Université de rentrée 2019 - Discours d'Edouard Philippe
Retrouvez ci-dessous le discours du Premier ministre Edouard Philippe lors de notre Université de rentrée.
Cher François, chers amis, je suis très heureux d'être avec vous à Guidel, en Bretagne.
Peut-être, d'abord, très heureux d'être avec vous parce que l'on se pose régulièrement ‑ en tout cas, il arrive qu’on me la pose ‑ la question et je suis certain que chacun d'entre nous doit parfois y répondre : « Pourquoi, au fond, vous êtes-vous engagé en politique ? Pourquoi avez-vous souhaité consacrer du temps, de l'énergie et du talent à cette action collective qu'est l'action politique ? ».
Certains peuvent répondre : « Par une ambition… ». Certains !
D'autres peuvent dire qu'ils pensent, à juste titre, qu'ils sont capables d'apporter quelque chose à leur pays, de mettre en œuvre des idées auxquelles ils croient.
Tout cela est infiniment respectable et tout cela est toujours vrai.
Mais il y a une autre raison, qui est indissociablement liée à l'engagement politique et, d'une certaine façon, à l'engagement partisan : c'est l'idée que l'on n'agit jamais seul. L'action politique, l'action militante, partisane n'est jamais une action individuelle : elle est toujours une action collective et, dans ce qui vous motive, dans ce qui nous motive au service de notre pays, il y a fondamentalement le plaisir d'être ensemble, de débattre, de se retrouver, d'échanger, de ne pas être forcément en plein accord sur tout, mais de créer ce lien particulier qui fait que l'on n'est pas, soi‑même, seulement un individu qui penserait ses idées et qui essaierait de les mettre en œuvre dans une espèce, au fond, de désert interpersonnel, mais bien des Français convaincus par une idée commune et qui essaient ensemble de la transformer.
Le fait, Mesdames et Messieurs, que vous ayez, que nous ayons plaisir à nous retrouver est d'abord un plaisir de l'existence, un plaisir de l'humanité et c'est aussi, je crois, quelque chose qui est au fond de notre engagement.
Alors, je veux dire à François, à tous ceux qui, au sein du gouvernement, sont issus de vos rangs : Jacqueline, Marc, Geneviève, à Patrick, avec qui j'ai pris désormais l'habitude de prendre mes petits-déjeuners le mardi matin ‑ et c'est une bonne habitude ‑, à tous les membres de la majorité, députés, sénateurs, qui portent avec exigence, croyez-moi, et à raison, nos idées, à vous tous, je veux vous dire : oui, vraiment, je suis heureux de vous retrouver aujourd'hui et de vous retrouver à Guidel, parce que c'est beau Guidel, c’est beau, mais c'est loin, selon la formule de Guy Verhofstadt ! Mais c'est beau, mais c'est loin !...
Non, ce n'est pas simplement parce que c'est beau, mais c'est loin Guidel que je suis heureux de vous retrouver ici : c'est parce que je sais, parce que François me l’a expliqué, parce que Marc me l’a dit, que c'est un moment important pour vous pour vous retrouver, pour penser, pour dire les choses, pour partager, et le fait d'être invité, lorsqu'on n'est pas complètement de la famille, eh bien, c'est un signe d'amitié et de confiance auquel je suis sensible. C'est encore plus beau d'être à Guidel !
Et puis, je suis heureux d’être en Bretagne ‑ je le dis à ceux d'entre vous qui sont Bretons ; il n'a échappé à personne que j'étais pour ma part Normand ‑, car tout le monde sait les relations d’émulation qui existent entre la Normandie et la Bretagne et tout le monde sait ‑ et je tiens à vous le dire de façon très sérieuse ‑ que les Normands aiment la Bretagne. Ils aiment la regarder depuis le Mont Saint-Michel, qui est en Normandie !, et ils la regardent souvent avec envie ! Souvent avec envie parce que, il faut le dire, il existe en Bretagne ‑ et cette région a donné l'exemple depuis longtemps ‑ une capacité à faire travailler des territoires et des élus qui ne pensaient pas la même chose ensemble et à défendre ses intérêts, les intérêts de sa population d'une façon assez remarquable à bien des égards et qui fait ‑ vous le savez tous, en tout cas pour ceux qui sont Bretons, mais aussi souvent pour les autres ‑ l'envie et l'admiration de tous ceux qui regardent ce qui se passe ici.
