UR 2022 : discours d'ouverture de François Bayrou
Retrouvez ci-dessous le discours d'ouverture de François Bayrou à l'Université de rentrée 2022.
Seul le prononcé fait foi.
Je suis très heureux de vous retrouver. Nous venons de voir un caléidoscope d'images de ces journées d'Université de rentrée avec de très jolies images et, en particulier, une très émouvante. Je veux donc simplement vous dire que nous sommes profondément heureux de nous retrouver à Guidel.
Cette année, nous avons initié une formule que je crois très prometteuse, très intéressante, qui est d'articuler directement les Journées parlementaires de notre mouvement avec l'Université de rentrée.
C'est une formule que j'ai dans la tête depuis très longtemps, car c'est la formule même des grands partis politiques britanniques qui, tous les ans, organisent un congrès réunissant Parlementaires, militants et responsables du mouvement et, comme vous savez, c'est à peu près à cette saison-ci et généralement à Brighton.
Ce rendez-vous annuel, c'est bien car je crois qu'il s'est imposé et je suis très heureux, Monsieur le Maire, qu'il ait lieu à Guidel.
C'est devenu quelque chose de patrimonial pour notre mouvement.
Vous pouvez applaudir !
Je n'ignore pas tout à fait que certains d'entre vous pensent que c'est loin. Mais c'est loin d'où ?
Il existe une très jolie histoire juive concernant une conversation entre deux vieillards, avancés en âge en tout cas, dans le ghetto :
- Il est où Mochen ?
- Il est parti.
- Il est parti où ?
- Ah, il est parti loin.
Et tout l'esprit incroyable de cette culture de l'exil et de l'absence vaut la réponse : il est parti loin, mais loin de tout.
Pour nous, Guidel, ce n'est pas loin, en tout cas pas loin de nous.
Nous sommes attachés à tout ce que nous avons vécu avec ceux qui sont là et ceux qui ne sont plus là. Dans ces lieux, dans ce paysage, avec tant et tant de souvenirs et, si l'on m'écoute, ce n'est pas sûr que l'on m'écoute, dans ce mouvement, vous savez, il y a beaucoup de tentations fractionnistes.
Je sais tout et je vois tout !
Très souvent, ceux qui trouvent que c'est loin sans savoir où viennent me voir en disant : "Mais, l'an prochain, on ne pourrait pas le faire ailleurs ?". Je dis : "Trouvez l'équivalent".
Vous êtes tous créatifs, inventifs, Nous avons, à Guidel, des choses précieuses et nous avons une histoire précieuse avec Guidel.
Je suis donc très heureux que nous nous retrouvions dans cette configuration inédite de la jonction de deux rendez-vous de rentrée : le rendez-vous de rentrée des Parlementaires et le rentrez-vous de rentrée des militants et des responsables de fédérations.
Cette année, nous allons être entre 700 et 800 personnes sur le site et je dis à destination des journalistes, pour que tout le monde se rende compte, 700 ou 800 personnes payantes. Chacun fait l'effort de prendre sa part de l'organisation de cet événement.
C'est donc dire que c'est un geste doublement militant : en temps et en solidarité financière.
C'est donc un événement très important, très précieux pour nous et qui se déroule, cette année, dans des temps et dans des circonstances particulièrement lourdes de menaces, de risques et peut-être de promesses.
Je suis beaucoup plus certain des menaces et des risques que je ne le suis des promesses.
Alors, nous nous retrouvons avec les plus éminents membres de ce mouvement par la responsabilité, d'abord les membres du Gouvernement que vous pouvez applaudir : Marc Fesneau, Geneviève Darrieussecq, Sarah El Haïry et Jean-Noël Barrot à qui nous souhaitons, c'est pour cela que je l'ai cité en dernier, bonne chance pour son élection du dimanche 2 octobre.
Je n'ai pas de crainte, mais je sais que nos vœux l'accompagnent, et c'est donc une chose très importante.
Les membres du Gouvernement, les Parlementaires, Députés, Sénateurs, Parlementaires européens sont là, pour 90 % d'entre eux, et je les remercie de leur présence autour de leur président, le Président du groupe à l'Assemblée nationale, Jean-Paul Mattei, et ceux qui étaient membres du groupe il y a encore quelques semaines et qui n'ont pas eu la chance, la bonne fortune d'être élus, autour de leur président Patrick Mignola.
Nous avons tous les responsables fédéraux. Je viens d'évoquer les élections législatives. J'évoque absolument ceux parmi nous qui ont mené le combat sans être élus, avec qui nous allons boire un pot ce soir et que je vous demande d'applaudir, ils en ont encore plus besoin que les autres.
