Jean-Noël Barrot : « Les grandes crises que nous avons traversées ont consolidé l'unité des Européens »
Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, était l'invité de France 24 pour un entretien exclusif sur la politique internationale.
Israël et États-Unis : « L'UE est le premier partenaire commercial des États-Unis d'Amérique »
Avant de se prononcer sur l'élection récente de Donald Trump à la tête des États-Unis, Jean-Noël Barrot a profité de cet entretien pour fournir des informations supplémentaires sur l'incident diplomatique qui a eu lieu dans le Domaine national français à Jérusalem, l'Éléona, à la suite de l'intrusion de policiers israéliens et de l'arrestation d'un gendarme français. Le ministre, qui parle « d'une situation inacceptable », « attend que cela ne se reproduise plus jamais. »
Offerts à la France par l'Empire ottoman il y a plusieurs siècles, ces territoires placés sous protection française constituent un domaine exclusif pour notre pays. Dès lors, toute violation des règles régissant leurs accès impose inévitablement une réaction de la part de la France. Dans ce contexte, Jean-Noël Barrot a choisi, dans un premier temps, de convoquer l'ambassadeur israélien.
Dans l'échelle des sanctions diplomatiques, la convocation d'un ambassadeur est le premier degré.
De manière plus générale, notre ministre des Affaires étrangères a réagi à la visite du ministre Israélien de l'Économie en France, par une invitation privée d'un organisme, marquant ainsi sa ferme opposition à la vision coloniale défendue par ce dernier. En effet, « nous dénonçons la politique qui est encouragée par ce ministre du gouvernement israélien, qui consiste à poursuivre une activité illégale [...], la colonisation agressive de la Cisjordanie », appuie Jean-Noël Barrot.
Si la France accorde une attention soutenue au Proche-Orient, l'irruption fracassante de Donald Trump a précipité la prise de conscience des Européens quant à la nécessité de se détacher de cette dépendance vis-à-vis des États-Unis. Notre vice-président tempère un potentiel retour d'une guerre commerciale en rappelant « qu'appliquer des droits de douane de manière indiscriminée et massive à l'Europe serait une erreur de calcul majeure. » C'est également l'opportunité de démontrer que, malgré son retard, l'Europe continue de renforcer sa position face aux puissances étrangères guidées par une logique de rapport de force agressif.
L'Europe a changé. Le mois dernier, l'Europe a décidé d'appliquer elle-même des droits de douane sur les véhicules électriques chinois, considérant que les subventions dont bénéficient les entreprises chinoises aujourd'hui sont désavantageuses pour les entreprises européennes.
Ukraine et Afrique : « Je me rendrais à Addis-Abeba pour un échange entre la France et l'Union africaine »
Depuis sa prise de fonction, Jean-Noël Barrot multiplie les déplacements diplomatiques à travers le monde, en grande partie en raison des enjeux cruciaux liés à de nombreuses régions. Parmi ces priorités figure le soutien indéfectible à l'Ukraine qui continue de se battre contre l'agression russe. Parce que notre sécurité continentale ne dépend que de notre volonté à mettre en oeuvre les conditions de celle-ci, notre ministre déplore que « 80 % des approvisionnements militaires des armées européennes proviennent de l'extérieur de l'UE », ce qui est « une situation inacceptable, qui conditionne certains de nos choix géostratégiques. »
Toujours au cœur des débats internationaux, l'élection de Donald Trump redistribue les cartes du financement de la « résistance héroïque ukrainienne ». Cependant, Jean-Noël Barrot refuse de se laisser emporter par l'alarmisme ambiant qui nourrit la crainte que les États-Unis, sous la direction de l'excentrique dirigeant américain, ne réduisent drastiquement leur soutien à l'Ukraine.
Je ne crois pas qu'il [D. Trump] voudra faire des cadeaux à un Vladimir Poutine qui est aujourd'hui affaibli au point d'exporter la guerre en Asie [...], avec une économie russe elle-même au bord de l'asphyxie.
En ce qui concerne l'Afrique, la présence française a, ces dernières années, fait l'objet de contestations croissantes, comme en témoigne le retrait des troupes françaises de plusieurs pays du Sahel. Cette contestation, amplifiée par une désinformation soutenue par la Russie et une présence commerciale agressive de la Chine, constitue désormais une occasion de réinventer et de réactualiser nos relations avec le continent. La France et l'Afrique partagent une histoire commune, aux épisodes parfois douloureux, qui doit conduire à entrevoir « cette refondation de [nos] relations [...] par un travail mémoriel. »
Je me rendrais à Addis-Abeba pour un échange entre la France et l'Union africaine qui sera l'occasion, d'abord, pour la France de réaffirmer l'ambition de réformer les institutions multilatérales et internationales. Je pense en particulier au Conseil de sécurité de l'ONU.
Avec l'émergence, voire la consolidation, des pays du Sud sur la scène internationale, l'Occident doit désormais admettre que son hégémonie au sein des institutions internationales est devenue obsolète. Notre vice-président en a pleinement conscience et envisage l'influence française vis-à-vis de ces nations à travers sa capacité à promouvoir une plus grande représentativité.
En ce sens, Jean-Noël Barrot affirme que ce « que nous défendons, c'est l'idée d'avoir deux sièges permanents pour les pays africains » au sein du Conseil de sécurité de l'ONU. Cette proposition audacieuse et nécessaire vise à ouvrir l'ordre international à des pays longtemps marginalisés, tout en contrant les ambitions expansionnistes de la Russie et de la Chine, et en renforçant ainsi le multilatéralisme mondial.