UR 2023 : Grand témoin, Gabriel Attal
Retrouvez l’intervention de Gabriel Attal, ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, à l’Université de rentrée 2023.
Merci beaucoup, ça marche ? Oui, merci beaucoup.
Bonjour à toutes et à tous. Et d'abord, merci pour l'invitation et merci d'avoir réussi à trouver un moment pour que je puisse intervenir avec vous. Merci à Maud Gatel notamment, qui a beaucoup aidé à l'organisation. Merci aux jeunes démocrates, leur président Auguste et Pierre-Jean à qui j'adresse un salut parce que ce sont de vrais soutiens sur tout ce que nous portons.
Merci aux parlementaires, à chacune et à chacun d'entre vous.
Effectivement, on m'a dit : "Tu as dix minutes pour tout dire sur l'éducation nationale." Pas évident, donc ça risque de déborder un peu déjà. Et surtout je reste après pour le repas, on pourra échanger très directement et informellement. C'est difficile, d'autant que je sais que c'est un sujet sur lequel on est très attendu ici au MoDem.
Parce que vous l'avez dit, vous portez des valeurs humanistes. Vous êtes toutes et tous ancrés partout sur le territoire national. Et évidemment qu'on est extrêmement attendu sur l'école, l'école de la République. Très attendu aussi parce que je m'inscris effectivement dans les pas de François Bayrou. Je dois avouer que quand on est ministre de l'Éducation nationale et qu'on cherche des repères dans l'action de ministres qui nous ont précédés, on en revient assez vite à François Bayrou.
Quand on veut avancer sur l'égalité des chances et sur l'exigence. Alors que vous dire en quelques mots ? Vous direz d'abord que c'est une grande fierté pour moi d'être ministre de l'Éducation nationale et de la jeunesse. Vous dire que si je devais résumer l'ambition qui est la mienne, résumer l'action que je veux conduire pour l'école de la République, je veux contribuer à bâtir une école heureuse et exigeante et je mets volontairement les deux mots l'un à côté de l'autre, parce que je considère que le bonheur à l'école est immédiatement lié à une condition de très haut niveau d'exigence pour le niveau de nos élèves.
On n'apprend pas bien quand on n'est pas heureux à l'école, et je pense que c'est toujours très important de le réaffirmer. Alors, être heureux à l'école, c'est réaffirmer que l'école de la République doit être un sanctuaire, que l'école de la République, ce sont des valeurs extrêmement fortes dont on ne peut déroger. Et c'est vrai que, au moment de prendre mes fonctions, j'ai tenu à clarifier un certain nombre de points, notamment s'agissant de l'application de la laïcité à l'école de la République.
François avait aussi beaucoup agi sur ce sujet-là dès avant la loi de 2004. Il me semble important de rappeler que l'école, ça doit rester ce que Jean Zay appelait cet asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas l'école, c'est le lieu de l'émancipation. On ne peut pas laisser les querelles des hommes entrer dans l'école. On ne peut pas laisser le prosélytisme s'installer dans l'école.
C'est extrêmement important de le rappeler et malheureusement, on voit qu'un certain nombre de formations politiques ne portent plus, et notamment à gauche, ne portent plus cet objectif là et ne portent plus cette valeur là au quotidien. C'est donc à nous de la porter encore plus fort. Être heureux à l'école et je vais faire le lien avec un sujet, malheureusement, est dramatiquement d'actualité.
C'est lutter de manière implacable contre le harcèlement scolaire qui pourrit la vie de centaines de milliers d'élèves chaque année. Des centaines de milliers d'élèves qui, parce qu'ils sont malheureux à l'école, parce qu'ils vont à l'école la boule au ventre et malheureusement désormais, rentrent chez eux la boule au ventre parce qu'ils savent que le harcèlement va se poursuivre sur les réseaux sociaux. C'est agir pour eux parce que ces élèves-là ne peuvent pas apprendre dans de bonnes conditions. Quand on est harcelé, on a l'esprit totalement envahi par ça. Il n'y a plus de place pour autre chose. Lutter contre le harcèlement, c'est aussi lutter pour le niveau de nos élèves parce que c'est lutter pour le bonheur de nos élèves et donc pour leurs conditions d'apprentissage.
