« Valéry Giscard d'Estaing avait l'intuition qu'il n'y aurait d'histoire de la France que si elle épousait son temps et qu'elle s'inscrivait dans l'Europe. »
François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, était l'invité de Bruno Duvic sur France Inter ce midi. Nous vous invitons à découvrir cet entretien.
Retrouvez sur ce lien l'entretien à 16:30.
Bruno Duvic - Entretien hommage avec François Bayrou, l'homme qui a incarné le centre en politique après Valéry Giscard d'Estaing. En 1981, il est professeur de français à Pau, souvenir du climat politique à l'époque.
François Bayrou - C'était une campagne épouvantablement difficile, d'abord car elle était entièrement envahie par des affaires terriblement injustes. Valéry Giscard d'Estaing ne s'est jamais vraiment remis de l'affaire des diamants qu'il a toujours trouvée d'une très grande injustice et qui n'a d'ailleurs jamais eu aucune suite.
Comme vous le savez, Pau est une terre pas vraiment de cette sensibilité politique, qui est très à gauche. J'étais professeur et c'était une campagne extrêmement difficile, extrêmement violente.
J'ai des souvenirs - c'est probablement une des plus dures campagnes que j'ai vécues -, au moment de l'annonce des résultats, de quitter notre permanence sous les insultes des personnes dans la rue.
Que reste-t-il de Valéry Giscard d'Estaing, François Bayrou ?
Vous voyez bien qu'il y a là un bilan qui est une frustration, car cet homme qui avait des intuitions formidables, qui avait des dons extraordinaires…
Quelles intuitions ?
L'intuition qu'il n'y aurait d'histoire de la France que si elle épousait son temps et qu'elle s'inscrivait dans l'Europe, en étant pleinement elle-même.
Il faut savoir que Valéry Giscard d'Estaing était profondément attaché à l'histoire de France et même attaché à l'histoire de France sur plusieurs siècles, y compris à l'ancien régime, y compris aux grandes pages de la monarchie absolue.
Il épousait tout cela et il était en même temps certain que seule l'Europe était notre horizon.
Des intuitions et une frustration, vous disiez ?
Oui, une frustration, car cela a été un bilan inachevé, car il n'a pas pu, il n'a pas su - je ne sais pas ce qu'il faut dire - incarner, sur le long terme, la famille de pensée qui était la sienne.
Au fond, c'est la même famille d'esprit ou de valeurs que le Président de la République actuel, avec cette intuition qu'au lieu de prendre la politique comme l'affrontement de deux bords, il fallait dépasser cet affrontement pour rassembler les personnes, ce que Valéry Giscard d'Estaing appelait gouverner au centre et ce qu'Emmanuel Macron prône avec le "en même temps" et le rassemblement.
De votre point de vue, le parallèle entre les deux a donc du sens ?
Moi qui ai très bien connu l'un et qui connais pas mal l'autre, je peux vous dire que oui, beaucoup plus qu'ils ne le pensent eux-mêmes.
Il existe un hiatus dans le rapport de Valéry Giscard d'Estaing aux Français : entre le joueur d'accordéon et le grand bourgeois, entre celui qui voulait dîner avec les Français et le parcours de l'homme d'élite.
Avez-vous une clé de cette contradiction, peut-être d'ailleurs une clé du fait qu'il est resté un ex-Président impopulaire ?
Impopulaire, je ne dirais pas cela, mais il n'a pas trouvé la place qu'il aurait aimé trouver dans le cœur des Français. Cela, c'est sûrement très vrai.
Sur cette contradiction, il y a toujours, 40 ans après, le sentiment de se dire que ce n'était pas totalement sincère, cette volonté de se rapprocher des Français ?
Je crois que c'était très sincère, mais maladroit, car ce ne sont pas du tout les milieux dans lesquels il avait grandi, mais qu'il avait rencontrés une fois dans sa vie, lorsqu'il s'est engagé dans l'armée de la libération.
Là, il a fréquenté des personnes… C'était une période, j'en ai souvent parlé avec lui, très heureuse pour lui, car il était "peuple", il était "au contact".
Il voulait briser cette paroi de verre qu'il y avait entre lui et les personnes, lui et les Français, mais ce n'était pas naturel, ce n'était pas facile, notamment en partie car il avait une prestance extraordinaire.
Où qu'il aille, il était Président. Il n'a jamais trouvé la clé de cette facilité de rencontre avec les Français et tous les gestes qu'il faisait - déjeuner avec les éboueurs ou aller dîner dans des familles - étaient des gestes de bonne foi, des gestes dans lesquels il mettait du cœur.
À quand votre dernière rencontre avec Valéry Giscard d'Estaing remonte-t-elle ?
Il n'y a pas très longtemps. Il y a six ou huit mois. C'était très émouvant pour moi, car c'est un homme que, toute sa vie, j'ai regardé de bas en haut, car il était plus grand que moi et car j'avais beaucoup de respect pour lui.
Là, c'était très étrange, car sa taille avait beaucoup diminué et, pour la première fois, Valéry Giscard d'Estaing était presque plus petit que moi. De cette taille immense, il restait un homme qui avait du mal à marcher et qui avait rapetissé.
C'était infiniment émouvant.
On avait envie de le protéger, de le rassurer, car je pense qu'il était plein d'inquiétudes et qu'il avait connu des malheurs absolument épouvantables à la fin et pour lesquels…
Il a perdu sa fille.
… J'ai beaucoup pensé à lui, car il n'y a pas de malheur pire que de perdre un enfant.
Merci, François Bayrou.
Merci à vous.