Loi de programmation militaire : Explications de Josy Poueyto et Sabine Thillaye
La loi de programmation militaire 2024-2030 a été adoptée à l'Assemblée nationale ce mercredi 7 juin. Sabine Thillaye, députée d'Indre-et-Loire et rapporteure sur le texte, et Josy Poueyto, députée des Pyrénées-Atlantiques et oratrice de notre groupe sur ce texte, reviennent sur le contenu et les enjeux de ce projet de loi. Entretien croisé.
Investir pour mieux répondre aux menaces
Le projet de loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 prévoit 413 milliards d'euros de dépenses sur sept ans afin de "transformer" les armées. En comparaison, la précédente loi prévoyait 295 milliards d’euros de dépenses, ce qui représente une hausse historique de 40%.
Cette nouvelle ambition s'articule autour de trois axes :
- Conforter les fondamentaux de notre défense, en renforçant la mise en service de matériel performant
- Adapter notre outil militaire à l’évolution des menaces, en modernisant nos trois armées
- Réussir les sauts technologiques, en adaptant notre défense aux nouveaux moyens qui s'offrent à ell:
Pour mieux comprendre les nouveaux enjeux de la Défense, retrouvez les explications de nos deux députées Josy Poueyo et Sabine Thillaye :
Transformer les armées
La LPM est très ambitieuse, elle prévoit de "transformer" les armées. Quel est le sens de cette transformation ?
Josy Poueyto - La Loi de programmation militaire présente en effet un objectif de « transformation » de nos armées. Pourquoi ? Parce que nous avons d’abord engagé leur « réparation » dans la programmation « à hauteur d’hommes » qui s’achève.
Depuis la fin de la guerre froide, les moyens – en baisse constante – accordés à la Défense nationale étaient devenus une variable d’ajustement budgétaire. Par exemple, de 2008 à 2019, les effectifs avaient baissé de 63 000 emplois. Nous avions aussi beaucoup perdu en termes de capacités opérationnelles.
Sous l’impulsion du Président Macron et de la Ministre Parly, notre majorité a rompu avec le passé pour revenir à une sincérité budgétaire salvatrice et en assurant près de 300 milliards sur la période.
Sabine Thillaye - Cette loi de programmation trace une ligne budgétaire jusqu’à 2030 avec une enveloppe globale annoncée de 413,3 milliards d’euros. Pour rappel, l’enveloppe de la précédente LPM était de 250 milliards d’euros. Cette dernière était une LPM dite « de réparation », celle-ci en est une « de transformation ».
Transformation tout d’abord parce qu’elle implique une augmentation significative des masses capacitaire et humaine : d’importants achats de matériel militaire et un recrutement accentué, notamment au niveau de la réserve opérationnelle qui arrivera à 105 000 réservistes d’ici 2035.
Mais ce qui traduit le mieux cette ambition de transformation, dans cette LPM, c’est l’attention toute particulière portée à l’innovation, sous toutes ses formes.
Je pense notamment, puisque j’étais rapporteure de ce chapitre, aux enjeux du cyber, traités en profondeur dans cette LPM. Les menaces cyber, ces dernières années, se sont professionnalisées, industrialisées. Elles sont protéiformes et le cyber, plus personne n’en doute aujourd’hui, est devenu le cinquième domaine de guerre.
Dire « transformation » ne veut pas dire « révolution ». Le cadre était posé par la précédente LPM : celle-ci le révèle. Elle déploie des axes stratégiques précis et définit les outils qui permettront de répondre aux enjeux.
En ce sens, quels secteurs vont bénéficier d'augmentations de budgets ?
Josy Poueyto - Avant de répondre, je voudrais insister pour rappeler que notre groupe Démocrate, au sein de la majorité, a parfaitement conscience des contraintes budgétaires de notre pays.
La LPM représente 413 milliards sur 7 ans et c’est considérable. Mais cela répond à des besoins sérieux destinés à garantir notre souveraineté.
ans cette souveraineté, ayons bien conscience que nous nous pouvons aussi tout perdre : nos services publics ou notre sécurité sociale, par exemple. Nous dotons notre Défense nationale des moyens de protéger les Français et les intérêts de la France.
Dans le contexte géostratégique que l’on connaît, il était évident de vouloir conforter notre dissuasion et notre capacité de projection pour exprimer également notre souveraineté jusqu’en outre-mer. Cela passe par la modernisation de notre arsenal nucléaire mais aussi par la production d’un nouveau porte-avions.
Sabine Thillaye - Il y a d’une part la modernisation de notre arsenal, qui représente logiquement une part importante du budget de cette LPM. Mais il y aussi un certain nombre de priorités affichées, très particulièrement en ce qui concerne l’innovation. En ce sens, une partie de cette LPM (et donc de son budget) s’inscrit dans la continuité de nos forces armées – une autre partie, axée sur l’innovation sous toutes ses formes, relève de la transformation dont nous parlions à l’instant.
Quel est l'impact attendu de cette LPM sur les territoires français ? Et sur les entreprises ?
Sabine Thillaye - Sur le territoire français, cette LPM aura un impact positif : modernisation des infrastructures militaires, création d’emplois avec le recrutement de militaires, de civils et de réservistes, mais également d’emplois industriels grâce à une BITD (Base industrielle et technologique de défense – « l’industrie défense », en quelque sorte) très bien implantée sur nos territoires.