Un mot peut-être, parce que j'ai parlé d'émulation entre la Normandie et la Bretagne : nous connaissons la France, nous connaissons les querelles de clocher et les préférences de fromages. Nous savons tous qu'il est difficile de se mettre d'accord sur ce qui serait le plus beau de Metz ou de Nancy, surtout lorsqu’on est de Metz ou de Nancy ! Nous savons combien, entre Lyon et Saint‑Étienne, l'émulation est… et il se trouve, Mesdames et Messieurs, que j'ai grandi pour ma part entre deux villes qui se sont longtemps regardées comme en chiens de faïence : le Havre et Rouen.
Je voudrais, Mesdames et Messieurs, vous dire un mot de Rouen. Je suis née dans cette ville. J'y ai grandi entre le quartier sur les hauteurs de la Grand’Mare et la ville de Grand-Quevilly, dans la banlieue rive gauche. J'aime profondément cette ville, qui est ma ville natale. J'y ai toujours eu des amis et j’en conserverai jusqu’au bout de ma vie, j'en suis sûr.
Jeudi, un événement d'une grande importance s'est déroulé à Rouen : un incendie s'est déclaré dans la nuit qui, au fur et à mesure qu'il s'intensifiait sur un site industriel, a déclenché un panache de fumées noires à l'odeur âcre extrêmement impressionnant, extrêmement inquiétant, et l'ensemble de ceux qui vivent à Rouen ou dans la métropole rouennaise ou dans les communes aux alentours qui voyaient arriver au-dessus de leur tête ce panache funeste ont eu peur et ont exprimé une inquiétude qui est légitime et qu'il faut prendre au sérieux ; et peut-être d'ailleurs ont-ils eu encore plus peur et peut-être ont-ils vécu encore plus d'incompréhension parce que, jeudi, à la suite du décès du président Chirac, les télévisions nationales, les radios nationales ‑ et on peut le comprendre, ce n'est pas une critique ‑ étaient essentiellement focalisées sur la disparition du président. Mais songez, Mesdames et Messieurs, que, pour les Rouennais, que pour ceux qui vivent sur place ou pour ceux qui ont des proches sur place, le fait de savoir qu'un événement préoccupant se déroulait, alors même que l'on n'en parlait pas ou que l'on en parlait peu dans les médias, a renforcé l'inquiétude et l'incompréhension.
Je veux vous dire, Mesdames et Messieurs, qu'il faut entendre cette inquiétude et que nous la prenons au sérieux.
Dès jeudi, nous avons veillé à ce que la réponse opérationnelle pour traiter cet incendie soit à la plus haute mesure possible. Plusieurs centaines de sapeurs-pompiers venant de six départements, plusieurs centaines de véhicules se sont rendus sur place et ont géré en bonne intelligence avec l'ensemble des services de l’État, sous le pilotage en début d'après-midi du ministre de l'Intérieur, à qui j'avais demandé de se rendre sur place pour vérifier que la réponse opérationnelle était à la hauteur des enjeux, ont livré un remarquable travail pour essayer de préserver la sécurité des personnes et des biens.
Nous avons souhaité ‑ et je le dis de la façon la plus claire et la plus nette possible ‑ faire en sorte que tout ce qui est su, que toutes les analyses qui sont réalisées, les analyses les plus rapides au moment de l'événement et les analyses les plus complètes au fur et à mesure que ces analyses peuvent être mises en œuvre, soient rendues publiques.
