Université de rentrée 2019 - Intervention de Guy Verhofstadt
Retrouvez l'intervention de Guy Verhofstadt, ancien Premier ministre de Belgique, ex-président du groupe ADLE, et député européen, à notre Université de rentrée 2019.
Intervention de Guy Verhofstadt Ancien Premier Ministre de Belgique et ex-Président du Groupe ADLE au Parlement européen, Député européen
Marie-Pierre VEDRENNE. - Nous allons, ce matin, évoquer de nombreux sujets. Nous partageons tous, dans cette salle, l'amour de l'Europe et vous avez toujours répondu présent à ce rendez-vous du Modem.
On va pouvoir bénéficier de votre expérience et de votre regard sur l'Europe. Vous avez été Premier Ministre, vous êtes Député européen. Nous avons le plaisir de siéger sur les mêmes bancs. Vous avez a été le Président du groupe ADLE et vous êtes actuellement Président du groupe de suivi sur le Brexit.
François Bayrou, lors de notre Conseil national, cette semaine, qualifiait le Brexit comme un seau d'eau froide pour l'économie britannique. J'aimerais bien savoir quel est votre regard.
On sait que l'ambition du groupe Renew a été de faire en sorte que vous soyez une personne clé autour de la Conférence pour l'avenir de l'Europe. C'est important pour nous tous de vous entendre sur quelles ambitions pour cette Conférence sur l'avenir de l'Europe.
Guy VERHOFSTADT. - Merci.
Le Brexit, enfait, j'en ai assezd'en parler, car cela fait déjà trois ans. Ily a beaucoupde personnes quise demandent ce qu'il se passe. Très ouvertement,onne sait pas, car onne sait pas regarderdans latête de M. Johnson, où cela doit être très brouillon.
En toutcas, le problème pour lemoment, c'est que,le31 octobre, ils veulentpartir. C'est leur droit. Les citoyensbritanniques en ont décidé ainsi, nous le respectons, mais nous disons : "Si vous partez, ce sera avec un accord qui respecte les intérêts des citoyens européens et de l'UE. C'est vous qui partez, ce n'est pas l'inverse, ce n'est pas l'Union européenne qui part des chez les Britanniques !".
On a parfois l'impression, quand on lit la presse britannique - il faut une fois le faire pour devenir fou -, que c'est nous qui partons de la Grande-Bretagne, ce qui n'est naturellement pas le cas.
Et donc, faire un accord, on dit oui, le faire sur base de l'accord qui a déjà été négocié, évidemment, faire des encore adaptations, oui, mais il y a un point clé que vous connaissez, c'est le soi-disant back-stop, un mot anglais pour l'Irlande. En réalité, c'est éviter qu'il y ait une frontière entre l'Irlande du nord et la République d'Irlande.
Pourquoi faut-il l'éviter ? Pour des raisons économiques évidentes, car c'est une économie intégrée, mais il y a une deuxième raison qui est politique, pour éviter le retour de la violence.
La première chose que j'ai faite quand j'ai été nommé comme Coordinateur du Parlement européen/négociateur pour le Brexit, c'était faire une visite à Belfast. Vous vous rappelez qu'il y a 10 ans, 15 ans, 20 ans, il y avait tous les jours des images lors du journal télévisé de la violence là-bas entre les protestants et les nationalistes catholiques.
Je dois vous dire que j'étais sous le choc après cette visite. On pense que la violence est finie et c'est vrai pour le moment, provisoirement, mais c'est un conflit gelé dans la réalité.
Dans le centre de Belfast, c'est très bien, il y a de bons pubs, tu peux t'amuser. Il n'y a pas de problèmes, mais, si tu vas dans les quartiers, ce ne sont pas des murs, mais il y a des ferrailles de 7 mètres de hauteur, avec de grandes portes pour diviser les quartiers protestants et les quartiers catholiques.
Il suffirait d'une toute petite chose pour faire rebondir la violence en Irlande du nord, à Belfast, sur la frontière et dans beaucoup d'autres parties de l'Irlande du nord.
