Pouvoir & Coopération : décentraliser la République dans les territoires
Au Mouvement Démocrate, la passion des territoires est profonde. La passion de l’égalité aussi, nous rappelle la ministre de la Cohésion des Territoires et des relations avec les collectivités territoriales Jacqueline Gourault en citant le libéral modéré Tocqueville. Pour réfléchir ensemble sur les coopérations entre territoires, c’est la députée de l’Isère Elodie Jacquier-Laforge qui anime la table ronde, où la ministre déléguée auprès de la ministre des Armées, chargée de la Mémoire et des Anciens combattants Geneviève Darrieussecq, l’eurodéputée Marie-Pierre Védrenne, le maire d’Autun et représentant au Comité européen des régions Vincent Chauvet, le président du conseil départemental de la Charente Jérôme Sourisseau, dialoguent avec la ministre Jacqueline Gourault.
Avec la loi 3D (« Décentralisation, Déconcentration, Différenciation » – ou 4D si l’on y ajoute « Décomplexification ») la ministre Jacqueline Gourault porte un véritable projet de réforme, essentiel pour nos territoires. Pendant longtemps, on a cru que le meilleur garant était l’Etat. Jacqueline Gourault, ancienne professeur d’Histoire-géographie, nous invite à voir la France sur le temps long : la France a un héritage absolutiste et monarchique qui explique son caractère centralisé, jacobin. Peu à peu, le pays s’est décentralisé, avec les lois Deferre de 1986, avec le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin (2002-2005). Le contexte a changé : Gaston Deferre partait d’un Etat extrêmement centralisé. Aujourd’hui, la France est déjà considérablement décentralisée. Et tout le monde, de toutes les strates des collectivités, se sent le plus compétent sur tel ou tel domaine.
Les Français ont tendance à aimer leurs pouvoirs locaux, leur maire, ils sont épris de libertés locales. Mais, en même temps, dès que surgit un problème, une inégalité, c’est vers l’Etat qu’ils se tournent. C’est là un réflexe très français.
Les citoyens sont attentifs à ce que l’Etat soit réorganisé sur les territoires. Et l’Etat doit être plus lisible. Les 20 dernières années ont complexifié la présence de l’Etat sur les territoires. Grâce à la loi 4D, au projet de loi organique voté au Sénat, à droit constitutionnel constant, les projets menés sur un territoire ne seront pas automatiquement dupliqués sur l’ensemble des territoires. C’est cela, la vertu de la différenciation. Ainsi, les territoires sont respectés dans leurs spécificités.
La ministre Geneviève Darrieussecq souligne que son ministère a une vocation spécifique sur les territoires. Le ministère des Armées est en effet le plus grand propriétaire foncier public, avec des bases aériennes, des bases navales, des casernes, des écoles, lycées, centres de formation. Le Livre Blanc de 2008 avait bouleversé le monde des armées, en fermant nombre de bases, d’unités, chaque fois très mal vécues. Depuis 2017, ces suppressions ont cessé, certaines fermetures programmées ont été annulées. Le budget du ministère des Armées est heureusement remonté en puissance. L’action de l’Etat sur les territoires est importante pour les citoyens, pour les élus, pour les territoires. Le ministère des Armées, régalien, s’appuie sur une coopération permanente qui permet de répondre aux besoins des armées. Il est absolument nécessaire d’assurer la vitalité des territoires, afin que l’on n’ait pas le sentiment que tout se décide à Paris. Les territoires participent à la vie de la nation.
L’eurodéputée marie-Pierre Vedrenne nous explique que l’organisation territoriale doit être mise au service du construire ensemble entre élus et citoyens. L’Union européenne consiste à confier les compétences à l’échelon le plus apte à répondre à telle problématique. Le principe de subsidiarité permet cette répartition au plus juste des compétences. Marie-Pierre Vedrenne insiste sur cette idée trop souvent oubliée : L’harmonisation, ce n’est pas l’uniformisation. La devise de l’Union européenne, « Unis dans la diversité », exprime parfaitement la nécessité de l’unité et la source de richesse que constitue la diversité. La France, c’est aussi ce maillage-là. Bretonne, l’eurodéputée le sait bien. C’est ensemble que l’Europe et les régions travaillent. Si l’on pense au Pacte vert, l’ambition commune est fixée à l’échelle de l’Union européenne. En revanche, si l’on évoque la rénovation thermique, c’est plutôt à l’échelle locale que l’on se situe. Avec une ambition commune à tous les échelons, il nous faut retisser la confiance.
