Motion de censure : Discours de Philippe Vigier pour le Groupe Démocrate
Retrouvez le discours de Philippe Vigier, Député du Groupe Démocrate (MoDem et Indépendants) à l'Assemblée nationale, lors de l'examen de la motion de censure à l'encontre du Gouvernement d'Elisabeth Borne.
Vous vouliez un débat chers collègues de la Nupes, nous y sommes, et les Députés du Groupe Démocrate y sont prêts aujourd'hui comme ils le seront toujours tout au long de cette législature. Ce débat, vous l'avez provoqué en déposant une motion de censure simplement quelques minutes après le discours de la Première Ministre, parce qu'elle n'avait pas demandé la confiance à l'Assemblée nationale...
Le vote de confiance, s'il est l'usage, n'est pas obligatoire et vous le savez bien. Il paraît important de rappeler à tout le monde que Michel Rocard, que Pierre Bérégovoy, qu'Edith Cresson, mais aussi Maurice Couve de Murville à droite, n'ont pas demandé la confiance à l'Assemblée nationale.
Cette motion de censure, c'était votre droit de la déposer et nous ne le contestons pas. Ce que je conteste, c'est que vous avez dit que la Première Ministre était une anomalie démocratique. Elle a été élue Députée, vous ne pouvez pas dire le contraire, et votre candidat a été défait.
Au préalable, vous reconnaitrez avec moi que la constitution de la Vème République garantit les conditions d'un débat démocratique. D'ailleurs chacun connaît ici les saillies permanentes des Insoumis contre cette constitution, comme le faisait en son temps François Mitterrand, qu'il a pourfendu toute sa vie avant d'en faire un usage teinté de gourmandise et d'habileté quand il était Président de la République... comme quoi le nouveau monde rejoint l'ancien monde.
Mes chers collègues, depuis le 19 juin dernier, tout le monde a dit qu'il avait gagné mais tout le monde a perdu ! Personne ne dispose d'une majorité absolue à l'Assemblée nationale. La majorité présidentielle compte 44% des Députés donc une majorité relative, elle n'a pas eu le résultat de 2017. Votre bloc politique, la Nupes, c'est un quart des Députés de cette hémicycle. Le Rassemblement national, certes a multiplié par dix son nombre de parlementaires, mais n'occupe que 15% de l'hémicycle.
La modestie, me semble-t-il, doit être la règle pour chacun, surtout lorsque l'on voit que les taux d'abstention aux élections législatives et présidentielles n'ont jamais été aussi élevés. Quelle défiance du peuple vis-à-vis des élus et de vous-même !
Nous sommes loin de la situation de 1993, chers collègues de la Nupes, où ils avaient fait malgré la bérézina pour la gauche 800 000 voix de plus que vous. Nous sommes loin de 2007, où sous Nicolas Sarkozy, je me souviens qu'il y avait quand même 227 Parlementaires de gauche, Olivier Faure s'en souvient très bien.
Ces chiffres rappellent que l'on peut toujours, avec beaucoup de talent et beaucoup d'audace, essayer de rendre les défaites victorieuses mais les chiffres sont en toutes lettres comme le disait le regretté Coluche, et ces chiffres sont implacables.
L'utilisation des hologrammes pendant la campagne présidentielle, mes chers collègues de la Nupes, n'est pas possible pour compter les Députés. Une motion de censure, c'est démontrer qu'une alternative politique est possible. Mais vous ne l'incarnez pas, vous n'avez pas la majorité absolue et vous ne pouvez pas faire d'alliance improbable pour y parvenir, d'ailleurs vous n'y croyez pas non plus.
J'ai lu votre motion avec beaucoup d'intérêt, elle est uniquement technique, le plus petit multiple commun vous voyez :
Pas un mot sur la crise sociale liée au pouvoir d'achat. Pas un mot sur la pandémie que nous rencontrons chaque jour. Pas un mot sur le soutien à l'éducation. Pas un mot sur la transition écologique. Pas un mot sur la crise internationale.
