François Bayrou : « Nous nous attachons nous-mêmes des poids aux pieds qui nous empêchent de marcher »
François Bayrou, Premier ministre et président du MoDem, était au salon Global Industrie le jeudi 13 mars 2025. Retrouvez son intervention.
Seul le prononcé fait foi.
Et toutes les questions qui se posent autour de la défense de notre pays, de l'Europe, au moment où tout bascule. Si on nous avait dit il y a quelques années, quelques mois, peut-être quelques semaines, qu'en plus de la guerre en Ukraine, avec la puissante ou en tout cas l'immense Russie qui se précipite sur son voisin ukrainien pour l'annexer, ce qui ne s'était pas fait, en tout cas en Europe, depuis 80 ans. Et vous voyez à quel sujet historique je fais allusion. Et puis que ce serait un membre du Conseil de sécurité, c'est-à-dire garant de la sécurité internationale, en principe, qui conduirait cette offensive. Et puis que ce petit pays, qui était regardé comme un petit pays, l'Ukraine, résisterait trois ans. Et puis qu'à un moment donné, pour des raisons électorales aux États-Unis, tout d'un coup, le deuxième pilier de l'ordre international, les États-Unis, se renverse dans sa manière de regarder les choses. Et que tout d'un coup, tous ces pays européens - presque tous sauf la France - tous ces pays européens qui ne comptaient pour se défendre que sur l'OTAN, c'est-à-dire sur les États-Unis, tous ces pays européens découvraient tout d'un coup que ce que depuis 70 ans ils croyaient être leur sécurité, que tout cela en réalité était totalement bouleversé et peut-être nié. Et qu'en même temps, ces mêmes autorités américaines déclencheraient une guerre commerciale avec leurs alliés, c'est-à-dire nous.
Et vous suivez ça tous les jours, j'allais dire heure par heure, monsieur le ministre. Heure par heure, M. le Président. Heure par heure… Tout à l'heure a été annoncé, je dis ça dans une région qui sait ce que ça veut dire, et la nôtre aussi, que sur les vins et les champagnes, les États-Unis envisageaient de mettre des droits de douane à 200%. 200%. Je ne sais pas si on voit ce que tout ça veut dire, en plus des droits sur tous les produits industriels de 25% de plus. Et tout ceci est une terrible conjoncture. Et pour nous tous une terrible prise de conscience. Et c'est ce dont nous avons traité : la réunion [avec les parlementaires] était prévue pour durer deux heures, elle a duré quatre heures. Ce qui fait que ça n'a pas été facile d'arriver jusqu'à vous.
Mais c'est dans ce monde-là que nous allons devoir vivre. Et pourquoi ai-je voulu venir ? Parce que dans ce monde-là, qui sont les combattants de première ligne en dehors des soldats ? C'est vous.
[Applaudissements]
Et c'est la raison pour laquelle j'ai voulu vous dire merci. Vous êtes ceux qui, fer de lance, fer de lance de la créativité, de l'inventivité, fer de lance du produire. Vous savez, il m'est arrivé dans ma vie de faire des campagnes présidentielles. L'une d'entre elles avait, pour définition du programme : « Produire en France ».
Et quand je dis « Produire en France », je dis l'agriculture, évidemment l'industrie que vous représentez, et même les productions intellectuelles qu'on doit mettre au même rang : la recherche, les brevets, les productions culturelles, au moment où précisément aux États-Unis, la recherche devient une cible. Les chercheurs ! Enfin, il y a à peine encore un mois, tous ceux qui sont engagés dans ces sujets, disaient « mais tous les chercheurs veulent partir aux États-Unis ». Il y a un mois. Et aujourd'hui, nombre de ceux-là décrochent leur téléphone pour dire « mais est-ce qu'on ne pourrait pas imaginer que la France offre asile et conditions de travail à ces chercheurs qui sont chassés de leurs laboratoires des États-Unis ? », parce qu'ils ne correspondent pas au modèle que les autorités américaines ont imposé de manière, comment on peut dire, stupéfiante et choquante pour des chercheurs. Et donc, tout d'un coup, l'Europe et la France, et la France spécialement, retrouvent un attrait qu'elles avaient perdu. Alors on parle du domaine de l'armement, c'est un domaine évidemment qui est spécialement regardé aujourd'hui pour les raisons que vous savez. Mais avant qu'un État, une puissance qui veut être indépendante, achètent des armements sans se poser la question de l'indépendance de ces armements, peut-être on va vivre dans une nouvelle époque.
Et dans cette nouvelle époque, je crois, nous croyons, le gouvernement croit, et puis beaucoup de ceux qui nous entourent croient que nous avons des chances. Alors il y a une chance qu'on n’ait pas, ce sont des sous. Parce que si, en décrivant le paysage, je ne disais pas que nous avons en même temps les difficultés que je décrivais et de terribles défis budgétaires. Si je ne disais pas ça, je mentirais. Mais il y a plein de choses qu'on peut imaginer de faire.