Jérôme Sourisseau, président du Conseil départemental de la Charente remarque que les réformes territoriales mettent beaucoup de temps à entrer dans la tête des gens. Les départements, les communes, ont plus de 200 ans, là où les intercommunalités constituent encore une échelle très jeune. La société a besoin de repères. Le repère religieux, les repères identitaires, tendent à disparaître. Le risque apparaît alors que les gens se reportent sur autre chose si on leur enlève les moyens d’identification à leur territoire, comme on l’a vu avec la crise des Gilets jaunes. La volonté de s’identifier à un territoire est encore forte. On l’a constaté lorsque les plaques minéralogiques ont changé de numéros. Pour les communes, on a arrêté de les obliger à fusionner et c’est très bien. On se place désormais sur une démarche de volontariat. Parfois, des fusions ont provoqué des manifestations, même dans des communes de 100 000 habitants. Dans notre région,qui est très grande, avec Geneviève Darrieussecq, s’il n’y a pas le département, alors que reste-t-il ? A travers les différentes crises, on a vu à quel point l’Etat était présent. L’ARS, qui pourtant affirme son autorité comme seule organisation légitime, demande aussi aux départements d’aller faire le suivi. La décentralisation a quelque chose d’un peu inabouti. L’Etat va essayer de s’occuper de la plupart des politiques. On pourrait aller un peu plus loin encore dans la décentralisation.
Aujourd’hui, on est en train de perdre l’autonomie financière et c’est un vrai souci. Je comprends les réformes de la fiscalité locale, cela dit. Mais demain, comment allons-nous faire, quand on dépend de dotations fixées par l’Etat. On ne va peut-être pas assez loin dans la contractualisation. L’Etat doit fixer des objectifs, mais également une évaluation de l’atteinte de ces objectifs.
Vincent Chauvet, maire d’Autun et représentant au Comité européen des régions, commence par saluer l’action de Valéry Giscard d’Estaing, qui a été précurseur avec la création du comité des finances locales, de la DGF (Dotation Globale de Fonctionnement), ainsi que d’autres lois. Son successeur a dit que la France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire, mais qu’elle aurait besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire. La confiance dans les territoires, c’est la clef. Nous voyons déjà les fruits de la loi Engagement et Proximité, votée l’an dernier.
Vincent Chauvet, qui dirige une start-up numérique, aime bien l’appellation « Loi 4D », qui évoque l’espace numérique : en 4D, on voit la France en relief et qui évolue en temps réel ! Au niveau financier et fiscal, force est de constater que la tuyauterie demeure compliquée. Certains projets sont financés sur des fonds européens. Avec la Covid, on a vu un certain nombre de collectivités choisir librement leurs champs d’intervention. Pour résoudre les grands défis, ceux de la planète, l’échelon local est également décisif.
Elodie Jacquier-Laforge a relayé de nombreuses questions des internautes. Si les ARS ont montré des défauts, nous devons considérer qu’elles n’ont pas été conçues pour faire face à une pandémie. Ce n’est pas en pleine crise que nous devons prendre des décisions radicales, comme de les supprimer. Si cette organisation régionale est assez éloignée des citoyens, il y a également des représentants par départements. Il faudra davantage de liens entre les ARS, les élus locaux, les préfets. Le couple préfet-sous-préfet est très important aussi dans le dialogue avec l’Etat. Si l’on envisage la suppression des sous-préfets en zones urbaines très denses, ce n’est pas le cas pour les zones rurales, où le sous-préfet est souvent le seul interlocuteur que l’on a. Jérôme Sourisseau remarque qu’avec le non cumul, les élus nationaux et les élus locaux ne sont plus les mêmes, ce qui peut créer une décorrélation.