Pour faire face à l'inquiétude légitime des populations, il n'y a qu'une solution : le sérieux et la transparence complète et totale, et, même lorsqu'on est sérieux et même lorsque, comme nous le faisons, nous mettons en ligne, accessibles depuis le site de la préfecture, l'ensemble des analyses au fur et à mesure qu'elles nous arrivent, même lorsque l'on est dans cette situation, nos concitoyens sont parfois inquiets, et je ne parle pas de la petite partie de la population de nos concitoyens qui versent irrémédiablement et parfois brutalement dans une forme de complotisme : je parle de nos concitoyens qui, de bonne foi, veulent savoir si l'air qu'ils respirent, si les retombées du nuage et si demain les produits qui sont encore stockés sur le site présentent un danger pour eux.
Je veux dire, Mesdames et Messieurs, en mon nom propre, au nom du gouvernement, et je crois parce qu'il faut prendre les responsabilités que nous confère la Constitution et que nous confère la démocratie, que l'engagement du gouvernement est, en la matière, de répondre à toutes les questions, de faire la transparence totale, pas la plus grande, la transparence totale sur l'ensemble des données qui sont à notre disposition et de travailler le plus intensément possible avec l'ensemble des acteurs locaux et nationaux pour trouver les solutions, pour donner des garanties et pour régler au plus vite cette situation, dont j'ai dit combien elle me préoccupait et combien elle inquiétait légitimement les Rouennais.
J'ai presque envie de dire, Mesdames et Messieurs, que je pourrais m'arrêter là parce que François Bayrou et Stanislas Guérini ont presque dit tout, et souvent bien mieux, de ce que je voulais dire.
François Bayrou, François, a rendu hommage à Jacques Chirac. Lorsque nous nous sommes croisés les premières fois, cher François, les relations entre la famille politique à laquelle j'appartenais et celle que tu continues à faire vivre étaient des relations… d'émulation ! C'est le moins que l'on puisse dire ! Et, au fond, c'est presque plus intéressant… enfin, non, pardon, ce n'est pas plus intéressant : c'est presque aussi touchant qu'un hommage à un homme aussi complexe qui aura autant marqué notre vie publique soit rendu par quelqu'un qui n'a pas toujours été d'accord avec lui.
Il y a deux soirs, je buvais une bière, une Corona en l'occurrence, avec un de mes amis qui n'a jamais été chiraquien, qui d'ailleurs n'a jamais été membre d'une famille politique qui aurait pu être dans l'orbite chiraquienne, plutôt un homme de gauche, qui me disait sous le coup du secret ‑ je ne donne pas son nom, car vous le connaissez ‑ qu’en 1995, alors jeune homme, il s'était rendu à un des meetings de campagne organisés par Jacques Chirac pour les jeunes. C'était à Bercy, me disait‑il, et il me disait que, avant que celui qui était le candidat prenne la parole, Johnny Hallyday était présent et avait eu cette formule : « On a tous en nous quelque chose de Jacques Chirac ».
Je ne sais pas ce qui me fascine le plus : la justesse du propos de Johnny Hallyday ou le fait que cet ami était présent à ce moment-là, mais la vérité, c'est que nous avons tous, nous, Français, quelque chose de Jacques Chirac et, quand je dis cela, je le dis avec une admiration profonde, mais aussi avec beaucoup de lucidité.
Jacques Chirac n'était ni un saint ni un homme parfait. Derrière la truculence et la chaleur réelle, il y avait la dureté et la capacité à trancher. Derrière la fidélité à certains, il y avait des trahisons qu'il avait subies et des décisions qu'il avait dû prendre. Il était un homme et, parce qu'il était un homme, il n'était pas parfait. Il était un homme engagé et je voudrais citer cette phrase que l'on attribue parfois à Charles Péguy ‑ je crois que c'est Finkielkraut qui l’attribue à Péguy ‑ : il parle de « ceux qui ont les mains propres parce qu'ils n’ont pas de mains ». Il avait pris la décision de mettre dans sa vie publique « les mains dans le cambouis » pour essayer d'avancer.
