UR 2024 : Discours d'ouverture de François Bayrou
Absent(e) lors de notre Université de rentrée ?
Revivez le discours d'ouverture de François Bayrou lors de notre Université de rentrée 2024 à Guidel.
Seul le prononcé fait foi.
Mes chers amis,
Il y a encore des centaines qui sont des centaines de nos amis qui sont en train d'arriver et je vous remercie d'être l'avant-garde de cette Université de rentrée dont je veux vous dire quelques mots. Mais en réalité, vous savez en quoi cette université de rentrée est plus cruciale que bien d'autres et pourquoi nous avons eu de responsabilités particulières dans le moment et le climat que nous vivons.
Je n'ai jamais connu — et les plus âgés parmi nous non plus— un moment de si fortes tensions, de nuages aussi sombres au-dessus de notre pays. Mais si ça n'était que de notre pays, évidemment, ça n'aurait pas la même signification. Parce qu’on pourrait se dire qu’en quelques mois on en sort aisément, par des politiques différentes. Je crains que ce soit plus grave que ça. Et c'est plus grave parce que le monde et la planète sont
entrés dans un nouveau cycle. Et ce nouveau cycle, c'est le cycle des violences généralisées et des rapports de force généralisés, le cycle des rapports de force universels. Si on essaie de de promener le regard sur le monde alors, on regarde la Chine, on regarde l'Inde...
Mais je vais m'arrêter un instant sur les questions écologiques. Pour commencer, le discours, n'est-ce pas ? Nous sommes, nous Européens, à la poursuite d’'économies de CO 2. Nous qui ne sommes émetteurs que de moins de 1% des gaz à effet de serre de la planète. Et tout le monde identifie les centrales à charbon comme étant un des émetteurs les plus abondants et donc dangereux de CO 2 sur la planète. Or la Chine construit deux centrales à charbon par semaine. Deux centrales à charbon par semaine ! Et il y a eu récemment la COP. Et à la dernière COP, le gouvernement indien est venu et a dit : « Excusez-nous, mais votre obsession contre le charbon ne sera pas la nôtre, et nous, nous continuerons à construire des centrales à charbon parce que nous en avons besoin pour notre développement. Alors s'il vous plaît, ne nous cassez plus les pieds ». C'est à peu près les mots exacts qui ont été utilisés par le ministre qui représentait le gouvernement indien. Et les sociétés chinoises ? La société chinoise se trouve devant de très graves problèmes, des problèmes internes. La société chinoise est lancée, elle, dans une quête de domination, par matières premières interposées. Et par politique monétaire interposée et par dumping industriel interposé. Qui font que bien des produits que nous essayons de fabriquer sont livrés chez nous, moins cher que le prix même des matières premières utilisées. Ça s'appelle du dumping, c'est vieux comme le monde. Vous vendez moins cher de manière que vos concurrents ne puissent pas suivre et qu'ils soient obligés de plier. Et le jour venu, vous remonterez vos tarifs. C'est connu comme le loup blanc.
Et puis vous avez ce qui se passe autour de l'Iran. Ce sont des violences idéologiques de domination religieuse. Et vous savez que l'Iran, c'est le principal fabricant des drones de Poutine ! Et puis vous avez ce qui menace à cette minute même au Liban. Après l'agression du 7 octobre contre Israël. Et l'enchaînement des drames, des malheurs, des violences qui se déroulent à Gaza, au Liban, et peut-être avec la menace de se répandre dans toute la région.
Et puis vous avez. Les sociétés elles-mêmes qui sont divisées si profondément. La société indienne entre hindouistes et musulmans : c'est une violence absolument irrépressible depuis des décennies, mais qui s'aggrave chaque jour un peu plus.
Puis les États-Unis, bien sûr. Les États-Unis n'attaquent pas des pays libres pour les occuper comme Poutine l'a fait, mais y a aux États-Unis une volonté de domination par la capacité industrielle, par la capacité technologique, par le numérique, par les brevets et par la monnaie. Puisqu’eux peuvent se permettre des déficits considérables allant jusqu'à 8% l'an, parce qu’ils ont la monnaie du monde. Donc c'est facile : leurs bons du Trésor sont constamment demandés !
Et donc partout il y a des violences, il y en a comme on sait à notre frontière avec l'Ukraine. Et puis on voit que des pays européens eux-mêmes, avec Monsieur Orban avancent en tête de pont. Il existe un grand nombre de difficultés, de groupes de pression ou des forces de pression qui pèsent sur nous. Et ça sans parler — mais je veux le faire précisément à l'entrée de cette rencontre — sans parler du sort des femmes en Afghanistan, en Iran. Les femmes en Afghanistan n'ont même pas le droit de sortir et à l'école leur est interdite comme petites filles.
