Inauguration de la place Marielle de Sarnez dans le 14e arrondissement de Paris
Jeudi 27 mars 2025, jour de son anniversaire, Marielle de Sarnez a donné son nom à une place du XIVe arrondissement de Paris, à l'angle des rues Severo et Georges Saché, deux aviateurs qui ont péri ensemble dans un accident en 1902. Le symbole est beau : à l'intersection de ces deux destins jumeaux, Marielle de Sarnez devient désormais l'esprit familier du lieu. Une place arborée, discrète, qui jouxte une école.
Pour ses enfants, Justine et Augustin, pour sa famille et ses amis - du monde politique ou non - venus très nombreux en ce jour de printemps - pour le Premier ministre François Bayrou, cette inauguration revêt un sens particulier. Pour cette femme libre, engagée, forte et vulnérable, ce petit coin de Paris représentait un havre de paix. Marielle de Sarnez arpentait le monde entier, de son pas vif et élégant. Elle se posait ici, chez elle, dans ce quartier populaire et vivant. Comme elle demeure vivante pour ceux qui l'ont côtoyée et aimée. Sur les bancs de cette place, nous pourrons venir lire ou rêver, puiser un peu de force pour tous nos combats à venir.
Retrouvez ci-dessous le discours de François Bayrou.
Madame la maire de Paris,
Mesdames et Messieurs les ministres, Mesdames et Messieurs le députés, les sénateurs, les députés européens, les conseillers de Paris,
Mesdames et Messieurs les militantes et les militants du Mouvement Démocrate, mes amis,
Vous la famille et les amis de Marielle,
Très chère Justine, très cher Augustin, et vous les petits-enfants de Marielle,
Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de Marielle. Elle n’était pas fan des dates, elle n’aimait pas trop que l’on fête son anniversaire, comme elle oubliait souvent les anniversaires des autres, y compris parfois de ses enfants. C’est sans doute qu’elle était du côté de l’intemporel. Et pour nous qui l’aimions, c’est une bénédiction, car nous pouvons l’honorer sans nous laisser arrêter par le temps qui passe, sans être obligés en quoi que ce soit, de parler d’elle ou de penser à elle au passé.
Et nous sommes donc au rendez-vous que vous aviez annoncé, Madame la maire de Paris, aux jours de sa disparition, en indiquant qu’un lieu, dans la ville capitale, honorerait sa mémoire. Tous, nous vous remercions d’avoir tenu cette promesse.
Aurait-elle été surprise que ce soit en tant que premier ministre que je prenne la parole en cet instant d’inauguration ? Marielle croyait-elle aux signes ? Je ne suis pas certain de la réponse. Mais je suis certain qu’elle aimait qu’on lui en montre, comme un reflet des univers inaccessibles, comme ces enfants qui adorent les magiciens sans être sûrs d’y croire.
Et maintenant qu’elle exerce son autorité naturelle sur une partie de ces univers interdits aux mortels que nous sommes, elle ne cesse, elle, de nous environner de signes, comme Justine et Augustin, et beaucoup de ses amis, le savent.
Et cette inauguration, et cette place elle-même, sont des signes de ce que Marielle avait de précieux.
C’est une petite place plantée d’arbres. Elle rêvait d’une ville avec des places de village. Elle avait défendu cette idée dans sa campagne municipale en 2008, où elle avait réussi seule à être élue conseillère de Paris, seule d’une liste MoDem indépendante, réunissant 15 % des voix au deuxième tour.
C’est une place à l’articulation de deux mondes, de deux continents, réunis par la passion de l’aventure. Car Severo et Saché, c’était deux mondes. Augusto Severo de Albuquerque Maranhao était député, journaliste, inventeur et le premier aéronaute brésilien. Georges Saché était un jeune mécanicien, de Besançon, il avait passé son certificat d’études et s’était ensuite passionné pour la bicyclette qui venait de naître, puis pour les moteurs
encore plus récents, puis pour la construction de ces étranges objets volants, la construction de dirigeables. Et c’est en essayant ensemble un dirigeable comme il n'en avait jamais existé, que comme Icare, monté trop près du soleil, ils ont connu l’explosion puis la chute mortelle.
