Jean-Jacques Aillagon, une vie au service de la culture
En France, la culture a toujours eu d’éminents représentants et défenseurs. Au nombre de ceux-ci peut figurer Jean-Jacques Aillagon. Il a marqué de son empreinte la culture française. Un homme aux multiples facettes. Présentation.
Lorsque l’on évoque la culture en France, beaucoup d’idées et de noms viennent en tête : l’art raffiné français, le siècle de Louis XIV, les grands noms de la littérature, les châteaux qui ont fait le rayonnement et l’orgueil du pays, les hommes d’État qui savaient concilier compétences et immense culture. Si l’on se penche sur l’Histoire récente, il est impossible de ne pas penser à, André Malraux. Voyageur infatigable dans sa jeunesse, résistant et devenu ministre de la Culture du général de Gaulle, il a gravi les échelons jusqu’à parvenir au rôle qui l’a fait entrer dans l’histoire nationale. Tout comme Malraux, Jean-Jacques Aillagon, ni énarque ni homme politique de base, a gravi tous les échelons de l’administration culturelle française avant d’arriver au poste le plus important qui soit en tant que ministre de la culture et de la communication de Jacques Chirac entre 2002 et 2004.
André Malraux disait qu’il était « en art comme certains sont en religion ». Jean-Jacques Aillagon se reconnaîtrait probablement dans ce passage. Enseignant, directeur, conseiller, ministre, Jean-Jacques Aillagon a eu de multiples vies. D’abord enseignant d’histoire et de géographie en Corrèze, terre d’ancrage électoral du président pour lequel il va devenir ministre des années plus tard, il s’oriente ensuite vers des institutions culturelles, telles que le Centre d’études et de recherches architecturales du ministère de la Culture ou encore la prestigieuse école des Beaux-Arts où il gère les relations extérieures, les expositions et l’action culturelle et scientifique.
L’année 1982 marque un tournant dans sa vie car il devient administrateur du Musée national d’Art moderne au Centre Pompidou. En 1985, il rejoint le service culture de la ville de Paris, qu’il finira par diriger entre 1993 et 1996 avant de devenir Président du Centre Pompidou où il va s’atteler à mettre en place des réformes essentielles dont, le programme de rénovation du site et la création de la première antenne du Centre, ce qu’on appelle « hors les murs », avec le Centre Pompidou de Metz. Cela préfigure l’ouverture du Louvre-Lens en 2012.
C’est alors qu’entre 2002 et 2004, dans le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, sous le mandat de Président de la République de Jacques Chirac, Jean-Jacques Aillagon devient ministre de la Culture. Un poste prestigieux qui vient récompenser des années au service de la culture et de son partage. Ces deux années seront, pour lui, très intenses. Au service du président de la République, il va multiplier les chantiers et travailler sur plusieurs sujets desquels vont résulter de multiples avancées : la loi 2003-709 du 1er août 2003 a doté la France d’un régime sur le mécénat facilitant les démarches, autorisant des déductions fiscales jusqu’à 90%, encourageant l’acquisition des biens considérés comme « trésors nationaux » afin de les faire demeurer en France ; un élargissement des responsabilités et des moyens octroyés pour les politiques d’acquisitions des musées tels que celui d’Orsay, le Louvre ou Versailles ; la mise en place définitive du projet d’appellation « musée de France » attribuée aux musées qui en faisaient la demande ; l’adaptation du droit de la communication aux évolutions et nouveaux enjeux du secteur (projet de loi DAVSI relatif aux droits d’auteur)… En deux ans, Jean-Jacques Aillagon s’est battu sur plusieurs fronts et a laissé son empreinte sur le monde culturel français. Depuis, il a continué son chemin au service de « sa » cause en devenant président de la chaîne TV5 Monde, du Château de Versailles ou de la Collection Pinault, entre autres.