(Applaudissements…)
J'en étais aux responsables de nos fédérations et sections à qui je promets beaucoup de travail dans l'année qui vient, car nous avons une nouvelle organisation du mouvement autour de sa Secrétaire générale Maud Gatel, nous avons des vice-Présidents, nous avons des porte-parole, nous avons des responsables de notre implantation, de notre formation.
Nous sommes en ordre de marche et c'est très bien. Nous avons un nouveau Bureau exécutif et, ce soir, au Conseil national, nous rendrons légal ce qui est déjà légitime… C'est pas mal comme formule !
Nous avons composé un nouveau Bureau national plus nombreux que le précédent. Le précédent était limité à 30. Nous ne pouvons plus être limités à 30, car le nombre de Parlementaires que nous avons maintenant nous oblige à avoir un Bureau plus large et nous déciderons cela ce soir formellement, lors de notre Conseil national.
Nous aurons donc une nouvelle organisation et, à cette nouvelle organisation, je demande que l'on accorde le soin nécessaire pour atteindre un certain nombre de d'objectifs d'implantation, qui sont pour moi très importants.
Nous sommes donc réunis, soudés et en ordre de marche.
Je disais que ce sont des temps très difficiles que nous allons vivre. Probablement, depuis l'après-guerre, n'avons-nous pas rencontré des circonstances plus exigeantes, plus menaçantes, plus impressionnantes que celles que nous allons vivre dans les mois qui viennent.
Je ne connais aucune région de la planète qui soit à l'abri des troubles qui déstabilisent les sociétés et les organisations mondiales, y compris économiques.
C'est évidemment le cas en Europe.
Si on nous avait dit il y a un an, lors de la dernière Université de rentrée, que nous allions vivre, cette année, le retour de la guerre sur le sol européen, car l'Ukraine, c'est le sol européen - ce n'est pas l'Europe comme organisation politique, mais c'est le sol européen par l'histoire et je rappelle qu'un roi de France a, il y a 1 000 ans, épousé une princesse ukrainienne -, le retour de la guerre avec les menaces les plus inimaginables que nous puissions.
Vous avez tous suivi le discours de Poutine hier et le discours de Poutine dit trois choses :
1- Mobilisation de plusieurs centaines de milliers de soldats de 30 à 65 ans, ce qui entraîne des évasions, des exils volontaires.
2- Il n'exclut pas les mesures de rétorsion les plus sévères et c'est évidemment de l'arme nucléaire qu'il parle.
3- Il est prêt à déclencher ces mesures de rétorsion, dès l'instant que le sol russe sera touché et c'est le même jour où il annonce des référendums sur les provinces russophones de l'Ukraine, référendums d'annexion, ce qui signifie que ces provinces-là, si elles sont attaquées, il se réserve le droit des armes les plus terrifiantes que nous puissions rencontrer.
Ce discours… Il y a parfois des discours des responsables politiques qui font date. Nous en avons connu quelques-uns durant le 20ème siècle, des plus terribles. Celui-là est du nombre.
Vous imaginez bien que le retour de la guerre d'annexion en Europe a évidemment une signification terrible pour l'incertitude de nos pays, et cela signifie crise économique. Avant d'investir, les investisseurs regardent les risques. C'est ce que l'on appelle les anticipations : positives, si on a l'impression que tout va aller bien et négatives. Or, si elles sont négatives, on investit moins que quand c'est positif.
Cela, c'est l'Europe.
Il se passe en Chine des choses que les livres d'histoire retiendront, car, tout d'un coup, la Chine, l'immense Chine, 1 350 000 000 d'habitants, a pris conscience du fait que sa démographie était telle qu'elle allait perdre 500 millions d'habitants dans les 25 ou 30 années qui viennent.
500 millions d'habitants, c'est la population totale de l'Europe.
Ce sont des chiffres, comme cela, qui ont l'air posés en l'air et dont on ne prend pas la mesure, mais vous voyez bien que, là aussi, les anticipations sont inquiétantes, sans compter l'obsession chinoise pour les matières premières, qu'elle n'a pas autant qu'elle le voudrait sur son sol, et qui existent ailleurs.
Par ailleurs, les États-Unis qui étaient aussi l'une des locomotives du monde, qui vivent une crise sociologique historique, car, tout d'un coup, dans la société américaine, revient le plus archaïque des refoulés : l'esclavage, la guerre de ces sessions, avec Trump qui joue sur ce clavier-là et un très grand nombre d'Américains, des dizaines et des dizaines de millions, qui se reconnaissent dans cette démarche de déstabilisation archaïque, au sens le plus dangereux du terme.