Nous disons : "Écoute, nous, nous voulons une garantie que cela ne se reproduise plus, qu'il n'y aura pas de frontière physique et que l'on applique les mêmes réglementations au Nord et dans la République d'Irlande.
Là, on se heurte avec le Gouvernement britannique, qui ne veut rien entendre de cela, en raison de leur lien avec le Parti protestant, le DUP, et je ne vais pas tout vous expliquer. Normalement, il doit demander une extension pour le Brexit dans quelques semaines au Conseil européen. Va-t-il le faire ? On ne sait pas.
Va-t-il y avoir des élections ? Probablement, vers la fin du mois de novembre. Qui va les gagner ? Difficile à dire. Cela dépend complètement de la coopération à l'intérieur des deux camps, le camp Reamen, avec le Lib Dems, le SNP, les travaillistes, et, de l'autre côté, le camp des Leavers, le parti du Brexit de M. Farage, le parti des Tories.
Ce que l'on a vu ces dernières semaines, c'est une bataille féroce à l'intérieur du Parlement britannique, de la saine politique britannique.
Nous sommes en train de regarder. Officiellement, ils disent : "Oui, nous avons mis des propositions alternatives sur la table". Jusqu'ici, on n'a pas encore vu des propositions alternatives pour résoudre les problèmes qui se posent et qui peuvent protéger les citoyens et les consommateurs, protéger les entreprises en Irlande et éviter le retour de la violence.
Voilà où nous sommes. Il est bien possible qu'il y ait un Brexit le 31 octobre, il est aussi possible qu'il n'y ait pas de Brexit le 31 octobre, qu'il y ait une demande d'extension. Il est possible qu'il y ait des élections générales dans quelques semaines. Il est possible qu'il y ait un autre Gouvernement à ce moment-là, avec les Reameners dans la majorité, car nos amis du Lib Dems le font très bien. Eux, ils veulent révoquer l'article 50, en finir avec tout le Brexit. Il y a même la possibilité d'un deuxième référendum.
Voilà ce que je peux vous dire de façon très détaillée, mais je ne sais très exactement rien du tout de ce qui va se passer. Voilà la réalité.
Raison de plus pour s'occuper aussi de l'avenir de notre Union européenne, car, depuis trop longtemps, cette affaire du Brexit, cela fait 3 ans, a pollué nos pensées et nos travaux au sein de l'Union européenne.
On sait tous qu'une réforme de l'Union européenne est absolument nécessaire et ceux qui le savent le plus, ce sont les Français, puisqu'ils ont un Président qui a fait campagne là-dessus pendant les présidentielles et qui a eu le courage, pour la première fois, de mettre l'Europe au cœur des débats pendant cette campagne électorale, ce qui ne s'était jamais fait dans le passé.
Dans le passé, c'était très simple, les Français disaient : "Nous guidons l'Europe et tout va bien", mais cela a changé avec Emmanuel Macron qui a dit : "Si nous voulons un avenir pour l'Union européenne, il faut la réformer le plus vite possible".
Pourquoi la réformer ? C'est bien simple, je donne toujours l'exemple suivant : le problème de l'Union européenne, c'est qu'elle décide toujours trop tard et prend des mesures beaucoup trop faibles. Les exemples, il y en a une longue liste. S'agissant de la crise financière, les Américains peuvent la combattre en neuf mois avec des mesures très concrètes. Nous, après neuf ans, nous sommes encore en train de débattre le suivi de la crise financière.
Deuxième exemple : la migration. Il y a des propositions pour changer le système de Dublin qui est la base de la crise migratoire en Europe. Or, cela fait déjà des années que le Parlement européen, sur base d'une proposition de la Commission, a formulé une proposition de réforme, mais le Conseil n'est pas capable de décider et de dire : "Nous sommes d'accord pour changer le système de Dublin qui est un système anti européen et qui met toutes les difficultés dans des pays comme la Grèce et l'Italie".