Le temps des fermetures de bases et des réductions de matériel et d’effectifs est terminé, et cela se ressentira sur tout le territoire.
Dans mon département d’Indre-et-Loire, par exemple, où les effectifs du ministère des Armées comptent près de 5500 personnes, les infrastructures bénéficieront d’une enveloppe de plus de 153 millions d’euros d’investissements, et plus de 8 millions d’euros consacrés au Plan Famille 2, qui servira à la fidélisation et bénéficiera au tissu économique local.
Du point de vue du cyber, la LPM répond à des enjeux qui nous concernent tous très directement, avec ce point d’équilibre absolu entre défense de nos intérêts nationaux et consolidation des libertés qui fondent notre État de droit.
Josy Poueyto - Transformer nos armées, c’est aussi investir dans nos territoires. Peu de gens le savent mais la France dispose de l’une des plus fortes Base industrielle et technologique de défense (BITD). Cette LPM consacre 268 milliards d’euros à l’achat d’équipement militaires. C’est aussi un levier qui concerne directement notre économie puisque 95% des acquisitions se font auprès d’entreprises françaises.
Par exemple, dans mon département, les Pyrénées-Atlantiques, où sont implantés 3700 militaires (près de 10 000 personnes avec les familles), l’impact direct de la LPM sera de l’ordre de 210 millions d’euros d’investissement dans les infrastructures.
Nos voisins européens réalisent-ils des hausses d'investissements similaires ?
Josy Poueyto - Les dépenses militaires augmentent de manière historique partout dans le monde. Nous n’avions pas vu cela depuis une trentaine d’années.
On peut le regretter. Mais nous faisons face à cette réalité.
Dans le classement des Etats qui investissent le plus dans leurs armées, les Etats-Unis arrivent largement en tête. Suivis de la Chine et de la Russie. Le continent européen n’est pas épargné par ce phénomène. Les hausses les plus spectaculaires des dépenses militaires concernent la Finlande, la Lituanie, la Suède ou la Pologne. Mais l’Allemagne et le Royaume-Uni sont aussi concernés.
C’est un effet levier qui conforte l’OTAN et qui est aussi de nature à marquer le besoin et le renforcement d’une Défense européenne. En 2022, les dépenses militaires de l’Europe ont atteint 480 milliards de dollars. Un record depuis la fin de la guerre froide.
Sabine Thillaye - Le déclenchement de la guerre en Ukraine a agi comme un électrochoc ; la prise de conscience d’un danger extrêmement proche. Plus spécifiquement pour les pays d’Europe de l’Est, et pour moi personnellement, qui suis née Allemande et qui ai grandi à l’ombre du Rideau de fer, la montée en puissance des velléités russes était de longue date un sujet de très vive inquiétude.
De fait, depuis plusieurs années, l’OTAN encourage ses pays membres à consacrer au moins 2% de leur budget aux armées et aujourd’hui, les pays de l’UE réhaussent tous leur budget militaire. L’Allemagne, qui a un fort besoin d’investissement, a annoncé un fonds spécial de 100 milliards d’euros. La Pologne ambitionne de devenir l’une des armées les plus massives d’Europe afin d’être davantage dissuasive. La Finlande, qui a rejoint l’OTAN après le déclenchement de la guerre en Ukraine, a annoncé une hausse importante de son budget aux armées.
A l’heure actuelle, le budget aux armées des pays de l’UE approche de ce qu’il était avant la fin de la guerre froide et l’effondrement de l’URSS.
Ajoutons à cela que l’UE s’est dotée, depuis 2021, d’un fonds européen de défense à hauteur de 8 milliards d’euros, largement axé sur l’innovation. C’est un début, mais cela dit beaucoup – à la fois sur la situation géopolitique actuelle et sur la volonté de l’UE de faire front.
Que prévoit cette LPM sur le soutien français aux Ukrainiens ?
Sabine Thillaye - La guerre en Ukraine, c’est évident, était sans cesse présente à l’esprit du législateur pendant les travaux de la LPM. Elle en était la toile de fond et l’inscription de la volonté française de renforcer à la fois notre défense et la coopération militaire au niveau de l’UE s’inscrit pleinement dans cette logique.
L’étape suivante se jouera au niveau du projet de loi de finances, qui aura la charge de détailler les dispositifs d’aide à l’Ukraine. L’enjeu de cette LPM était de créer le cadre programmatique de notre armée dans lequel nous pourrons établir la réponse à apporter en retour à l’agression russe et en soutien à l’Ukraine et à son peuple.
Josy Poueyto - Il faut être clair, comme l’a rappelé le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, lors d’une de ses auditions devant la Commission de la Défense nationale et des forces armées : les mesures d’aide et de soutien à l’Ukraine ne seront pas comprises dans le périmètre de la LPM, laquelle est dédiée à notre format d’armées ainsi qu’aux conditions d’exécution de nos programmes d’investissement.
Les dispositifs d’aide à l’Ukraine seront, par conséquent, détaillés dans le cadre des projets de loi de finances. Je veux simplement rappeler le cadre de ce soutien.
Il s’agit d’un soutien de légitime défense au profit d’un État qui a été agressé. Ce principe ne permet pas d’invoquer un risque de co-belligérance.
J’indique enfin que cette aide est organisée en prenant soin de ne pas remettre en cause notre propre outil de défense.