C'est aussi important de le réaffirmer. On a présenté un plan avec la Première ministre, un plan interministériel qui me semble très ambitieux et très complet. Et je veux saluer toute l'action d'Erwan Balanant qui a mené ce combat depuis des années. Et le plan qu'on a présenté reprend un certain nombre des propositions qui avaient été portées avec beaucoup de courage depuis parfois quelques années par Erwan, mais on y arrive.
Être heureux à l'école, c'est réussir ce très grand défi de l'inclusion scolaire. Tous les élèves ont droit à l'école et tous les élèves ont droit d'être heureux à l'école. Et de ce point de vue-là, on a un bilan qu'on doit mettre en avant. On a, depuis 2017, créé un nouveau service public, celui de l'inclusion scolaire.
Il faut regarder tout le chemin qui a été parcouru. On a doublé le nombre d'élèves en situation de handicap qui sont accueillis dans nos établissements scolaires. On a recruté 50 000 accompagnants d'élèves en situation de handicap, à qui il faut rendre hommage parce qu'ils font un travail absolument remarquable. On a créé ce nouveau service public. Pour autant, est-ce qu'on est au bout du sujet ?
Évidemment que non. Évidemment que c'est encore dur pour beaucoup de familles qui voient des notifications MDPH qui arrivent très tardivement et qui, après la notification, ont besoin encore d'attendre avant de se voir attribuer une AESH. Évidemment que c'est difficile aussi pour des enseignants qui parfois se sentent dépassés. Et moi, je vous le dis ici, je suis préoccupé par les tentatives d'instrumentalisation politique de ces difficultés qu'on peut constater sur le terrain.
L'extrême droite allemande, depuis quelques mois maintenant, a mis au cœur de son projet politique le rejet de l'école inclusive. Et on a vu en France, au moment de la dernière élection présidentielle, qu'un candidat d'extrême droite, Éric Zemmour avait placé ce sujet-là aussi dans son projet politique en rejetant l'école inclusive. Il faut qu'on soit extrêmement vigilant, et notre responsabilité, c'est d'être vigilant à ce que les choses avancent sur le terrain, à ce que le quotidien s'améliore pour les enseignants, pour les élèves, pour les familles d'élèves en situation de handicap, sinon chers.
Certains chercheront à instrumentaliser ces difficultés pour nous faire faire un grand retour en arrière qui serait terrible pour l'école de la République, terrible pour nos élèves, terribles pour les familles et terribles pour les enseignants. Soyons vigilants sur ce sujet-là.
Être heureux à l'école, c'est évidemment aussi avoir des enseignants qui se sentent reconnus et valorisés. Alors ça passe évidemment par une reconnaissance financière.
Là aussi, il y a probablement encore du travail à mener. Mais enfin, il faut quand même mesurer ce qui est fait en cette rentrée. En cette rentrée, il y a une revalorisation inédite, et les syndicats en conviennent d'ailleurs, demandent plus. Chacun est dans son rôle et inédite depuis 20 ou 30 ans. En cette rentrée, chaque enseignant gagne entre 125 et 250 € nets de plus par mois qu'à la rentrée précédente.
On a 800 000 enseignants, alors évidemment, c'est un effort budgétaire massif, important, mais il était nécessaire et il est juste pour nos enseignants. Mais la reconnaissance, évidemment, elle ne s'arrête pas là. Et l'enjeu, c'est aussi - et là, je crois qu'on a une responsabilité, même si ça nous dépasse, et on a une responsabilité en tant que politique - c'est la reconnaissance sociale et sociétale.
Et c'est vrai que quand vous échangez avec des enseignants, certains vous disent parfois avoir le sentiment que dans certaines familles, on est passé du droit à l'éducation, au droit sur l'éducation, avec une remise en cause permanente et incessante du travail des enseignants. Avec aujourd'hui un enseignant sur deux qui déclare dans les enquêtes s'autocensurer dans leur enseignement pour beaucoup d'enjeux, notamment les questions de laïcité, mais pas seulement.
Donc oui, on a cette responsabilité aussi de réaffirmer que la relation entre un enseignant et un élève, ce n'est pas une relation d'égal à égal, que la relation entre un enseignant et une famille, ce n'est pas une relation d'égal à égal et apportée en permanence. Notre soutien et notre reconnaissance à ces femmes et ces hommes qui s'engagent pour notre nation à travers l'école de la République.