Alors si la Première Ministre n'a pas demandé un vote de confiance, même si elle pouvait naturellement compter sur le soutien des trois groupes de la majorité sans atteindre la majorité absolue, je ne crois pas un seul instant que tous les groupes d'opposition que tout oppose si on les écoute, mais beaucoup moins en réalité, ne mélangent leurs votes dans le seul but de faire tomber le Gouvernement. Certains, et ils viennent de le redire à nouveau, avaient d'ailleurs dit avant le discours de la Première Ministre, qu'ils ne voteraient pas cette motion de censure.
Vous avez donc offert un vote de confiance implicite à la Première Ministre !
La situation que nous vivons, dans laquelle personne ne dispose d'une majorité absolue, c'est la volonté du peuple français qui a voulu cet état de fait, qui s'impose à tous. Respectons le peuple qui veut un nouvel équilibre entre exécutif et législatif !
Cette situation politique inédite signe le retour du parlementarisme et conforte l'Assemblée nationale et également le Sénat qui a tout son rôle à jouer. C'est une bonne nouvelle, une belle nouvelle, oui le Parlement est de retour ! Qui ici, à un moment de sa vie de parlementaire, n'a pas fustigé, critiqué, regretté les décisions qui arrivaient d'en haut, ces amendements qui étaient balayés, ces articles réservés, ces secondes délibérations imposées ? Personne !
J'ai connu ce genre de situation avec Nicolas Sarkozy Président, avec François Hollande Président et sous le précédent quinquennat. Le rôle du Parlement, mes chers collègues, va redevenir déterminant et l'exigence pour chacun, Gouvernement et Parlement, c'est de construire ensemble les bonnes décisions, comme vous l'avez dit Madame la Première Ministre.
Les collègues de la Nupes déposent une motion de censure pour démarrer cette législature... mais vous posez un acte de défiance pas simplement au Gouvernement mais au Parlement lui-même ! On n'a pas commencé qu'on a déjà 0 sur 20 ! Vous allez vous isoler parce que vous ne serez pas suivi par les autres groupes politiques.
Les majorités écrasantes conduisent souvent à des formes de dérives, comme on peut le constater aussi dans les collectivités locales. Le pouvoir absolu, Jean-Louis Bourlanges le dirait bien mieux que moi, n'accompagne que très rarement la vitalité démocratique bien au contraire. Chacun va devoir plus accepter et écouter les propositions sans tomber dans les démagogies et idéologies. Si je prenais une image d'alpinisme cher à Eric Woerth, il va falloir ouvrir des voies nouvelles.
La loi devrait être moins bavarde, simple, compréhensible. Arrêtons de légiférer pour un oui ou pour un non. Cessons d'entasser les lois, les règlements, les normes parfois inapplicables, souvent inappliquées ou mal appliquées au dernier kilomètre. Réservons les ordonnances, Madame la Première Ministre, aux urgences absolues.
La co-construction législative, chère à Jean-François Copé pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, ce n'est pas l'affaiblissement de l'exécutif, c'est le gage d'une plus forte réussite de l'action publique et de l'acceptation par nos concitoyens des politiques mises en place. Le peuple nous donne une véritable chance inédite, c'est de rendre le Parlement incontournable.
À chaque Parlementaire, Député, Sénateur, de mesurer la responsabilité nouvelle qui lui incombe désormais.
À chaque Ministre de comprendre que les réponses qu'il doit apporter dans son département ministériel, il devra les imaginer avec les Parlementaires, les élus locaux, chacun à sa place, mais dans le cas d'une synergie renforçatrice.
Alors mes chers collègues, au moment où le Parlement est de retour, après avoir parlé pendant des années de l'affaiblissement du Parlement, saisissons cette chance ! Osons, bâtissons, écrivons dans le respect de nos différences, de nos divergences, les solutions du quotidien. Nous sommes condamnés à nous supporter comme l'a très bien dit Claude Malhuret, le Président du groupe au Sénat.
Les Français n'accepteront pas le chaos, ils sauront parfaitement identifier qui a fait quoi, qui a dit quoi, et qui au final est responsable d'une situation de crise de régime.
Mes chers collègues, croyez-vous que les réponses à apporter pour garantir le pouvoir d'achat des plus fragiles, actifs, et retraités, ne puissent être écrites à plusieurs mains ? En tout cas nous, nous n'attendrons pas la longue marche qui démarre en septembre avec Monsieur Mélenchon.