C'est dans ce monde-là que nous vivons. Et dans ce monde-là, il est absolument impossible de compter, de peser si l'on est faible soi-même. Et c'est ça le contexte de ce que nous vivons. On a eu des crises successives, 3 crises successives : les gilets jaunes d'abord, le COVID ensuite et la crise militaro économique qui a suivi l'invasion de l'Ukraine avec l'inflation que nous savons et les problèmes énergétiques que nous savons. Le gaz russe remplacé par le gaz de schiste américain.
Et notre pays ? Comme d'autres pays européens, notre pays est menacé au moins autant. D'abord pour des questions de finance publique. Permettez-moi de rappeler que j'ai été le seul responsable politique français à mettre les questions de finances publiques au centre d'une élection présidentielle ou de plusieurs élections présidentielles. Tout le monde s'en fichait. Il y a eu des vagues successives. La principale avant celle-ci étant les 30 points d'endettement que Nicolas Sarkozy a consentis au moment de la crise des subprimes de 2008.
Et puis ces 3 crises que j'évoque ont entraîné la France aussi, de sorte que oui, nous avons une question très importante de déficit et de dette. Et cette question-là, elle se double des autres crises : crise de l'école, crise du financement des retraites, crise du financement de la sécurité sociale, crise des désordres sociaux et sociétaux. Avec les drames que nous connaissons autour de personnes, d'hommes en en général, de jeunes hommes en général, qui auraient dû être depuis longtemps conduits à l'extérieur de nos frontières ou mis en lieu sûr de manière qu'ils ne nuisent pas. Et on pense évidemment à cette jeune fille dont les obsèques avaient lieu aujourd'hui : Philippine, étudiante à Paris et qui a été victime d'un prédateur qui était déjà identifié, condamné et OQTF. Tout cela créé pour notre pays un climat d'incertitude. Et tout ça présente ou nous oblige à une exigence, à des exigences tout à fait inédites. Et comme Erwan Balanant l'a dit, ces questions ne peuvent pas trouver de réponse si nous ne choisissons pas une stratégie inédite, plus forte qu’aucune de celles que nous avons connues depuis longtemps, cette stratégie, elle ne peut se dérouler que si nous savons créer l'unité nationale. L'unité des républicains. L'unité de tous ceux qui croient qu’il est de notre devoir d'apporter des réponses et pas de se contenter des questions. Et pas de se contenter de faire flamber les ressentiments. Pas de se contenter de jeter de l'huile sur le feu avec l'idée qu'un jour ça va vous apporter le pouvoir. Et ça va vous apporter le pouvoir au service d'idées qui sont en rupture avec notre histoire, avec nos valeurs comme on dit.
Et il n'existe —c'est ma conviction —aucune chance de résoudre les problèmes du pays si nous continuons à le faire camp contre camp, un côté contre l'autre côté. Il n'y a de possibilité ou de chemin pour résoudre ces problèmes que par une prise de conscience de tous ceux qui partagent les valeurs essentielles. Ils n’ont peut-être pas l'idée, toutes les mêmes idées sur les méthodes, pas toutes les mêmes idées sur le chemin, mais ça on en discute. Mais ils savent très bien où ensemble ils doivent aller. Et c'est exactement pour moi la situation que nous avons sous les yeux. Un gouvernement qui est un gouvernement où se rencontrent des sensibilités qui étaient séparées, opposées depuis très longtemps, mais dont le la structure fait qu’une partie de l'opinion française — plus républicaine, plus social-démocrate — n'a pas pu s'y joindre. Or, je crois qu'il n'y a de chemin que si le gouvernement et les forces qui le soutiennent sont équilibrés. Que la droite de gouvernement gaulliste, que le centre que nous constituons et que la gauche de gouvernement, la gauche qui a des convictions démocratiques et qui les a manifestées au travers du temps, se joignent pour agir. Si l'on se contente d'une majorité d'un gouvernement que j’appellerais latéral — d'un côté et pas de l'autre —alors je considère que les chances de succès en seront terriblement amenuisées. Parce que vous voyez bien les polémiques qui vont s'accrocher au budget, aux économies nécessaires à faire, peut-être aux changements de fiscalité. Tout ceci exige que nous nous unissions. Vous vous souviendrez peut-être que j'avais fait une campagne présidentielle en 2012 et que le slogan sur l'affiche était : « Un pays uni, rien ne lui résiste ». C'est parce que nous avons été désunis, que nous sommes faibles. C'est parce que nous étions désunis, dans une perpétuelle campagne électorale d'un camp contre l'autre, qu'on s'est livrés à une surenchère sans fin sur des promesses dont la plupart — on en connaît un certain nombre depuis 15 ans ou 20 ans — en réalité n'étaient pas réellement financées ou finançables. Et donc nous avons une responsabilité particulière.
