Sarah El Haïry : "Ma mission, protéger nos enfants"
En visite dans l’Hérault ce jeudi 11 avril pour présenter le pass colo, notre ministre de l'Enfance, de la Jeunesse et des Familles Sarah El Haïry a accordé un long entretien à Midi Libre.
Crèche, congés de naissance : "un rendez-vous historique"
"Si l'école est la mère des batailles, la petite enfance en est la grand-mère, tant on peut accumuler les inégalités entre 0 et 3 ans". Or, la ministre ne peut que l'admettre : avec quatre enfants de moins de 3 ans sur dix qui ne peuvent être accueillis dans une structure de garde et alors que 300 000 assistantes maternelles vont partir à la retraite d'ici 2030 "quand il en manque 200 000 déjà" , de grands chantiers sont ouverts.
"On a donc lancé le service public de la petite enfance qui va donner aux mairies, dès le 1er janvier 2025, la capacité d'être l'autorité organisatrice de l'accueil du jeune enfant, un enjeu sur lequel l'État sera au rendez-vous avec un investissement historique de 6 milliards d'euros", rappelle Sarah El Haïry. Elle ajoute : "Mais ce n'est pas qu'une question de place, il faut aussi rendre les métiers de la crèche et celui d'assistante maternelle plus attractifs. Une de mes premières décisions a été d'augmenter les salaires avec une enveloppe de 250 M€, soit 150 € net en moyenne. Nous allons aussi changer le regard sur ces professions avec une campagne d'information pour montrer que ce n'est pas juste changer des couches mais c'est aussi et surtout participer à l'éveil de l'enfant.
J'ai encore lancé une grande opération nationale de contrôle, dans le privé – pour éviter un “Orpea des crèches” – mais aussi dans l'associatif et le public, car le statut ne fait pas vertu. Pour protéger ce qu'on a de plus précieux, mais aussi parce que si les conditions de travail ne sont pas bonnes, les professionnels s'en vont. Il faut d'ailleurs pouvoir créer des passerelles"
Environ 60 % des enfants n'étant pas gardés en collectif, la ministre dit aussi travailler sur le développement des crèches familiales et maisons d'assistantes maternelles par une aide à leur financement. "Nous allons aussi sécuriser leurs revenus en sécurisant jusqu'à trois mois de salaire en cas d'impayé de l'un des employeurs. Et pour permettre aux parents d'avoir la liberté sur le choix de mode de garde, dès l'an prochain, nous allons aligner le reste à charge, pour qu'il n'y ait plus de différence entre crèche et assistantes maternelles", déroule encore la ministre.
Ces décisions vont dans le sens du réarmement démographique voulu par le Président de la République, puisque " la difficulté de garde d'enfant est le premier frein". Autre outil, le congé de naissance, "un nouveau droit historique, pour donner au couple la liberté de prendre du temps pour les premiers mois de son enfants". "Plusieurs centaines de millions d'euros" y seront consacrées, même si les modalités de temps, de partage et d'indemnisation sont encore en discussion. "Elle sera proportionnelle au salaire", précise Mme El Haïry, rappelant que le congé parental qui va jusqu'aux 3 ans de l'enfant, "avec 448 € par mois" ne séduit plus les parents – on en compte 250 000 par an, contre 500 000 jadis. "Mais on donnera la liberté de choix".
Pour le congé parental, la ministre appelle les entreprises "à être au rendez-vous et de prendre leur part pour permettre aux salariés de conserver 100 % de leurs revenus. Il est temps de changer les regards, de mettre en place des politiques familiales au sein même des entreprises et pas que des grands groupes."
L'affaire Samara, la violence et le harcèlement.
Sarah El Haïry réagit à l'affaire Samara, cette adolescente Montpelliéraine passée à tabac à proximité de son collège et plus globalement sur la question des violences et du harcèlement en milieu scolaire.
Je pense à cette jeune fille qui s'est retrouvée à l'hôpital, j'espère qu'elle se rétablit. Il est nécessaire de regarder en face ce qui se passe dans notre jeunesse : oui, il y a une montée de la violence. Elle prend plusieurs formes et elle est accentuée par l'impact des réseaux sociaux, le monde du numérique et le monde réel se confondent, ces violences s'enchaînent et s'entraînent. Nous avons eu des réponses très fermes.
