Penser compétitivité économique en temps de crise
Mercredi 10 juin, Université 133 s’est penchée sur le thème « Penser compétitivité en temps de crise », auditionnant 5 élus : la députée européenne Marie-Pierre Védrenne, l’ancien vice-président de la commission des Finances du Sénat Jean-Jacques Jégou, les députés Bruno Millienne et Philippe Bolo, ainsi que Lilla Mérabet, élue du Grand Est et vice-présidente compétitivité, innovation, numérique. L’économiste Christian de Boissieu nous a fait l’honneur d’être avec nous.
L’historien Christophe Bellon a ouvert l’atelier en retraçant les politiques économiques des centristes sous les IIIe, IVe et Ve Républiques, avec une analyse précise de la vision du président de la République Giscard d’Estaing et de son ministre de l’Economie Raymond Barre. Se rattacherait-on à la tradition de l’ordo-libéralisme allemand ? Si l’on considère le rayonnement de la démocratie chrétienne en Allemagne, ce n’est pas si surprenant. Pour cet historique si fouillé de notre famille politique, Christophe Bellon s’est notamment plongé dans un petit livre précieux : CDS L’autre solution, le programme de 1977. Une référence que Jean-Jacques Jégou connaît bien ! Il a participé à la rédaction de ce petit livre bleu.
Olivia Leboyer a mis l’accent sur les lignes de temporalité, à ne pas confondre, face à une crise : le temps de l’urgence, le temps de la relance, et à l’horizon le temps de l’imagination d’une société meilleure, plus juste. Il y a un paradoxe : on annonce la plus grande crise depuis un siècle, avec des mots très forts. Or, il n’existe pas en économie de question plus importante que celle de la confiance. Quelles sont les mesures d’économie politique susceptibles de la faire resurgir ? Et surtout, quand et comment les annoncer et les mettre en œuvre ? Par exemple, une annonce de politique publique provoque un effet immédiat sur l’activité si la confiance existe. Si elle fait défaut, la même annonce n’aura pas le même effet.
Notre rapporteur Louis de Redon a mené les auditions de 5 élus. La députée européenne Marie-Pierre Védrenne, vice-présidente de la commission du commerce international, nous a expliqué de manière très détaillée comment la coordination entre les pays européens s’organise. Il s’agit d’assurer l’unité européenne face au choc du coronavirus. Le plan de relance qui se dessine sera ambitieux, les questions de l’environnement et de la transition numérique ne devant pas être négligées. Les GAFA doivent évidemment contribuer.
C’est à l’échelle de l’UE que la question de l’autonomie stratégique doit se définir.
Jean-Jacques Jégou nous a éclairés sur les politiques de gestion menées par la France depuis plusieurs décennies, analysant les dépenses publiques. Il décrit le processus de désindustrialisation qui s’est opéré. Il analyse notre dépendance à l’extérieur dans le domaine des médicaments. Par rapport à l’Allemagne, nous avons ainsi dépensé plus, pour un résultat moins bon.
Et, si l’on parle de compétitivité, on parle de création des richesses : en crée-t-on suffisamment ? Nous péchons, car nous avons plus de services que d’industries. Nous importons énormément. Or, il faut créer des richesses. Et des mesures comme les 35h n’ont pas arrangé les choses. Il faut s’interroger sur l’efficience des politiques mises en œuvre.
Avec le député Bruno Millienne, la discussion nous entraîne au cœur du Mouvement démocrate. Le redéploiement économique passe par les territoires. Profondément girondins, nous ne pouvons concevoir de plan qui ne viendrait que de l’Etat. La concertation, le pluralisme, l’attention portée aux spécificités territoriales sont nos fondamentaux. Il est vrai que l’on a désindustrialisé la France de manière incroyable. Il est indispensable de réindustrialiser les territoires.
Lilla Mérabet, élue dans le Grand-Est, nous a rappelé que l’on n’innove jamais tout seul, mais collectivement. Et le collectif passe par la relation entre l’Etat et les collectivités. Innover, cela suppose de pouvoir penser en dehors du cadre. L’innovation génère de la créativité, de la valeur. La région Grand-Est a été durement touchée par le virus : c’est une région qui était déjà très innovante, et qui se montre donc résiliente. Il s’agit de développer les innovations de manière responsable, au service de la transition écologique. Nous sommes une Europe à haute qualité humaine.
Le député Philippe Bolo se bat pour que l’évaluation des politiques publiques soit pleinement réalisée.Il faut ainsi intégrer l’évaluation ex ante, en s’appuyant sur la concertation pour définir une vision partagée, une idée de patrimoine commun que l’on défend. C’est l’efficience qui doit être considérée. De même, l’évaluation ex post est encore insuffisamment pratiquée. Or, cela permet aux parlementaires de pouvoir corriger leurs erreurs. La vraie difficulté tient à ce que les politiques publiques sont inscrites dans des temps électoraux. Il faut être toujours plus agiles.
L’économiste Christian de Boissieu a dialogué avec nos 5 intervenants et nos chercheurs, livrant son diagnostic de la situation actuelle. Il souscrit à la vision partagée qui s’est dégagée, fondée sur l’importance du local, de l’innovation, de l’évaluation. La difficulté de la temporalité vient de ce que nous sommes, à court terme, dans des stratégies défensives. Il s’agit de sauver des emplois, d’éviter des faillites. S’ouvre une période où les coopérations européennes peuvent et doivent progresser. Ce sera plus dur dans un an ou deux, lorsque chaque pays risque de chercher à affirmer ses avantages par rapport aux autres. Mais Christian de Boissieu n’est pas étonné de la relance franco-allemande. Il y a là un moment qu’il ne faut pas gâcher.
La crise actuelle va entraîner un petit mouvement de démondialisation. Il y a une demande de souveraineté, mais il faut bien déterminer à quel niveau. La crise appelle une révision rapide et drastique de la politique européenne de la concurrence. Le sujet de ces prochains mois touche à ce lien compétitivité et Etat. Et le retour des stratégies industrielles est nécessaire. Sur le souci écologique, le rôle des agences de notation va être important, avec une note qui combine les aspects financiers et extra-financiers. Il faut réfléchir à l’ingénierie industrielle et à la politique fiscale. Sur les plans de relance, la dimension écologique et la dimension technologique doivent être fortes.