Et tout cela sur fonds d'inflation revenue que l'on n'avait pas vu depuis les années 70 du siècle précédent.
Et ceci, c'est la situation dans laquelle nous vivons et dans laquelle chacun de nos enfants va vivre dans la décennie qui vient.
Dans cette situation, ma conviction est que la France aurait des chances formidables, car elle n'est pas comme l'Allemagne, soumise à une crise consécutive à des erreurs politiques majeures ayant conduit à se livrer à la dépendance au gaz russe, sous l'influence de leaders politiques allemands qui n'étaient peut-être pas totalement désintéressés dans l'appel qu'ils ont fait à cette mutation énergétique.
Nous avons tout cela devant nous.
Nous aurions, la société française aurait, car c'est un pays magnifiquement équipé, car nos prédécesseurs ont eu l'intuition de construire ou d'essayer de construire une indépendance énergétique avec le nucléaire, dont il s'est trouvé qu'il était le mode de production d'électricité le moins générateur de gaz à effets de serre et, tout d'un coup, nous nous retrouvons en avance sur beaucoup de pays de la planète.
Nous sommes un pays que les paysages, que le mode de vie rend enviable dans le monde entier, car nous avons le contrat social le plus généreux du monde, de la planète, avec l'éducation des enfants prise en charge depuis la maternelle, tout au long de leurs études primaires, secondaires, supérieures, jusqu'au Collège de France.
Nous avons tout cela. Nous avons une relative sécurité. Manque de chance, nous avons trois ou quatre questions absolument majeures et qu'il nous faut résoudre, faute de perdre le contrat social.
Nous avons un problème éducatif. Mes collègues enseignants qui sont dans la salle savent de quoi je parle et les parents d'élèves le savent tous avec une question de fragilisation de la transmission, dirons-nous, même dans les fondamentaux.
Nous avons également un problème de rapport au travail. Lors du déjeuner que nous avons eu au bord de la plage, dans un restaurant où nous allons tous les ans qui s'appelle Les pieds dans l'eau, il y avait des restaurateurs qui avaient une chaîne de restaurants et qui disaient tous qu'ils ne trouvaient personne.
Ils mettaient en comparaison l'impossibilité de recruter un cuisinier avec le nombre de cuisiniers au chômage et c'était impressionnant.
Ils prétendaient - je n'ai pas vérifié le chiffre - qu'il y a 100 000 cuisiniers au chômage et au moins 100 000 postes de cuisiniers offerts, mais on était incapable de mettre en liaison les deux.
Puis, nous avons un problème de finances publiques. Nous avons été très généreux dans la crise que nous venons de traverser et nous avons un problème que nous avons abordé dans les réunions entre Parlementaires : quel est le rapport des citoyens que nous sommes à la nation ? Quel est le degré d'engagement ? Est-ce que l'on se sent engagé dans les problèmes nationaux ?
S'il y avait une attaque… Nous sommes le 23 septembre 2022 et un responsable politique peut, à une tribune française, évoquer le fait qu'il pourrait y avoir une attaque. Je ne sais pas si vous vous rendez compte de ce qu'il s'est passé ces derniers mois.
Nous nous interrogions sur qui, s'il y avait une attaque, se sentirait engagé ? C'est une question que vous pouvez vous poser, que l'on peut se poser.
Un pays qui a toutes les raisons de figurer au premier rang des pays, de nos partenaires en Europe et dans le monde et qui se trouve bloqué, car il n'a pas été capable de résoudre un certain nombre de questions qui appellent réforme.
Et il y a une autre question. Ce pays-là est profondément divisé entre communautés, entre expressions politiques et, quand un pays est divisé à ce point, il n'y a qu'une réponse possible pour vaincre les divisions, c'est la démocratie.
Voyez : Mouvement démocrate… Groupe démocrate…
La démocratie, c'est la seule réponse que nous avons trouvée, depuis la Grèce ancienne et la Rome ancienne, pour sortir des divisions.
Est-ce que notre démocratie fonctionne bien ? Vous voyez que c'est une question qui n'a pas de réponse évidente dans notre esprit.
Nous avons la conviction qu'elle pourrait et devrait fonctionner mieux, et pour qu'elle puisse fonctionner mieux, il y a deux engagements qu'il faut remplir et vous verrez, là, l'écho de débats récents.
Le premier est que cela ne se règle pas en dehors du débat citoyen auquel évidemment les Parlementaires prennent part, auquel chacun d'entre nous doit être invité à prendre part et, en tout cas, devrait se trouver devant l'obligation de se forger une opinion lui-même avec les éléments indiscutables que l'on mettrait sur la table.