On ne peut pas entrer dans le cas particulier de Samara car il y a une procédure de justice en cours, mais les inspecteurs, mandatés par la ministre de l'Éducation nationale, sont venus immédiatement, la justice a été saisie, il y a eu des mises en examen et l'éloignement des trois personnes prononcé, y compris de l'établissement scolaire pour que la rentrée soit la plus sereine possible.
Ce qu'il y a de nouveau, c'est la réponse massive et immédiate. Il n'y a plus le « pas de vague ». Nous n'avons pas de tabou, le harcèlement scolaire est un fléau. Nous avons aussi besoin d'accompagner les parents pour qu'ils puissent détecter ce qui se passe pour leurs enfants, parce que la parole n'est parfois pas facile à la maison. Quand, malheureusement, il n'y a pas de contrôle parental sur le téléphone, que l'on ne sait pas qu'ils sont sur telle ou telle application, on ne prend pas conscience de ce qui peut se passer en dehors de l'établissement scolaire".
N'est-ce pas le signe d'un recul de l'autorité ? L'autorité est bousculée partout, y compris à la maison. L'État est fort et ferme aux côtés des parents qui le souhaitent. Elle est bousculée partout parce qu'il y a deux aimants dans notre société : un républicain, qui est de s'émanciper par le travail. L'autre, ce sont les contre-modèles, l'oisiveté c'est la mère de tous les vices : ces jeunes ne font rien et il y a les réseaux de trafiquants de drogue et puis parfois une radicalisation, l'islamisme politique radical essaye d'embarquer nos gamins. Plus la République sera présente, plus notre modèle sera fort."
Mais ne faudrait-il pas punir les parents des enfants impliqués dans les violences ? Mais c'est déjà le cas. On a l'impression que quand un jeune fait une bêtise, parce qu'il est mineur, il a une immunité et ses parents avec. Pas du tout, la justice peut rechercher la responsabilité civile des parents. Et ceux qui ne sont plus au rendez-vous, par exemple les pères qui ne sont plus dans le paysage, on saura les rappeler à leurs responsabilités.
S'agissant des jeunes, on verra à quel point il faut prendre des mesures éducatives plus fortes, voir plus fermes. Je crois énormément aux internats. Parce qu'il n'y a pas de reste à charge, on a mis l'argent sur la table pour permettre que le coût ne soit pas un frein pour les familles. Par ailleurs, la question de la sanction financière du jeune lui-même devra se poser. Je sais qu'elle fonctionne, je pense en particulier aux rodéos urbains, on saisit le véhicule, la moto, on tape au portefeuille et ça marche. Mais c'est au juge de décider."
Son homosexualité, sa PMA, "une belle loi d'égalité" et la GPA
Première ministre française en poste à avoir révélé son homosexualité Sarah El Haïry a également assumé avoir eu un enfant par PMA (procréation médicalement assistée). Une décision qui lui a été reprochée mais qu'elle ne regrette pas. " Je suis engagée en politique depuis l'âge de 18 ans, j'avais toujours pensé qu'il fallait garder ma vie privée loin de ma vie publique. J'ai parlé de ma situation personnelle assez tardivement parce que je vois, dans notre pays encore, des jeunes qui meurent de se taire.
Des familles rejettent encore leurs enfants en apprenant qu'ils sont homosexuels. Ca évolue mais ça peut encore être très violent. En devenant maman, je ne voulais pas que ça devienne un sujet d'incompréhension ou de rejet pour ma fille quand elle ira à l'école.
Je viens d'une famille marocaine où le sujet est peut-être encore plus tabou qu'ailleurs mais j'avais besoin de leur dire que j'aimais une femme et que j'allais avoir un enfant avec elle."
La ministre a bénéficié d'une PMA, la loi relative à la bioéthique l'ayant élargi à toutes les femmes en 2021. " C'est une loi d'égalité. La PMA, c'est dur, ça ne marche pas au premier coup, c'est un parcours très difficile avec, quand cela fonctionne, un merveilleux bonheur au bout.
Avant que la loi n'existe, le chéquier faisait la différence. Il fallait avoir les moyens de partir à l'étranger. En restant en France, les femmes étaient obligées de mentir, de se présenter avec un compagnon qui ne l'était pas. Surtout cette loi permet de ne pas avoir à adopter son propre enfant. Là encore, les démarches étaient longues, compliquées et douloureuses."
Pour autant, la ministre reconnaît qu'il reste du chemin, " il faut qu'on arrive à mieux répartir les gamètes entre les territoires pour lutter contre les inégalités, la conservation ovocytaire doit également être améliorée et, encore une fois, il faut convaincre les entreprises d'accompagner leurs salariées lorsqu'elles entament cette démarche."