Pourquoi ? Car ils ont décidé qu'il fallait le décider à l'unanimité. Or, tout le monde sait qu'il suffit d'un vote contraire autour de la table pour tout bloquer pendant des années. Par exemple M. Orban est capable de bloquer pendant des années.
Je peux continuer. Pourquoi n'y a-t-il pas de grandes entreprises digitales en Europe ? Pourquoi sont-elles toutes américaines ou asiatiques ? C'est la réalité aujourd'hui, avec Google, Amazon, Huawei, etc., aucune entreprise européenne, car il n'existe pas de marché digital unique avec un régulateur unique en Europe.
Tout cela, il faut essayer de le changer et de le réformer. La première chose à faire lors de cette Conférence qui va, je l'espère, débuter au début de l'année prochaine, c'est en finir avec la règle de l'unanimité au sein de l'Union européenne.
La règle de l'unanimité n'a jamais fonctionné. Des états en Europe ont ainsi disparu, car, dans leur Parlement, dans le temps, existait la règle de l'unanimité. C'était le cas de la Pologne qui avait un Parlement au 18ème siècle qui fonctionnait sur base de l'unanimité, état qui a disparu, car lui était impossible de prendre des décisions et d'aller de l'avant.
La deuxième chose qu'il faut certainement faire, c'est créer une vraie démocratie européenne, avec, selon moi, des listes transnationales pour donner la possibilité aux gens d'élire directement leur Président de la Commission et le Président de l'Exécutif.
En effet, tout le système connu, cette fois-ci de nouveau avec des tractations entre chefs d'État et de Gouvernement, entre les partis politiques, etc., les soi-disant spitzenkandidat, et le spitzenkandidat à la maison, on ne peut pas voter pour lui.
C'était un système pas très sérieux, il fallait des listes transnationales. Le PPE a bloqué ces listes transnationales. Nous allons essayer de débloquer cela, pour créer une vraie démocratie à l'échelle européenne, ce qui est capital pour l'avenir de l'Union.
Tels sont les grands défis pour la réforme, pour cette conférence : dire quel est le nouveau système, quelle est la démocratie européenne dans l'avenir, comment la changer, comment donner une vraie voie aux citoyens.
C'est capital de réussir cela entre maintenant et les prochaines élections européennes, car je ne suis pas certain que nous avons définitivement gagné contre les nationalistes et les populistes. Je ne suis vraiment pas sûr.
En 2019, lors des dernières élections européennes, nous avons gagné, car tout le monde a toujours dit : "Oui, vous aller voir, il va y avoir une vague nationaliste et populiste en Europe". La réalité a été que les partis traditionnels, c'est-à-dire les socialistes et le PPE, les conservateurs, ont perdu environ 90 sièges au Parlement européen et ont perdu, pour la première fois dans l'histoire du Parlement européen, leur majorité. C'est cela, la réalité.
Je dois vous dire une chose : 20 de ces sièges sont allés chez les Verts, 20 de ces sièges au maxi chez les populistes et tous les autres, soit plus de 40 sièges, ont été gagnés par nous, par le nouveau groupe Renew Europe, Renaissance, groupe que nous avons créé au Parlement européen.
La réalité et la leçon de ce scrutin étaient capitaux. D'abord, un taux de participation à la hausse de manière très importante et, en outre, les plus pro-européens comme nous ont gagné le plus de sièges dans ce nouveau Parlement.
Toutefois, je ne suis pas certain que ce sera le cas en 2024. Si nous ne sommes pas capables de réformer l'Europe, de la mettre sur une autre orbite, avec une autre démocratie, plus directe, plus engagée vers les citoyens, nous verrons le retour des nationalistes et des populistes.
Ils reviennent toujours. Dans toutes les phases de l'histoire, on les a toujours vus revenir, comme c'est le cas en Angleterre pour le moment et dans d'autres pays.
Pour les battre définitivement, il faut une vraie démocratie européenne et c'est cela que nous allons essayer de créer avec la Conférence dans les années qui viennent.
Merci beaucoup.