Et puis, il était un chef d'État, et un chef d'État ne vit pas dans un monde parfait. La perfection et la pureté ne sont pas des critères qu'on peut lui opposer, mais le réalisme, l'intérêt de la France, la conception que l'on a des relations internationales et du bien-être et des intérêts de son peuple, voilà ce qui a guidé Jacques Chirac, voilà pourquoi il n'était pas un homme parfait et voilà pourquoi, parce qu'il était profondément Français, parce qu’il était amoureux de la France et de ses concitoyens, parce qu’il avait, selon la formule que je trouve belle, « un ami dans chaque village », voilà pourquoi nous retrouvons tous, à un moment ou à un autre de sa vie ou de ses choix, quelque chose qui nous touche.
Et ce qui nous rassemble ‑ François l’a très bien dit ‑, c'est ce qui rassemble une nation. Une nation, ce n’est pas simplement un peuple d'individus qui partageraient des intérêts. Une nation, c'est autre chose : c'est un peuple d'individus libres qui partagent des valeurs, des souvenirs, des aspirations, des tendresses, des oppositions et des crispations.
Et, lorsque défilent un par un très grand nombre de Français pour saluer et célébrer la mémoire de Jacques Chirac, c'est exactement ce qui se passe. Nous partageons quelque chose autour de quelqu'un qui a représenté quelque chose d'important pour la France, pour cette nation qui est la nôtre.
L'amour de la France et des Français, les convictions européennes qu’il s'était construites, le choix très gaullien d'une amitié franco-allemande assumée, qui n'était pas rêvée ou idéalisée, qui était lucide, c'est-à-dire la conviction qu'il faut construire ce lien entre la France et l'Allemagne si nous voulons éviter qu'un jour dans l'histoire les chemins de traverse, les lignes de plus grande pente et les mauvaises habitudes puissent reprendre, ce choix de l'amitié franco-allemande, cette défense du multilatéralisme, cette vision d'une France qui parlerait à tous, parce que les États doivent se parler, François a eu raison de dire que le choix de 2003 est un choix qui s’est largement fait contre sa famille politique, qui pensait que le lien Atlantique était plus fort que, au fond, presque tout. Cela n'a pas été le choix du président Chirac.
Le choix de supprimer le service national en 1995, non pas pour le plaisir de supprimer le service national, mais pour faire en sorte que la France puisse se doter demain d'une défense à la hauteur de ses intérêts et des menaces auxquelles elle devrait un jour faire face, ce choix-là a largement été fait contre sa famille politique. Il a été fait avec l'idée qu'un homme d'État pense moins à sa famille politique qu’à ce qu'il croit juste pour le pays, et il y a là quelque chose comme une leçon, en tout cas une leçon que, moi, je me donne et que je reçois moi-même et que chacun d'entre nous médite, je le sais. C'est une leçon, au fond, d'espoir et d'avenir.
Je n'oublie pas ses choix, je n'oublie pas le choix constant qu'il a fait dans la politique de lutte contre le handicap. Deux grandes lois en la matière à 30 ans d'écart datent de 1975 et de 2005. Ce n'est pas un hasard : c'est le choix constant d'un homme qui sait qu'il faut porter une attention particulière à ceux qui se trouvent dans une situation particulière et difficile.
Autrement dit, nous avons sans doute tous en nous quelque chose de Jacques Chirac et je trouve, cher François, qu'avoir pu le dire tous les deux ici à cette tribune a quelque chose de surprenant, mais de touchant, que je n'oublierai pas.
François a eu raison de dire que nous parlions entre nous au moment d'une rentrée et à un moment où les vents et les vents menaçants se lèvent partout. Il a cité un grand auteur palois ; je pourrais citer un grand auteur Havrais : Sénèque. Sénèque était un peu Havrais ! Il ne l'était pas, mais, s'il avait connu Le Havre, il le serait devenu !
