Sarah El Haïry : "Le SNU, c'est donner des outils aux jeunes qui leur permettront demain de choisir leur chemin"
Yves Derai pour ForbesSarah El Haïry, Secrétaire d'Etat chargée de la Jeunesse et du Service national universel, Vice-Présidente du MoDem, s'est entretenue avec le magazine Forbes pour évoquer son engagement et le développement du SNU. Relire son entretien dans Forbes.
Forbes - Vous partagez avec Gabriel Attal le titre de benjamine du gouvernement puisque vous êtes nés le même jour. Drôle de coïncidence…
C’est vrai : nous partageons ce titre avec chacun une histoire singulière. Je suis franco-marocaine, j’ai fait mes études secondaires à Rabat où j’ai passé le bac. J’ai choisi de m’engager en politique en France, dans ma ville à Nantes, au niveau national en tant que députée, aujourd’hui au sein du gouvernement. Même si j’aime profondément le Maroc, le pays où j’ai grandi. Je ne renie rien de mon histoire.
Vous êtes peinée par les mauvaises relations actuelles entre la France et le Maroc ?
Les liens qui unissent la France et le Maroc sont très forts. Ces deux pays ont des liens qui dépassent les conjonctures politiques. Ce sont d’abord, vous le savez, des liens humains tissés au cours de l’histoire et qui ne cessent de se renforcer. Ce sont aussi des coopérations et des relations riches, diversifiées, dans tous les domaines. Je m’en réjouis, j’y contribue et je continuerai à y contribuer.
Ces liens sont mis à mal ?
Parfois, bien sûr, comme dans une famille ! On se dispute parfois avec les gens qu’on aime mais on ne rompt pas. Des deux côtés de la Méditerranée, les volontés sont là pour veiller à la qualité de notre partenariat et à la proximité entre nos deux pays. J’ai d’ailleurs visité récemment les établissements français au Maroc, j’ai rencontré le ministre de la Défense à la demande de Sébastien Lecornu.
Au poste où vous êtes, le statut de benjamine du gouvernement revêt un sens particulier ?
Très sincèrement, je ne crois pas.
C’est un hasard que la ministre des jeunes soit jeune elle-même ?
Cela a sans doute aidé. Mais je ne pense pas qu’il faille être jeune pour s’occuper des jeunes et âgé pour s’occuper des aînés. Ce qui compte, ce sont les idées, les convictions. La jeunesse est un état transitoire…
Vous avez un devoir d’exemplarité vis-à-vis de cette jeunesse que vous incarnez d’une certaine manière ?
Oui, quand on fait de la politique, on se doit d’être exemplaire et transparent. Il n’y a pas qu’une seule jeunesse mais de multiples. Ma mission, c’est de permettre à chacun de trouver sa place.
Vous êtes inspirante pour la jeunesse ?
On a besoin de preuves que cela peut marcher en France. Souvent, des gens me disent : « ça fait du bien de vous voir, vous entendre. » Cela me donne beaucoup d’énergie. Mais il faut des modèles à hauteur d’homme.
Je crois aux héros du quotidien. Cela peut être un entrepreneur, un prof, un pompier, un parent, etc.
Vous avez une ambition politique ?
Bien sûr. Favoriser un idéal, une France qui n’est pas victimaire, une France du travail qui ne coupe pas les ailes de l’espérance. J’ai créé ma première entreprise à 18 ans. Ça n’a pas marché mais j’ai créé ensuite des associations puis je suis entrée en politique, à mes frais. J’ai perdu au début, j’ai recommencé une fois, deux fois…
Il y a un poste qui vous attire, où vous pourriez être utile ?
Dans ma ville peut-être… Je suis au conseil municipal de Nantes et cela me fait de la peine de voir ma ville dégringoler dans les classements, prise en étau sur des questions de sécurité. Je veux qu’elle retrouve sa gloire. Donc oui, il y aura un combat nantais. Mais attention, le projet ne veut pas forcément dire le mandat.
D’une certaine manière, vous représentez la diversité au sein du gouvernement. N’est-il pas temps qu’une personnalité qui en est issue soit nommée à Matignon ?
Je ne suis pas favorable au quota. J’espère que les Français me regardent comme une militante, comme quelqu’un qui porte des convictions, des projets et qui les met en œuvre. On ne choisit pas un Premier ministre en fonction de ses origines.
Qu’avez-vous ressenti quand Rachida Dati a été nommée ministre de la Justice en 2007 ?
J’avais 18 ans, je soutenais Nicolas Sarkozy et elle était inspirante, c’est vrai. Elle vient, comme moi, du Maroc, sa maman ressemble à ma grand-mère. J’ai aimé son caractère conquérant et elle n’a pas démérité à son poste.
Votre grande réforme, c’est le Service national universel (SNU). Vous dites souvent qu’il servira la cohésion nationale, les valeurs de la République, la transition écologique, etc. Mais vous ne parlez pas de l’entreprise… Ça n’est pas le sujet du SNU ?