En ce qui concerne la GPA (gestation pour autrui), elle reste dans l'expectative. "Je ne pense pas qu'une loi arrivera dans l'immédiat, mais il faut absolument protéger et accompagner les enfants qui sont nés par GPA. J'en connais et ils vont très bien. Le débat devra être posé mais sans la moindre instrumentalisation."
Les enfants et les écrans : "Le défi du siècle"
Entre 12 ans et 17 ans, un adolescent sur quatre passe de 22 heures à 35 heures sur un écran pendant la semaine. Faut-il régler l'accès des adolescents à Facebook, Twitter, Tik Tok… ? "Les experts chargés par Emmanuel Macron de faire des propositions sur l'utilisation des écrans rendront leur rapport dans un mois, fin avril, début mai. J'ai l'habitude de ne pas présager de ce qui sera annoncé, mais je peux vous dire que la question des écrans est aujourd'hui un des défis du siècle.
Chez les zéro-trois ans, on pourrait craindre un drame quasiment sanitaire. Les écrans amèneraient à un retard de développement, impacteraient les capacités d'apprentissage, seraient impliqués dans les troubles du spectre autistique…
C'est difficile aussi quand on a une fratrie : on fait comment pour choisir le bon contenu, permettre à l'un et pas à l'autre ? Quand autorise-t-on le téléphone, à l'entrée en 6e ? Quelle attitude faut-il adopter avec les adolescents ? Chez eux, le sujet, c'est Fortnite, les jeux vidéo, et les risques que l'écran fait peser sur le sommeil, l'obésité, la violence, la concentration…
Je crois que le temps est arrivé de donner des outils. Une grande campagne d'information des parents est nécessaire. Mais je ne jette pas la pierre aux parents parce que je sais à quel point c'est difficile, et il ne faut pas non plus culpabiliser un parent parce qu'il met Tchoupi sur le téléphone à son gamin dans un train. Il y a des parents qui savent que ce n'est pas très bien mais qui ne connaissent pas les alternatives. J'ai envie de les déculpabiliser, chacun fait comme il peut. On n'a pas assez posé la question de “Qu'est-ce que je fais à la place ?"
Accompagner les parents à l'utilisation des écrans c'est aussi leur dire “On n'a pas attendu pour agir”. Depuis 2017, on a fait une loi pour rendre obligatoire le contrôle parental dans les téléphones portables. Sauf que quand tu es parent et que tu ne sais pas comment l'activer, c'est difficile.
On a aussi saisi les plateformes sur leur responsabilité sur la question de la majorité numérique des enfants. Ce sont des outils juridiques. Comment fait-on maintenant pour transformer ça de manière opérationnelle dans la vraie vie ? Comment activer les contrôles parentaux ? Trouver des alternatives à l'utilisation des écrans qui peuvent être le sport, du contenu partagé, du contenu positif… ? Ne pas diaboliser mais réguler, le contenu et l'utilisation ?"
Faut-il inventer un code de la route numérique ? "Oui" , répond la ministre. " Il faut apprendre. Pour ça, il ne faut pas être dans l'injonction, les parents en ont beaucoup. Il faut encore donner de la formation car il y a des parents qui ne savent pas à quel point c'est potentiellement dramatique. Quelle que soit notre classe sociale, quelle que soit la composition de notre famille, on peut tous avoir besoin d'aide sur la question des écrans.
Un parent sur deux dit aujourd'hui qu'il est inquiet, face aux conséquences du cyberharcèlement, sur des outils qu'il ne sait pas utiliser, et qu'il est dépassé. Il n'y a pas d'injonction de l'État, il y a de l'accompagnement et de la formation. Je suis, par exemple, extrêmement favorable à la pause numérique à l'école. Poser le téléphone dans un casier à l'entrée d'un établissement et le récupérer à la sortie est une excellente mesure."
"En Occitanie, le lycée de Sommières expérimente la pause déconnectée. Les lycéens laissent le téléphone dans un casier. On a complété ça par l'achat de jeux, et l'effet sur le climat scolaire est net", indique la rectrice Sophie Béjean. J'y suis extrêmement favorable " précise Sarah El Haïry. "L'école, c'est un sanctuaire. On doit mettre en dehors tout ce qui porte le trouble. Et aujourd'hui, malheureusement, le téléphone apporte le trouble".