Sénèque, comme vous le savez, disait qu'il n'y a pas de vents favorables pour celui qui ne sait pas dans quel port il veut se rendre. Que les vents mauvais soient levés, c'est l'évidence et il faut en avoir conscience, mais ils ne se tairont pas et il serait illusoire et probablement irresponsable d’imaginer qu'ils vont disparaître d'eux-mêmes et il serait illusoire et irresponsable d'imaginer que, parce qu’ils se sont levés, il faudrait rester tranquillement au port en se disant que rien ne doit bouger, rien ne doit changer. Nous avons tous cette conviction, Mesdames et Messieurs, nous la partageons, j'en suis sûr : parce que les vents mauvais se sont levés, nous devons savoir où aller. C'est la responsabilité du capitaine, c'est la responsabilité de la majorité, c'est la responsabilité du chef de l'État de dire dans quel port nous allons et comment nous y allons et c'est une tâche redoutablement difficile, redoutablement exaltante et je partage tous les mots : la fierté, l'admiration, la reconnaissance aussi à l'égard du président de la République de tenir ce rôle, de prononcer ces mots, de prendre ces initiatives au niveau national et au niveau international pour faire en sorte que la singularité française demeure et que les intérêts de notre pays soient défendus.
Mesdames et Messieurs, tout cela exige que nous fassions ce sur quoi nous nous sommes engagés, que nous puissions mettre en scène ou plus exactement en œuvre cet acte 2, comme il a été baptisé, qui veut que nous puissions continuer à aller loin et à transformer notre pays en prenant en compte ses aspirations profondes et en essayant d’associer, d'enrichir notre projet en permanence par ce que souhaitent les Français.
Car François a raison, il en va d'un pays comme d'une commune : on ne l'emmène loin que lorsqu'elle sait où on l'emmène et que lorsqu'elle définit là où elle veut aller. Et c'est, non pas facile ‑ je ne veux pas diminuer les mérites du maire de Pau et des autres ‑, mais c'est plus facile, nous le savons, à l'échelle municipale qu'à l'échelle nationale. Et pourtant, c'est cette exigence que les maires comprennent, soit parce qu'ils le sentent intuitivement, soit parce qu'ils l'on appris, c'est cette dimension que nous voulons donner à la politique nationale en ne la regardant pas de façon naïve, mais en la portant de telle façon que nos concitoyens puissent participer à l'élaboration et à la définition des politiques publiques que nous allons mettre en œuvre.
Des vents défavorables sans doute, mais des projets extraordinaires. Je le dis comme je le pense.
Nous soumettons depuis quelques jours à l'Assemblée nationale un projet de loi de bioéthique. Je ne vais pas revenir sur le fond, mais je voudrais indiquer quelque chose qui me semble important, peut-être pas plus important que le fond, mais important sur ce qu'est la démocratie et ce sur quoi nous appelait à réfléchir François tout à l'heure : la tonalité de ce débat.
Nous avons veillé ‑ et, quand je dis « nous », c'est le gouvernement, mais c'est la majorité et c'est, je crois, les femmes et les hommes de bonne volonté ‑ à ce que ce débat sur la loi de bioéthique puisse être le plus serein possible. Quand je dis « serein », cela ne veut pas dire que tout le monde pense la même chose, loin s'en faut, et cela n'a échappé à personne, mais cela veut dire que, justement, nous voulons en faire un débat démocratique où les arguments s'échangent, où les expériences sont évoquées, où l'on écoute ce que disent les gens qui ne sont pas d'accord avec vous. Tout cela tranche singulièrement, Mesdames et Messieurs, avec d'autres débats dans des champs qui ne sont pas très éloignés que j'ai connus, parlementaire de l'opposition en 2014 ou en 2013, et qui, justement, n'étaient pas portés par cette idée qu'il est légitime que certains ne soient pas d'accord avec d'autres, que nous n'apportons pas avec le projet du gouvernement la vérité ou la lumière, là où les autres seraient, par définition, dans l'erreur et dans la réaction. Nous apportons une position réfléchie et cohérente et nous la soumettons au débat public et à l'appréciation de chacun, parce que c'est cela la démocratie, cette tonalité à laquelle le Modem contribue largement. Je veux saluer le rôle important que joue dans la commission et comme rapporteur Philippe Bertin. Le Modem contribue largement à cette tonalité. Soyez-en remerciés, car ce que nous faisons là pour la démocratie est à la hauteur des enjeux, j'en suis sûr.
