponse à votre discours de politique générale, je soulignais la principale vérité du résultat des urnes du scrutin de juillet dernier : personne n’avait gagné les élections législatives. Et à entendre certains, cet après-midi, il n’est pas inutile de le rappeler.

Aucun bloc n’a obtenu de majorité absolue pour mettre en œuvre son programme seul et aucun bloc n’a acquis de mandat ni de pouvoir absolu.

Nous n’avons et nous n’avions qu’un impératif : celui du dialogue. Et peut-être plus encore celui de l’humilité et du sens de l’intérêt général.

Et les Français nous ont demandé de nous extraire des contingences politiques et partisanes, pour travailler ensemble, sur l’essentiel et à leur service.

Et c’est le choix que nous avons fait en conscience, monsieur le Premier ministre, en vous soutenant avec exigence mais aussi - c’est tout aussi important pour moi - avec loyauté.

Nous avions espéré - sans doute comme beaucoup de Français - qu’il en soit de même pour toutes les forces parlementaires, qui comme nous étaient le produit d’une élection sans vainqueur et refusaient les extrêmes.

Cette situation n’autorisait donc personne à vouloir prétendre appliquer son seul programme, rien que son programme et tout son programme.

Nous étions prêts à œuvrer au service de l’intérêt général et je peux témoigner que le Premier ministre, et ses équipes, s’y est tenu, lui qui assume sa mission avec sens du devoir, avec lucidité et responsabilité et avec pour seul cap l’intérêt du pays…

Mais force est de reconnaître que le débat que nous sommes en train de tenir, et les votes annoncés, montrent que malheureusement nous n’y sommes pas parvenus. Certains ont manifestement préféré la facilité du cynisme et du sectarisme, et pire encore du laisser faire ! - plutôt que l’exigence de l’esprit de responsabilité et de la recherche du compromis.

Je le dis devant vous : tout engagement - s’il se veut sincère et s’il se veut utile - nécessite des compromis, et je sais combien il est évidemment beaucoup plus facile de rester soi-même en ne faisant rien. « Vous avez les mains propres, mais vous n’avez plus de mains », voilà ce que je serais tenté de dire en paraphrasant Charles Péguy.

Pire : certains renient le sens même du vote des Français en scellant aujourd’hui, on l’a bien vu, une alliance des contraires.

***

Et pourtant, le texte qui nous est aujourd’hui soumis, à savoir le projet de loi de financement de la sécurité sociale, mais aussi plus largement les textes budgétaires dont nous discutons depuis plus de deux mois et que nous devons considérer comme un tout, ont été remaniés et sont précisément le fruit d’un compromis.

Jamais, sans doute, des textes budgétaires n’auront été autant remaniés et modifiés à l’aune des débats parlementaires.

Le plus évident, bien sûr, c’est le compromis entre le Sénat et l’Assemblée nationale sur le PLFSS, fait suffisamment rare pour être souligné.

Et en dépit de ce que certains voudraient faire croire, ce texte est bien le fruit d’un travail entre les différents blocs des différentes assemblées !

Et je voudrais devant vous, pardon pour ceux que ça gêne, citer quelques-unes des avancées nées de ce compromis…

Je pense à la protection des petites retraites que nous étions ici nombreux à porter !

Je pense à la fiscalité incitative sur les sodas !

Je pense à la réforme des allégements généraux de cotisations sociales et patronales, que pour la première fois nous avons su envisager, sur laquelle nous avons su collectivement aboutir à un équilibre entre soutien à l’emploi et efficacité de la dépense publique !

Mais ce texte conduit surtout à des avancées concrètes pour nos concitoyens, plus perceptibles encore.

Sans ce PLFSS, pas de renforcement des mesures de prévention ou d’accès aux soins, pas d’investissements supplémentaires dans notre système de santé, pas de lutte contre la pénurie de médicaments.

Sans ce PLFSS, pas d’augmentation des moyens de la prise en charge de la perte d’autonomie : c’est plus de 6 500 postes d’aides dont nous priverions nos aînés.

Sans ce PLFSS, pas de réforme des retraites pour nos agriculteurs, ni d’allègements de charge pourtant cruciales pour la compétitivité de leurs exploitations.

Je ne cherche pas à faire peur. On ne gouverne pas avec la peur.

Mais que ceux qui prétendraient ce soir que le vote d’une motion de censure serait sans conséquence, je dis qu’ils devront rendre des comptes devant les Français.