Chère au Mouvement Démocrate, la question de l’évaluation a son importance. Il faut se fixer des objectifs, ainsi que les indicateurs pour les évaluer. C’est le principe de la différenciation pensée par la loi 4D. Geneviève Darrieussecq reconnaît que le millefeuille est encore trop complexe. Nous avons la commune, l’intercommunalité, la région, avec leur culture, leurs domaines, et une multiplicité d’interlocuteurs. Comment simplifier réellement ? Au final, les citoyens remercient toujours leur maire. C’est sans doute injuste pour les autres échelons qui ont participé à un projet, mais c’est une réalité. Vincent Chauvet propose de faire véritablement confiance dans les territoires en leur octroyant, en début d’année, une dotation qu’ils utiliseront librement. Tocqueville disait bien que c’est dans la commune que réside la force libre.
La ministre Jacqueline Gourault tient à souligner que l’Etat et les collectivités territoriales doivent travailler main dans la main. Les opposer terme à terme relève du poujadisme. Il faut éviter les doublons, simplifier le millefeuille. Mais l’Etat et les territoires ont vocation à dialoguer ensemble de manière fructueuse.
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Cette table ronde était animée par Elodie Jacquier-Laforge, Députée de l’Isère
Députée de l’Isère, Elodie Jacquier-Laforge est membre de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Membre de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi pour un État au service d’une société de confiance, elle s’intéresse de très près aux évolutions de la démocratie représentative.
Intervenants :
Jacqueline Gourault, Ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales
Professeure d’histoire-géographie, Jacqueline Gourault a toujours éprouvé un attachement profond pour les spécificités des territoires. Elle s’engage en politique dans les années 1970, et devient maire de la Chaussée-Saint Victor, dans le Loir-et-Cher, où sa famille a ses racines. Sénatrice, puis vice-présidente de l’Association des maires de France, vice-présidente du Sénat, Jacqueline Gourault est nommée ministre en 2017. Au gouvernement, elle porte de nombreux projets, comme « Action cœur de ville » ou la loi 3D (Décentralisation, Différenciation, Déconcentration), visant à transformer les relations entre l’Etat et les collectivités territoriales.
Geneviève Darrieussecq, Ministre déléguée auprès de la ministre des Armées, chargée de la Mémoire et des Anciens combattants
Médecin, Geneviève Darrieussecq est élue maire de Mont-de-Marsan en 2008. Sa vocation politique, comme sa vocation médicale, la porte à l’attention aux problèmes concrets des citoyens. Dans les deux domaines, c’est le même souci de l’humain qui la guide. Nommée secrétaire d’État auprès de la ministre des Armées en 2017, elle devient en juillet 2020 ministre déléguée auprès de la ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants. La connaissance de l’Histoire, sur le temps long, est nécessaire pour éclairer l’avenir.
Vincent Chauvet, Maire d’Autun, Membre du Comité européen des régions
Après Sciences Po et HEC, Vincent Chauvet a débuté une carrière dans le numérique, travaillant à Bruxelles, puis à New York, à Paris. Vincent Chauvet est fondateur de l’entreprise Startup Safari France. À tout juste 29 ans, en juillet 2017, il devient l’un des plus jeunes maires de France. Réélu à Autun aux dernières élections municipales, le Président du MoDem de Saône-et-Loire et membre du Comité des Régions (organe consultatif de l’Union européenne) est convaincu que le sens des politiques nationale et européenne se joue en grande partie depuis l’échelon local.
Jérôme Sourisseau, Président du conseil départemental de la Charente
Élu président du Département de la Charente le 16 octobre dernier, Jérôme Sourisseau a succédé à François Bonneau, suite à son élection au Sénat. Jérôme Sourisseau est également président du Grand Cognac et maire de Bourg-Charente depuis 2014.
Marie-Pierre Vedrenne, Députée européenne
Jusqu’à son élection au Parlement européen, en 3e position sur la liste Renaissance, à 36 ans, Marie-Pierre Vedrenne a dirigé la Maison de l’Europe à Rennes. Juriste de formation, elle a été vice-présidente nationale des Jeunes européens. En 2016, elle prend la direction de la Maison de l’Europe de Rennes. Elle y supervise une centaine d’adhérents et de bénévoles engagés pour la défense de l’Union européenne.
Marie-Pierre Vedrenne est très attachée à promouvoir l’utilité de l’Europe dans le quotidien des citoyens.
Elle est Vice-présidente de la commission du Commerce International et membre de la Commission de l'emploi et des affaires sociales. Elle est également membre suppléante de la Commission des pétitions. A l’échelle de l’Union européenne, il s’agit de définir la question de l’autonomie stratégique.