Maud Petit : "La peine de prison, pour qu’elle soit utile, doit permettre la réinsertion effective après la peine. Il est indispensable de mettre en place les moyens humains et financiers pour que cette sanction s’applique dans la dignité."
La sécurité est un enjeu majeur pour tous les français. Endiguer l'augmentation de la violence et les actes criminels, construire plus de prisons, prévenir plutôt que sanctionner immédiatement. La députée de la 4ème circonscription du Val-de-Marne, Maud Petit, s'exprime sur tous ces sujets dans cet entretien.
- Le 14 mai dernier, dans le département dont vous êtes élue, la jeune Marjorie a été tuée lors d’un règlement de comptes entre adolescents. Elle avait seulement 17 ans. Avez-vous un message à adresser à la famille endeuillée ?
Cette tragédie s’est hélas reproduite une seconde fois puisque, à quatre jours d’intervalle, un autre adolescent, Matteo, a aussi été tué par un mineur, dans une autre commune du département…
Aux familles endeuillées et dans la tristesse, je voudrais apporter tout mon soutien. Celui de l’élue, bien évidemment, mais probablement surtout celui de la mère que je suis… Rien ne peut remplacer la perte d’un enfant, le monde s’écroule autour de vous et c’est une douleur infinie qui vous porte jusqu’à la fin de vos jours… Alors, quand cette disparition survient dans ces conditions, et que vous n’arrivez pas à comprendre « pourquoi » c’est arrivé, rien ne peut véritablement apaiser votre chagrin.
Les messages et le soutien que nous pouvons apporter à ces familles, notre présence aux marches blanches, par exemple, représentent si peu face à la dignité dont ces familles ont fait la preuve. J’ai beaucoup d’amour et un infini respect pour elles….
- Ces terribles événements ne sont-ils pas le symbole de l’augmentation des actes violents dans notre pays ?
Indéniablement, notre pays souffre d’une violence, qui n’est plus seulement latente et qui s’exprime dans toutes ses strates et de plusieurs façons.
En plus de la violence physique, que j’appellerai « classique », qui se commet dans la rue ou dans le cercle intrafamilial par exemple, une violence plus insidieuse prend forme et s’installe sur les réseaux sociaux. Cette dernière, qui s’apparente à du harcèlement, est plus fugace, plus aléatoire, plus impulsive, se nourrit de l’effet de groupe et est, en ce sens, plus difficilement contrôlable.
Nous constatons aussi une progression des actes de violence dans une population plus jeune, si ce n’est mineure. C’est une véritable série noire que nous vivons en Île-de-France depuis le début de l’année, avec des rixes entre bandes rivales, des actes de harcèlement et d’insultes sur les RS, des meurtres par balles, armes blanches ou noyade… Et tous impliquent des mineurs !
Il y a toujours eu des rixes, de la délinquance, mais il semble que la violence soit montée d’un cran et qu’elle se banalise : Nous sommes entrés dans un cycle de « Violences Ordinaires » et c’est ce qu’il faut réussir à comprendre pour les endiguer.
- Comment pouvons-nous expliquer de façon rationnelle cette augmentation endémique de la délinquance ?
Les causes sont indéniablement multiples, contextuelles et systémiques à la fois.
Le confinement a certainement participé à l’exacerbation d’une violence latente. L’enfermement, nécessaire pour limiter la pandémie a, et aura dans l’avenir, des conséquences importantes sur les plans psychologiques et psychiatriques. Ce sont des constatations que les professionnels de santé font déjà, nous relatant en audition une détresse des Jeunes et une augmentation des hospitalisations dans leur population.
Le confinement a également eu un impact sur l’augmentation mécanique des violences intrafamiliales, les chiffres nous le montrent. Ce climat de tensions permanentes, sans possibilité d’espaces de refuge, de neutralité, est néfaste pour l’équilibre psychique de toutes et tous. Les Jeunes, en pleine construction, sont encore plus sensibles à ces problématiques.