Mais si ! Quand je fais faire de l’éducation financière avec la Banque de France via le SNU, par exemple, on prépare les citoyens à être en capacité de gérer eux-mêmes un budget. La mobilité est un frein important à l’emploi, le SNU amènera des jeunes gens à avoir une première mobilité.
Il permettra aussi à ces adolescents de rencontrer des gens qui ne leur ressemblent pas : c’est une problématique du monde du travail. Je ne décorrèle pas la vie citoyenne de la vie de l’entreprise.
Vous trouvez qu’il y a trop d’individualisme dans notre société ?
Oui. Et des engagements collectifs et structurés qui régressent, notamment dans nos associations. 60 % des jeunes disent : « Je n’irai pas travailler pour l’entreprise X ou Y parce qu’elle ne respecte pas mes valeurs. » Cette conscientisation des grands enjeux est utile, mais je veux leur dire : entrez dans les entreprises et transformez-les, défendez vos valeurs, soyez dans l’action. Nous sommes dans une phase de rupture avec la fin de la paix en Europe, de risques terroristes, de changement climatique qui provoque des catastrophes… Face à cela, il faut outiller les jeunes pour qu’ils prennent ces problèmes à bras-le-corps plutôt que de les subir. C’est ça, le SNU, des outils qui leur permettront demain de choisir leur chemin.
Vous avez le sentiment qu’Emmanuel Macron a été fidèle à ses promesses de campagne vis-à-vis de la jeunesse qu’il avait annoncée comme une priorité ?
Oui, bien sûr. Nous n’avons pas fait que parler, nous avons agi.
Le dispositif « Un jeune, une solution ? » 12 milliards d’euros investis. Le budget de l’Éducation nationale ? Premier budget du gouvernement. Le contrat d’engagement jeunes pour les décrocheurs ? 300 000 personnes. L’apprentissage ? Un investissement colossal car nous pensons que le travail émancipe. On peut aussi parler de la précarité menstruelle, du pass culture, etc.
Vous n’avez pas parlé de ces jeunes qui créent des start-up donc des emplois, lèvent des fonds, parfois rêvent de faire fortune. Ils vous intéressent moins ?
Pas du tout. Quand un jeune entreprend, il faut l’accompagner, qu’il crée une start-up ou reprenne une boucherie.
Emmanuel Macron a mieux soutenu les start-uppeurs que les bouchers ou boulangers, non ?
Non. On s’occupe des start-up pour qu’elles deviennent licornes grâce à des dispositifs efficaces et un cadre fiscal stable. Mais on soutient aussi la reprise de TPE et PME. C’est la France qui entreprend.
Vous craignez la vague ChatGPT ?
Non. On n’aborde pas la technologie en la combattant. Il faut former nos jeunes à l’IA et leur apprendre à poser les bonnes questions à ChatGPT, à se servir de cet outil formidable qui ne remplace pas l’intelligence humaine. Nier le développement de l’IA dans nos vies, c’est prendre le risque d’accuser un retard énorme. Pourquoi les jeunes Français seraient les seuls à se priver du potentiel de l’IA ?
À votre niveau, vous vous en servez ?
Oui, cela m’arrive. Je lui ai posé toutes sortes de questions et même une sur le SNU. Par gourmandise intellectuelle. Il était positif ! ChatGPT, c’est comme les réseaux sociaux, tout dépend de ce qu’on en fait.
Vous n’êtes d’ailleurs pas épargnée sur les réseaux sociaux. Cela vous atteint ?
J’essaye de ne pas lire car je sais que Twitter n’est pas la vraie vie. Mais quand ma famille ou ma compagne sont touchées, oui, ça me fait de la peine. Mais j’ai fait ce choix de l’action publique.
Votre interview paraîtra dans notre numéro annuel où l’on publie le classement des milliardaires français. On a souvent dit qu’Emmanuel Macron était le « président des riches ». Vous le prenez comme une injure ?
Il est le président de tous les Français. Et je ne condamne pas les jeunes qui rêvent de s’enrichir pour mieux vivre. Un pays n’est jamais fort lorsqu’il se jalouse. Avoir des milliardaires dans un pays, c’est un signe de bonne santé économique. Cela permet aussi d’investir, de s’engager, de créer des emplois. Je crois en une économie qui crée de la valeur. Je suis, par ailleurs, très engagée sur la philanthropie et le mécénat. Des personnes très fortunées soutiennent la science, l’art, la médecine, la protection de l’environnement, l’égalité femmes-hommes…
La fortune n’est donc pas indécente ?
Non, si on participe à un projet commun.
Les milliardaires ont une responsabilité vis-à-vis de la société par une solidarité consentie, au-delà des impôts qui est la solidarité contrainte.
Quand je vois un Xavier Niel qui crée des écoles, des fondations qui facilitent l’accès à l’art contemporain et soutiennent la création ou la restauration du patrimoine, je m’en réjouis.
Si Bernard Arnault devenait l’homme le plus riche du monde, vous en seriez fière ?
Moi, je suis patriote de chez patriote ! Je veux voir la France en haut de tous les classements, je voulais la troisième étoile sur notre maillot à la coupe du monde, j’aime quand les Français sont les meilleurs dans toutes les disciplines.