Marc Sangnier, le sillon du centre
La pensée centriste infuse depuis longtemps, forte de ses racines humanistes. La démocratie au quotidien mérite une attention permanente. Pour nous, démocrates, la philosophie de Marc Sangnier résonne encore aujourd'hui.
En 1977, peu après la parution du programme du Centre des Démocrates Sociaux, L'Autre solution, Jean Lecanuet soulignait l'importance des valeurs démocrates pour tracer les perspectives à venir : "La démocratie sociale est une plante vivace, parce qu'elle plonge ses racines dans une pensée vigoureuse (...) cette pensée politique a su ne jamais se dégrader en idéologie. La démocratie sociale est aussi une pratique politique qui, inlassablement, s'efforce de libérer l'homme des pesanteurs qui le menacent."
Chaque siècle a ses défis. Les nôtres, à l'heure de la crise sanitaire, économique et sociale, sont immenses. Pour les relever, l'héritage humaniste d'un Marc Sangnier demeure précieux. François Bayrou s'y réfère souvent, comme à une âme bienveillante. Car l'œuvre de Marc Sangnier est d'abord éducative. Vers les années 1890-95, alors que paraissent les Encycliques "Rerum novarum" (1891) et "Au milieu des sollicitudes" (1892), ce jeune étudiant organise, tout en préparant Polytechnique, des débats hebdomadaires dans une salle de lycée. Passionné, orateur né, il subjugue ses amis. Ces amitiés, il passera sa vie à les cultiver avec soin. Ce qu'il rêve de créer, c'est un réseau qui représente, en quelque sorte, la cité idéale de la démocratie chrétienne, celle des hommes de bonne volonté.
En 1898, Marc Sangnier décide de consacrer sa vie à l'éducation populaire. Dans le cercle d'études sociales, des personnes d'origines très diverses se réunissent : étudiants, bourgeois, ouvriers. Ce mouvement d'éducation a vocation à rayonner largement. En 1901, les instituts populaires se développent. A plus grand échelle, ce sont les meetings, et la création par Paul Renaudin d'une revue, Le Sillon, en 1894. Marc Sangnier incorpore cette revue au mouvement, qui en prend le nom et se rapproche du peuple. Il s'agit, pour les rédacteurs, d'"aller au vrai avec toute son âme", selon les mots de Platon. Si la revue a son siège boulevard Raspail, le mouvement s'étend à la province.
François Bayrou aime à citer la définition que Marc Sangnier donne de la démocratie : "L'organisation sociale qui tend à porter au maximum la conscience et la responsabilité civique de chacun." Les démocrates, ce sont les hommes qui ont la conscience et la responsabilité d'eux-mêmes et qui ont, collectivement, conscience et responsabilité de la cité.
Le mouvement, formé par des intellectuels, atteint également toutes les couches sociales. En 1906, à son apogée, il compte, pour 100 sillonnistes, 46 ouvriers, dont 13 ouvriers agricoles, 27 employés, 12 représentants des professions libérales, 9 ecclésiastiques et 3 patrons. Les cercles ont permis de former une jeunesse ouvrière militante, capable de prendre sa place dans les réunions publiques, les syndicats, les campagnes. Si le mouvement est d'inspiration spirituelle, il se développe clairement dans un esprit laïc.
En 1910, le Sillon se voit condamné à Rome pour avoir voulu repenser l'ordre de la société actuelle. Avec audace, Marc Sangnier désirait lier ensemble deux composantes, la démocratie et le christianisme. Tirant les leçons des difficultés, Marc Sangnier s'attache à créer un groupement républicain et démocrate, qui fait référence à la doctrine chrétienne. Ce qu'il vise, c'est un humanisme de la vie publique.
Marc Sangnier nous a légué ce souci constant de l'éducation populaire, l'élan d'une jeunesse vers la conscience civique.