Cet isolement a accentué l’utilisation du numérique et des écrans, déjà omniprésents dans notre quotidien. Or, beaucoup trop de contenus inadaptés sont accessibles sur le net, sans filtre. Sans accompagnement, sans cadre, les Jeunes sont confrontés à une violence numérique qui peut avoir des conséquences dramatiques : pornographie, consommation excessive de jeux vidéo… mais aussi, harcèlement numérique, qui conduit de plus en plus à ces tragédies dans la vraie vie. La ligne entre le virtuel et le réel s’efface progressivement, et la conscience de la gravité de certains actes semble lointaine. La violence virtuelle se prolonge alors dans le réel.
Dans le prolongement des réseaux sociaux, il existe une perte de repères : certains parents sont dépassés par le contexte et occultent totalement la vie numérique de leurs enfants, perdant parfois contact et communication, pourtant essentiels à leur construction.
L’Education joue un rôle fondamental dans l’apprentissage du vivre en Société. Comment se préparer à la vie sans guide, sans repère, sans l’accompagnement de ses parents ?
Certains modèles de la Jeunesse actuelle (stars des réseaux sociaux, films, artistes) véhiculent malheureusement des propos de haine, poussant à la détestation de l’Autre, au lieu d’inciter à l’acceptation de chacune et chacun, dans le respect des différences. Les Jeunes ne disposent pas toujours d’assez de recul ou d’expérience pour se distancier de ces messages et faire la part des choses.
- Y-a-t-il des moyens efficaces de lutter contre ces actes ?
L’Education, encore et toujours. Les mots, pour apaiser les maux, le mal-être. Pour apporter des réponses et offrir une voie.
Je me suis engagée, pendant ce mandat, pour interdire les Violences Educatives Ordinaires, car la violence n’est jamais éducative. Elle n’apporte jamais de solution. Je suis convaincue que cette loi aura un impact sur le long terme et permettra de vivre une société plus apaisée, à l’image de la Suède près de 40 ans après leur adoption de cette loi.
La prévention de la violence passe nécessairement par un soutien aux parents dans leur devoir d’éducation. Nous ne naissons pas parents, nous le devenons. La parentalité est une aventure extraordinaire, mais elle est aussi une réalité parfois difficile. Aussi, je salue le travail de nombreuses associations en ce sens, telles que StopVEO. J’œuvre pour un engagement encore plus prégnant de l’Etat sur cette question, comme il en était question dans la loi que j’ai portée, et adoptée en juillet 2019.
Il faut aussi, impérativement, former les personnels : Petite enfance, Education nationale, forces de l’ordre, Justice… Chacun à un rôle à jouer dans cette équation de lutte contre la Violence, dès la racine.
Au-delà des actions à mettre en place autour de la Jeunesse, je suis convaincue qu’il y a nécessité à les impliquer dans les processus les concernant. Faisons leur confiance, écoutons leurs inquiétudes, leurs colères, leurs espoirs. Responsabilisons-les, accompagnons-les véritablement à chaque étape de leur vie. Je crois fortement par exemple, au dispositif 1 Jeune – 1 Solution et au SNU pour recréer le lien social et, ainsi, retrouver une Société apaisée.
Les solutions existent déjà. Il faut simplement se donner les moyens de les [faire] appliquer, dès à présent. Car les résultats ne porteront leurs fruits que dans quelques années…
- On entend beaucoup parler de prévention, de sanctions, de punitions plus ou moins sévères. Quelle est votre position ? Que proposez-vous pour améliorer le système actuel ?
Je crois profondément au triptyque suivant :
. Prévention
. Peines alternatives
. Réinsertion.
Toutes les mesures pour prévenir la Violence l’empêchent, par essence, de se développer. C’est réellement un axe sur lequel les politiques publiques doivent se concentrer et pour lequel je m’engage depuis le début de mon mandat.