De même, nous entrons dans une période compliquée de réforme des retraites. Pourquoi réformer les retraites ?... parce que ce n'est pas facile ! C'est sûr que, si on avait voulu jouer la facilité, on n'aurait pas regardé.
Nous ne le faisons pas par je ne sais quelle fascination pour la difficulté : nous le faisons parce que nous pensons que ce système doit être modifié. Nous pensons que ce système comporte en lui-même des injustices trop notables. Nous pensons que sa solidité n'est pas garantie. Nous pensons qu'il est surtout de moins en moins adapté à la réalité de ce que sont aujourd'hui, et les métiers, et les carrières professionnelles et que, donc, si nous voulons convaincre les plus jeunes d'entre nous, ceux qui, à 30 ou 35 ans, vous disent parfois très brutalement, très cruellement : « Mais moi, je n'en aurai pas de retraite », qui ne croient pas que le système actuel sera capable de délivrer une retraite dont ils seraient certains, alors, nous devons modifier ce système, non pas d’ailleurs le réformer, le corriger ici ou là, mais le refonder, et je voudrais dire que les trois priorités, les trois accents toniques qui ont été évoqués par François tout à l'heure me vont parfaitement.
L'idée que, dans notre système universel, les droits acquis par ceux qui ont travaillé soient conservés est une idée juste que je partage totalement.
L'idée selon laquelle nous devons créer le mécanisme qui permette de garantir la valeur du point, c'est-à-dire, au fond, la prévisibilité et que ce ne soit pas simplement une décision prise dans un bureau, fût-il ministériel, voire premier ministériel, mais par un organisme qui associe les forces, qui représente ceux qui travaillent, tout cela me va très bien et de cela nous discuterons dans le cadre des négociations qui ont été engagées pour imaginer le futur système.
L’idée ‑ et c'est le troisième point sur lequel François a insisté ‑ que, dans le cadre de la définition d'un régime universel, on ne perde jamais de vue un certain nombre de particularités et d'efforts passés, non seulement je suis très à l'aise avec cela, mais le Haut-commissaire, l'ensemble de la majorité peuvent parfaitement, et l'entendre, et le prendre en compte.
Nous sommes en train de refonder le système. C'est difficile, c’est exaltant, c’est anxiogène parfois, mais c’est nécessaire. Lorsque je me suis exprimé au Conseil économique, social et environnemental, j'ai cité un autre grand auteur Havrais : Jean-Jacques Rousseau ! Il n’était pas non plus Havrais, mais, quand il a écrit, il aurait pu être Havrais, car Le Havre existait ! Jean-Jacques Rousseau parle de « la force commune qui vient de l'association de chacun », de cette force commune qui est au cœur du contrat social qui vient de l'association d'hommes et de femmes ‑ à l'époque de Rousseau, c'était surtout des hommes libres.
C'est cela notre projet, c'est refonder d'une certaine façon le modèle social. Ce n'est pas un petit projet, ce n'est pas une petite réforme. Il faut prendre le temps de l'expliquer et de la penser et nous allons prendre ce temps, car nous avons le temps. Nous ne le faisons pas sous le coup de l'urgence financière. Les systèmes sont en déséquilibre aujourd'hui et tout indique qu'ils vont continuer à être en déséquilibre d'ici 2025, mais nous avons voulu nous en assurer et le faire garantir par une expertise indépendante.
Mais ce déséquilibre à l’horizon de 2020 et 2025 n’est pas la raison pour laquelle nous créons un système universel, ce n'est pas vrai. Nous le faisons parce que nous pensons que, en 2035, en 2050, en 2060 ou 2070, le système que nous allons créer étant plus juste et plus solide, il offrira ce contrat social qui fait qu'une nation se tient. Nous travaillons, au fond, pour les générations futures et c'est très bien ainsi, car c'est aussi la mission que vous portez et que vous confiez aux parlementaires qui vous représentent et c'est aussi l’aune à laquelle on doit fixer le débat public et l'intérêt général.