Je parlais d'une école heureuse et exigeante et je réaffirme que pour moi, les deux sujets sont liés. L'exigence est absolument nécessaire. On doit rehausser notre niveau d'exigence. On a, grâce à l'action notamment de Jean-Michel Blanquer, des évaluations aujourd'hui quasiment systématiques. On a des évaluations de nos élèves en début de CP, CP, CE1. C'est depuis cette année sixième, quatrième depuis cette année et seconde.
Ça nous donne une visibilité sur le niveau de nos élèves. Et la réalité, c'est qu'il y a urgence à agir. Un élève de quatrième de 2018 avait le niveau de cinquième d'un élève de 1995. Un an de perdus en 23 ans en quatre ans. Parce qu'en 1995, il y avait un bon ministre ? Absolument. On peut le dire. Je n'ai pas choisi la date par hasard.
Je n'ai pas choisi la date par hasard. On a un élève sur trois qui rentre en sixième sans savoir lire, écrire et compter convenablement. On a un élève sur quatre qui a moins de quatre sur 20 en mathématiques, au brevet, on a un élève sur deux qui ne maîtrise pas ou qui ne comprend pas les fractions à l'entrée en seconde.
On ne peut pas accepter cette situation. Donc il faut réaffirmer notre ambition absolue de faire des savoirs fondamentaux le cœur de notre action et d'affirmer qu'on veut un choc des savoirs fondamentaux dans notre pays. Alors, ça commence par quoi ? Ça commence évidemment par la formation des enseignants. La réalité, c'est qu'on doit revoir la manière dont on forme nos enseignants et notamment revoir l'organisation de la formation.
Je ne vais pas rentrer trop dans le concret. On pourra le faire au moment du déjeuner avec les spécialistes ici. Mais la réalité, c'est qu'une succession de réformes ou de choix qui se sont enchaînées ces dernières années ont conduit à une situation où on ne peut pas se satisfaire du niveau de formation initiale et où, par ailleurs, le choix de positionner le concours à bac plus cinq a entraîné un assèchement complet du vivier avec des élèves, des étudiants qui, en deuxième année de master, sont épuisés.
Entre le mémoire, l'alternance, le stage, etc., ils démissionnent. Donc, on va revoir, et c'est un chantier qu’a ouvert le président de la République. Revoir profondément la formation initiale de nos enseignants. Et on assume de dire qu'il faut peut-être inventer nos écoles normales du XXIᵉ siècle. Assumer d'avoir un recrutement après le bac avec une formation extrêmement claire sur les fondamentaux pendant trois ans, et ensuite un statut d'étudiant stagiaire de fonctionnaire stagiaire qui permet d'être rémunéré et de rentrer progressivement dans le métier.
C'est de ça qu'on a besoin pour avoir des enseignants en nombre et bien formés.
Relever le niveau d'exigence, c'est aussi assumer d'agir plus là où des élèves en ont le plus besoin. Est-ce que la réalité, malheureusement, c'est que notre système reproduit encore trop les inégalités sociales en inégalités scolaires ? Il faut réduire les inégalités à l'école. C'est notre ambition. Et là aussi, on a un bilan à mettre en avant. Moi, je rappelle l'action qui a été menée, notamment pour le dédoublement des classes depuis 2017.
Il y a aujourd'hui plus de 400 000 élèves qui, chaque année, font leur entrée dans une classe dédoublée. On a dédoublé le CP, CE1, la grande section de maternelle. On est à 85 % en cette rentrée, on sera à 100 % l'an prochain. Et là, les études le montrent, réduction des écarts en français et en mathématiques de 15 à 40 % entre les élèves qui sont en éducation prioritaire et les autres élèves.
Donc, ça fonctionne. Évidemment, ça met du temps, et ça mettra du temps à se voir dans les fameux classements qu'on nous met tout le temps en avant. Le classement Pisa qui va sortir en décembre ne tient pas encore compte de cette action, puisque les élèves qui ont connu les premiers dédoublements en 2017, quand on les a démarrés, je pense qu'ils ont aujourd'hui douze ou treize ans. Le classement Pisa, c'est à quinze ans. Il faudra attendre encore un peu avant qu'on en mesure les effets. Mais la réalité, c'est qu'on voit déjà dans les études qu'on fait avec l'institut statistique du ministère que ça produit des effets, et on va continuer. On généralise en cette rentrée le dispositif devoirs fait pour accompagner tous les élèves en sixième dans leurs devoirs à l'école, au collège, le soir, parce que tout le monde n'a pas accès à une aide aux devoirs à la maison.