Et le résultat de votre œuvre sera tout aussi nocif si vous entendez également rejeter le PLF. Là encore, il faudra prendre vos responsabilités !

Sans PLF, pas de hausse des moyens de nos ministères régaliens, notamment pour notre défense, ou pour la sécurité quotidienne des Français, qu’il s’agisse de la justice ou des moyens des forces de l’ordre.

Sans PLF, c’est la trahison assurée, garantie, des engagements faits à nos agriculteurs en pleine crise agricole, que ce soit sur l’accompagnement des éleveurs, l’aide à la transmission des exploitations ou l’installation des jeunes agriculteurs. Les mêmes qui poussent ou soutiennent les manifestations s’apprêtent à priver les agriculteurs des réponses pourtant tant attendues !

Sans PLF, pas de contribution exceptionnelle pour les plus hauts revenus et pas de justice fiscale que pourtant vous réclamiez sur ces deux bancs !

***

Bien sûr, ces textes ne sont pas parfaits. Et j’entends ceux qui disent toujours « ce n’est pas assez, il faut plus ». Mais ils sont le fruit de compromis. Et vous choisissez la rupture contre le compromis et le confort du statu quo contre les avancées.

Mais en balayant d’un revers de main ce compromis, vous ne faites pas que cela. Non, vous vous dessaisissez aussi de ce qui fait le rôle du législateur : sa capacité à proposer, à améliorer, à débattre et à se mettre d’accord.

Vous choisissez, au fond, de vous en remettre aux lois spéciales, à la gestion des affaires courantes, aux hasards du désordre. Et ce faisant, vous affaiblissez le Parlement dans son rôle et aux yeux des Français.

Et puis évidemment, vous faites prendre un risque important au pays : nos partenaires et nos créanciers nous regardent, voient notre incapacité à valider le compromis et, comme nous pouvons le constater ces derniers jours, le coût de financement de notre dette publique augmentera, diminuant d’autant notre capacité à financer nos autres politiques publiques.

À terme, vous faites prendre un risque d’une perte de confiance dans notre capacité à rembourser cette dette – et c’est donc la porte ouverte à une crise comme ont pu en connaître d’autres pays européens.

Ces risques, vous devez les assumer. Et vous ne pourrez pas vous en défausser !

***

À nos collègues de gauche, je voudrais dire qu’en juillet, vous avez malheureusement fait le choix de l’immobilisme et du renoncement. En ce mois de décembre, vous vous apprêtez à faire le choix pire de l’irresponsabilité et de l’inconnu.

Et à nos collègues du RN, face au désarroi de nos agriculteurs, de nos soignants et de nos forces de l’ordre, dont vous prétendez être les porte-étendards, face aux difficultés que ce chaos produirait pour les plus modestes, vous vous apprêtez à trahir vos électeurs, les vôtres, ceux pour lesquels vous demandiez pourtant du respect !

Et au fond, à part sur l’organisation du chaos, au NFP et au RN, vous n’êtes d’accord sur rien.

Vous n’êtes pas d’accord sur les économies qu’il faut faire : les uns imaginent des économies irréalisables et contre-productives sur les aides aux entreprises, les autres pensent qu’en transformant simplement l’aide médicale d’État, nous allons régler tous nos sujets de déficits et de finances publiques.

Vous n’êtes pas d’accord sur les perspectives politiques futures : d’un côté, les uns veulent supprimer le délit d’apologie du terrorisme ; de l’autre, vous dites que la priorité est la sécurité des Français.

Vous n’êtes pas d’accord sur le cadre de nos politiques : quand les uns, enfin certains, à gauche, défendent encore l’Europe ; les autres, veulent la mise en place d’une priorité nationale factice qui serait évidemment contraire à cet engagement et surtout à nos intérêts.

Chers collègues de gauche, vous reprochez au Premier ministre d’être sous la tutelle du Rassemblement national, mais c’est vous qui allez vous allier avec eux, pour précipiter la France dans l’inconnu et le chaos.

Les Allemands ont dans leur Constitution la motion de censure constructive. Ils sont obligés de dire en renversant un gouvernement quelle sera la majorité alternative proposée. Sinon la censure est impossible.

Et vous savez pourquoi ils l’ont fait ? Parce que tirant leçon de l’histoire, ils ont vu les conséquences des extrêmes – à gauche comme à droite - renversant semaines après semaines les gouvernements, sans alternative possible et enfonçant, au final, leur pays jusqu’au pire.

Ici en France, vous vous faites les champions de la motion de censure destructrice. Vous n’êtes pas fichus de dire aux Français l’alternative possible et vous aggravez la crise !