Mesdames et Messieurs, retraites, bioéthique, transition écologique, budget… je ne vais pas vous faire le budget !, mais retenez trois choses, parce qu’elles sont importantes.
Nous allons baisser les impôts largement, considérablement : encore 10 milliards cette année, encore 10 milliards d’euros de baisse nette d'impôts. C'est considérable. Et nous allons le faire conformément à ce que les parlementaires, y compris ceux du Modem, ont dit, c'est-à-dire en veillant à ce que cette baisse d'impôts puisse concerner majoritairement la première tranche de ceux qui sont soumis à l'IRPP, à l’impôt sur le revenu.
Baisse des impôts des ménages avec la taxe d'habitation, avec l'IRPP.
Nous aurons en 2020 le plus faible déficit depuis 20 ans : 2,2. On pourra toujours dire ‑ et j'en entends certains me le susurrer déjà ou plutôt le dire avec un accent plus tonique ‑ que l'on pourrait faire mieux. Sans doute, mais nous aurons le déficit le plus faible depuis 20 ans. Souvent, ceux qui disent que ce n'est pas assez peuvent se reporter à ce qu'ils ont essayé de faire eux-mêmes et je ne les critique pas, parce qu'ils ont sans doute fait du mieux qu'ils pouvaient, mais il se trouve que ce sera le plus faible depuis 20 ans. Vous voulez que je le redise pour que ce soit bien… ?
Il y a une troisième chose que je veux dire : c'est que ce budget sera ‑ et c'est bien naturel ‑ le budget des engagements tenus, c’est-à-dire que l'ensemble des engagements que nous prenons sur les priorités, sur les efforts qu'il convient d'apporter, là aussi, sera tenu. Ce budget que les ministres présenteront à l'Assemblée nationale et au Sénat dans les jours et les semaines qui viennent et qui sera évidemment débattu, discuté, est ‑ je vous le dis comme je le pense ‑ un budget conforme à ce que nous voulons faire.
Et puis, dans quelques mois, il y aura après tout cela les municipales, et je voudrais presque conclure sur ce sujet.
La première fois où j'ai eu la chance de longuement parler avec François Bayrou, c'était au Havre. Il s'en souvient. Avant ‑ je vous parle de cela il y a longtemps, je n’étais pas Premier ministre ‑, nous nous croisions et c'était souvent bref, il faut bien le reconnaître. Mais, un jour, François est venu au Havre faire ce que font souvent les maires : venir voir, comprendre, et nous avons visité le port du Havre, nous avons dîné, nous avons parlé. C'était en 2014, je crois. Et puis, je me souviens, il y a deux ans, en septembre 2017, être venu à la foire de Pau et avoir eu la chance de découvrir la façon dont tu voyais ta ville, François, ses projets, sa réalité, ses difficultés.
Pourquoi je vous raconte cela ? D'abord parce que, quand les maires se rencontrent, ils se racontent des histoires de maires, mais surtout parce qu'être maire, c'est radicalement différent de l'exercice de tous les autres mandats. Je n'y peux rien, c'est comme cela. Ce n'est pas moi qui… C'est comme cela. Je vous dis que c'est comme cela ! C'est effectivement quelque chose de radicalement différent dans le lien que l'on entretient avec sa population, dans la capacité que l'on a à voir le produit de ce que l'on a décidé ‑ c'est difficile ailleurs de voir le produit de ce que l'on a décidé : c'est facile lorsqu'on est maire ‑, dans la capacité que l'on a à toucher directement la vie de tous les gens, de tous ses concitoyens, dans cette espèce d'harmonie ou de tension permanente entre des dossiers qui sont de l’hyper urgence ou de l'hyper trivial et des dossiers qui exigent des choix qui vont engager la vie sur 30, 40, 50 ans.
Tout cela, c'est être maire.
