Sarah El Haïry : "Les combats pour le climat et pour la biodiversité sont des combats jumeaux"
Irène Inchauspé pour L'OpinionPour L'Opinion, notre Secrétaire d'État à la Biodiversité, Sarah El Haïry, revient sur la stratégie nationale biodiversité 2030 alors que la COP28 s'est ouverte à Dubaï, le 30 novembre, en présence du Président de la République.
L'Opinion : « La biodiversité, tout le monde s'en fiche », avait dit Nicolas Hulot il y a cinq ans. Où en est-on aujourd'hui?
Sarah El Haïry : La biodiversité est aujourd'hui un angle mort pour beaucoup d'acteurs. Pourtant, tout dépend de la biodiversité.
Dans le fond, la préservation de la nature est la condition nécessaire pour réussir toutes les transitions.
Mon job, c'est de montrer au monde économique et à tous les acteurs qu'il n'y a pas de souveraineté possible sans une nature en bonne santé. S'assurer de cela, c'est le chantier du siècle.
Pour mesurer l'efficacité de notre action pour la biodiversité, nous ne disposons pas d'un indicateur unique comme pour le climat avec la tonne équivalent carbone. Beaucoup disent que si cela ne rentre pas dans un tableau Excel, cela n'existe pas. Je ne suis pas une fétichiste de cette méthode et je ne cours pas derrière un indicateur unique. Il y en a plusieurs.
J'ai construit la Stratégie nationale Biodiversité 2030 comme un plan d'action concret avec des indicateurs, des trajectoires, dont je rendrai compte tous les ans devant le Comité national de la biodiversité. J'ai besoin aussi des collectivités locales et du monde associatif. Cela nous permettra de corriger notre action si besoin et de ne pas attendre 2030 pour le faire.
Les entreprises sont-elles conscientes de ces enjeux ?
J'ai réuni le 29 novembre 200 entreprises pour engager la mobilisation des acteurs économiques en faveur de la biodiversité.
Les entreprises doivent prendre en compte les risques liés à l'effondrement du vivant, mesurer leur dépendance aux services écosystémiques rendus gratuitement par la nature et identifier les leviers d'action pour y répondre.
Certaines sont déjà dans cette démarche. Michelin investit sur le caoutchouc naturel, Petit Bateau réduit l'utilisation de l'eau sur ses sites de fabrication, L'Oréal s'engage pour tous ses cosmétiques à une production durable.
D'autres, en particulier dans les services, pensent ne rien avoir à faire avec la nature, c'est faux! Par exemple, 75% des prêts bancaires européens sont liés à des activités qui dépendent de la nature. Si le vivant s'effondre, ce sera une catastrophe pour les acteurs financiers. Nous savons par exemple que la sécheresse provoque des fissures dans beaucoup de maisons, ce coût direct est lié aux bouleversements environnementaux sur notre territoire avec des sécheresses plus fréquentes et plus intenses.
Tout ce qui peut être fait pour prévenir ce problème aura une conséquence sur la vie des gens, et donc pour les assureurs.
Comment s'assurer que la nouvelle stratégie soit plus efficace que la précédente ?
L'une des forces de cette stratégie, c'est d'avoir une gouvernance inédite, grâce notamment à l'appui du secrétariat général à la planification écologique (SGPE), qui a la puissance de frappe de Matignon et permet d'avancer sur plusieurs secteurs en même temps.
Le ministère de la Biodiversité n'est pas seul et « face à ». Nous travaillons avec les ministères de l'Industrie, de l'Agriculture, de la Transition énergétique, de l'Éducation.
Notre stratégie fait partie de la planification écologique pilotée par la Première ministre. Cela me permet de rappeler que les combats pour le climat et pour la biodiversité sont des combats jumeaux. Cette organisation permet aussi de mettre « du vent dans les voiles » comme disent les marins.
Avez-vous les moyens de réduire les subventions néfastes à la biodiversité dont une bonne partie va à l'agriculture?
Je reconnais que le sujet n'est pas simple pour le monde agricole, mais les agriculteurs sont les premiers témoins et les premières victimes de l'effondrement du vivant. Nous bénéficions de 10 milliards d'euros de hausse du budget de l'écologie pour 2024.
Avec la nouvelle politique agricole commune, entrée en vigueur cette année, nous commençons à réorienter les financements pour mieux prendre en compte la biodiversité, avec l'écorégime. Ce n'est pas que de l'argent français, ces sommes comprennent notamment des subventions européennes.
Mon objectif, sur ce sujet essentiel, ce n'est pas de priver la France ou les agriculteurs de ces aides, mais de les réorienter.
Pour cela, nous allons travailler avec les services d'inspection de mon ministère, mais aussi ceux de l'Économie et de l'Agriculture. Il s'agit de voir, dans la Politique agricole commune, quels sont les piliers qui permettent d'accompagner des politiques plus durables, une soutenabilité profitable alors qu'on va réduire l'utilisation des produits phytosanitaires de moitié d'ici à 2030.
Le Loto de la biodiversité « permet de financer nos actions en la matière », a assuré le chef de l'État. Qu'en pensez-vous ?
En réalité, ce jeu a donné lieu à un débat sur la biodiversité. Est-ce que sa place est dans les cafés, les PMU? Bien sûr!
Il faut que la nature soit partout afin de sensibiliser et mobiliser le plus grand nombre. Nous visons 14 millions de billets vendus.
Si chacune des personnes qui en achète un flashe le QR code en bas du ticket et découvre la richesse de la biodiversité française, nous aurons gagné notre pari. Ce jeu rapportera 6 millions d'euros pour aider au financement de 20 projets en faveur de la nature.
Dans le même temps, le budget en faveur de la biodiversité augmente de 1,2 milliard d'euros dès 2024, c'est historique! Nous n'avons jamais eu autant de moyens financiers, ni autant de recrutements: 140 personnes pour soutenir la biodiversité dans nos services et chez nos opérateurs, alors que cela fait plus de vingt ans que ce ministère perd des agents.
Cela traduit une énorme volonté politique: 1,2 milliard de budget supplémentaire, une gouvernance avec le SGPE et le recrutement de personnes pour mettre directement en place les décisions, les planètes sont alignées!