Par exemple, on peut se décider une bonne fois à poser toutes les questions et à résoudre toutes les questions qui touchent à la simplification, qui touchent à « on va vous enlever un certain nombre de charges de bureaucratie », qui touchent chacun d'entre vous : les petites entreprises, les PME, les entreprises moyennes, les familles, les foyers. L'idée que nous sommes un des pays dans lequel les obligations bureaucratiques et de normes pèsent le plus lourd. Il y a un très grand institut de recherche européen qui a conduit une étude que j'ai citée l'autre jour à la tribune de l'Assemblée nationale. Il a étudié dans chacun des pays européens ce que représentaient les obligations de bureaucratie et de normes excessives. Constamment augmentées, constamment renouvelées, et les papiers ne suffisent jamais, il en faut d'autres. Y compris pour les familles, pour les foyers. L'autre jour, une maman d'un petit garçon handicapé, lourdement handicapé, me disait ce que ça représentait pour elle d'avoir à reproduire tous les ans les dossiers à remplir. Elle disait : « comme si mon petit garçon devait chaque fois faire la preuve de l'immense difficulté de la maladie qui est la sienne ». Donc ça marche pour tout le monde. Et donc cet institut a calculé combien ça coûtait. En Allemagne, en Belgique même, en Autriche, ça coûte au pays 0,5 à 0,7% de croissance annuelle. En France, écoutez bien, c'est 4% de la croissance du pays.
Nous nous attachons nous-mêmes des poids aux pieds qui nous empêchent de marcher, qui nous empêchent de courir. Et rien que ça, comme volonté de changer les choses, de dire « ça, nous n'allons pas l'accepter plus longtemps ».
Alors j'ai une méthode dont je crois qu'elle va vous plaire : au lieu de faire faire ces simplifications et ces allégements par des gens très bien inspirés dans l'administration ou dans le monde politique - je salue tous les élus qui sont là de l'Assemblée nationale, du Sénat, de la région ou du département et de la ville. Alors, ce sont des gens très estimables, monde politique et monde administratif. Ce sont des gens bien. Simplement, depuis des années, on a vu que ça n'arrivait pas à changer réellement les choses.
Alors, je propose que ce soit les usagers, c'est-à-dire vous-même, qui proposiez les allègements, les changements, les effacements de normes nécessaires. Alors j'ai un argument que j'ai déjà utilisé dans des campagnes d'autrefois. Je dis : mais attendez, si on réfléchit un peu, l'administration, elle contrôle vos déclarations. Oui ou non ? Oui ! Alors qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu'elle a tous les éléments sur votre situation pour savoir si votre déclaration est sincère, si elle est juste. Et si, en partant de ce constat, on réfléchissait différemment en disant « écoutez, si vous l'acceptez ou si vous le voulez, désormais, c'est l'administration qui remplira les papiers et c'est vous qui contrôlerez ». Alors moi, je propose aux professionnels, aux représentants que vous êtes, aux associations, de prendre cette responsabilité et de vous placer en face de l'administration. Et je vais demander la même chose aux commissions parlementaires. De manière que tous ceux, dans toutes les chambres du Parlement, qui ont travaillé sur ce sujet depuis longtemps puissent être placés eux aussi en situation de responsabilité. Et je suis persuadé parce que je pense que vous êtes intelligents, beaucoup, très, très ou encore plus. Encore plus, d'accord. Je pense que vous êtes informés. Je pense que les grandes organisations représentant les entreprises, j'en vois une en face de moi à qui vous pouvez donner un coup de coude, comme ça il me regardera, très bien. Ces grandes organisations ont travaillé sur ce sujet depuis longtemps. Bien, on va vous mettre en situation de responsabilité et pas dans l'avenir, tout de suite. Avant la fin de ce mois de mars, j'aurai lancé le premier événement de la révision de tous ces sujets de bureaucratie excessive que la France aime tant, révision qui sera faite à l'initiative des usagers eux-mêmes. Comme ça, ils diront des choses concrètes et précises. Et ils voudront aller vite. Et ça tombe bien parce que je pense qu'il faut aller vite. Et puis après, il y aura les débats nécessaires et puis on tranchera.
Et ce qui m'intéresse, moi, c'est que vous retrouviez, vous tous qui êtes là, la certitude d'une reconnaissance et la certitude d'un droit direct à agir. Au lieu de subir comme c'est le cas si souvent et depuis si longtemps. Parce que, quand j'ai décidé de venir, Juliette, qui organise cet événement avec le président Nicolas Dufour, m'a dit : « vous allez tous au salon de l'agriculture, pourquoi vous ne venez pas au salon de l'industrie ? » Et nous allons au salon de l'agriculture, parce que nous aimons l'agriculture, mais on a bien le droit d'aimer l'industrie, de le dire, de l'affirmer et de le prouver aux yeux de tous. Et si dans tout le pays, ce mouvement de reconnaissance et de soutien dont nous avons besoin... Alors après, il y a des sujets qui vont naturellement se poser, qui sont les sujets des aides. Mais je vous ai dit, je ne crois pas que dans l'avenir, il y aura beaucoup d'argent pour trouver les soutiens, les allocations, les aides. Je ne crois pas que ni pour l'agriculture, ni pour la production intellectuelle, ni pour la production industrielle. Mais en revanche, enlever les obstacles, les entraves et les poids que vous avez au pied, ça je crois que c'est possible. Et c'est possible rapidement. Et c'est d'une certaine manière exprimer la solidarité que nous ressentons à votre endroit et à votre égard. Alors on va maintenant faire le tour du salon, le peu de temps qui reste parce qu'il paraît qu'après vous allez faire la fête, que vous allez guincher jusqu'à une heure avancée de la nuit et après ce qui se passe au salon reste au salon, n'est-ce pas ? Donc on va faire ces choses-là.
