Université 133 : Démographie, nouveaux enjeux et politiques familiales
Jeudi 29 juin, la dernière soirée Université 133 de la saison portait sur les enjeux de la démographie. Animé par Alice Le Moal (secrétaire générale du Mouvement démocrate, conseillère départementale des Hauts-de-Seine, chargée de la petite enfance), le débat réunissait Gilles Pison (démographe à l'INED, professeur émérite au Muséum d'Histoire naturelle), Baptiste Petitjean (conseiller, Haut-Commissariat au Plan), Vincent Chauvet (maire d'Autun, première ville de Bourgogne à avoir accueilli des réfugiés dès 2018) et Elodie Jacquier-Laforge (députée de l'Isère, rapporteur pour avis sur la Loi Asile et immigration).
La démographie touche toutes les échelles de l'organisation sociale : les enjeux sont géopolitiques, nationaux, locaux. C'est également un sujet intime, qui concerne chacun d'entre nous. Et c'est donc une question politique par excellence. Le démographe Gilles Pison le souligne d'emblée : que les gouvernants s'intéressent au nombre des gouvernés, et ce depuis Aristote, c'est la moindre des choses. Baptiste Petitjean cite Jean Bodin, pour qui "il n'y a de richesse ni de forces que d'hommes". Vincent Chauvet invite à la plus grande vigilance : un hiver démographique peut mener, comme en Italie, à des changements de comportements électoraux, plus radicaux. Elodie Jacquier-Laforge souligne que le débat est d'autant plus fécond qu'il réunit un démographe, une députée, une élue locale, un maire, un conseiller politique, soit les différents échelons de la question.
Projetant des graphiques éclairants, le démographe nous invite à méditer sur quelques paradoxes. La France se distingue de ses voisins européens par un taux de fécondité en moyenne plus élevé (1,8 enfant par femme). C'est aussi le pays où l'on vit le plus longtemps. Mais le solde migratoire français est plutôt moyen voire faible par rapport aux pays voisins. Un changement est à signaler : l'âge moyen des femmes ayant un premier enfant est plus élevé (31 ans en moyenne). Contrairement à ce que l'on pourrait espérer, la France ne va pas rejoindre la population de l'Allemagne ni la dépasser. Aujourd'hui, la baisse de la population n'est pas encore ressentie, en raison de la génération de baby boomers. Or, ces derniers arrivant à l'âge où l'on commence à mourir, la courbe des décès va s'accentuer. Si la population européenne décline légèrement, l'Afrique connaît une trajectoire inverse : un doublement de sa population d'ici 2050 et plus qu'un triplement jusqu'à la fin du siècle. En 2050, 1 humain sur 4 sera Africain, et plus d'1 humain sur 3 à la fin du siècle.
Il faut se préparer à ces changements. Baptiste Petitjean rappelle que François Bayrou avait l'intention de rédiger une note sur les enjeux liés à la démographie, dès son arrivée au Plan. Cette question est, à ses yeux, cruciale, car elle est au cœur de notre modèle social français et de notre manière d'organiser nos solidarités. Notre pacte social est en effet intergénérationnel. Les récents débats sur la réforme des retraites ont mis en lumière ce fait : la soutenabilité de notre modèle social dépend, en grande partie, des générations à venir.
Elodie Jacquier-Laforge montre que la démographie et la question migratoire sont liées. Saluant le travail de Marielle de Sarnez, elle montre comment l'immigration doit être pensée avec sérénité et recul, loin des peurs et fantasmes actuels. Marielle de Sarnez avait produit un rapport sur cette nécessité de regarder de façon la plus neutre et objective ce que l'immigration pouvait nous apporter. Qui accueille-t-on ? Comment accueille-t-on ? Si l'immigration a souvent un coût social, elle apporte légèrement plus qu'elle ne coûte, selon les évaluations.
Vincent Chauvet nous parle de sa ville d'Autun, vieillissante, où l'on compte deux décès pour une naissance et un surcroît de décès de 120 par an. Comment rendre la municipalité plus attirante ? Certes, des Parisiens ou des Lyonnais peuvent désirer s'y installer, mais l'apport des migrations est nécessaire, vital. Lorsqu'il s'agit d'intégrer une arrivée massive de bûcherons bulgares, les choses ne se font pas immédiatement. Mais avec la volonté de faire sa part et d'accueillir l'autre, une politique de bon sens porte ses fruits. Des Bulgares, des Ukrainiens, des Syriens, dès l'instant où l'apprentissage de la langue est mis en place, peuvent faire partie de la ville : suivant des cours le matin, et aidant aux services à la personne l'après-midi, par exemple. L'enjeu est énorme pour une ville moyenne : Autun vient de perdre cette année sa maternité, ce qui est lourd de conséquences pour les autres services publics. Or, la capacité d'accueil en crèches, les écoles, les cours de langue sont des facteurs indispensables pour le développement de la population.
Gilles Pison renchérit, et remarque que le discours du maire d'Autun fait plaisir à entendre, est raisonnable et volontariste : quand on part des réalités locales, on peut y arriver. La France devrait, selon le démographe, assumer d'être une région d'immigration. Gilles Pison revient sur les équilibres mondiaux : les pays du Nord ont un taux de fécondité en moyenne plus élevé que les pays du Sud, qui sont à 1,2 - 1,3 enfant par femme. Précisément, c'est dans les pays du Nord que le travail des femmes est le plus valorisé. Observation intéressante.
L'équipe du MoDem a réalisé un micro-trottoir, posant différentes questions à des passants de tous âges : Comment définiraient-ils la démographie ? Souhaitent-ils avoir des enfants ? Comprennent-ils ceux qui n'en veulent pas ? Que pensent-ils des politiques familiales ? Les réponses, assez variées, sont instructives. Les gens comprennent l'anxiété ambiante, l'éco-anxiété en particulier. La question de l'insécurité économique joue aussi dans la décision d'avoir ou non un enfant. Le pas est parfois difficile à sauter.
Le témoignage d'Anne Terlez, secrétaire générale adjointe au maire de Louviers et vice-présidente de l'agglomération Seine-Eure, nous montre qu'il est possible de mener une carrière politique tout en élevant 6 enfants. Elle a vécu un parcours parental dans de bonnes conditions, avec une écoute et un accompagnement aux bons moments.
Les invités s'accordent pour reconnaître que l'immigration nous place devant un défi, qui n'est pas tant celui du nombre que celui des modes de vie. Bien accueillir, bien intégrer, encore une fois, ne peut se faire qu'à partir de politiques publiques intelligentes et ouvertes au niveau local. Ces politiques sont transversales : le logement, l'éducation, la santé sont naturellement des questions liées aux conditions de vie, donc à la démographie. Vincent Chauvet pointe une crise de l'aménagement du territoire : Ceux qui attendent depuis 2 ans un logement social à Paris devraient pouvoir partir à Autun ! lance-t-il avec un sourire. En conclusion, Elodie Jacquier-Laforge insiste sur le fait que la charge de la démographie ne doit pas peser sur les seules femmes. Baptiste Petitjean observe que la démographie demeure, à l'échelle des relations internationales, un enjeu de puissance, qui détermine par exemple le nombre de sièges au Parlement européen. Et Gilles Pison salue notre modèle français où, contrairement à un pays comme la Chine, nous restons libres de vouloir des enfants ou non. Oui, conclut Alice Le Moal, notre fibre humaniste se reconnaît dans ce respect essentiel de la liberté de chacun.