Lorsqu’une violence est présente, il doit y avoir une sanction, adaptée à l’infraction. D’autres peines que l’enfermement existent, telles que le bracelet électronique, ou le Travail d’Intérêt Général, auxquels je crois beaucoup. Il faut permettre à l’individu qui a enfreint les règles de la Société de comprendre le sens de ses actes, afin qu’il puisse, lorsque cela est possible, réapprendre à faire Société. La prison est nécessaire, je le crois, mais doit être l’ultime recours, notamment pour les crimes de sang et les atteintes à la personne ; ou encore lorsqu’une personne représente une menace constante et flagrante pour la Société.
Enfermer une personne n’est pas un acte anodin : c’est un acte fort, qui a des conséquences sur l’individu que l’on incarcère, et c’est un symbole important pour la Sécurité de nos concitoyens. Il est alors indispensable de mettre en place les moyens humains et financiers pour que cette sanction extrême s’applique dans la dignité. La peine de prison, pour qu’elle soit utile, doit permettre la réinsertion effective après la peine (logement, emploi…). Cela évitera d’autant la récidive.
- La construction de la prison de Noiseau, dans votre circonscription, a été actée il y a quelques mois. Vous êtes régulièrement en contact avec le Garde des Sceaux sur cette question. En quoi cette décision est aujourd’hui nécessaire ?
En compagnie du maire de Noiseau, j’ai eu l’occasion de rencontrer à plusieurs reprises les GDS, Nicole Belloubet, en son temps, puis Eric Dupont-Moretti, ou leurs cabinets. Ils connaissent tous mon combat pour le triptyque dont je viens de vous parler, auquel nous devons œuvrer, à mon sens, pour limiter ou éviter la construction de prisons supplémentaires.
C’est le message que j’ai tenu à transmettre de nouveau au Garde des Sceaux lorsque je l’ai rencontré cette semaine.
Mais nous nous devons aussi d’être pragmatiques :
Face à la montée de la violence et au besoin de Sécurité de nos concitoyens, face à la nécessité de contraindre et d’écarter des individus dangereux, face à une délinquance urbaine galopante, face encore à la nécessité de détenir dans des conditions dignes (NDLR : La France est régulièrement condamnée par la CEDH à ce sujet), nous n’avons pas le choix que d’accueillir des établissements pénitentiaires supplémentaires.
C’est d‘ailleurs un leitmotiv dans certains programmes politiques. (sourire)
Au point que c’est en 2005, sous la Présidence de Jacques Chirac, que la décision d’implanter une prison supplémentaire dans l’est du VDM est actée. Le site sélectionné au départ à La Queue en Brie n’a été abandonné que pour des raisons techniques de pollution des sols. Un projet de centre commercial au même emplacement avait d’ailleurs, lui aussi, été délaissé pour les mêmes raisons.
La décision politique et administrative d’ériger cet établissement sur ce territoire ne faisait guère de doute, et ce depuis 2007. Tout comme un changement de gouvernement ne reviendrait absolument pas sur ce choix ! Il ne faut pas leurrer nos concitoyens.
Dès le début de mon mandat, j’ai accompagné les élus et mes concitoyens pour demander à ce que cette intention ne soit pas concrétisée à Noiseau. Parce que de beaux projets locaux d’aménagement sont en instance sur la commune ; et pour toutes les raisons personnelles que je vous ai indiquées ici.
Cependant, pour en avoir échangé avec la Chancellerie, le projet n’impactera pas ce programme communal.
Dorénavant, je dois donc m’attacher à assurer à mes concitoyens que les nuisances qu’ils craignent avec l’implantation de cet établissement pénitentiaire n’existeront pas. C’est dans cette optique que, en parallèle de mes échanges avec le ministre de la Justice, j’ai pris attache avec son cabinet pour que soient abordées les questions d’urbanisme et de sécurité aux abords du site.
Les Noiséens contribueront à l’effort national d’augmentation du nombre de places de prison. En contrepartie, leur tranquillité, leur sécurité et l’aménagement de leur territoire devront être, coûte que coûte, garantis. Je m’y engage.