Donnant sur cette place, rue Severo, il y a une école. Il y a des enfants, et l’enfance était pour Marielle un monde complice, le monde qu’elle prenait au sérieux, où on pouvait sérieusement faire des farces, des niches aux adultes, sérieusement apprendre à nager, sérieusement transgresser les règles des adultes. Avec un grand rire qu’on ne montre surtout pas, car c’est plus amusant de se gondoler en faisant semblant de ne pas rire.
Et puis il y avait aussi qu’on ne doit pas trop montrer ses sentiments, mais ça, ça venait de plus loin, d’une enfance jamais totalement réconciliée, ce qui a fait sous des aspects d’iron woman, de femme d’acier, une âme tellement sensible, une petite fille souvent douloureuse, souvent blessée, souvent terrifiée par la violence du monde, singulièrement du monde politique.
Alors elle se murait. J’essayais de la convaincre que tout ça n’était pas si grave, mais elle ne me croyait pas. Ou plutôt pour être absolument véridique, elle pouvait le croire pour les autres, dont j’étais, mais elle n’est jamais arrivée à le croire pour elle-même.
Ce qui fait que les vilénies de ce monde l’ont usée jusqu’à lui ôter la vie.
Sur cette place il y a des arbres et deux bancs, comme une invitation à s’arrêter pour lire.On ne peut pas évoquer Marielle sans évoquer la place que la lecture, que les textes, occupaient dans sa vie. Elle arpentait les livres comme elle arpentait les rues, les chemins, les sentiers, les plages. Marielle, marchant, Marielle à grands pas, d’une élégance renouvelée à chaque pas, c’était un spectacle jamais épuisé, à la différence de ceux qui marchaient à côté d’elle, qui l’étaient assez vite, eux, épuisés. Marielle et les textes, dont elle parlait peu, parce qu’elle nourrissait le complexe de n’avoir pas fait d’études officielles, elle qui était si douée, si capable, si pénétrante, si juste.
Les livres et ses enfants, le monde de ses enfants à elle. Je veux leur dire qu’elle voyait le monde par leurs yeux, entrant dans leurs enthousiasmes et leurs passions, sans le leur montrer toujours, sans jamais l’avouer, peut-être même pas à eux, car pour cette passionnée de littérature, chacun d’entre nous sait qu’il n’était pas facile de parler.
Et puis il y a une dernière chose que je veux évoquer à propos de Marielle. Ça va vous paraître anecdotique. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui ait un tel sens de l’orientation. Vous pouviez vous retrouver avec elle dans n’importe quel lieu de n’importe quelle ville, de n’importe quelle région du monde, Marielle savait toujours où aller comme ces oiseaux migrateurs qui sont dotés intérieurement d’une invisible boussole et d’un invisible gyroscope. Elle ne se trompait pas de direction, elle ne se trompait pas d’orientation. Et ainsi en politique.
J’ai peu parlé de politique qui était pourtant sa vie. Elle était naturellement engagée, naturellement combattante, naturellement dirigeante, le chef d’orchestre d’un orchestre improbable, orchestre qui sans cette aventure impossible n’aurait pas survécu, elle était un maître d’œuvre, elle mettait tout en place et elle allait droit au but.
Et si vous aimez les signes, vous reconnaîtrez que le combat de la vie de Marielle, c’est l’universel combat d’aujourd’hui, spécialement d’aujourd’hui, en ces mois et en ces semaines de menaces sans précédent, le combat des libertés et de l’impossible démocratie,
Marielle qui était au moment de l’Euromaïdan sur cette place de l’indépendance à Kiev, où elle venait, comme parlementaire européenne, haranguer la foule des manifestants.
Tant de visages de Marielle, réunis en un moment, en une brassée de souvenirs, sur cette place ensoleillée.
Ne vous trompez pas : je ne parle pas d’une Marielle qui est partie, d’une Marielle dont il faudrait faire mémoire comme on dit. Pas du tout, c’est la même. Marielle, de Maïdan à Kiev, à cette place si intime dans le XIVe arrondissement, c’est la même Marielle, vivante, vivante comme une flamme, vivante, libérée, ayant désormais échappé au temps, échappé à la peur et aux méchants, Marielle la vivante, Marielle la puissante, celle qui s’arrange, sans qu’on la voie, pour que tout, toujours, comme cet après-midi, tombe juste.
Je vous remercie.