Croyez-vous que les réponses à apporter face à la pandémie qui est toujours là, et des solutions pour conforter notre système de santé, soient si éloignées entre les uns et les autres ? La réponse est non.
Croyez-vous que les réponses à apporter pour lutter contre le réchauffement climatique, décarboner nos énergies, soient totalement incompatibles entre les uns et les autres ? Je ne le pense pas.
Croyez-vous que les chemins à emprunter pour atteindre le plein emploi, permettre aux entreprises de trouver les salariés qu'ils recherchent, et sortir de la précarité ceux qui y sont depuis trop longtemps, sont des lignes parallèles, c'est-à-dire qui ne se croisent jamais ? Je suis certain que non. Au moment même où je m'exprime, à Versailles avec le salon Choose France, c'est 100 nouveaux projets industriels dans ce pays, et il y en a un cher à mon cœur dans ma circonscription je vous le dis avec émotion.
Mes chers collègues, croyez-vous enfin que la réforme de l'éducation nationale qui s'impose pour redonner une attractivité nouvelle à ces métiers merveilleux de transmission du savoir à nos enfants, à permettre aux enseignants d'être respectés et plus soutenus, n'appelle pas un sursaut d'intelligence collective ? Evidemment que oui !
Croyez-vous enfin que pour permettre à chacun de vivre en sécurité, c'est-à-dire de pouvoir permettre de bénéficier de la première des libertés, une majorité ne pourra pas se constituer pour apporter des réponses fortes et attendues par le plus grand nombre de nos concitoyens ? Là encore, je m'adresse à vous les collègues Insoumis, chacun prendra ses responsabilités, et ultra-minoritaires seront ceux qui considèrent que la Police tue alors qu'elle nous protège.
Mes chers collègues, le travail parlementaire de ces cinq dernières années est émaillé d'exemples qui montrent qu'un chemin est possible.
Le texte de loi sur la fin de vie, proposé par Olivier Falorni, a permis à des Députés de toutes sensibilités de travailler ensemble, nous sommes arrivés au vote et j'imagine que tous ensemble on ira plus loin. La lutte contre les déserts médicaux, je vois Yannick Favennec, je pense à Thierry Benoit, à Guillaume Garot, et les propositions que j'ai déposées, elles sont extrêmement proches. La déconjugalisation de l'Allocation Adulte Handicapé avec Aurélien Pradié, a montré qu'elle était beaucoup plus large qu'un seul groupe parlementaire, et que cette erreur du quinquennat précédent, nous la rattraperons d'ailleurs le Président de la République s'est engagé. Les petites retraites agricoles, Monsieur Peu, votre Président André Chassaigne n'est pas là, mais il me semble que son texte a suscité une adhésion la plus large, oui ou non ? Et enfin, Caroline Fiat, Vice-Présidente de l'Assemblée nationale, qui a fait un rapport sur les EHPAD dont je sais qu'il est partagé par le plus grand nombre et qu'il permettra demain de servir à la Loi sur la dépendance.
Mes chers collègues, ayons ce courage de bâtir les compromis sans compromission. Ces compromis qualifiés d'enrichissement de l'âme ou d'outil de sociabilité par Montesquieu. Le courage comme le disait Sénèque c'est d'agir. C'est parce qu'on n'ose pas que les choses sont difficiles aimait-il à rappeler. Le courage, c'est d'aller à l'idéal et de comprendre le réel.
Les Députés démocrates y sont prêts. Ils seront proposants et exigeants. Ils seront vigilants, notamment en matière de finances publiques, et bienveillants avec l'opposition. Ils seront facilitateurs et acteurs.
Chers collègues de la Nupes, il est donc indispensable de repousser cette motion de censure qui placerait le Parlement devant une forme d'inaction alors que le Parlement a toute sa place, qui conduirait le pays à une crise politique, mais surtout - et le plus grave - tournerait le dos à la volonté du peuple qui s'est exprimé en juin dernier.
C'est la raison pour laquelle, mes chers collègues, le Groupe Démocrate ne votera pas cette motion de censure, persuadé comme Victor Hugo que "rien n'est stupide comme vaincre ; la vraie gloire est convaincre", et je ne désespère pas de vous convaincre.