Jean-Pierre Cubertafon : "Les pouvoirs publics doivent mettre en place une procédure simple et rapide afin de ne pas décourager les acteurs locaux. Le bon sens doit être le maître-mot."
Le député de la Dordogne, Jean-Pierre Cubertafon, a été nommé par le Premier ministre pour mener à bien une mission sur la différenciation des politiques publiques au sein des territoires ruraux. À cette occasion, il revient sur les enjeux dans nos territoires français et le rôle que l'État doit occuper pour favoriser le dialogue entre tous les acteurs. Interview.
En quoi consiste votre mission de 6 mois sur la différenciation des politiques publiques au sein des territoires ruraux que le Premier ministre vous a confiée ?
Cette mission a pour objectif de déterminer comment les politiques publiques pourraient être adaptées aux spécificités propres aux territoires ruraux par l'application d'un principe de différenciation, et cela sans porter atteinte au principe d’égalité. Les dispositifs existants, comme l'agenda rural ou l’expérimentation par exemple, se font à droit constant ou ne permettent pas de mettre en place des politiques spécifiques pérennes. Le but de la différenciation est de faire diverger en ruralité les règles encadrant les politiques publiques pour mettre en place des actions différenciées dans chaque territoire afin de répondre à leurs besoins, faire du cousu main.
Pour cela, la mission poursuit un triple objectif. Le premier objectif de la mission est de fixer un cadre aux différents termes. Il s’agit de déterminer ce qu’est la ruralité, car celle-ci est plurielle. La ruralité désigne en France de nombreux territoires (zones de montagne, hyper-ruralité, péri-urbanité rurale, etc.) qui font face à des problématiques proches, mais aussi souvent différentes. Ensuite, il faut définir la différenciation, car c’est un nouveau mécanisme qui vient bousculer les règles existantes.
Le second objectif est de faire un état des lieux des différentes politiques publiques menées en ruralité dans divers domaines comme la santé, les réseaux, le soutien à l'économie, les services publics, etc. Une fois ce panorama dressé, il s’agit de voir comment le principe de différenciation peut être mis en œuvre dans le cadre de ces actions, c'est-à-dire en pratique et dans les textes, et s'il peut apporter quelque chose de plus afin de répondre aux besoins et aux attentes des territoires.
Enfin, le dernier objectif est de formuler des propositions. La mission doit nous permettre de proposer des solutions au plus proche des réalités locales en mettant en œuvre ce principe de différenciation. Il s’agit de proposer des solutions qui font diverger le droit existant afin de renforcer l'équité entre les territoires tout en garantissant l'application du principe d’égalité.
Comment s’adapter aux nombreuses spécificités des territoires français ?
Les besoins et les attentes des territoires sont nombreux et variés. Cette adaptation doit passer par une meilleure prise en compte des réalités des territoires ruraux. Cela passe par une action plus proche des citoyens et pas forcément menée par une administration centrale. Les acteurs locaux sont les plus à même d’identifier les problèmes et de mettre en place des éléments de solution.
Cette adaptation passe également par une nouvelle forme de pilotage des actions menées. Nous devons être capables de les adapter dans le temps afin de les réajuster ou de répondre à de nouveaux besoins.
En donnant un nouvel élan aux actions existantes, en mettant en place de nouvelles politiques publiques ou en permettant un pilotage plus agile, le principe de différenciation peut permettre d'améliorer la situation en ruralité. Il va donner un cadre juridique à une action publique qui s’adapte aux réalités territoriales.
Comment l’action de l’État peut-elle être efficace sur du long terme ?
En ruralité, l’action de l’État ne peut être efficace que par une prise en considération constante des réalités du terrain qui permet l'adaptation face aux évolutions du temps long. Cette adaptation sera permise par le principe de différenciation.
Pour être efficace à long terme, cette différenciation ne doit pas être une « usine à gaz ». Notre pays souffre déjà d'un trop-plein de normes complexes et d'un mille-feuille administratif trop épais. La différenciation doit s'imposer de simplifier ces édifices. Pour cela, les pouvoirs publics doivent mettre en place une procédure simple et rapide afin de ne pas décourager les acteurs locaux. Je souhaite que le « bon sens » soit le maître mot de cette procédure. En cas d'échec, le risque est que les fractures que l’on ressent sur le terrain s’accentuent.
Comment faire face à la désertification médicale qui sévit depuis des années dans nos campagnes ?
C’est justement l'un des objets de la mission ! : trouver de nouvelles solutions pour faire face à la désertification médicale.
