La démocratie à l'ère du numérique : entre opportunités et dangers
Le numérique est un enjeu majeur pour les années à venir. Investissements dans la recherche, éducation des citoyens et préservation de la démocratie face à l'effervescence des réseaux sociaux sont au coeur de l'entretien de Philippe Latombe, député de la Vendée et membre de la commission des lois à l’Assemblée nationale.
Comment définir la « souveraineté numérique » ?
Définir ce qu’est la souveraineté numérique a nécessité pour nous, au sein de l’Assemblée, un long travail. Pour simplifier, la souveraineté c’est choisir sa dépendance. Cela veut dire qu’à chaque étape du projet numérique, nous avons la capacité de remettre en cause le choix initial qu’on a pu faire parce que d’autres solutions sont en train d’apparaître. On peut donc décider de changer d’opérateur, de plateforme pour de nouveaux projets.
Avez-vous un exemple concret ?
Nous avons un très beau projet qui est le Health Data Hub (HDH), la plateforme de données de santé de l’État. Le choix a été fait en urgence lors de la crise Covid. La souveraineté numérique, c’est la possibilité d’héberger le HDH, sur une autre plateforme que celle de Microsoft et plus précisément sur une plateforme qui est française. Nous avons de plus en plus de champions du cloud qui sont en train d’émerger. Les trois étendards français en la matière sont OVH, Scaleway ou Outscale.
À chaque étape du projet numérique, nous avons la capacité de remettre en cause le choix initial qu’on a pu faire.
Vous parlez de la nécessité d’avoir un ministère de plein exercice sur le numérique. Doit-on aller plus loin sur la place que l'on donne au numérique en France ?
Très clairement, la position du numérique dans les politiques publiques et au sein des pouvoirs publiques n’est pas assez importante. On a besoin du numérique car il se développe partout de manière exponentielle : au sein des collectivités territoriales avec les smart cities, les développements informatiques absolument nécessaires pour les citoyens en proximité, mais aussi au sein de l’État.
On s’aperçoit que la gestion de données des Français est totalement différente d’un ministère à l’autre et qu’il y a une sorte de silo au sein des ministères. Nous avons proposé un grand ministère du numérique qui s’occupe de la numérisation de l’État, harmonise l’ensemble des politiques de traitements des données, promeut les solutions techniques françaises et européennes. Il n’y a rien de mieux qu’un ministère horizontal pour permettre de le faire.
Vous évoquez très régulièrement la nécessité d’accompagner la formation au numérique. Vous dites qu’on a les meilleurs chercheurs. Avons-nous des techniciens qui seraient en capacité de nourrir une économie française du numérique ?
La question des talents et de l’éducation au numérique sont intrinsèquement liées. Nous avons les meilleurs talents dans nos universités et écoles d’ingénieurs. En revanche, il nous manque une stratégie. Il nous manque des techniciens du numérique, c’est-à-dire des personnes qui mettent en pratique, en mouvement ce qui a été trouvé par ces fameux ingénieurs. On a besoin de personnes qui font du code et forment au numérique dès le début de la scolarité les enfants pour qu’ils sachent ce qu’est un ordinateur, un algorithme.
Le but étant d’avoir des consommateurs actifs, des consom’acteurs in fine qui comprennent ce qu’ils consomment.
Cela pose un problème de démocratie : à terme, on ne voit que des contenus qui sont conformes à ce que l’on pense.
Comment développer le sens critique des citoyens à l’heure où des algorithmes régissent ce que nous voyons sur l’écran ?
Être consom’acteur, c’est avant tout comprendre le produit que l’on consomme. Quand on va sur un réseau social, on consomme un algorithme. Il faut comprendre que les réseaux sociaux sont une sorte de caisse de résonnance : on nous apporte systématiquement ce dont on a besoin et ce que l’algorithme, donc les programmateurs, pensent que nous avons besoin pour nous faire notre opinion et donc sur notre évolution sur les réseaux sociaux.
Cela pose un problème de démocratie : à terme, on ne voit que des contenus qui sont conformes à ce que l’on pense. Cela renforce les gens dans la pensée qu’ils ont. C’est tout le reproche fait à Facebook par la lanceuse d’alerte, Frances Haugen, à l’Assemblée nationale. L’algorithme pousse systématiquement les mêmes informations pour que nous consommions toujours de la même façon. C’est une forme d’addiction, de radicalisation : les personnes sont enfermées, isolées dans un chemin de pensée unique.
Pour les réseaux sociaux classiques, cela a un but commercial mais pour les nouveaux réseaux sociaux, nous sommes davantage dans une visée politique.
On observe aux États-Unis le développement de réseaux sociaux faits par et pour les populistes. Quel est le danger à rester dans cet entre-soi ?
L’avantage des réseaux sociaux généralistes est qu’ils doivent rester un minimum grand public, permettre l’expression d’opinions différentes. Le fait d’avoir de nouveaux réseaux sociaux crées par et pour les discours populistes est une suite logique. C’est un canal d’expression plus simple pour des populistes auprès de leur public cible.
Est-ce inquiétant ? Oui, parce qu’il y a une forme de radicalisation et qu’à l’arrivée un populiste arrive à réunir et toucher des personnes dans des silos de communication fermés.
Le numérique est une rupture. L’être humain a peur des ruptures.
Les réseaux sociaux sont-ils l’expression d’une peur irrationnelle ?
Le numérique est une rupture. L’être humain a peur des ruptures. On l’a vécu lors de l’avènement de la voiture qui a remplacé le cheval. Il y avait la crainte de voir les habitudes bouleversées à jamais. Des métiers ont disparu, certes, mais de nouveaux emplois ont pu naître. L’innovation n’a jamais été un frein. On doit l’accompagner avec de l’éducation et de l’humain. Elle nous a permis d’aller sur la Lune, d’aller dans l’espace, de nous extraire de crises graves.
L’innovation s’imposera à nous. Si nous ne le faisons pas, quelqu’un d’autre, avec de mauvaises intentions, le fera avant nous, à l’image des nazis avec la bombe nucléaire lors de la Seconde guerre mondiale. L’innovation est indispensable pour décarboner l’économie. Elle génère de la peur mais tout se fera par l’éducation et l’accompagnement. Il est nécessaire d’apprendre les bases du numérique dès l’école, à coder et à en connaître les dangers.
Le plan de relance que le président de la République a mis en place va-t-il accompagner le développement de la recherche ?
Nous avons certainement les meilleurs cerveaux pour faire de la recherche, mais nous n'avons pas les moyens financiers pour être encore plus ambitieux. C’est tout l’enjeu du plan de relance : donner aux instituts de recherche et aux entreprises la capacité de travailler ensemble pour faire émerger des solutions techniques et technologiquement à la pointe.