Le Pass Colo accessible à 80 % des familles
C'est à La Grande-Motte que la ministre chargée de l'Enfance, de la Jeunesse et des Familles, Sarah El Haïry, est venue présenter le Pass Colo, nouveau dispositif à destination des enfants de 11 ans, qui permet de financer une grande partie d'un séjour en colonie de vacances. "C'est 200 à 350 €, sur un coût moyen de 500 €. Ce droit est accessible à 80 % des familles, selon les revenus des parents. C'est la promesse de construire des souvenirs communs, de donner le goût de la nature, du faire, de la curiosité de l'autre", résume la ministre. Qui veut même faire de la “colo” la première étape d'un parcours de l'engagement, qui passerait ensuite par "le SNU, le service civique" et ainsi "reconstruire la cohésion dans une génération fracturée " L'occasion, pour Midi Libre, d'aborder avec elle de nombreux dossiers dont elle a la charge.
Santé mentale des enfants et des adolescents : "Pour être heureux, il faut du lien social"
Les études se succèdent sur l'état de santé mentale des enfants, un adolescent sur sept présente de graves risques de dépression selon Santé publique France, les filles vont moins bien que les garçons… Alors que le Premier ministre Gabriel Attal vient de toiletter le dispositif “Mon soutien psy”, lancé en février 2022, suffit-il d'aller voir un psy pour aller mieux ? Non" , répond Sarah El Haïry.
Les pré-adolescents et les adolescents d'aujourd'hui ont connu le Covid, ils vivent avec de l'information en continu, avec l'arrivée du numérique à une puissance folle à une période où on ne sait pas très bien l'accompagner et le réguler… nos adolescents vivent dans une période où il y a beaucoup d'anxiété et plein de nouveaux défis. Pour répondre à ça, la médicalisation à 100 % n'est pas la réponse. Mais il faut être à la hauteur. c'est pour ça qu'on a fait “Mon soutien psy”, qu'on a assumé de voir que ça ne marchait pas très bien et qu'on a rehaussé le remboursement, qu'on a enlevé la nécessité d'une ordonnance…
On a brisé le tabou de la santé mentale. Tout n'est pas médical. Le goût du collectif a changé. L'engagement dans l'associatif est ébranlé. Pour être heureux il faut avoir du lien social, des passions, il faut avoir confiance en soi. Tout ça se construit dès le plus jeune âge. C'est pour ça qu'on remet les classes découvertes et les classes de neige pour les petits, le pass colos l'année des 11 ans, le service national universel, le soutien des jeunes sapeurs pompiers, le service civique… chacun de nos enfants a une place, on a besoin d'eux pas devant un écran mais dans la société. Et la question financière n'est pas un frein".
(...)
Sur la politique
Ministre coiffée d'une triple casquette, Sarah El Haïry n'a pas hésité quand nous lui avons demandé si elle redoutait des arbitrages budgétaires en sa défaveur, pour raisons d'économies obligatoires en raison du déficit public : "Je suis presque la meilleure ennemie du déficit budgétaire. Parce que ce déficit c'est l'héritage de nos enfants. Et ma mission, c'est de protéger nos enfants, nos petits-enfants. Or, tout ce que l'on ne fait pas aujourd'hui, on va leur donner en héritage. Et si on veut leur donner la chance d'avoir un pays à peu près souverain, de ne pas avoir à subir des augmentations d'impôts lourds et d'avoir un peu de libertés, c'est à nous de faire le job. C'est dur. Mais c'est être responsable que de faire ces économies.
Et il n'y a pas de fantasmes à avoir, ça ne sera pas fait à l'aveugle, il y a des priorités : l'école et la santé, qui sont ensemble la mère des batailles, et, de fait, la grand-mère de toutes les batailles, la petite enfance, où se jouent tant de choses pour plus tard bien grandir. L'argent est rare, donc il faut que ce soit efficace. Et je n'ai pas peur de faire des économies, bien sûr que c'est nécessaire, mais comme on le fait dans la vie de tous les jours."
Et la ministre d'assurer : "J'ai enlevé cent millions d'euros sur le service civique, ça ne touchera aucun jeune, ni le nombre de missions, ni leur durée, ni l'indemnité des jeunes. Parce que ces cent millions se trouveraient dans la trésorerie de l'agence du service civique, et qu'il s'agissait du trop-plein du plan de relance, où nous avions été très généreux".