Témoignage de Didier Leroux, adhérent MoDem de Nouvelle Calédonie
Didier Leroux, adhérent de notre mouvement territorial de Nouvelle Calédonie, nous livre son analyse et ses sentiments partagés sur la situation dans son île. Elle est depuis plusieurs jours victime de violences, des pillages, d’émeutes et des affrontements entre les pour et contre la réforme constitutionnelle sur son corps électoral.
L'Accord de Nouméa, signé en 1998 entre indépendantistes et loyalistes, prévoyait une limitation du corps électoral pour les élections provinciales qui permettent d'élire les représentants aux trois assemblées de province et au Congrès. Pour pouvoir participer à ces élections, il fallait justifier de 10 ans de présence au jour du scrutin.
Mais tout change en 2007 où, sans solliciter l'accord des signataires, ni du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, l'État décide de geler ce corps électoral : ne pourraient voter aux élections que les personnes provinciales arrivées avant 1998. Avec cette nouvelle règle, on estime aujourd'hui à environ 40.000 personnes exclues alors que durablement installées en Nouvelle-Calédonie, qui y travaillent, qui y paient des impôts... C’est un électeur sur cinq qui ne peut pas voter ! Malgré ces restrictions, une majorité de Calédoniens a exprimé par trois référendums successifs sa volonté de rester en France.
Ce que propose l'État aujourd'hui, c'est un retour aux « 10 ans glissants » prévus pas les dispositions initiales de l'Accord de Nouméa, aussi appelé « dégel du corps électoral ». Les indépendantistes craignent que l'élargissement du corps électoral ne leur fasse perdre la majorité au Congrès et au gouvernement, ils sont donc radicalement opposés à cette mesure.
Au cours des trois campagnes référendaires, on avait déjà entendu énormément de fausses informations de la part des partisans de l'indépendance. Le résultat de ces campagnes a été marqué par une fracture de plus en plus grande dans la population entre les tenants de l'indépendance et les partisans du maintien dans la France. L'élargissement du corps électoral prévu par le gouvernement a fait l'objet d'une campagne démagogique intense auprès des populations kanak et d'un appel à la mobilisation des jeunes. On a même entendu que le vote de cet élargissement signifiait « la mort du peuple kanak » !
Depuis le début de la semaine, Nouméa est à feu et à sang, des entreprises et des habitations sont incendiées, des magasins sont pillés et la haine s'est installée dans le cœur des uns comme des autres.
Les propos se sont radicalisés, chacun se concentrant sur la partie la plus extrémiste de ses partisans. Il est évident que les non-indépendantistes ne peuvent pas faire comme si les kanak n'existaient pas, mais il est également tout à fait évident que les indépendantistes (quelle que soit la sympathie que l'on puisse avoir pour leur cause) ne peuvent pas faire comme si les autres n'existaient pas. On ne répare pas une injustice en créant une autre injustice...
Gaulliste par tradition, en tant que centriste, j'ai toujours eu une approche modérée de la situation. Arrivé en Nouvelle-Calédonie en 1970, j'ai constaté qu'il y avait en fait deux pays : un pays sous développé, avec l'intérieur et les mélanésiens dans leurs tribus, le plus souvent sans électricité, sans adduction d'eau potable, sans revenus véritables. Et un pays en voie de développement avec tous les autres. Il m'a paru évident que ça ne pouvait pas rester comme ça.
À la suite des accords de Matignon en 1988 et de Nouméa dix ans plus tard, une politique de rééquilibrage a été mise en place, et elle a porté ses fruits.
De nombreux kanak ont pu se former et accéder aux responsabilités. Mon sentiment c'est que des compétences importantes qui relevaient de l'État ont été transférées à la Nouvelle-Calédonie et aux Provinces. Les indépendantistes avaient exigé ces transferts par pur dogmatisme politique sans vraiment se préoccuper de savoir si nous avions sur place suffisamment de gens compétents pour les exercer.
Il manquait cependant à cet accord une clause prévoyant que les signataires se reverraient tous les trois ou quatre ans pour tenir compte de l'évolution de la population dans les trois provinces. Or, ses dispositions sont restées inchangées alors que la population de la Province Sud a beaucoup augmenté, pendant que celle des Provinces Nord et Iles diminuait, ce qui aurait nécessité un ajustement régulier des ressources qui leur étaient attribuées.
Mon sentiment est qu'aujourd'hui il est nécessaire de rééquilibrer le rééquilibrage. Il faut revenir à des dispositions permettant aux personnes durablement implantées en Nouvelle-Calédonie de voter pour désigner leurs représentants. Il ne s'agit ni plus ni moins que de reprendre les dispositions initiales de l'Accord de Nouméa que les indépendantistes avaient acceptées.
C'est l'objet de la loi constitutionnelle à laquelle ils s'opposent aujourd'hui violemment dans le bruit, les flammes et la fureur. Je suis partagé entre tristesse, colère et inquiétude...
Tristesse de voir les communautés se déchirer, le racisme exploser des deux côtés et la haine s'installer. Tristesse de voir le destin commun heureux et paisible auquel je croyais, voler en éclats. Je souhaite que l'on soit capables de se pardonner, mais les dégâts sont immenses. Malgré toute la bienveillance dont je suis capable, aujourd'hui « j'ai les boules » !
Colère de voir comment une poignée d'agitateurs ont réussi à embrigader des jeunes, souvent des gamins, et à les organiser pour qu'ils aillent piller et mettre le feu aux entreprises.
Inquiétude car les propos entendus et les méthodes employées par les indépendantistes me laissent penser que s'ils arrivaient à leurs fins, le pays indépendant auquel ils aspirent ne serait pas une démocratie mais une triste dictature.