Marc Fesneau : « L’agriculture française a été plus heureuse quand elle était puissamment exportatrice »
Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, était l’invité de l’émission « Le grand rendez-vous » sur la chaîne CNEWS, le dimanche 25 février 2024, pour préciser les prochaines orientations agricoles et leur mise en œuvre.
Fiscalité agricole : « On sent bien qu’on a des situations de trésorerie assez dégradées »
Marc Fesneau a eu l’occasion de détailler la manière dont le gouvernement allait répondre aux difficultés de trésorerie de certaines filières agricoles, à commencer par les éleveurs.
Le président de la République a demandé que territorialement, on fasse remonter par les voies syndicales, les chambres d’agriculture, les comptables, les difficultés les plus urgentes pour qu’elles puissent être traitées en priorité.
Le soutien à la trésorerie se veut ciblé en raison des disparités économiques selon la filière agricole et les agriculteurs entre eux. C’est une demande très claire de la part de ces derniers, c’est pourquoi le ministre de l’Agriculture ainsi que celui de l’Économie reçoivent le mardi 27 février la Fédération bancaire française afin de préparer la mise en place de ces mesures de trésorerie d’urgence.
Par ailleurs, des fonds ont d’ores et déjà été débloqués par le gouvernement, comme nous le rappelle Marc Fesneau en indiquant que « les éléments de soutien à la trésorerie ce sont déjà 150 millions d’euros pour l’élevage en mesures fiscales et sociales, 80 millions d’euros de fonds d’urgence sur la viticulture, 50 millions passé à 100 millions d’euros sur le bio. »
L’annonce du président de la République d’instaurer un prix plancher dans les filières le nécessitant est une des nouvelles réponses de l’exécutif à la crise agricole. Pour Marc Fesneau, la question de la rémunération des agriculteurs fait partie des chantiers structurels à conduire.
Si les lois EGAlim ont permis d’apporter de premières avancées, à l’image de la prise en compte du coût des matières agricoles dans la construction du prix final, le premier vice-président du Mouvement Démocrate souhaite poursuivre en ce sens.
La question c’est comment est-ce que l’on construit un prix d’achat pour les agriculteurs qui se base sur les coûts de production. C’est un travail filière par filière.
Europe : « La trajectoire de décarbonation on en a besoin, mais pas aux prix de la production »
Parmi les solutions à envisager pour répondre à cette crise agricole, certaines d’entre elles s’obtiendront au niveau européen. Et c’est avant tout une nouvelle philosophie agricole à adopter au plus haut sommet de l’Union européenne selon Marc Fesneau qui explique « qu’au fur et à mesure que le Green deal a été déployé sur le terrain, en particulier dans sa version agricole, la Commission a acté l’idée que ça devait aboutir à de la décroissance. »
Les agriculteurs, dans toute l’Europe, ont besoin de débouchés commerciaux intra-européens et internationaux. Le ministre de l’Agriculture poursuit sa mise en garde à l’égard de la philosophie décroissante du Pacte vert et cite un exemple :
Moi j’ai vu sortir des documents de la Commission disant "sur le vin, on va produire de 20 à 30 % de moins compte-tenu des règles qu’on s’est fixées". J’ai dit : mais n’y pensez même pas !
Marc Fesneau propose une autre stratégie, celle d’être exportateur. Il l’explicite en affirmant que nous devons « être compétitifs, avoir une stratégie d’exportation qu’il faut renforcer, et que les distorsions de concurrence qui pèsent sur l’environnement ou la santé, celles-là on les lève ! »
Dans la continuité de cette idée de faire de la cohérence la règle d’or pour libérer les agriculteurs d'injonctions contradictoires, Marc Fesneau trouve « fascinant de voir que l’on n’a pas construit la PAC en fonction du dérèglement climatique. »
On a donné des règles aux agriculteurs, c’est-à-dire « vous devez planter entre le 15 août et le 15 septembre ». Sauf qu’aujourd’hui on a une météo qui fait qu’au 15 août c’est ultra sec.
Enfin, le ministre de l’Agriculture a aussi attiré l’attention sur le dérèglement occasionné par les importations de produits ukrainiens sur le marché européen, exemptés des droits de douanes. Il a cependant réaffirmé la totale mobilisation de la France et de l'Union européenne pour continuer à soutenir l'Ukraine, seulement réajuster la manière dont on traduit cela.
À ce titre, il confie « qu’à un moment où la désorganisation est telle, je pense à la volaille, aux œufs, au sucre, il faut remettre en place les barrières existantes avant 2022, et qu’on dise « à partir d’un certain seuil, on remet les droits de douanes. »
Rassemblement national : "Je ne crois pas que le selfie soit gage d'une réponse aux sujets agricoles"
Il poursuit son raisonnement en expliquant méthodiquement l'hypocrisie du Rassemblement national et ses mesures incantatoires, attitude qu'il dénonce car "c'est tellement plus commode quand vous n'êtes pas en situation de responsabilité de promettre des choses dont vous savez peut-être à l'avance que vous n'aurez pas à les appliquer."
Je vais vous donner un exemple très simple : quand Monsieur Bardella dit qu'il n'y aura plus que des produits français dans les cantines ou bien dans la restauration, et bien dans la minute qui suit, les plus d'un million de bovins qui passent la frontière vers l'Espagne et l'Italie, je ne parle que dans l'espace européen, on ne saura pas quoi en faire, on ne saura pas quoi faire de nos fruits et légumes, on ne saura pas quoi faire du vin.
Donc cette idée d'une préference nationale stricte de nos produits français, c'est à la fin, la sortie de l'Europe.
Comme un Frexit déguisé, le RN a choisi son nouveau bouc-émissaire dans cette crise agricole, l'Europe, espérant maquiller son incompétence vis-à-vis de la complexité du sujet. L'analyse de Marc Fesneau met au jour l'imposture européenne du RN, qui ne souhaite pas aider l'Union, mais l'affaiblir de l'intérieur avec un coup de grâce final, la sortie de celle-ci.
Qu'on ait besoin de changer les règles, je ne vais pas vous dire d'un air béat en sautant comme un cabri "tout va bien, tout va bien !" Mais c'est le cadre à 27 qui va changer les règles, pas tout seul dans votre coin.
Interrogé sur la différence d'accueil entre le président de la République et Jordan Bardella lors de leur visite respective au Salon de l'Agriculture, Marc Fesneau renvoie le jeune novice d'extrême droite dans les cordes en lançant qu'il aimerait bien que "Jordan Bardella fasse un débat comme l'a fait le président de la République, qu'il maitrise aussi bien les dossiers et la complexité des sujets. Parce que déambuler et déclamer son amour de l'agriculture, je vous assure, je connais bien les agriculteurs et les fréquente depuis longtemps, ça ne va pas suffire longtemps."
Dans le même temps, le premier vice-président du MoDem pointe les artifices de popularité du candidat RN, immédiatement repris par les journalistes en plateau, ce qui a conduit Marc Fesneau à remettre les faits dans leur contexte :
Je ne crois pas que le selfie soit gage d'une réponse aux sujets agricoles. Il ne suffit pas d'être populaire sans réponse. Pour être populaire, il faut prendre le risque de l'impopularité parce que les réponses sont complexes. Parce qu'on peut dire "demain on rase gratis, il va faire beau, la vie va être belle", vous ne pouvez pas avoir autre chose que des selfies quand vous dites ça.