Je veux simplement vous dire que vous n'êtes pas tout seuls, qu'on est entré, comme je le disais en commençant, dans des temps qui sont des temps incroyablement exigeants, comme il n'y en a jamais eu depuis la guerre, parce que nous avons affronté trois défis en même temps. Le premier défi, ce sont ces circonstances internationales incroyables. Le deuxième défi, ce sont les finances publiques. Et tout le monde sait ce que c'est le déficit et la dette. Il n'y a personne en France qui, au fond de lui-même, ne sache pas que c'est une question… Alors, moi, j'ai essayé de défendre cette question depuis très longtemps. Et pendant très longtemps, personne n'écoutait. Aujourd'hui, tout le monde est obligé d'écouter. Il y a un troisième défi qui est l'efficacité de l'action publique. Quand vous êtes un citoyen, que vous êtes en face de l'État ou des collectivités locales, comment vous faites quand ça bloque, quand ça s'enlise ? C'est une énorme question française. Et c'est une question d'autant plus paradoxale que, Madame la préfète de région, quand il y a une catastrophe, l'État est formidable. Il est là, il est attentif, il est actif, il est inventif. On a connu ça récemment, les cyclones qu'on a eus à Mayotte, à La Réunion, l'incendie de Notre-Dame. L'État est là. Et quand les temps redeviennent normaux ou calmes, à ce moment-là, on est dans le blocage et l'enlisement. Et c'est une grande question pour nous tous.
Comment on peut faire ? Alors j'ai demandé, j'ai reçu aujourd'hui, de la part des ministres, je leur ai demandé de faire la liste d'émissions que leurs ministères et leurs administrations doivent remplir au service des citoyens. Et on va regarder ligne à ligne, et Madame la préfète vous m’aiderez, on va regarder, et les élus aussi, On va regarder ligne à ligne si ces missions sont remplies. On va se poser deux questions. La première, est-ce que c'est à l'État de faire ça ? Et on découvrira parfois qu’on pourrait faire confiance à d'autres acteurs pour le faire. Et la deuxième question, c'est, est-ce que ça coûte le juste prix ? Ou est-ce qu'on pourrait placer différemment les soutiens matériels pour cette tâche-là.
L'autre jour quand j'ai été nommé, la chaîne sur laquelle j'étais le soir a organisé une confrontation, en tout cas une interpellation, et c'était la secrétaire générale de la CGT qu'ils avaient invitée pour faire cette interpellation. Et Mme Binet a dit : « mais M. le Premier ministre, de toute façon, en France, il n'y a rien qui marche. L'éducation, ça ne marche pas. La santé, ça ne marche pas. L'économie, ça ne marche pas. Les services publics, ça ne marche pas. Tout est en panne ». Je lui dis « je crois que beaucoup de Français pensent comme vous, et pourtant nous sommes le pays du monde qui met le plus d'argent public dans l'action publique, et qui prélève le plus d'impôts et de taxes dans le monde pour son action publique. » C'est donc que ça n'est pas qu'un problème de moyens. C'est aussi, et probablement, et je crois que c'est la clé de cette affaire, un problème d'organisation. C'est un problème de confiance aux acteurs. Confiance à ceux qui sont sur le terrain. Qu'ils se sentent libérés et soutenus dans leurs actions.
Et c'est au fond ça qui inspire le gouvernement qui, dans des circonstances si difficiles, Madame la ministre, Monsieur le ministre, fait face ; dit qu'il va relever les défis et ses manches pour résoudre les défis. On va faire tout ça ensemble. Et je pensais qu'il fallait que je vienne pour que vous sachiez qu'au terme d'un salon, au terme d'une journée, avant de faire la fête, comme vous l'attendez tous en disant « mais il va nous tenir encore longtemps ce type » , je vois des éclairs de haine dans vos yeux !
Et donc, avant de clôturer cette soirée, je voulais vous dire que, sachez une chose : c'est que nous sommes là pour vous aider. Pas pour prendre les responsabilités à votre place, pas pour prendre les risques à votre place, ça n'existe pas, mais pour reconnaître la place unique qu’ont dans une société comme la nôtre, les entrepreneurs libres et volontaires. Merci beaucoup.