***

Et pourtant mes chers collègues, tout cela n’est pas irrévocable.

Il y a une voie pour, enfin, répondre aux résultats des élections de juillet dernier : le meilleur moyen de ne pas être sous la menace – et donc sous la tutelle – des extrêmes, des deux extrêmes, c’est d’enfin accepter le dialogue et le compromis. Car la censure ne produira rien.

Ce dialogue n’est pas simple.

Ni à mettre en place, ni à maintenir dans la durée et il demande d’importants efforts. Que chacun fasse des pas vers les autres. Que personne ne joue pour lui-même dans cette période. Que cessent les arrière-pensées ou les calculs d’arrière-boutiques.

Et plusieurs perspectives peuvent permettre d’en jeter des bases saines.

Il faut que tous, autant que nous sommes, nous admettions que la politique n’est pas un combat entre un système qui tournerait sur lui-même et contre son peuple, mais qu’elle est une opposition pacifique entre différentes opinions en vue de trouver des solutions aux problèmes de nos concitoyens.

Cela commence par nos attitudes et nos discours :

  • en respectant nos adversaires,
  • en nous abstenant de dramatiser les conséquences de certaines politiques,
  • en   arrêtant   de   mettre   en   scène   artificiellement    des affrontements qui n’en sont pas,
  • en assumant nos divergences.

Ça, c’est facile.

Mais en assumant aussi nos convergences. Et cela, c’est peut-être cela le pas qu’il faut faire.

Cela passe également par un système institutionnel qui favorise le compromis. Il s’agit, je le dis avec une forme de gravité, d’une question de survie pour notre démocratie.

Cela passe par un mode de scrutin qui puisse libérer les différentes familles politiques des logiques de bloc tout en respectant les identités de chacun.

Cela passe aussi par une discussion sans tabou sur les sujets auxquels nous faisons face et qui continuent de diviser.

C’est le cas des retraites par exemple – et de la révision de la réforme de 2023 qui n’a pas permis le compromis.

Nous ne parviendrons pas à rétablir nos comptes publics sans s’y pencher sans démagogie.

Enfin, parce que nous devons être honnêtes avec nos concitoyens : ce compromis, ces compromis ne devront pas être conclus contre nos finances publiques, sauf à brader l’avenir de nos enfants. Et de fait à renoncer à notre souveraineté.

Il faut pour cela sortir de l’ornière et de l’urgence, et redonner du sens et du temps long dans la manière dont nous définissons collectivement nos priorités politiques et nos investissements pour l’avenir.

***

Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues,

Je relisais ces jours les discours de Pierre Mendes-France, grande figure non seulement de la gauche, mais grande figure française.

« Gouverner, c’est choisir » disait-il et ce, « si difficiles que soient ces choix ». Et il ajoutait que certains assureront que pour faire face aux défis du pays, il faudrait emprunter les sentiers ombragés et faciles. Que dans une politique gouvernementale, il faudrait laisser de côté ce qui est dur pour ne retenir que ce qui est agréable.

Déjà à l’époque, la tentation de la facilité contre laquelle il se battait et contre laquelle nous nous battons.

Et pour nous, démocrates, gouverner c’est d’abord s’interdire de faire des promesses que l’on ne peut tenir. C’est refuser la facilité et le pessimisme par le choix de la vérité et du courage. C’est une question de respect des électeurs, de tous les électeurs. Et le premier des respects que l’on doit aux Français est de ne pas leur mentir.

Pour nous gouverner, c’est rechercher sans cesse avec les Français - pas contre eux ni sans eux - les voies des réformes nécessaires.

Pour nous gouverner, ce n’est pas chercher son avantage immédiat et personnel, c’est penser que la victoire de tous par le compromis, c’est la victoire de chacun. Que nous gagnerons ensemble ou sinon que nous perdrons tous.

Enfin, pour nous gouverner, ce n’est pas livrer les esprits et le pays aux puissances de la division et du désordre. C’est rassembler les Français autour d’un cap, d’un projet et, j’ose le mot, d’un idéal.

Il y a un chemin et une majorité pour cela. Dans cette assemblée il y a un chemin. Dans le pays, il y a un chemin. À elle de se lever, à elle de l’exprimer dès cet après-midi.

Les Français ne nous demandent au fond qu’une chose : faire, en conscience, notre devoir. C’est ce que le Premier ministre et son gouvernement font.

Et c’est ce que nous devons faire en rejetant cette motion de censure.

Je vous remercie.

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