Jean-Jacques Aillagon est une figure de la culture française. Il s’est toujours mis à son service, par amour et par réelle envie de servir l’intérêt général. Il a toujours considéré que la culture devait être ouverte à tout le monde et devait toujours rester accessible car elle est une des fondations de l’idée humaniste. L’art et la culture relient les civilisations entre elles. André Malraux, illustre ministre de la Culture disait en 1960, lors d’un discours prononcé en faveur de la sauvegarde des monuments d’Égypte que « notre civilisation devine dans l’art une mystérieuse transcendance et notre civilisation prend conscience que l’art mondial est son indivisible héritage ». Au service de la culture, au service d’un homme éperdument amoureux des arts du monde entier comme Jacques Chirac, Jean-Jacques Aillagon a apporté son savoir et son dévouement sincère à une cause qui unit et transcende le genre humain.
Questions à Jean-Jacques Aillagon
- Lors d’un entretien accordé à Patrick de Carolis en 2002, pour le Figaro Magazine, vous disiez que « la tentation de l’extrémisme n’est pas étrangère à cette absence de rapport avec la culture » Près de 20 ans plus tard, quel constat faites-vous de cette phrase ?
Jean-Jacques Aillagon : "L’évolution des choses m’a, hélas encore plus qu’il y a vingt ans, donné raison. Les extrémismes se nourrissent de haine et d’ignorance. Leur combustible c’est le rejet de tout ce qu’ils ne connaissent pas alors que la culture c’est la disponibilité de l’esprit, la capacité d’accueillir ce que les siècles révolus nous ont légué mais aussi ce que la diversité du monde nous offre. La culture exige de la curiosité et de la tolérance. Elle est nourrie d’esprit critique et ne peut donc s’accommoder de l’empire d’idées simplistes. C’est la raison pour laquelle elle est à l’aise dans la démocratie, système politique qui suppose le dialogue et la recherche de la rationalité des choix alors que les extrémismes prospèrent dans la déraison et préfèrent asséner violemment leurs convictions plutôt que d’ouvrir le débat. J’ajoute que nos sociétés ont longtemps été des sociétés homogènes composées d’individus qui, tous, peu ou prou, avaient puisé aux mêmes racines. Le partage spontané de nombreuses références culturelles, plus ou moins sophistiquées, rendait le « vivre ensemble » relativement facile. Dans nos sociétés, plus diverses, parfois même plus hétérogènes, le risque des replis identitaires est plus fort et plus pernicieux. C’est vraiment à la culture à permettre à tous, d’où qu’ils viennent, de croire qu’un monde partagé est possible."
- A quel point votre expérience de ministre de la Culture vous a marqué ?
Jean-Jacques Aillagon : "C’est un grand honneur de servir la république et nos concitoyens dans un ministère comme celui-là. J’ai tenté, au cours des deux trop courtes années de mon ministère, de faire avancer les choses dans les domaines de sa responsabilité. C’est la raison pour laquelle j’ai attaché une grande importance à la décentralisation dont sont nés le Centre Pompidou-Metz et le Louvre-Lens, à l’action internationale et européenne et en soutenant la prise de responsabilités de la société à l’égard de causes d’intérêt général, comme celles du patrimoine. En obtenant que soit, par exemple, attribuée à la Fondation du Patrimoine une part des successions en déshérence, j’ai le sentiment d’avoir contribué à ce que cette fondation s’installe solidement dans le paysage culturel de notre pays."
- On ne le sait pas toujours mais Jacques Chirac était un passionné des cultures asiatiques et africaines, un érudit même en la matière. Vous qui avez été son ministre, que diriez-vous qu’il a apporté à la culture en général pendant ses deux mandats ?
