Patrick Mignola : « L’apaisement, ce n’est pas l’immobilisme »
Propos recueillis par Nathalie Mauret
Patrick Mignola, ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement et vice-président du Mouvement Démocrate, a accordé un entretien aux quotidiens du groupe EBRA Presse pour revenir sur les 100 jours d'action du gouvernement de François Bayrou.
Ce dimanche, cela fera 100 jours que François Bayrou a été nommé à Matignon. Il a réussi à faire voter son budget, là où son prédécesseur avait échoué. Depuis, quel est son bilan ?
J’entends un procès en immobilisme et pourtant en 100 jours, 100 textes ont été examinés au Parlement ! Ils concernent les agriculteurs pour mettre en œuvre les engagements pris pendant la crise agricole, ou les maires avec le statut de l’élu ou la parité pour les communes de moins de 1 000 habitants pour les municipales. Nous avons aussi fait voter un texte sur la sécurité dans les transports, la justice des mineurs, des avancées sur la prise en charge du cancer du sein…
Malgré l’inertie injustement prêtée aux centristes, les faits parlent d’eux-mêmes. L’apaisement, ce n’est pas l’immobilisme !
Quand l’ancien Premier ministre Édouard Philippe affirme que « rien de massif » ne se fera avant 2027, il se trompe ?
Ceux qui critiquent le gouvernement en dénonçant le flou, l’immobilisme ou qui pensent que rien ne peut bouger avant 2027, sont prisonniers de cette obsession française qui est de tout ramener à la présidentielle.
Il y a d’un côté le bal des prétendants, qui transforment le gouvernement en punching-ball ; de l’autre, des compétitions internes aux partis dont le gouvernement devient parfois l’otage.
Je regrette qu’au moment où le pays a le plus besoin d’un gouvernement qui bâtisse des compromis, que certains préfèrent se focaliser sur leurs compétitions internes ou leurs ambitions présidentielles.
Les textes que vous évoquez émanent du Parlement, mais pas du gouvernement qui ne propose rien de « massif »…
Il y a le texte sur la simplification, un chantier majeur piloté par le gouvernement avec les ministres, les acteurs économiques et les collectivités locales. Mais nous assumons de miser avant tout sur le travail parlementaire, parce qu’on vit une situation inédite : un partenariat, un dialogue avec une Assemblée nationale où la majorité n’est pas acquise d’avance.
Sur la fin de vie, il est reproché à François Bayrou de faire deux textes. Est-ce une critique justifiée ?
Le gouvernement a choisi de séparer les questions des soins palliatifs et de l’aide active à mourir en deux textes distincts tout en les faisant examiner ensemble à l’Assemblée nationale et chaque texte fera l’objet d’un vote séparé. Les parlementaires doivent pouvoir voter en conscience sur chacun. C’est la voie empruntée par la Belgique.
C’est une question de clarté et de respect du débat démocratique, pas une manœuvre dilatoire.
Le Premier ministre laisse toute liberté à ses ministres mais les recadre comme sur le port du voile dans le sport… Comment décrire sa méthode ?
Autant de liberté que possible, autant de solidarité que nécessaire ! Ce gouvernement compte des personnalités d’expérience, qui ont exercé les plus hautes fonctions de l’État. Il n’est pas question de tout contrôler ou de relire leurs interviews. Mais en retour, chacun doit faire preuve de loyauté et de solidarité, même en cas de désaccord. On l’a vu sur des sujets comme l’Algérie ou le voile : certains, notamment dans la compétition interne à LR, instrumentalisent ces questions pour marquer des points. D’autres pourraient aussi vouloir torpiller le compromis avec le Parti socialiste.
Le rôle du Premier ministre, c’est de laisser le débat vivre, tout en fixant les limites quand c’est nécessaire. C’est du leadership, pas de l’embrigadement.
François Bayrou est accusé de mettre en péril le conclave sur les retraites en fermant la porte au retour aux 62 ans. A-t-il commis une erreur ?
Ses propos ne m’ont pas choqué. Il n’a fait que répéter ce qu’il dit depuis 10 ans sur les retraites : se focaliser sur l’âge de départ empêche tout débat constructif. François Bayrou a rappelé qu’il n’y avait aucun tabou, y compris sur l’âge, mais à condition de garantir l’équilibre du système.
Ceux qui portent vraiment atteinte à la démocratie sociale sont ceux qui disent que le conclave ne sert à rien, qu’il y a d’autres priorités ou qu’on ne pourra réformer les retraites qu’en 2027.
Si on comprend mal le Premier ministre, est-ce parce qu’il communique mal ?
Que la communication du Premier ministre devienne un sujet de débat entre compétiteurs pour les élections internes de LR ou du PS, ce n’est pas raisonnable. Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez devraient davantage débattre du projet de la droite républicaine, et moins rivaliser sur leurs distances respectives avec le Premier ministre.
François Bayrou est aussi très critiqué sur sa gestion de l’affaire Bétharram. Est-ce que cela entame sa crédibilité de responsable politique ?
Non, mais sur le plan humain, cela l’a incontestablement affecté. Derrière la carapace du politique, il y a eu des attaques qui ont visé sa famille. C’est une dérive regrettable de la vie politique. Les politiques sont désormais habitués à être rudement attaqués, mais ces assauts deviennent plus vicieux encore, car ils deviennent familiers.
Dans cette affaire, le Premier ministre est le seul à avoir reçu les victimes. Le seul ! J’admire qu’au milieu des attaques politiques et des coups portés à sa famille, il ait choisi d’agir.
Le Premier ministre doit sa survie au Parti socialiste qui ne l’a pas censuré. Mais le PS dit que cela peut changer. Est-ce que cela vous effraye ?
Il ne faut jamais gouverner dans la peur.
Notre but est d’assurer une stabilité politique durable, car c’est la seule façon de répondre aux grands défis des Français : l’école, l’hôpital, la transition écologique, ou encore le renforcement de nos industries de défense pour demain.
Cela ne veut pas dire qu’on doit toujours chercher des compromis politiques à tout prix, ni que cela autorise les invectives. Dans les semaines à venir, j’espère qu’on pourra voter ensemble des textes importants, comme ceux sur la simplification ou la fin de vie. Je crois aussi qu’on pourrait s’entendre sur les résultats des négociations des partenaires sociaux sur les retraites.
François Bayrou a évoqué un « Himalaya » pour parler de la difficulté de sa mission à Matignon. À défaut de parvenir au sommet, passera-t-il l’été ?
La stabilité, ce n’est pas un objectif pour durer, mais pour travailler efficacement.
Avec le calendrier parlementaire organisé jusqu’au 30 juin, et grâce au travail des députés, toutes sensibilités confondues, je crois qu’on peut y arriver. Cela demande quelque chose de rare en politique : de l’abnégation. Certains ont théorisé la conflictualisation, comme La France insoumise. Mais si tout le monde fait l’effort de s’écouter, cette abnégation finira par porter ses fruits.
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