Malheureusement, un constat se fait chaque jour plus évident : il existe dans notre pays de véritables inégalités en matière d'accès à la santé. De trop nombreux territoires font face à une pénurie de médecins et de professionnels de santé, mettant ainsi en danger le principe d'égalité. Dans mon département, comme dans beaucoup d'autres territoires, la situation est déjà critique : 9 100 000 français vivent aujourd'hui dans un désert médical, soit 13% de la population. Et le pire est à venir puisque la moyenne d'âge des médecins dans les zones sous-dotées est de 55 ans, contre 52 ans en moyenne, avec des départs en retraite massifs à court terme.
Des mesures ont déjà été mises en place, notamment à travers l’Agenda rural ou la loi « Ma santé 2022 », pour répondre aux difficultés des territoires qui souffrent de la désertification médicale. La télémédecine est ainsi développée, les stages des internes en médecine en zone rurale sont valorisés, des postes dans les territoires ruraux sont créés… Ces mesures vont dans le sens de la lutte contre la désertification médicale. C'est une bonne chose, mais ce n'est malheureusement pas suffisant.
Je souhaite donc que cette mission propose de nouvelles pistes d'action en s'appuyant sur un nouvel atout : la possibilité de mettre en place un principe de différenciation. Par exemple, nous pouvons doter les collectivités de nouvelles compétences, de nouveaux outils pour attirer les professionnels de médecine et les établissements de santé sur ces territoires.
Néanmoins, la lutte contre la diversification médicale ne se suffit pas à elle-même. Derrière nos difficultés pour attirer et retenir des médecins, il y a une problématique plus générale d'attractivité des territoires ruraux. Pour résoudre ce problème, nous devons donc valoriser les ruralités. C'est en rendant ces territoires plus attractifs dans tous les domaines (économique, social, culturel, réseaux, sport…) que nous pourrons convaincre les professionnels de santé de venir s’y installer et réduire la désertification médicale.
Quels sont les acteurs que vous allez rencontrer et avec qui allez-vous échanger ?
Je souhaite imprimer ma marque à cette mission : celle d'un parlementaire toujours à l'écoute, qui tire ses propositions du terrain et du dialogue. Aussi, durant cette mission, nous allons rencontrer l'ensemble des acteurs qui contribuent à l'action publique en ruralité, au niveau local, mais aussi au niveau national. Je souhaite rencontrer ceux qui vont mettre en œuvre, en pratique, la différenciation des politiques publiques en ruralité, ceux qui vont l'encadrer, ceux qui vont en bénéficier, etc.
Nous allons ainsi auditionner des acteurs qui mettent en œuvre les politiques sur le terrain et en ont des retours. Ce sont, par exemple, les responsables de programmes destinés à la ruralité comme France Services, France Très Haut Débit ou l'Agenda rural, qui dépendent de l'Agence nationale de cohésion des territoires, mais agissent au plus proche des territoires.
Mais (et surtout !), ce sont les acteurs locaux, implantés dans les territoires, comme les collectivités et les élus, les grands services publics, l'État déconcentré, les organisations professionnelles, etc.
Il s'agira aussi de rencontrer ceux qui vivent en ruralité et sont destinataires de l'action publique pour améliorer leur quotidien : les citoyens, des entreprises, le monde associatif, etc. À cette fin, je souhaite réaliser au cours de cette mission plusieurs déplacements dans les territoires. Il s'agira de s'y implanter quelques jours pour bien comprendre les enjeux de chaque territoire, les politiques qui y sont menées et ce que la différenciation peut apporter.
Quelles sont les échéances prévues au cours de ces 6 mois ?
Après trois mois, un rapport d’étape de la mission va être présenté au Premier ministre et à la ministre de la Cohésion des territoires. Ce point d’étape est l’occasion de vérifier que l’ensemble des acteurs est en accord sur l’orientation donnée à la mission et si tous les points saillants de l'action publique en ruralité sont abordés. Le rapport définitif doit être rendu pour la fin août/début septembre.
Le choix de ce calendrier a été fait afin qu'il s'adapte aux échéances de la loi 4D, en discussion au Parlement cette année. Le titre I de ce projet de loi concerne la différenciation. Ainsi, le rapport d'étape va être remis juste avant les discussions au Sénat et le rapport définitif sera lui publié avant la première lecture à l'Assemblée nationale. Je souhaite donc que ce rapport soit un outil au service de mes collègues parlementaires lors de l'inscription dans la loi du principe de différenciation.