Jean-Jacques Aillagon : "Jacques Chirac avait avec la culture un rapport très pudique. Pendant longtemps, il a tenté de dissimuler son goût pour la poésie et pour les civilisations non-européennes. Comme Maire de Paris, il avait pourtant soutenu la création d’une maison de la poésie et le renouveau du musée d’arts asiatiques Cernuschi ou encore décidé personnellement d’organiser, pour le cinquième centenaire de la découverte des Amériques, au Petit Palais, une grande exposition sur les Taïnos. C’est en tant que Président de la république qu’il donnera un tour décisif à cet engagement en créant le Musée du Qui Branly et le département des arts de l’Islam au Louvre, en accompagnant la rénovation du Musée Guimet et en me demandant d’engager totalement la France dans l’élaboration, par l’UNESCO, d’une convention sur la diversité culturelle. Cette conviction du nécessaire dialogue des cultures est une marque forte de ses deux mandats, ce qu’il ne l’a pas empêché de se préoccuper de nos racines culturelles propres en décidant la création d’un nouveau site des archives nationales à Pierrefitte et en donnant son aval au financement d’un schéma directeur de travaux pour le Château de Versailles et son domaine."
- Impossible de ne pas parler de votre poste de Président du Château de Versailles entre 2007 et 2011. Qu’en retenez-vous ? Qu’est-ce que ça fait d’être responsable d’une telle merveille ?
Jean-Jacques Aillagon :"Il m’a, en effet, été donné, après avoir, comme ministre, de mettre en place un programme de travaux pour le château de Versailles, d’en devenir pendant quelques années le Président. C’est l’une des responsabilités publiques qui m’a donné le plus de bonheur. Le château de Versailles c’est à la fois un patrimoine monumental et artistique exceptionnel mais aussi un patrimoine de jardins et de paysages et un patrimoine musical que ne cessent d’explorer le Centre de musique baroque et la programmation de l’Opéra royal. Le Château de Versailles c’est également une part essentielle de notre patrimoine historique, celle de l’Ancien-Régime mais aussi celle de la Révolution puisque c’est là qu’elle est née, à partir de mai 1789. C’est là que les Etats Généraux sont devenus Assemblée Nationale, c’est là qu’ont été abolis les privilèges et votée la Déclaration des droits de l’homme. Versailles, c’est à la fois Louis XIV, Marie-Antoinette et le peuple souverain. Versailles ce sont ces héritages partagés. Ce n’est pas pour rien que Louis Philippe avait décidé de faire du château un musée de l’histoire de France et qu’il a fait graver sur les frontons « à toutes les gloires de la France."
- Demain, pour l’après-covid, alors que nous avons pu expérimenter pendant plus d’un an la consommation culturelle à travers nos écrans et des visites interactives, ça sera quoi la culture selon vous ?
Jean-Jacques Aillagon : "La Covid n’a pas tué la culture. Même si beaucoup de lieux de culture ont été fermés, le désir de culture, de création, de partage ne s’est pas éteint. La lecture est restée plus vivace que jamais. Les créateurs et les institutions culturelles ont fait preuve d’une inventivité redoublée pour mettre en ligne à la fois les trésors de notre patrimoine culturel, artistique, musical, chorégraphique, théâtral. Les radios et les télévisions de service public n’ont pas baissé les bras. L’Etat et les collectivités locales ont déployé des moyens extraordinaires pour empêcher les lieux de culture de disparaitre et les artistes d’être étouffés par les difficultés. Le formidable dispositif de diffusion culturelle de notre pays est resté debout, prêt à redémarrer et à prendre sa place dans la véritable renaissance qui doit succéder à la période terrible que nous avons vécue."
- Quels sont vos projets à venir ?
Jean-Jacques Aillagon : "J’ai eu le bonheur d’accompagner la réalisation, dans l’ancienne Bourse de Commerce de Paris, d’un nouveau musée de la collection Pinault qui accueille le public depuis le 22 mai. C’est encore une exposition de la collection Pinault dont j’assure le commissariat à Rennes, au cours de cet été 2021. J’espère que la candidature de Nice à une inscription sur la liste du patrimoine mondial que je pilote, depuis plusieurs années, à l’invitation du Maire, Christian Estrosi, sera consacrée par le comité du patrimoine mondial de l’UNESCO cet été. Je compte ensuite me consacrer avec plus de disponibilité encore à mon mandat de conseiller municipal de Plougasnou et de conseiller communautaire de Morlaix. Ensuite, je compte également cultiver mes hortensias tout en restant très attentif aux enjeux de la présidentielle de 2022."