Eh bien, c'est le moment. C'est l'heure de cette union-là et cette union, il faut qu'on réfléchisse, dans les 3 jours que nous allons passer ensemble, aux conditions et aux moyens. Il faut qu'on réfléchisse à l'effort qu'il faut faire pour travailler avec des gens qui ne sont pas de votre avis. On a vu pendant toute cette période des gens qui disaient : « Je ne veux pas aller avec les autres parce que : pas eux avec nous ! C'est ça qu'on entend tout le temps et qu'on a entendu encore dans la période récente. Et moi je prétends que l'union ça ne se fait qu'avec des gens qui ne pensent pas comme vous. Parce que si c'est pour travailler ou pour vivre ou pour être copain qu'avec des gens qui sont vos semblables... Eh bien vous risquez assez peu de créer le rassemblement dont on a besoin pour affronter les temps dans lesquels nous sommes. Le Conseil national de la résistance, c'était des gens qui ne pensaient pas la même chose. Et je le dis au nom de mes prédécesseurs dans cette famille politique et à cette tribune.
L'union nécessaire pour surmonter la crise devant laquelle nous sommes, elle ne peut pas être seulement l'union de gens qui pensent la même chose sur tout. Alors je ne dis pas qu'il faille que tout le monde soit pris dans cet ensemble, je vois très bien des gens dont le but est la déstabilisation pour que les cadres de notre société tombent. Ce qu'ils appellent révolution... Et je vois très bien d'autres, de l'autre côté, à l'extrême droite, pour qui il faut sortir de nos principes et commencer à regarder les gens selon leur origine, selon leur religion, selon leur couleur de peau, ce que je trouve le contraire de ce que nous avons voulu construire.
C'est devant cette question-là que nous sommes et c'est de ce projet que nous sommes comptables. Nous, spécialement cette famille politique. Nous, le centre démocratique de la vie politique française. Nous, le Parti démocrate européen. Nous sommes chargés par notre histoire, par notre engagement. Nous sommes chargés de faire naître cette union large et ce rassemblement. C'est ça l'enjeu qui est aujourd'hui et c'est la raison pour laquelle, évidemment, nous avons décidé de parler avec des gens qui ne sont pas dans nos rangs. C'est la raison pour laquelle j'ai invité Bernard Cazeneuve. Parce que nous avons au long du temps, même quand il était au gouvernement, échangé, même quand nous n'étions pas du même avis. Et parce qu'on a besoin d’eux, on a besoin de ceux qui sont au gouvernement, mais aussi de ceux qui n'y sont pas encore. Et on en aura besoin ensemble.
Ne croyez pas que je rêve de substituer les uns aux autres. Ce n'est pas un rêve que je poursuis, que nous poursuivons. C'est une volonté. Nous sommes décidés à rassembler ce qu'il y a de plus volontaire et de plus exigeant dans le peuple français pour surmonter les défis et les risques qui menacent aujourd'hui notre existence en tant que nation. Aujourd'hui plus que jamais depuis la guerre, c'est notre responsabilité. Et cette responsabilité, je propose que pendant ces 3 jours, nous l'ayons en tête au travers de tous les débats que nous allons vivre. Alors je suis heureux que nos ministres — 4 ministres puisque Fabrice Loher va venir demain comme il vient chaque année, et puis Marina Ferrari, et puis Geneviève Darrieussecq, et puis Jean-Noël Barrot. J'espère qu'ils vont tous pouvoir venir, ils ont des obligations, là, parce qu'ils viennent de recommencer. Et puis il y a nos députés, et Marc Fesneau arrive d'une minute à l'autre. Il y a nos sénateurs, nos parlementaires européens, nos élus locaux qui jouent un si grand rôle dans notre tissu militant et dans notre patrimoine.
À ce propos, permettez-moi d'avoir une pensée pour quelqu'un que beaucoup d'entre vous n'ont pas connu, qui a été une personnalité de notre famille politique en région Auvergne et qui s'appelait Georges Chometon. Il est mort ce matin. C’était un militant exemplaire de notre famille politique et j'ai adressé vos pensées à sa famille. Nous sommes une solidarité. Mais désormais, nous sommes une solidarité qui doit tendre vers un seul but. Nous devons être les agents actifs de la réunion de tous ceux qui veulent ensemble redresser la France.
Merci beaucoup.