Les élections municipales ‑ François l’a souvent dit, Stanislas le sait ‑, ce ne sont pas des élections partisanes, et je ne doute pas, car cela a toujours été le cas, Mesdames et Messieurs, que, au soir du deuxième tour des élections municipales, certains, sur des plateaux de télévision parisiens ou peut-être ailleurs, voudront faire une lecture partisane des résultats des élections municipales. Je n'en doute pas. En fonction des résultats, ce ne sera pas forcément les mêmes ! Mais je sais profondément que cette logique partisane n'a qu'une importance minime, marginale, accessoire dans les mécaniques et les logiques qui doivent prévaloir à l'échelon municipal.
Et je le dis parce que j'ai eu l'occasion de le dire ‑ Stanislas, tu le sais ‑ aux Journées parlementaires de la République en Marche à Bordeaux : faire en sorte qu’une formation politique qui a commencé sa vie au niveau national puisse progressivement s'enraciner à l'échelon local est un exercice qui a toujours été et qui sera toujours un exercice lent, toujours. Cela prend du temps et ce n'est pas grave et il faut l'assumer. Cela prend du temps, il faut donc composer, il faut donc reconnaître, il faut donc cultiver les complémentarités sans jamais rien renier de ses idées, jamais.
Cet exercice que nous sommes en train de faire et qui se passe, en vérité, de mon point de vue, cher François, cher Stanislas et chers tous les autres, beaucoup mieux que ce que l'on dit, est important à long terme, il est important pour le territoire, pour nos communes et il est important à très long terme.
Si nous essayons de savoir transformer le pays, si nous savons dans quel port nous voulons aller, si nous préparons ces échéances électorales, c'est parce que, au fond, nous aimons la France, et nous ne devons jamais perdre le sens de notre action et de notre engagement.
Les femmes et les hommes et le contact humain, l'intérêt de notre pays et ce que nous voulons préparer pour nos enfants et nos petits-enfants, la France que nous voulons construire et que nous aimons, c'est une mission exceptionnelle, c'est une mission qui, dans tous les pays, est difficile à conduire, et je me souviens avoir entendu un jour le président de la République ‑ c'était lors du premier congrès qu'il avait tenu à Versailles ‑ dire que la France était peut-être irréformable. J'espère que, très exceptionnellement, sur ce point, il se trompait ! Je le dis respectueusement.
Je voudrais conclure en vous disant que j'ai une très grande confiance dans notre capacité à avancer et à être à la hauteur de ce que le pays nous demande et de ce qu'il attend. Une très grande confiance.
Ce week-end restera marqué par Guidel. Il restera marqué par la réunion de Fontainebleau de nos amis d'AGGIR. Il restera marqué par des déclarations qui montrent que notre majorité a vocation à s'agrandir. C'est une incroyable nouvelle. Cela n'arrive jamais, 2 ans après une élection présidentielle, que la majorité s'agrandisse. Je l'ai vue s'étioler dans des quinquennats ou des septennats précédents. Il se trouve qu'elle s'agrandit et c'est plutôt une excellente nouvelle.
Ce week-end restera marqué aussi par une réunion dont je ne veux pas citer le nom à cette tribune, mais qui me frappe par la violence et par la tonalité des propos qui ont été prononcés. Cette prétendue convention d'une prétendue droite a donné lieu à des discours que je trouve nauséabonds et profondément contraires à l'idée que nous nous faisons de la France et de la République.
Une des dernières interventions, Mesdames et Messieurs, du président Chirac en mars 2007 a été pour encourager ses concitoyens, pour nous encourager à toujours et systématiquement refuser l'extrémisme. Ces propos ont 19 ans… non 12 ans. Ils ont été prononcés par un homme qui, en 2002, s'est retrouvé face à Jean-Marie Le Pen au deuxième tour d'une élection présidentielle. Ces propos n’ont perdu en rien leur acuité et c'est à nous, sans se livrer à des excommunications, sans se borner à une forme de condamnation morale, mais en transformant notre pays et en faisant en sorte qu'il soit celui que nous voulons, qu'il nous appartient d'être à la hauteur de cette dernière exhortation.
Je vous remercie.