On va poursuivre cette action en faveur de la réduction des inégalités scolaires. Relever le niveau d'exigence, c'est aussi assumer de revoir un certain nombre de programmes et d'organisations. La réalité, c'est que d'un côté, je vous ai rappelé le constat sur le niveau à l'entrée en sixième, un élève sur trois qui ne maîtrise pas les fondamentaux. De l'autre, on peut avoir un autre constat qui est qu'on est le pays de l'OCDE qui consacre à l'école primaire le plus de temps aux savoirs fondamentaux, le plus de temps aux mathématiques et au français.
Cela a encore été rappelé par l'OCDE dans le rapport il y a deux semaines. Certains m'ont dit que je voulais lutter contre. Quand j'ai annoncé que je voulais mettre en place des temps d'apprentissage, du rapport à l'autre, du respect de l'autre, de l'empathie, de la fraternité. Certains m'ont dit oui, mais il faut garder du temps pour le français, les mathématiques, bien sûr, mais on est déjà ceux qui y consacrent le plus de temps.
Donc le sujet n'est pas le temps qu'on y consacre. Le sujet, c'est ce qu'on y fait. Et là, il faut assumer de revoir un certain nombre de choses, d'assumer que maintenant, avec le conseil scientifique de l'Éducation nationale, on sait quelles sont les méthodes qui fonctionnent et assumer qu'il faut que ces méthodes se déploient le plus largement possible au bénéfice de nos élèves.
Il faut assumer d'agir au niveau du collège, parce que la réalité, quand on regarde nos évaluations, c'est que le collège ne réduit pas suffisamment les inégalités qu'on constate en termes de niveau à l'entrée et à la sortie. Et donc, là aussi, il faut réinterroger un certain nombre de choses. Je ne suis pas pour le retour aux classes de niveau, parce qu'un certain nombre d'études qui ont été faites ont montré qu'en plus d'être stigmatisant, ce n'était pas satisfaisant d'un point de vue de réduction des écarts.
Mais enfin, on peut imaginer, on peut se poser la question sur des matières fondamentales le français, les mathématiques, d'avoir des groupes de niveaux qui permettent à ceux qui sont les plus en retard de remonter et à ceux qui sont en avance de continuer à progresser. Et que parfois, l'hétérogénéité trop forte dans une classe ne produit pas le résultat escompté et finit par tout niveler par le bas.
Moi, je suis prêt à ouvrir tous ces chantiers. On me fait signe que j'ai déjà été trop long, mais c'était important pour moi de dresser ce paysage, mais surtout de réaffirmer qu'on doit tous et toutes, et je le dis ici, en sachant que c'est le cas ici, défendre l'école de la République. J'entendais récemment dans la presse une interrogation disait c'est quoi le projet politique pour l'école ?
Mais l'école, c'est un projet politique en soi. En tout cas, l'école telle que nous, on la conçoit. L’École publique gratuite, laïque, mixte. C'est un projet politique parce que ce n'est pas le cas partout dans le monde. Vous avez beaucoup de pays qui ne partagent pas ce modèle. C'est un projet politique parce qu'on voit qu’y compris en France, dans le débat politique c’est encore un combat, quand on entend certains nous expliquer qu'il faudrait revenir à l'école de la troisième République comme si c'était parfait. Il y avait 1 % de bacheliers à l'époque, ce n’était pas mieux qu'aujourd'hui. Nous, on assume que notre projet politique, c'est une école qui forme les républicains et les citoyens. Et c'est une école qui démocratise le savoir. La question n'est pas de savoir quel est le projet politique pour l'école.
La question est de savoir si les maux que traverse l'école, notamment la perte du niveau, la question des droits et devoirs, question du bonheur à l'école, vont conduire notre pays à renoncer à ce projet. Moi, je ne le crois pas. Je sais que vous ne le croyez pas non plus. Alors ensemble, battons-nous pour une école de la République fière, heureuse et ambitieuse.
Merci à tous.