J'ai souvent évoqué devant vous, donc pardon si vous l'avez déjà entendu, cette définition de la démocratie. La démocratie, c'est quand les cartes sont sur la table et pas sous la table.
Vous voyez, là, l'écho de discussions récentes, dont il me semble qu'elles vont maintenant dans le bon sens, sur la réforme des retraites.
Nous avons voulu, nous nous sommes exprimés avec ce que nous avions de force et de capacité pour que la réforme des retraites ne se fasse pas subrepticement, à l'aveugle ou par surprise, car les Français, les citoyens ont tellement de fois déjà eu l'impression qu'on ne leur donnait pas leur droit à participer à la réflexion sur les sujets…
Je pense que, cette fois-ci, nous avons aidé à ce que leurs voix puissent être entendues. En tout cas, je l'espère et, hier, la Première Ministre est venue et s'est exprimée en nous laissant des éléments positifs de cette expression.
Nous sommes pour qu'une réforme fasse que le régime des retraites en France soit rééquilibré. C'est notre choix depuis des décennies.
Je veux rappeler ici qu'un des points principaux du programme que je présentais aux Français lors de l'élection présidentielle de 2002, il y a 20 ans, c'était la retraite par points.
Pourquoi ? Car la retraite par points voulait dire deux choses : équilibre des régimes et liberté de choix pour ceux qui arrivaient à l'âge de la retraite sur la date et sur le montant de la retraite.
Alors, je reconnais que c'est un sujet qui n'est pas tous les jours facile, mais nous avons réussi depuis à le faire entrer au moins dans les esprits et plusieurs grands courants syndicaux et politiques du pays se sont laissés convaincre que c'était dans ce sens-là qu'il fallait aller.
Alors, nous pouvons y aller progressivement. J'ai dit que je croyais que nous pouvions tout à fait remplir le souhait du Président de la République qui donne, comme date, juillet 2023, le premier mois de l'été 2023.
Je crois que nous pouvons tout à fait arriver à cela et, en même temps, organiser une réflexion responsable, sereine, avec toutes les parties prenantes, quitte à ne pas arriver à une conclusion unanime. Ce n'est pas cela la question.
Ce que les Français exigent, et ils ont raison de l'exiger et nous les soutenons dans leur exigence, c'est qu'on leur donne les éléments du choix, un choix qui n'est pas seulement un choix budgétaire, mais qui est un projet de société au sens le plus noble du terme, car il commande le rapport de chaque citoyen au travail.
Nous sommes donc la voix, la parole de ceux pour qui cette exigence est très importante et je crois que cette conscience a progressé dans les esprits ces derniers jours, cette dernière semaine et il est très important qu'il y ait des formations politiques qui prennent au sérieux les principes qu'ils défendent et qui ne soient pas seulement les jouets du vent qui souffle, comme les girouettes.
Essayons de garder un cap essentiel, mais gardez bien cela en tête : une démocratie qui fonctionne, c'est le seul moyen de vaincre les divisions dans un pays et, sans vouloir citer mes œuvres complètes, je vous rappelle quel était le slogan de l'élection de 2012 : Un pays uni, rien ne lui résiste.
Je suis absolument convaincu que ceci est un enjeu majeur, national, politique et moral, qui s'impose à tous ceux qui se préoccupent du destin de la communauté que nous formons ensemble, de son identité et de ses repères pour vivre ensemble.
Ce sont donc évidemment des circonstances dans lesquelles vous sentez bien que notre réunion a beaucoup d'importance, beaucoup d'importance pour nous et beaucoup d'importance car nous défendons des idées qui sont notre patrimoine, qui sont notre richesse et qui sont notre devoir.
Nous ne pouvons pas laisser des idées en déshérence, comme l'on dit, abandonnées. Lorsque l'on a des idées, on doit les défendre, on doit les préciser, on doit vérifier qu'elles sont adaptées aux temps que l'on vit, mains on doit les défendre.
Ma fierté, quand je vous vois, c'est que nous n'avons jamais négligé de défendre nos idées. Au travers du temps, au travers des péripéties, quand cela allait bien et quand cela allait mal, nous avons toujours maintenu le drapeau levé.
C'est un drapeau qui répond à aux attentes les plus profondes de notre peuple, ainsi que de chacun des enfants dont vous répondez dans le débat public.
Alors, je suis très heureux que nous nous retrouvions, je suis très heureux que nous soyons heureux d'être ensemble. Ce sont trois jours qui commencent et qui vont être absolument précieux.
Je vous remercie d'être venus à Guidel pour la 10ème fois !…